COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
6e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 17 MAI 2018
N° 2018/376
Rôle N° N° RG 16/17274 - N° Portalis DBVB-V-B7A-7JCC
[B] [U]
[E] [U]
C/
[P] [U]
[Y] [A]
[L] [U]
copie délivrée
le :
à
Me Anaïs COHEN
Me Julien PREVREAU
Me Valéry MONTOURCY
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge des tutelles de CANNES en date du 11 Juillet 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 10/287.
APPELANTS
Madame [B] [U]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représentée par M. [E] [U] en vertu d'un pouvoir spécial
Monsieur [E] [U]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2016/0110124 du 30/09/2016 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Anaïs COHEN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Madame [P] [U]
née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 1] (ALGERIE) (99), demeurant [Adresse 2]
Non comparante, représentée par Me Julien PREVREAU, avocat au barreau de NICE
Monsieur [Y] [A]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
comparant en personne, assisté de Me Julien PREVREAU, avocat au barreau de NICE
Madame [L] [U]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
comparante en personne, assistée de Me Valéry MONTOURCY, avocat au barreau de PARIS
PARTIE INTERVENANTE
Le Ministère public ayant été avisé de l'audience et ayant pris ses réquisitions. Public
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 26 Mars 2018 en chambre du conseil. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant Madame Christine PEYRACHE, Magistrat délégué à la protection des majeurs par ordonnance de Madame la Première Présidente en date du 18 décembre 2017, chargée d'instruire l'affaire
La Cour était composée de :
Madame Chantal MUSSO, Présidente
Madame Christine PEYRACHE, Conseiller
Mme Michèle CUTAJAR, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Mandy ROGGIO.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 17 Mai 2018.
L'affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté lors des débats par Madame Pouey, substitut général qui a fait connaître son avis.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Mai 2018.
Signé par Madame Chantal MUSSO, Présidente et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS :
Par jugement en date du 11 juillet 2016, le juge des tutelles de Cannes a renouvelé la mesure de tutelle de Madame [P] [U], née le [Date naissance 1] 1951, pour cinq ans, supprimé son droit de vote, mis fin à la mission des divers tuteurs familiaux et désigné Monsieur [A], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, en qualité de tuteur.
Ce jugement a été notifié par lettre recommandée. Monsieur [E] [U] et Madame [B] [U] en ont l'un et l'autre interjeté appel dans les délais légaux, limitant leur contestation à la désignation du tuteur.
Par arrêt en date du 11 mai 2017, la demande d'annulation du jugement déféré a été rejetée et une expertise ordonnée.
Le ministère public auquel la procédure a été communiquée sur le fondement de l'article 425 du code de procédure civile a conclu à la confirmation du jugement déféré, en ce que la nomination d'un mandataire judiciaire est nécessaire compte tenu de l'âge de la tutrice, mère de la majeure protégée, dont l'état de santé nécessite une mesure de protection, et des interférences de la famille dans la prise en charge médicale de la majeure protégée, qui a dû être admise, compte tenu de son état de santé, en maison de retraite à la sortie d'une mesure d'hospitalisation complète. Son avis a été communiqué aux parties le 2 mars 2018.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 26 Mars 2018
******
Il résulte de l'examen de la procédure que le juge des tutelles a été initialement saisi par requête de Madame [B] [U], qui signalait une nouvelle hospitalisation de sa fille [P], à la demande d'un tiers, suite à une récidive de rupture thérapeutique.
Le certificat médical circonstancié de juillet 2010 mettait en exergue une maladie psychiatrique chronique, un syndrome dissociatif empreint de délires paranoïdes intermittents et une totale anosognosie. Il rappelait que les troubles étaient apparus depuis l'âge de 21 ans, avec de nombreuses hospitalisations en lien avec des refus de soins, malgré la prescription d'un neuroleptique retard. Il était fait état d'une hospitalisation entre le 7 janvier et le 12 mai 2010 au centre hospitalier de [Localité 2], avec altération de l'état général, incurie corporelle, angoisses massives, isolement majeur, troubles et bizarrerie du comportement. Une orientation vers une structure privée décidée par la famille avait conduit à une nouvelle hospitalisation à la demande de la mère dès le 18 juin 2010.
L'examen relevait une ritualisation obsessionnelle, un négativisme, une incohérence idéo-verbale d'allure dissociative. Il concluait que l'altération constatée empêchait Madame [P] [U] d'exprimer sa volonté, avec une préconisation de mesure de tutelle sans contre-indication à la désignation de la famille, notamment de sa mère avec laquelle l'intéressée habitait.
Par jugement en date du 5 septembre 2011, Madame [P] [U] était ainsi placée sous tutelle pour cinq ans et sa mère désignée tutrice.
A la demande de cette dernière, la tutelle fut partagée avec le frère et la soeur de la majeure protégée, à savoir Monsieur [E] [U] et Madame [L] [U], par ordonnance en date du 28 novembre 2013.
Au printemps 2016, le juge des tutelles était rendu destinataire d'un écrit du service psychiatrique du centre hospitalier de [Localité 2] qui l'alertait sur la situation de Madame [P] [U]. Il était rappelé que celle-ci présentait une forme déficitaire rendant régulièrement nécessaire son hospitalisation et un étayage par la famille, avec laquelle les rapports étaient de dépendance et d'opposition, selon un lien classique chez une psychotique.
Il était relevé que Madame [B] [U] était vieillissante, s'impliquait peu dans les soins de sa fille [P] et présentait de signe de pré-démence. Le frère [E] se montrait en revanche très intrusif et décrit comme persécutant les divers soignants impliqués dans la prise en charge de sa soeur. Quant à Madame [L] [U], elle aurait évoqué des violences subies de la part de son frère.
Il était précisé que Madame [B] [U] avait acheté divers biens à visée locative pour assurer des revenus à sa fille [P]. Mais la gestion menée par Monsieur [E] [U] était qualifiée d'opaque, ce dernier s'opposant à toute orientation en maison de retraite adaptée à la pathologie de la majeure protégée. Monsieur [E] [U] se présentait auprès de l'hôpital à la fois comme le frère, le tuteur et le médecin traitant de sa soeur et mettait de fait en échec les divers étayages proposés.
Le médecin rédacteur de cet écrit suggérait en conséquence la fin de cette confusion et le recours à un tiers pour être tuteur de sa patiente.
Les trois tuteurs étaient convoqués le 17 juin 2016, dans le cadre de l'instruction du renouvellement de la mesure de protection, après une ordonnance de dispense d'audition pour Madame [P] [U] en date du 7 juin 2016, le certificat d'un médecin généraliste certifiant la nécessité d'un renouvellement de la mesure. Tous trois s'accordaient pour la reconduction de la mesure de tutelle et demandaient à être tuteur.
Madame [L] [U] s'étant montrée très angoissée, le juge des tutelles l'entendait séparément et recueillait ses déclarations confirmant les termes du signalement hospitalier, avec mention de violence perpétrés par son frère. Monsieur [E] [U] le contestait fortement lorsqu'il lui en était donné connaissance, tout comme il contestait l'opacité de la gestion mise en exergue dans le signalement hospitalier. Il admettait en revanche des relations tendues avec ce médecin, qui n' avait pas répondu à ses multiples courriers et appels, et l'avait reçu très brièvement une seule fois après l'avoir fait attendre plus d'une heure.
Quelques jours après cette audition, le juge des tutelles était rendu destinataire d'un courrier du conseil ' de la famille de Madame [P] [U] ' déplorant une audition tendue au cours de laquelle ses clients n'avaient pu prendre connaissance du certificat hospitalier. Etait joint un certificat du médecin généraliste selon lequel ' tout changement dans la tutelle serait catastrophique et néfaste pour Madame [P] [U], surtout avec la chance d'avoir un frère qui y consacre autant de temps' . Il y était précisé que Monsieur [E] [U] avait réussi à faire en sorte que la majeure protégée gagne en autonomie, avec un appartement dans le même immeuble que sa mère, entourée par de nombreux professionnels, de sorte que ses troubles avaient fortement diminué, jusqu'à une nouvelle hospitalisation pour interruption de soins.
Etait jointe par la suite une attestation du psychiatre de ville de Madame [P] [U], selon laquelle Monsieur [E] [U] s'occupait parfaitement de sa soeur sur tous les plans et avait investi énormément de temps pour l'organisation de la vie de celle-ci. Ce psychiatre estimait souhaitable de maintenir la désignation du frère en qualité de tuteur de sa patiente.
C'est dans ces conditions que le jugement déféré a été rendu, motivé par les relations difficiles dans l'entourage familial de la majeure protégée, décrites dans le courrier du psychiatre hospitalier, avec une attitude complexe de Monsieur [E] [U], des troubles cognitifs et mnésiques chez Madame [B] [U] et des révélations de violences intrafamiliales.
Par la suite, Madame [P] [U] était accueillie en EHPAD, après un certificat médical circonstancié du 9 septembre 2016 préconisant une telle orientation au regard des perturbations psychiques majeures dans un contexte de pathologie psychiatrique chronique. Il y était rappelé qu'elle nécessitait une surveillance 24 heures sur 24 et qu'un retour à domicile serait inenvisageable.
******
Le rapport d'expertise ordonné par l'arrêt avant dire droit relate un examen réalisé au sein de l'EHPAD où la majeure protégée s'est exprimée en langue anglaise seulement, de manière logorrhéique. Il en ressort que l'intéressée se dit satisfaite de son quotidien et ne souhaite pas sortir de l'établissement. Aucune altération e l'état général n'est relevée. Le diagnostic de structure psychotique de type schizophrénique avec troubles graves de la personnalité et du comportement est confirmé, avec de nombreux séjours en milieu spécialisé et des hospitalisations répétées en milieu psychiatrique. Il est relevé des comportements obsessionnels avec des rituels et des troubles obsessionnels compulsifs. La persistance de ces troubles est objectivée, le sujet se montrant totalement désadapté dans son comportement comme dans ses propos, avec repli autistique, difficultés de communication. L'admission en établissement spécialisé est qualifiée de justifiée et nécessaire, pour une personne totalement incapable de vivre seule, ce d'autant qu'elle continue à manifester des troubles du comportement en milieu spécialisé. La désignation d'un tuteur familial ne paraît pas, en l'état actuel des relations, satisfaisante pour l'expert qui considère que la situation actuelle, avec institutionnalisation et mandataire judiciaire, est la plus adaptée aux troubles de Madame [P] [U]
******
Il convient de préciser que la juridiction d'appel a par ailleurs été avisée de ce que par ordonnance en date du 14 septembre 2017, le juge des tutelles de Cannes a rejeté la requête présentée par Monsieur [E] [U] en vue d'un changement de mandataire judiciaire et d'un transfert de lieu de vie de sa soeur, en l'absence de pièce nouvelle par rapport à l'arrêt avant dire droit de la cour.
Le rapport du mandataire judiciaire à la protection des majeurs daté du 7 août 2017 avait rappelé les démarches réalisées dans le cadre de la gestion patrimoniale, avec une vente prochaine de l'appartement parisien et de celui du [Localité 3]. Il avait également fait état d'un signalement adressé au Procureur de la République pour y dénoncer les agissements de Monsieur [E] [U] à l'origine de plusieurs incidents à la maison de retraite, dont une tentative d'enlèvement en date du 3 juillet 2017.
Par ailleurs, le juge des tutelles a été saisi d'une requête du Procureur de la République en vue du placement sous mesure de protection de Madame [B] [U] - mère de [L], [P] et [E] [U] - au regard d'un certificat médical circonstancié en date du 28 janvier 2017 mettant en évidence une altération mnésique, une anxiété certaine, une dévalorisation dépressive et préconisant une mesure de curatelle renforcée avec désignation d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs . Le signalement émanait de Madame [L] [U] pour dénoncer les agressions verbales dont sa mère serait victime de la part de son fils [E], avec un isolement qui l'inquiétait.
Après audition de Madame [B] [U] à son domicile le 18 janvier 2018, le juge des tutelles a rendu un jugement disant n'y avoir lieu à mesure de protection le 29 janvier 2018 - jugement évoquant le fort conflit familial et la contradiction existant entre les quatre certificats médicaux circonstanciés produits, dont deux par Monsieur [E] [U].
Avait également été communiqué au Procureur de la République le rapport du tuteur professionnel de Madame [P] [U] qui déplorait ne pas avoir pu rencontrer sa mère de part la posture de son fils [E].
******
A l'audience d'appel, Monsieur [E] [U] dépose des conclusions pour le compte de sa mère qu'il représente. Il y sollicite le rejet des pièces et l'irrecevabilité des conclusions adverses pour ne pas avoir été notifiées à Madame [B] [U].
Il est répondu par le conseil de Madame [L] [U] et par celui du mandataire judiciaire représentant Madame [P] [U] qu'en procédure orale, sans représentation obligatoire, aucune obligation de notification des conclusions ne peut être opposée. Il est par ailleurs rappelé que Monsieur [E] [U], représentant de sa mère, avait parfaitement connaissance tant des conclusions que des pièces adverses pour être lui même assisté par un conseil auquel elles ont été notifiées préalablement à cette audience.
Sur le fond, Monsieur [E] [U] demande l'infirmation partielle du jugement pour être désigné tuteur de sa soeur.
Il considère que celle-ci dispose de ses capacités, rappelle les progrès qu'elle a réalisés lorsqu'il était en charge de son projet de vie, déplore ses actuelles conditions de vie et plus encore les conditions de l'examen expertal qui s'est déroulé le 21 septembre, soit le jour du nouvel an juif.
Son conseil soulève la nullité du rapport d'expertise pour avoir été déposé au delà du délai imparti par l'arrêt avant dire droit. Elle en conteste par ailleurs la teneur pour ne pas avoir répondu à l'intégralité de la mission dévolue, notamment pour ne pas s'être entretenu avec les médecins traitants nommés dans l'arrêt avant dire droit. Dans ses écritures, elle souligne par ailleurs que le médecin désigné n'est pas inscrit sur la liste des experts auprès de la cour d'appel.
Elle rappelle que son client est revenu d'Israël en 2012 pour prendre en charge sa soeur avec une amélioration de son état de santé médicalement constatée. Elle constate que des perturbations sont apparues au retour de la soeur [L], avec laquelle la majeure protégée n'aurait jamais entretenu de relations sereines.
Elle conteste les divers arguments retenus par le jugement déféré pour avoir déchargé la famille - qu'il s'agisse de la pré-démence de Madame [B] [U] ou des violences alléguées par Madame [L] [U].
Elle demande donc l'infirmation partielle du jugement déféré, la désignation de Madame [B] [U] et de son client en qualité de cotuteurs ou à tout le moins celle de Monsieur [E] [U] en qualité de tuteur, la condamnation du mandataire judiciaire et de Madame [L] [U] à 20000€ de dommages-intérêts pour préjudice moral subi. Ses écritures évoquent en outre une injonction pour que le mandataire judiciaire remette à Monsieur [E] [U] les clefs de l'appartement de Madame [P] [U] et la sortie de celle-ci pour les fêtes religieuses du 30 mars.
Le mandataire judiciaire désigné par le jugement déféré rappelle que l'orientation en EHPAD s'est imposée postérieurement à sa désignation, au vu de l'état de santé de la majeure protégée, avec une prise en charge adaptée qui a cependant été perturbée par les agissements de Monsieur [E] [U]. Il ajoute que Madame [P] [U] a été très récemment transférée au secteur 3 de l'hôpital psychiatrique de [Localité 2], en milieu ouvert.
Son conseil sollicite la confirmation du jugement déféré. Il s'étonne que l'expertise soit remise en cause et constate que la conclusion de celle-ci est sans ambiguïté quant à la solution à apporter au litige.
Au regard de la posture de Monsieur [E] [U], il demande que celui-ci soit condamné tant sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile qu'en amende civile.
Madame [L] [U] demande elle aussi le maintien de l'intervention d'un professionnel. Elle conteste la présentation faite par son frère quant aux relations dans la fratrie et prétend au contraire que sa soeur [P] n'allait dans l'appartement du 6° étage qu'en sa compagnie. Elle constate que l'EHPAD correspond aux besoins de la majeure protégée et à sa pathologie.
Son conseil plaide pour la confirmation, l'expertise venant corroborer l'appréciation faite par le premier juge sans qu'aucune nullité ne puisse être retenue.
Il constate que Monsieur [E] [U] est dans un déni certain de la réalité de la pathologie de sa soeur, dont le retour à domicile a été qualifié d'impossible depuis décembre 2016.
Le parquet général maintient ses conclusions en faveur de la confirmation, constatant que les débats illustrent un climat familial très obéré. Il relève chez l'appelant une incapacité à se distancier, comme l'attestent ses prises de parole à l'audience, de sorte qu'il ne serait être désigné tuteur pour la représenter sereinement.
Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à la décision attaquée , aux observations faites à l'audience et aux conclusions développées.
SUR CE
Sur la régularité de la procédure
Selon les dispositions de l'article 16 du code civil, le principe du contradictoire s'impose aux parties et au juge en toutes circonstances. Il est ainsi précisé que le juge ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Tel est le fondement juridique de la demande présentée par Monsieur [E] [U] ès qualité de représentant de sa mère pour voir écarter les conclusions et pièces produites.
Il sera rappelé les dispositions de l'article 931 du code de procédure civile en vertu desquelles en procédure d'appel sans représentation obligatoire, les parties se défendent par elles-mêmes, mais qu'elles ont la faculté de se faire assister ou représenter selon les règles applicables devant la juridiction dont émane le jugement, le représentant devant justifier d'un pouvoir spécial, à moins d'être avocat. Les règles applicables devant le juge d'instance sont posées à l'article 828 du code de procédure civile, par lesquelles les parties peuvent se faire représenter par un avocat, leur conjoint, leur concubin, leur partenaire de PACS, leurs parents ou alliés en ligne directe, leurs parents ou alliés en ligne collatérale jusqu'au troisième degré inclus, les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise.
Ainsi, Monsieur [E] [U] peut parfaitement représenter sa mère pour cette procédure d'appel, qui, selon l'article 1245 du code de procédure civile, est une procédure orale.
Il est par ailleurs acquis que Monsieur [E] [U] assisté d'un conseil a reçu notification des diverses conclusions et pièces produites par les intimés.
Dans ces conditions, aucun manquement au principe du contradictoire ne peut être retenu.
Sur les critiques de l'expertise
Il convient de rappeler que l'arrêt avant dire droit avait pris soin d'ordonner une mesure d'expertise pour apprécier la pertinence de l'argument exposé par Monsieur [E] [U], à savoir la possibilité d'une autre prise en charge de sa soeur [P] que celle mise en oeuvre par le mandataire désigné, pour légitimer sa candidature aux fonctions de tuteur.
Selon les articles 232 et suivants du code de procédure civile, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien, celui devant respecter les délais impartis.
Le médecin qui a réalisé sa mission figure sur la liste des médecins inscrits à l'initiative du Procureur de la République pour l'examen des majeurs à protéger, liste de l'article 431 du code civil. Sa légitimité à assurer cette mission ne saurait donc être contestée, malgré les remarques figurant dans les conclusions du conseil de Monsieur [E] [U].
Que le délai imparti n'ait pas été respecté est certes regrettable mais ne saurait entraîner la nullité du rapport - ce d'autant que la juridiction a été saisie d'un demande de renvoi déposée par le conseil de Monsieur [E] [U] quelques jours avant l'audience - demande à laquelle elle s'est opposée - ce qui permet de relativiser la célérité avec laquelle celui-ci souhaitait l'examen de son appel.
Il est soutenu que cette expertise aurait dû être précédée d'un pré rapport pour le respect du contradictoire, mais aucun pré-rapport n'était prévu dans l'arrêt avant dire droit - et au demeurant, aucun pré rapport n'avait été sollicité à l'audience de 2017. La liste des pièces médicales communiquées au médecin avait précisément été mentionnée dans l'arrêt du 11 mai 2017, de sorte qu'il ne peut être reproché au médecin désigné d'en avoir pris connaissance.
Il est déploré que celui-ci n'ait pas pris attache avec les médecins ayant eu à connaître de Madame [P] [U] avant son institutionnalisation, alors même que cette mission lui était dévolue. Au regard des mentions figurant dans le rapport déposé, il apparaît en effet que le Docteur [M] n'a contacté ni le Docteur [Q] ni le Docteur [L], ce que ceux-ci confirment dans les pièces communiquées par Monsieur [E] [U]. Il convient néanmoins de rappeler qu'il disposait de leurs écrits dans le cadre des pièces médicales communiquées avec la mission, de sorte que le point de vue de ces professionnels a été intégré dans le rapport rédigé.
Que ce médecin désigné n'ait pas répondu aux nombreux courriels - de plus en plus insistants- de Monsieur [E] [U] ne saurait lui être reproché, s'agissant d'une mission centrée sur l'état de santé de Madame [P] [U] avec un arrêt avant dire droit suffisamment explicite pour prendre connaissance du projet porté par l'appelant.
Les demandes de nullité du rapport d'expertise seront donc rejetées.
Sur le fond
Il convient de rappeler que la seule question soumise à l'appréciation de la juridiction d'appel est celle de la désignation du tuteur pour Madame [P] [U] .
En vertu de l'article 449 du code civil, le juge nomme comme tuteur ou curateur, à défaut des père et mère, le conjoint ou concubin de la personne protégée, ou subsidiairement un parent entretenant avec le majeur protégé des liens étroits et stables. Le troisième alinéa du même article indique que pour désigner le mandataire judiciaire, le juge des tutelles prend en considération les sentiments exprimés par le majeur protégé, ses relations habituelles, l'intérêt porté à son égard. L'article 450 prévoit que si aucun membre de la famille ou aucun proche ne peut assumer la curatelle ou la tutelle, le juge désigne un mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
En l'espèce, la priorité familiale avait été pleinement respectée dans le cadre du premier jugement de mise sous protection de Madame [P] [U]. C'est uniquement lors du renouvellement que les divers membres de la famille codésignés ont été déchargés de leur mission au regard des 'relations difficiles dans l'entourage familial proche ' de la majeure protégée. Etaient énumérés dans le jugement déféré la résidence partielle de Madame [L] [U] aux Etats Unis, victime de violences de la part de son frère [E], des signes de pré-démence avec troubles cognitifs et mnésiques de la part de la mère, une attitude complexe de Monsieur [E] [U] qui se présentait comme tuteur et médecin traitant orientant les soins thérapeutiques et mettant en échec les étayages extérieurs, des révélations de violences physiques qu'auraient subies les soeurs et la mère de la part de celui-ci.
Les conclusions du conseil de Monsieur [E] [U] reprennent longuement les conditions de l'audition de juin 2016, mais celles-ci ont déjà été évoquées dans l'arrêt avant dire droit qui a statué sur la demande d'annulation du jugement, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y revenir.
Ces conclusions évoquent tout aussi longuement l'historique familial - qui a certes son importance mais ne saurait déterminer la solution à apporter au litige dont la cour est saisie.
Pour y répondre, il convient de rappeler les dispositions de l'article 417 du code civil, selon lesquelles le juge des tutelles peut dessaisir les personnes chargées de la protection de leur mission en cas de manquement caractérisé dans l'exercice de celle-ci, après les avoir entendues ou appelées. L'article 396 du code civil précise que toute charge tutélaire peut être retirée en raison de l'inaptitude, de la négligence, de l'inconduite ou de la fraude de celui à qui elle a été confiée. Il en est de même lorsqu'un litige ou une contradiction d'intérêts empêche le titulaire de la charge de l'exercer dans l'intérêt de la personne protégée.
En l'espèce, les divers tuteurs de Madame [P] [U] ont été entendus par le juge des tutelles avant le jugement de décharge. La motivation de celui-ci permet de constater qu'il a été considéré qu'un litige empêchait un exercice de la mesure de protection dans l'intérêt de la personne protégée.
Celui-ci ne peut qu'être confirmé au regard des conclusions présentées en cause d'appel près de deux ans après. L'ampleur des tensions ne permettrait certainement pas de maintenir Madame [L] [U] et Monsieur [E] [U] en qualité de cotuteurs. Le jugement de non lieu à mesure de protection pour Madame [B] [U] mentionne précisément la cristallisation du grave conflit familial entre les enfants qui entraîne une absence de communication entre eux. Madame [B] [U] a été représentée par deux fois par son fils en cause d'appel, de sorte que la seule candidature réellement soumise en infirmation partielle du jugement est celle de Monsieur [E] [U].
Or si celui-ci est porteur d'un projet de vie dont l'expertise vient contester la pertinence au regard de l'état de santé de Madame [P] [U], il est surtout dans une posture d'hystérisation autour de sa soeur, empêchant tout débat serein comme la juridiction d'appel a pu le déplorer.
Sa propension à vouloir faire attester sa soeur, alors même qu'il ne conteste pas la mesure de tutelle dont elle bénéficie, ne peut qu'intriguer. En effet, il communique un écrit de la majeure protégée daté du 17 mars 2018 selon lequel elle souhaite être représentée par lui, en qui elle a toute confiance, et par personne d'autre, et retourner le plus vite possible à la maison. Un second texte, écrit ' en possession de ses facultés intellectuelles, de ses capacités de discernement et de jugement' , considère que le tuteur, jamais rencontré, agit par excès de pouvoir.
Lui même ne cesse de contester toutes les initiatives prises par le tuteur professionnel depuis sa désignation comme en attestent les conclusions déposées.
Ce qui avait été qualifié de ferveur dans l'arrêt avant dire droit, au regard de la conviction de Monsieur [E] [U] de pouvoir oeuvrer mieux que quiconque pour le bien être de sa soeur, apparaît dans la durée comme une incapacité à entendre d'autres points de vue et à admettre que sa soeur présente une pathologie empêchant son retour à domicile. Sa logorrhée, verbale et écrite, avec des mises en cause incessantes de toutes les initiatives prises pour Madame [P] [U] ne saurait être considérée comme une simple manifestation de l'intérêt portée à sa soeur mais bel et bien comme une volonté d'emprise. Les pièces communiqués par ses soins en sont un révélateur, puisque les courriels qu'il adresse à tant d'autres sont soit extrêmement virulents, limite menaçants, soit reviennent à dicter ce qu'ils devraient attester.
Dans ces conditions, la décharge de Monsieur [E] [U] sera confirmée, sans que les éléments produits aux débats ne viennent asseoir que le retour à la priorité familiale et plus précisément que sa désignation serait plus conforme aux intérêts de sa soeur.
Sur la demande de dommages-intérêts
Il résulte des dispositions de l'article 1240 du code civil que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Sur ce fondement juridique, les conclusions du conseil de Monsieur [E] [U] sollicitent une indemnisation à hauteur de 20000€ à l'encontre de Madame [L] [U] et du mandataire judiciaire désigné. Il y est fait état de l'inquiétude de son client quant à l'état de santé de sa soeur depuis la désignation du tuteur professionnel avec lequel la communication n'existe pas, et de la volonté de diviser la famille qui anime Madame [L] [U]. Il est ainsi prétendu que ces éléments génèrent un préjudice moral à Monsieur [E] [U].
Il résulte cependant de la combinaison des articles 546, 564, 565 et 566 du code de procédure civile que le droit d'appel appartient à celui qui y a intérêt, sans qu'il ne puisse présenter à la juridiction de nouvelles prétentions. Les dispositions du code de procédure civile précisent qu'il en est autrement lorsque les demandes sont évoquées pour opposer une compensation, lorsqu'elles étaient virtuellement comprises dans les demandes formulées devant le premier juge, lorsqu'elles en constituent l'accessoire, la conséquence, le complément ou enfin lorsqu'elles sont reconventionnelles
En l'espèce, la demande de dommages-intérêts présentée pour la première fois en cause d'appel - à l'audience post expertise - ne peut qu'être déclarée irrecevable, ce d'autant que le jugement déféré est un jugement de révision de mesure de protection et non de responsabilité civile.
Sur l'injonction à délivrer au mandataire judiciaire pour remise des clefs
Dans le dispositif des conclusions déposées pour Monsieur [E] [U] est formulée cette demande, pour pouvoir récupérer des affaires à emmener à Madame [P] [U] depuis son changement de lieu de résidence, puisqu'elle est hospitalisée depuis le 23 mars 2018.
En l'absence de fondement juridique exposé, la seule injonction de faire figurant dans le code de procédure civile est inscrite aux articles 1425 et suivants, et suppose l'existence d'un contrat entre les parties, ce qui n'est bien évidemment pas le cas.
Pour le reste, il s'agit de l'exercice de la mission de protection de la personne par le mandataire judiciaire, qui ne manquera pas de se soucier des affaires de Madame [P] [U].
Sur la demande de sortie pour les fêtes de Pâques soit le 30 mars 2018
Cette demande, présentée en audience le 26 mars 2018, ne peut recevoir de suite favorable à plus d'un titre.
D'une part, l'accueil de Madame [P] [U] en hôpital psychiatrique, effectif depuis le 23 mars 2018, résulte d'une décision médicale et non judiciaire, de sorte que toute sortie doit être soumise au médecin et non à un juge.
D'autre part, le jugement déféré est un jugement de révision de mesure de protection et non de fixation de lieu de vie, de sorte que cette demande nouvelle par rapport aux prétentions présentées en première instance, sans en être le complément ni l'accessoire, ne peut qu'être déclarée irrecevable.
Enfin, la proximité entre la date des débats et la fête de Pâques empêchait en tout état de cause à la juridiction d'appel de statuer sur cette demande.
Sur la demande d'amende civile
Il résulte de l'article 32-1 du code de procédure civile que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile
A l'audience, le conseil de Monsieur [A] ès qualité de tuteur de Madame [P] [U] demande que Monsieur [E] [U] soit condamné à une amende civile.
Au delà de la posture, y compris pendant l'audience, de Monsieur [E] [U], il n'apparaît pas que son appel ait été dilatoire ou abusif, s'agissant d'un recours à l'encontre d'une décision l'ayant déchargé des fonctions de tuteur de sa soeur. Quant à l'existence de deux audiences d'appel, elle résulte d'une décision juridictionnelle ayant prononcé une mesure d'expertise et non de l'attitude de l'appelant.
Sur la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
L'article 700 du code de procédure civile offre la possibilité pour le juge de condamner la partie condamnée aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie une somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Sur ce fondement juridique, le conseil de Monsieur [A] ès qualité de tuteur de Madame [P] [U] demande que Monsieur [E] [U] et Madame [B] [U] soient condamnés à payer, tant au mandataire judiciaire qu'à la majeure protégée, la somme de 2000€chacun.
Au regard cependant de la nature de la décision déférée, des imbrications familiales, et de l'équité, cette demande sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en chambre du conseil, par arrêt contradictoire,
Vu les dispositions des articles 1239 et suivants du code de procédure civile,
Dit n'y avoir violation du contradictoire à l'égard de Madame [B] [U],
Dit n'y avoir lieu à annulation du rapport d'expertise,
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la candidature de Monsieur [E] [U] pour être seul tuteur de sa soeur [P],
Déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts présentée par Monsieur [E] [U],
Dit n'y avoir lieu à enjoindre au mandataire judiciaire de remettre les clefs de l'appartement de la majeure protégée à son frère,
Déclare irrecevable la demande de sortie pour les fêtes de Pâques,
Dit n'y avoir lieu à amende civile,
Déboute Monsieur [A] ès qualité de tuteur de Madame [P] [U] de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile tant pour lui que pour la majeure protégée,
Dit que les dépens seront supportés par le trésor public.
LE GREFFIERLE PRESIDENT