COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
1ère Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 03 AVRIL 2018
L.V
N° 2018/
Rôle N° N° RG 17/22186 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BBTYR
[G] [X]
C/
SELAS FIDAL
Grosse délivrée
le :
à :Me Baffert
Me Boulard
Décision déférée à la Cour :
une décision d'incompétence rendue par Madame le Bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Marseille du 21 novembre 2017
APPELANT
Maître [G] [X]
né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 1]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté et assisté par Me Edouard BAFFERT, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
INTIMEE
SELAFA FIDAL - Société d'Avocats - [Adresse 2]
représentée et assistée par Me Alain BOULARD, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 27 Février 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame DAMPFHOFFER, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller, faisant fonction de Président
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Avril 2018
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Avril 2018,
Signé par Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller faisant fonction de Président et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
M. [G] [X] est entré au service du cabinet d'avocats FIDAL en qualité de juriste salarié selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 08 novembre 2007, à effet du 1er décembre 2007.
Il a présenté une demande d'inscription à l'ordre des avocats du Barreau de Marseille produisant à l'appui de celle-ci un exemplaire non signé d'un contrat de travail d'avocat qui lui avait été remis pour signature par son employeur et a été inscrit au tableau le 06 juin 2016, date de sa prestation de serment.
Ce contrat de travail d'avocat n'a pas été signé par les parties et une divergence s'en est suivie entre elles en novembre 2016 lors de l'arrêté du décompte de rémunération de M. [X] afférent à l'exercice social clos ( 2015-2016) et de la fixation de sa fiche d'objectifs pour le nouvel exercice ( 2016-2017).
Considérant que son employeur lui avait imposé un nouveau mode de calcul pour la partie de sa rémunération variable entraînant pour lui une diminution substantielle de ses revenus, M. [G] [X], par lettre recommandée en date du 22 décembre 2016, a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par lettre recommandée du même jour, il a saisi le Bâtonnier, dans le cadre de son pouvoir juridictionnel, aux fins de requalification de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en licenciement abusif.
Par décision en date du 21 novembre 2017, Mme le Bâtonnier de l'Ordre des avocats du Barreau de Marseille s'est déclaré incompétente , en tant qu'autorité arbitrale, pour trancher les difficultés d'exécution du contrat de juriste salarié, devenu caduc, telle qu'invoquées par le demandeur et ce en l'absence constatée de régularisation du contrat d'avocat salarié de Me [X].
Mme le Bâtonnier a relevé que:
-le contrat de collaboration en qualité d'avocat salarié déposé par M. [X] au secrétariat du conseil de l'ordre est un projet de contrat non signé, devant être régularisé et ne contenant pas les dispositions particulières de calcul de rémunération du collaborateur,
- M. [X] n'a été lié au cabinet FIDAL en qualité d'avocat collaborateur salarié que pour une courte période du 06 juin 2016 au 20 décembre 2016,
- il n'existe aucun contrat de travail valide permettant de déterminer les conditions particulières de rémunération de M. [X] en qualité d'avocat salarié du 06 juin 2016 au 20 décembre 2016,
- il n'appartient pas au Bâtonnier de trancher un litige portant sur les modalités d'exécution du contrat de juriste salarié sur lesquelles s'appuie le demandeur en l'absence de tout autre lien contractuel.
Par lettre recommandée en date du 05 décembre 2017, enregistrée au greffe de la cour le 08 décembre 2017, M. [G] [X] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses conclusions n°2 déposées lors de l'audience du 27 février 2018, M [G] [X] demande à la cour, au visa de l'article 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, 84,88 et 948 du code de procédure civile:
- recevoir M. [G] [X] en son appel,
- le déclarer recevable,
- réformer la décision d'incompétence rendue par Mme le Bâtonnier de l'ordre des vvocats au barreau de Marseille le 21 novembre 2017,
- évoquer l'affaire au fond après avoir invité les parties à conclure au fond et fixer une date de plaidoiries.
Il rappelle que dans sa décision, Mme le Bâtonnier s'est estimée incompétente au motif que les dispositions contractuelles applicables à la résolution du litige sont celles du contrat de juriste salarié avant son accès à la profession d'aovcat.
Il reproche à Mme le Bâtonnier d'avoir opéré une confusion entre sa compétence rationae materiae et le fond du dossier.
Il se prévaut à ce titre des dispositions de l'article 142 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, en faisant valoir qu' il est inscrit au tableau de l'ordre des avocats le 06 juin 2016, que ses bulletins de salaire depuis lors ainsi que le certificat de travail et l'attestation Pole Emploi mentionnent bien sa qualité d'avocat salarié.
Il en tire pour conséquence que le litige concerne donc bien un avocat salarié et son employeur, le Cabinet FIDAL, tous deux inscrits au tableau de l'ordre des avocats et qu'en conséquence, seul le Bâtonnier était compétent pour connaître du litige, d'autant que le litige porte sur le versement de la partie variable de sa rémunération au mois de décembre 2016, date à laquelle il était employé en qualité d'avocat salarié.
Il ajoute qu'en l'absence de régularisation d'un contrat de travail d'avocat:
- les dispositions contractuelles du contrat de juriste salarié du 02 janvier 2015 sont demeurées en vigueur, faute de régularisation d'un nouvel accord et cette rémunération est due à un avocat salarié,
- les demandes formées au titre de la rupture de son contrat de travail portent nécessairement sur son contrat de travail en tant qu'avocat salarié et sont donc soumises à la compétence du bâtonnier.
Il demande à la cour, en application de l'article 88 du code de procédure civile, d'évoquer l'affaire au fond, compte tenu de l'ancienneté du litige, soutenant que les demandes sur le fond telles qu'exposées dans ses conclusions déposées devant le Bâtonnier étaient des demandes financières portant sur le solde de sa rémunération due au titre de l'exercice 2015-2016, soit 45.229,00 € ainsi que le paiement des indemnités auxquelles il pouvait prétendre outre des dommages et intérêts.
Il soutient que le fait de ne pas avoir perçu le solde de sa rémunération l'a placé dans une situation financière très délicate, qu'avec sa compagne, il attendait au moment de la prise d'acte, un troisième enfant, qu'il est par ailleurs locataire d'une maison pour un loyer mensuel fixé à 2.050 € et qu'il a été contraint de s'inscrire au Barreau de Marseille en qualité d'avocat libéral, l'obligeant à créer un cabinet, prendre des locaux, faire des travaux et recruter du personnel alors qu'il percevait chez FIDAL une rémunération importante.
Il considère que le Bâtonnier étant compétent pour connaître de l'entier litige, que la cour, dans sa formation de céans et selon la procédure sans représentation obligatoire, peut parfaitement évoquer le litige et il réclame cependant le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure pour plaider sur le fond du dossier.
La SELAS FIDAL, dans ses conclusions transmises le 23 février 2018, demande à la cour, au visa de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971, 142 et suivants du décret du 27 novembre 1991 et de l'article L 1411-1 du code du travail, de:
- dire et juger M. [X] irrecevable et mal fondé en sa demande d'évocation et en conséquence, l'en débouter,
- le renvoyer à mieux se pourvoir notamment aux fins de respecter le préalable obligatoire de conciliation,
Subsidiairement:
- dire et juger que la prise d'acte de la rupture initiée par M. [X] est constitutive d'une démission,
- dire M. [X] irrecevable et mal fondé en l'ensemble de ses fins, demandes et préventions et l'en débouter
S'agissant de la demande d'évocation, elle précise que si le Bâtonnier a vocation à arbitrer les litiges nés à l'occasion de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail d'avocat , il ne saurait en être de même de ceux concernant un contrat de travail de juriste salarié, lesquels relèvent de la compétence exclusive et d'ordre public du conseil de prud'hommes.
Elle soutient que:
- le présent litige relève donc pour partie de l'attribution du Bâtonnier et pour partie de celle du conseil de prud'hommes de Marseille,
- la cour n'est saisie que d'un appel d'une décision du Bâtonnier statuant dans le cadre des articles 7 de la loi du 31 décembre 1971 et 142 et suivants du décret du 27 novembre 1991,
- les procédures d'appel des décisions relevant de la compétence du Bâtonnier et des décisions du conseil de prud'hommes sont totalement différentes,
- si la cour d'appel de céans a vocation à être juridiction d'appel des deux juridictions , il ne lui est pas possible de suivre la même procédure et de statuer par un seul et même arrêt,
- la demande d'évocation formée par M. [X] est irrecevable et en tout cas mal fondée, d'autant qu'aucune tentative de conciliation, partie intégrante et inhérente à la procédure prud'homale, n'a eu lieu,
- aucune évocation n'est donc possible sans respect du préalable obligatoire de conciliation.
Subsidiairement et sur le fond, elle considère que les manquements invoqués par M. [X] au soutien de sa prise d'acte ne sont pas fondés, que celle-ci doit donc produire les effets d'une démission. Elle soutient en effet que la prétendue modification des conditions de sa rémunération pour l'exercice 2015/22016 clos le 30 septembre 2016 n'est pas démontrée puisque la structure de rémunération à l'intéressement intégral de 36% revendiquée par ce dernier ne repose sur aucun contrat de travail d'avocat, que le contrat produit par lui pour être admis à la prestation de serment comme son dernier contrat en tant que juriste ne prévoyait pas la structure de rémunération dont il se prévaut.
MOTIFS
Selon l'article 142 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pour tout litige né à l'occasion d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail, à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l'avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l'une ou l'autre des parties, soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l'ordre des avocats, soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Il est constant que M. [X] a été employé par la SELAS FIDAL par contrat de travail à durée indéterminée en date du 08 novembre 2007 au poste de juriste salarié.
Il ressort des pièces produites que:
- par avenant du 10 décembre 2013, il a été promu au poste d' 'avocat manager/ responsable de mission',
- par avenant du 02 janvier 2015, il a été nommé ' senior manager/ directeur de mission'.
Par lettre du 13 juin 2016, le Bâtonnier a confirmé à M. [X] avoir fait droit à sa demande d'inscription au Barreau de Marseille en qualité d'avocat salarié de la société FIDAL, demande effective à compter de sa prestation de serment, soit le 06 juin 2016.
A l'appui de cette demande d'admission, M. [X] avait remis un contrat de travail d'avocat établi par le Cabinet FIDAL mais qui ne sera jamais retourné signé à l'employeur.
Il n'en demeure pas moins, que contrairement aux affirmations de M. [X], la relation de travail entre ce dernier et son employeur a bien été régie par deux contrats distincts:
- un contrat de travail en tant que juriste salarié qui a pris fin de plein droit le 06 juin 2016,
- un contrat de travail en tant qu'avocat salarié à compter de sa prestation de serment.
Il importe peu que le contrat de travail d'avocat n'ait jamais été signé, ce qui ne saurait avoir pour conséquence de laisser perdurer les dispositions contractuelles du contrat de juriste salarié, l'examen des bulletins mettant clairement en exergue l'existence de deux contrats:
- jusqu'au 30 mai 2016, les bulletins de paie mentionnent qu'il est employé en tant que juriste, au coefficient 410, avec un niveau d'échelon N2E2, la convention collective applicable étant la convention collective du personnel salarié des cabinets d'avocat ( CCN 1000) et qu'il percevait une prime d'ancienneté,
- à compter du mois de juin 2016, les bulletins de salaire indiquent qu'il est employé en tant qu'avocat, au coefficient HE, sans niveau d'échelon, la convention collective applicable étant celle des avocats salariés ( CCN 1850) et qu'il ne touche plus de prime d'ancienneté.
Le contrat de travail de juriste salarié s'est donc bien terminé lorsqu'il a prêté serment et a été inscrit en tant qu'avocat salarié au tableau de l'ordre des avocats de [Localité 2]. Les conditions du nouvel engagement le liant au Cabinet FIDAL en tant qu'avocat salarié et l'absence de signature d'un contrat écrit, ne peuvent être que celles résultant des bulletins de salaire qui ont été émis à compter de cette date et non celles qui régissaient sa première relation de travail en tant que juriste salarié.
Or, à la lecture des motifs à l'origine de sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail du 22 décembre 2016 ainsi que de ses conclusions déposées à l'appui de ses demandes devant Mme le Bâtonnier, il se prévaut uniquement d'une modification unilatérale de son contrat de travail de juriste salarié. En effet, il reproche, pour l'essentiel, à la société FIDAL un changement de son mode de rémunération mais telle que prévue par le contrat à durée indéterminée en date du 08 novembre 2007 et des deux avenants, en particulier le dernier en date du 02 janvier 2015, renvoyant à une fiche d'objectif du 17 novembre 2017.
Dans sa prise d'acte, il demande à son employeur ' d'appliquer strictement son contrat de travail' mais fait uniquement référence à celui de juriste salarié. Aux termes de ses conclusions développées devant le Bâtonnier, il n'est question exclusivement que de sa relation de travail en tant que juriste salarié, puisqu'il fait état de son investissement au sein de l'entreprise, en rappelant les différentes promotions dont il a fait l'objet, évoquant même au mois d'octobre 2016, une nomination au poste de directeur technique adjoint du département droit des sociétés pour la région méditerranée, reprochant également à son employeur de ne pas lui faire de proposition à hauteur de ses nouvelles fonctions, toujours en référence au dernier avenant de janvier 2015.
Force est de constater que l'intégralité de ses demandes, financières, portent uniquement sur les modalités d'exécution de son contrat de juriste. Or, il ne peut utilement se prévaloir, dans le cadre de la présente instance, d'une modification de son contrat d'avocat salarié comme étant la suite d'un contrat de juriste qui a pris fin.
Conformément aux dispositions de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 et 142 du décret du 27 novembre 1991, le Bâtonnier est exclusivement compétent pour trancher les litiges qui surviennent à l'occasion de l'exécution d'un contrat de collaboration ou d'un contrat de travail d'avocat salarié.
La cour constate, en l'espèce, que ce contrat, qui fait suite au contrat de juriste et qui est formalisé par les bulletins de salaire à compter du mois de juin 2016 démontrant bien qu'il s'agit d'une nouvelle relation contractuelle, n'est pas l'objet des demandes de M. [X].
Le fait qu'au moment de la saisine du Bâtonnier, Me [X] était effectivement lié au Cabinet FIDAL par un contrat de travail d'avocat est sans emport, dès lors que dans se litige, il se prévaut exclusivement de l'inexécution d'un contrat de juriste salarié.
C'est donc à juste titre que Mme le Bâtonnier s'est déclarée incompétente, en tant qu'autorité arbitrale, pour trancher des difficultés d'exécution d'un contrat de juriste salarié.
La décision du 21 novembre 2017 déférée à la cour sera, en conséquence, confirmée en toutes ses dispositions.
La demande d'évocation formulée par M. [X] est donc sans objet.
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme la décision du 21 novembre 2017 de Mme le Bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Marseille en toutes ses dispositions,
Constate que la demande d'évocation du litige est sans objet,
Condamne M. [G] [X] aux dépens de la procédure d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT