COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
18e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 13 AVRIL 2018
N° 2018/ 212
Rôle N° RG 16/22752
N° Portalis DBVB-V-B7A-7XWK
[M] [A]
C/
SELAFA MJA
Association AGS IDF OUEST
AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Grosse délivrée
le :
à :
Me Pascale PALANDRI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
SELAFA MJA
Me Marie-Laure BREU-LABESSE, avocat au barreau d'AIX-EN- PROVENCE
Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de TOULON en date du 25 Novembre 2016 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 15/00855.
APPELANT
Monsieur [M] [A], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Pascale PALANDRI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substitué par Me Yoan ERNEST, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMES
SELAFA MJA prise en la personne de Me [V] [V] es qualité de mandataire liquidateur de la société NORMED, assigné à la requête de M.[A] [M] par acte d'huissier remis à personne habititée le 2 Février 2017, demeurant [Adresse 2]
non comparante et non représenté
Association AGS IDF OUEST Unité déconcentrée de l'Unédic, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Mathilde BOBILLE du barreau de PARIS et Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON
Monsieur AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Marie-Laure BREU-LABESSE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785,786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Chantal BARON, Présidente de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARON, Présidente de chambre
Monsieur Thierry CABALE, Conseiller
Madame Sandrine LEFEBVRE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2018
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Avril 2018
Signé par Madame Chantal BARON, Présidente de chambre et Mme Suzie BRETER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
[M] [A] exerçait dans l'entreprise la SA NORMED, par contrat à durée indéterminée conclu le 10 octobre 1961, les fonctions de chef d'armement.
Par lettre du 1er avril 1987, son licenciement pour motif économique a été prononcé.
Par jugement du conseil des prud'hommes de Toulon du 25 novembre 2016, notifié aux parties le 1er décembre 2016, la juridiction a jugé irrecevables les demandes de [M] [A] en indemnisation de ce licenciement d'une part, et en paiement de dommages-intérêts pour préjudice d'anxiété du fait de son exposition à l'amiante d'autre part.
La décision a par conséquent rejeté toutes les demandes en paiement présentées par [M] [A].
Par acte du 20 décembre 2016, dans le délai légal et par déclaration régulière en la forme, le salarié a régulièrement relevé appel total de la décision.
[M] [A] soutient,
par conclusions régulièrement notifiées et auxquelles il est renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions :
' que la décision de le licencier prise le 19 mars 1987 l'a été par une personne démunie de tout pouvoir de décision judiciaire, s'agissant du directeur par intérim de la SA NORMED, alors que l'entreprise se trouvait en redressement judiciaire depuis le 30 juin 1986 et que le licenciement n'a pas été "avalisé" par les administrateurs judiciaires ou le juge-commissaire ; que ce licenciement est par conséquent nécessairement infondé,
' qu'il a été débouté de la demande formée à ce titre, déclarée irrecevable au motif de la forclusion de sa déclaration de créance dans le cadre de la procédure collective et de la prescription applicable en droit du travail, par décision du conseil des prud'hommes de Toulon du 12 avril 2002, confirmée par arrêt de la cour d'appel du 29 mars 2005, puis par arrêt de la Cour de Cassation du 13 février 2008 ; puis par une nouvelle décision du conseil des prud'hommes de Toulon du 28 juillet 2009, au motif de l'autorité de la chose jugée, confirmée par arrêt de cette cour du 15 février 2011, puis par arrêt de la Cour de cassation du 5 décembre 2012,
' qu'il résulte seulement de toutes ces décisions, et notamment du dernier arrêt de la Cour de cassation, que le litige n'a jamais été tranché au fond,
' qu'il a subi un préjudice d'anxiété en raison de son exposition à l'amiante pendant la relation de travail ; que l'action entreprise en reconnaissance de ce préjudice a été déclarée irrecevable par un premier jugement du conseil des prud'hommes de Toulon du 30 décembre 2011, par application du principe d'unicité de l'instance, jugement confirmé par la cour d'appel, par arrêt du 20 mars 2015 qui fait actuellement l'objet d'un pourvoi,
' que toutes ces décisions sont contraires à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui dispose que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, alors que ses demandes n'ont jamais été tranchées sur le fond,
' subsidiairement, que l'État doit être déclaré responsable des préjudices subis, à la fois du fait du licenciement injustifié et de l'exposition à l'amiante ; qu'en effet, la SA NORMED était missionnée par l'État pour la construction et la finition des navires militaires ; que la procédure de redressement judiciaire était contrôlée par l'État, par l'intermédiaire successif du juge-commissaire du tribunal de commerce, de la direction départementale du travail du Var, du préfet du Var, enfin du ministre de l'économie ; que le fonctionnement de l'entreprise dépendait de fonds publics ; qu'enfin le personnel de l'entreprise était recruté par l'État.
Le salarié demande à la Cour d'infirmer la décision des premiers juges dans toutes ses dispositions et de lui allouer en définitive paiement des sommes de :
-550'000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-70'000 € à titre de dommages-intérêts pour indemnisation du préjudice d'anxiété dû à l'exposition à l'amiante,
outre 3000 euros représentant ses frais irrépétibles sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
Régulièrement convoqué, Maître [V], désigné en tant que liquidateur judiciaire de la SA NORMED, n'a pas comparu.
Le Centre de Gestion et d'Etude AGS ( C.G.E.A.) de [Localité 1], Délégation régionale UNEDIC - AGS SUD - EST, en sa qualité de gestionnaire de l'Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés (AGS), par conclusions régulièrement notifiées, s'oppose à ces demandes, en faisant valoir qu'elles sont à la fois prescrites, contraires au principe de l'unicité de l'instance et à celui de l'autorité de la chose jugée et en rappelant les procédures précédemment engagées par le salarié.
