COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
17e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 21 JUIN 2018
N°2018/
JLT/FP-D
Rôle N° N° RG 16/01818 - N° Portalis DBVB-V-B7A-6BCP
Vicenzo X...
C/
E... Y...
AGS - CGEA DE MARSEILLE
Grosse délivrée le :
21 JUIN 2018
à :
Me Véronica Z..., avocat au barreau de NICE
Me Isabelle A..., avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de prud'hommes - Formation de départage de NICE - section - en date du 15 Décembre 2015, enregistré au répertoire général sous le n° F14/00776.
APPELANT
Monsieur Vicenzo X..., demeurant [...] (ITALIE)
représenté par Me Véronica Z..., avocat au barreau de NICE substitué par Me Badr B..., avocat au barreau de NICE
INTIME
Maître E... Y... liquidateur judiciaire de la SOCIETE DE REALISATION EN BATIMENT ET TRAVAUX PUBLICS (F...), demeurant [...]
représenté par Me Isabelle A..., avocat au barreau de NICE substitué par Me Vanessa C..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
AGS - CGEA DE MARSEILLE, demeurant [...]
représenté par Me Isabelle A..., avocat au barreau de NICE substitué par Me Vanessa C..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise G....
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Juin 2018
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé en audience publique le 21 Juin 2018 par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président
Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise G..., greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. Vicenzo X... a été embauché par la société de RÉALISATION EN BATIMENT ET TRAVAUX PUBLICS (F...), en qualité de coffreur, par un contrat de travail à durée déterminée de chantier du 24 septembre 2007 motivé par un accroissement temporaire d'activité pour une durée indéterminée correspondant à la date d'achèvement du chantier. A l'issue, le contrat s'est poursuivi à durée indéterminée.
Il a démissionné le 1er juin 2011.
Il a saisi le Conseil de Prud'hommes de Nice le 3 juin 2014 pour obtenir la requalification de la démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de l'employeur à lui payer diverses sommes.
Par jugement du 18 novembre 2014, le tribunal de commerce de Cannes a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la société F... et, par jugement du 21 avril 2015, il a prononcé sa liquidation judiciaire, Me E... Y... étant désigné comme liquidateur.
Par jugement du 15 décembre 2015, le conseil de prud'hommes a débouté M.X... de ses demandes.
M. X... a relevé appel le 1er février 2016 de ce jugement notifié à une date indéterminée.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions reprises oralement lors de l'audience, M. X..., concluant à la réformation du jugement, sollicitede dire que la démission donnée suivant la lettre du 1er juin 2011 et rédigée par l'employeur sur laquelle il n'a fait qu'apposer sa signature est équivoque et de prononcer en conséquence son annulation. Il demande de dire que la rupture de son contrat de travail est un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société F... à lui payer, avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2014 et capitalisation des intérêts, les sommes de :
- 4 546,00 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- 454,60 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés correspondante,
- 852,38 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 2 300,00 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
- 27 600,00 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 5 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et exécution déloyale du contrat de travail,
- 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il demande d'ordonner à l'employeur la remise des documents de fin de contrat sous astreinte.
Dans ses conclusions reprises oralement lors de l'audience, la société F..., concluant à la confirmation du jugement, demande de débouter M. X... de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 1 500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'association UNEDIC AGS CGEA de Marseille sollicitede dire claire et non équivoque la démission donnée par le salarié, de confirmer le jugement et de débouter M. X... de ses demandes.
A titre subsidiaire, elle demande:
- de débouter le salarié de sa demande au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 12 mois de salaire, de sa demande d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement, de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 2 mois de salaire et de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive et exécution déloyale du contrat de travail,
- de lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice concernant l'indemnité conventionnelle de licenciement,
En tout état de cause, elle demande
1) de dire que la somme réclamée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ne rentre pas dans la garantie du CGEA,
2) de dire qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre du CGEA et de l'AGS et que la décision ne peut tendre qu'à la fixation d'une éventuelle créance en deniers ou quittance,
3) de dire que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et sur justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
4) de déclarer l'arrêt opposable à l'AGS et au CGEA dans les limites de sa garantie et qu'il ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-6 et L 3253-8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L 3253-15, L 3253-18, L 3253-19, L 3253-20, L 3253-21 et L 3253-17 et D 3253-5 du code du travail.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure et des prétentions et moyens antérieurs des parties, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux conclusions déposées, oralement reprises.
DISCUSSION
Sur la rupture du contrat de travail
La démission se définit comme la rupture du contrat de travail à durée indéterminée à la seule initiative du salarié. Elle ne peut résulter que d'une manifestation claire et non équivoque de volonté de rompre le contrat de travail. En l'absence d'une telle manifestation de volonté, la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement.
En l'espèce, la lettre de démission que M. X... ne conteste pas avoir signée est ainsi rédigée :
'Je vous informe par la présente que je souhaite mettre fin à notre collaboration et de ce fait démissionner de votre société.
Afin de respecter mon préavis, je quitterai l'entreprise le 22 juin 2010.
Je vous prie de croire,....'.
M. X... explique qu'il n'a pas écrit cette lettre, qu'elle est intervenue suite à un travail de nuit du 21 au 22 juin 2011, après que l'employeur ait eu un comportement vexatoire à son encontre en ne lui fournissant pas de travail et en le laissant attendre dans la rue sans le tenir informé. Il soutient qu'il a signé cette lettre de démission pré rédigée par l'employeur.
M. X... affirme sans en rapporter la preuve que cette lettre aurait été signée le 22 juin 2011 alors que la date du 1er juin 2011 figure non seulement dans l'en-tête de la lettre mais aussi au-dessus de la signature du représentant de l'employeur ('reçu en main propre le 1er juin 2011"). S'il ressort des éléments versés aux débats que M. X... a travaillé pour le compte de la société F... jusqu'au 22 juin 2011 (ce qui correspond à la date de la fin du préavis telle qu'annoncée dans la lettre de démission), rien ne permet de mettre en doute que cette lettre a été signée le 1er juin 2011 en l'absence de tout autre élément d'appréciation. Cette date est, au contraire, confirmée par Mme SALUZZO, secrétaire comptable au sein de l'entreprise, qui atteste avoir reçu la lettre de démission de M. X... en main propre le 1er juin 2011.
Il est, en revanche, certain que la lettre de démission n'a pas été rédigée de la main du salarié. Les écrits versés aux débats émanant de M. X... montrent, en effet, que celui-ci maîtrise très mal la langue française, étant émaillés de très nombreuses fautes d'orthographe et de grammaire et étant rédigés dans un français très approximatif alors que la lettre de démission est très correctement écrite.
Il ne s'ensuit pas pour autant que cette lettre a été écrite par l'employeur, ce que rien ne permet de vérifier. Le seul fait qu'elle n'a pas été écrite de la main du salarié ne peut suffire à démontrer qu'elle ne refléterait pas sa volonté claire et non équivoque de démissionner.
Il est vrai que M. X... a adressé à l'employeur, le 24 juin 2011, une lettre, rédigée cette fois en mauvais français, ayant pour objet la 'contestation de ma lettre de démission pas véritable'.
Il convient toutefois de relever que cette contestation est ambigüe puisque M.X... écrit : 'je fais demande de conteste à ma lettre...mais pas écrite de ma poignée j'ai demandé ma démission mais il mon pas demandé dan quelle façon la présenté', ce qui tend à laisser penser que sa contestation porte davantage sur la forme que sur le fond.
M. X... continue sa lettre en expliquant qu'il a 'été obligé de démissionner dans le sens que aucun chef ne venait me prendre après 2 heures d'attente dans votre bureau après avoir fait 24 heures de travail à Marseille et j'ai été pas dans les conditions de pouvoir comprendre la situation'. Le salarié semble ainsi soutenir que sa démission est la conséquence d'un différent avec l'employeur mais celui-ci justifie que M. X... n'a été affecté à aucun chantier à Marseille pendant tout le mois de mai 2011 et, en tous cas, pas dans les jours précédents le 1er juin 2011. Le salarié a seulement été affecté à Marseille le 22 juin 2011 soit à la fin de son préavis, ce qui est confirmé par l'attestation d'un collègue de travail, M. D..., lequel explique que M.X... a cessé de travailler le 22 juin 2011 'à cause du stress causé par la façon dont la société F... fait travailler ses employés'. Outre que cette attestation ne fournit aucune précision sur le stress qu'aurait subi le salarié ni sur les causes de celui-ci et qu'elle n'est pas en elle-même de nature à démontrer l'existence d'un conflit avec l'employeur ayant pu conduire M.X... à démissionner sans en avoir la volonté réelle, un éventuel différend survenu le 22 juin 2011 ne peut en rien expliquer la démission donnée trois semaines auparavant.
M. X... verse aux débats une note rédigée par lui-même le 7 avril 2016, soit près de 5 ans après sa démission, dans laquelle il ne fait nullement état d'un différend avec l'employeur le 22 juin 2011 ni même dans la période précédent le 1er juin 2011 même s'il explique avoir démissionné en raison de mauvaises conditions de travail. Il fait seulement référence à un chantier à Antibes en 2010, un autre à Nice également en 2010 et à un chantier à Marseille en janvier 2011 où la société l'aurait fait dormir avec ses collègues dans un taudis. Il verse aux débats l'attestation d'un collègue de travail faisant état de ce chantier effectué en février 2011 en décrivant les mauvaises conditions d'hébergement. Un autre salarié fait mention d'un chantier effectué près de Toulon en septembre-octobre 2010 où là encore, les conditions d'hébergement auraient été précaires. Enfin ,le frère de M.X... atteste l'avoir vu arriver 'le jour des faits', avoir vu chez lui 'un grand état de choc' et l'avoir 'accompagné à la gare pour rentrer à la maison' sans fournir aucune indication ni sur la date des faits, ni sur la cause du trouble qu'il dit avoir constaté chez son frère. Au demeurant, il convient de relever que le 'stress' ou le 'choc' évoqués dans les pièces produites ne sont confirmés par aucun document médical. Il en va de même de la 'détresse psychologique' et de la 'grande fatigue' alléguées par le salarié dans ses écritures.
Aucun de ces éléments ne met en évidence un incident qui serait survenu dans la période contemporaine de la démission et qui soit susceptible d'entacher celle-ci d'équivoque. Il convient de relever que les conditions de travail critiquées pour certains chantiers antérieurs de plusieurs mois n'ont pas donné lieu en leur temps à de quelconques protestations ou remarques du salarié auprès de l'employeur.
Quant à la lettre du 24 juin 2011, même à la considérer comme une lettre de rétractation de la démission, celle-ci, intervenue avec un délai de plus de trois semaines est trop tardive pour permette de vérifier que le salarié n'aurait pas donné sa démission librement et en toute connaissance de cause.
Compte tenu que M. X... ne conteste pas avoir signé la lettre de démission du 1er juin 2011, laquelle ne contient aucune réserve et n'a pas fait l'objet d'une rétractation dans la période immédiatement postérieure, la démission ainsi donnée est claire et dépourvue d'équivoque. La demande du salarié tendant à la voir requalifier en un licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être rejetée.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. X... sur ce point.
Sur l'attestation destinée à Pôle Emploi
M. X... se plaint d'une irrégularité affectant l'attestation destinée à Pôle Emploi que lui a remise l'employeur en ce qu'elle comporte, à la suite de la mention 'démission' portée au titre du motif de la rupture du contrat de travail, la mention complémentaire manuscrite : 'je trouve d'autre travail'.
M. X... conteste avoir inscrit cette mention de sa main, soutenant qu'il s'agirait d'une manoeuvre frauduleuse de l'employeur qui aurait voulu l'associer à la rédaction de l'attestation.
Toutefois, même si l'attestation destinée à Pôle Emploi est un document normalement établi par l'employeur qui n'est pas destiné à recevoir d'annotation de la part du salarié, rien ne permet d'établir que la mention litigieuse aurait été portée par l'employeur.
Au demeurant, M. X... ne justifie pas que la présence de cette mention lui aurait causé le moindre préjudice.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Sur le CGEA-AGS de Marseille
Le présent arrêt sera opposable à l'association UNEDIC AGS CGEA de Marseille.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il n'est pas inéquitable de laisser aux parties la charge de leurs frais non compris dans les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement,
Dit le présent arrêt opposable à l'association UNEDIC AGS CGEA de Marseille,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que M. Vicenzo X... doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
F. G... J.L. THOMAS