L'AGS conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande à la Cour de débouter [M] [A] de toutes ses demandes en paiement, d'ordonner le paiement d'une amende civile au profit du Trésor public, ainsi que de condamner [M] [A] à lui verser les sommes de 1000 euros à titre de dommages-intérêts à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 2000 euros représentant ses frais irrépétibles sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
L'agent judiciaire de l'État, par conclusions régulièrement notifiées, s'oppose également aux demandes formées contre lui, en faisant valoir que [M] [A] ne soulève aucun moyen d'appel à l'encontre du jugement déféré ; que l'État n'a pas été son employeur, ainsi que l'a d'ailleurs relevé la Cour européenne des droits de l 'homme dans son arrêt du 17 octobre 2000 ; et que notre cour d'appel est par conséquent incompétente pour connaître des demandes formées à l'encontre de l'État, dont la juridiction administrative était compétente pour en connaître, alors même que [M] [A] a été débouté de ses demandes par la cour administrative de Lyon, pour absence de preuve d'une faute commise par les services publics et de tout lien de causalité direct entre le préjudice allégué et la fraude invoquée.
L'agent judiciaire de l'État sollicite par conséquent la confirmation de la décision entreprise, et la condamnation de [M] [A] à lui verser la somme de 1000 € sur la base de l'article 700 du code civil.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la procédure
Une ordonnance de clôture a été rendue le 19 juin 2017.
Par des motifs pertinents en droit et exacts en fait, que la cour adopte, les demandes de [M] [A] ont été déclarées irrecevables, tant du fait de l'autorité de la chose jugée que du principe d'unicité de l'instance ; il convient également d'adopter les motifs qui ont conduit le conseil des prud'hommes à se déclarer incompétent pour examiner la demande subsidiaire contre l'État représenté par l'agent judiciaire de l'État.
[M] [A] se contente de reprendre en cause d'appel les moyens soulevés en première instance, sans invoquer aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui pourrait conduire à la réformation de la décision
Aux motifs des premiers juges, il convient seulement d'ajouter que l'article 6 de la onvention européenne des droits de l'homme ne s'oppose ni à la constatation de la prescription, qui a fondé la première décision du conseil des prud'hommes de Toulon du 12 avril 2002, confirmée en appel, puis en cassation, rejetant les demandes du salarié en contestation du licenciement, au motif de la forclusion frappant sa déclaration de créance et de la prescription applicable.
L'article 6 du même texte ne s'oppose pas davantage à la constatation de l'autorité de la chose jugée, ce principe ayant été invoqué par le jugement du conseil des prud'hommes du 28 juillet 2009, confirmé en appel et en cassation sur le fond, dès lors que la cause a déjà été entendue dans les conditions prévues par ce texte.
Enfin, l'article 6 ne peut davantage être invoqué pour s'opposer à l'application du principe d'unicité de l'instance, tel que posé par l'article R 1452 ' 6 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, principe soulevé par les intimés dans l'instance introduite par [M] [A] en indemnisation de son préjudice d'anxiété du fait de l'exposition à l'amiante, instance ayant abouti au jugement du conseil des prud'hommes du 30 décembre 2011, confirmé par arrêt de cette cour du 20 mars 2015, la Cour européenne elle-même ayant jugé que le juge social peut être facilement saisi par un salarié, que le principe de l'unicité de l'instance prud'homale évite un éparpillement des procédures et, partant, le risque de contrariété de décisions, en conséquence de quoi, cette disposition interne poursuit un but légitime.
Sur la compétence des juridictions judiciaires au regard de l'action introduite contre l'agent judiciaire de l'État
La cour adopte là aussi les motifs juridiquement fondés et exacts en fait des premiers juges, motifs auxquels il convient seulement d'ajouter que la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par [M] [A], a indiqué, dans son arrêt du 17 octobre 2000, que le requérant a été licencié par une société privée et avait la possibilité d'agir contre son ancien employeur devant les juridictions civiles ; qu'il en résulte que l'État n'a pas été l'employeur de [M] [A] ; et que les juridictions judiciaires sont incompétentes pour connaître d'une action en responsabilité de l'État, qui serait entreprise indépendamment de l'action contre l'employeur.
Sur l'amende civile
En droit, l'article 32 ' 1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10'000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
En l'espèce, en engageant pour la troisième fois une demande manifestement vouée à l'échec, du fait des décisions intervenues dans les précédentes instances, qui étaient parfaitement motivées en droit, et dont la lecture aurait dû dissuader [M] [A] de poursuivre et d'engager une nouvelle instance, celui-ci a agi de manière manifestement abusive, justifiant la fixation à la somme de 2000 € de l'amende civile applicable.
Sur les autres demandes
L'équité en la cause commande de condamner le salarié à payer à l'AGS d'une part la somme de 2000 euros sur la base de l'article 700 du code de procédure civile ; et à l'agent judiciaire de l'État d'autre part la somme de 1000 € sur le même fondement.
Les intimés seront déboutés de leur demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive, faute d'invoquer un préjudice particulier.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, par arrêt réputé contradictoire et en matière prud'homale,
Confirme dans son intégralité le jugement déféré,
Condamne [M] [A] à une amende civile de 2000 €,
Condamne [M] [A] à verser à l'AGS d'une part, la somme de 2000 €, et à l'agent judiciaire de l'État d'autre part la somme de 1000 euros sur la base de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,
Condamne [M] [A] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE