COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
2e Chambre
ARRÊT AU FOND
DU 20 SEPTEMBRE 2018
N° 2018/ 364
Rôle N° RG 15/17058 - N° Portalis DBVB-V-B67-5NPA
Bernard X...
Chantal, Amélie, Marguerite X...
C/
SARL JO LOC
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Y...
Me D...
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de TOULON en date du 01 Septembre 2015 enregistré au répertoire général sous le n° 15/416.
APPELANTS
Monsieur Bernard X...
demeurant [...]
représenté par Me Isabelle Y..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assisté et plaidant par Me Thierry Z..., avocat au barreau de TOULON,
Madame Chantal, Amélie, Marguerite X...
demeurant [...]
représentée par Me Isabelle Y..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assistée et plaidant par Me Thierry Z..., avocat au barreau de TOULON
INTIMEE
SARL JO LOC à l'enseigne 'LES DÉMÉNAGEURS BRETONS', dont le siège est [...]
représentée par Me Agnès D..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assistée et plaidant par Me Fabrice A..., avocat au barreau de MARSEILLE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 25 Juin 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, monsieur FOHLEN, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de:
Madame Marie-Christine AIMAR, Présidente
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2018.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Septembre 2018,
Signé par Madame Marie-Christine AIMAR, Présidente et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
F A I T S - P R O C E D U R E - D E M A N D E S :
Le 2 avril 2013 Monsieur Bernard X... a été victime d'un accident de la voie publique qui a entraîné notamment, selon un certificat médical du 11 suivant, 'une paraplégie sensitivo-motrice de niveau L1 avec un déficit moteur complet des deux membres inférieurs'.
Par devis contrat du 17 juin 2013 les époux X.../Chantal B... C... ont confié à la S.A.R.L. JO LOC, ayant pour enseigne , le déménagement de leur mobilier soit 30 m3 pour une valeur déclarée globale de 25 000 euros 00, entre BOURGES (18) et TOULON (83) moyennant le prix de 3 090 euros 00 H.T. soit
3 695 euros 64 T.T.C. ; la facture pour cette somme a été établie le 11 juillet suivant ; la lettre de voiture n° 5664 mentionne le chargement les jeudi 11et vendredi 12, et la livraison le lundi 15.
Mais dans l'après-midi du dimanche 14 juillet le camion contenant ce mobilier, stationné dans la [...] (18), a pris feu accidentellement ce qui a détruit la majorité de celui-ci. Une nouvelle lettre de voiture n° 5674 indique le chargement le 19 juillet, et la livraison le 20 avec mention manuscrite par les époux X.../B... C... qu'il manque des objets et que d'autres sont retournés à la société JO LOC vu leur état suite à l'incendie.
La restitution du chèque, établi par les époux X.../B... C... pour la totalité du prix ci-dessus, a été réclamée par eux à la société JO LOC les 6 août et 2 septembre 2013 mais sans succès, et la mise à l'encaissement du chèque par celle-ci a abouti à un rejet le 9 septembre pour défaut de provision suffisante, suivi d'une interdiction à Monsieur X... d'émettre des chèques pendant 5 ans à compter du lendemain.
Un rapport d'expertise du Cabinet DELTA SOLUTIONS, requis par l'assureur Protection Juridique des époux X.../B... C..., a été établi le 17 octobre 2013. Celui D'ANALY RISKS à la demande de la société JO LOC l'a été le 13 janvier 2014. L'enquête de gendarmerie suite à l'incendie a abouti le 10 février suivant à un classement sans suite par le Parquet de BOURGES pour absence d'infraction.
Les époux X.../B... C... avaient le 18 décembre 2013 assigné la société JO LOC devant le Président du Tribunal de Grande Instance de TOULON, qui par ordonnance de référé du 18 mars 2014 les a déboutés de leur demande de provision, au motif d'une contestation sérieuse en raison de l'indétermination des circonstances du sinistre.
Enfin la société JO LOC a écrit le 8 avril 2014 à l'Avocat des époux X.../B... C... '(...) il reste des meubles et des affaires [de ceux-ci] dans notre garde meubles. Pourriez-vous, je vous prie, nous informer de ce que vos clients souhaitent que nous en fassions. En effet nous ne pouvons pas garder indéfiniment ces affaires à titre gratuit. (...)'.
Le 31 juillet 2014 les époux X.../B... C... ont fait assigner la société JO LOC devant le Tribunal de Grande Instance de TOULON, qui par jugement du 1er septembre 2015 a :
* déclaré irrecevables [comme prescrites lors de cette assignation] les demandes des époux X.../B... C... ;
* débouté la société JO LOC de sa demande de condamnation des époux X.../B... C... au paiement de la somme de 3 695 euros 64 ;
* condamné les époux X.../B... C... à payer à la société JO LOC [la somme de] 800 euros 00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
* condamné les époux X.../B... C... aux entiers dépens.
Les époux Bernard X.../Chantal B... C... ont régulièrement interjeté appel le 28-29 septembre 2015, et par conclusions du 14 mai 2018 soutiennent notamment que :
- ils n'ont reçu qu'une livraison très partielle de leur mobilier (4 m3 sur 30), dont la plus grande partie a été refusée ; la société JO LOC a encaissé leur chèque alors que sa prestation n'avait pas été effectuée ;
- leur action n'est pas prescrite : la livraison du 20 juillet 2013 n'a pas été intégrale puisque partielle, ainsi que l'a précisé la société JO LOC elle-même dans sa lettre du 8 avril 2014 qui constitue une offre de livraison du reste du mobilier ; le jour de la remise des marchandises n'est pas celui de cette livraison partielle ; le rapport de l'expertise à la demande de la société JO LOC n'a été déposé que le 13 janvier 2014, ce qui ne leur permettait pas au jour de cette livraison partielle de savoir l'état de leurs meubles manquants ;
- la société JO LOC est civilement responsable : les causes du sinistre sont indéterminées (cigarettes fumées par les déménageurs au sein même du camion ') et ne peuvent plus l'être aujourd'hui ; le déménageur est responsable au titre de son obligation de livraison qui est une obligation de résultat ; cette société ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère ou d'une force majeure ;
- à titre subsidiaire la société JO LOC est responsable au titre de la théorie des risques ;
- tous leurs meubles livrés ou non sont brûlés et présentent de fortes odeurs de suie ; depuis l'incendie du 14 juillet 2013 ils sont privés de tout leur mobilier ; la société JO LOC a encaissé abusivement leur chèque après leur demande de restitution ;
- l'inexécution par cette société de son obligation contractuelle de livraison leur permet d'user de l'exception d'inexécution, et donc de refuser de la payer.
Les appelants demandent à la Cour de :
- 1°) recevoir leur appel et le dire bien fondé ;
- 2°) confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société JO LOC de sa demande de condamnation des époux X.../B... C... au paiement de la somme de
3 695 euros 64 ;
- 3°) infirmer pour le reste le jugement ;
statuant de nouveau :
- 4°) dire et juger que le point de départ de la prescription de l'article L. 133-6 du Code de Commerce ne peut être que l'offre de livraison formulée par la société JO LOC dans sa lettre
recommandée du 8 avril 2014 ;
- 5°) dire et juger en conséquence que l'action des époux X.../B... C... à l'encontre de la société JO LOC introduite le 31 juillet 2014 n'est pas prescrite et donc parfaitement recevable ;
- 6°) dire et juger que la responsabilité civile de la société JO LOC est engagée en vertu des
dispositions de l'article L133-1 du Code de Commerce et subsidiairement des articles 1784 et
1147 du Code Civil ;
- 7°) dire et juger à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où l'intimée démontrerait un cas de force majeure, que la perte doit être supportée par la société JO LOC en vertu de l'article 1788 du Code Civil et de la règle « res perit debitori » ;
- 8°) condamner la société JO LOC à régler aux époux X.../B... C... à titre de dommages et intérêts les sommes de :
. 25 000 euros 00 au titre de la destruction de leurs meubles avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 22 juillet 2013 ;
. 15 000 euros 00 au titre de la privation de jouissance de leur mobilier depuis plus d'un an ;
. 30 000 euros 00 au titre de leur préjudice moral résultant de la perte de tous les supports (photos, films, etc.) retraçant leurs souvenirs familiaux depuis plus de 30 ans ;
. 15 000 euros 00 au titre du préjudice financier et moral subi par les époux X.../B... C... par leur interdiction bancaire faisant suite à l'encaissement abusif par la société JO LOC du chèque de paiement du déménagement postérieurement au sinistre du 14 juillet 2013 ;
- 9°) prononcer la résolution du contrat de déménagement aux torts de la société JO LOC pour défaut d'exécution de sa prestation et dire et juger en conséquence que les époux X.../B... C... n'ont pas à en payer le prix ;
- 10°) débouter la société JO LOC de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes ;
- 11°) condamner la société JO LOC au paiement de la somme de 5 000 euros 00 au titre de
l'article 700 du Code de Procédure Civile tant pour la procédure de première instance que
d'appel.
Par conclusions du 4 janvier 2016 la S.A.R.L. JO LOC répond notamment que :
- selon son expert l'incendie peut parfaitement avoir été provoqué par des produits inflammables emballés par les époux X.../B... C... ;
- les quelques meubles refusés par ces derniers lors de la livraison partielle du 20 juillet 2013 ont été rapatriés au garde meubles d'elle-même et s'y trouvent toujours en dépôt ;
- les actions fondées sur le contrat de déménagement sont soumises à la prescription annale des articles L. 133-6 et L. 133-9 du Code de Commerce, qui a commencé à courir ce 20 juillet 2013 et a été acquise le 20 juillet 2014 soit avant l'assignation du 31 suivant ;
- les meubles des époux X.../B... C... leur ont été remis ou offerts lors de cette livraison partielle, même s'ils les ont alors refusés; le courrier d'elle-même du 8 avril 2014 s'explique logiquement par son souhait de se débarrasser de ces meubles, mais ne constitue pas une poursuite du contrat de déménagement ;
- le rejet de la demande en référé des époux X.../B... C... le 18 mars 2014 prive leur assignation du 18 décembre 2013 de l'effet interruptif de prescription (article 2243 du Code Civil) ;
- elle n'a jamais reconnu le droit de réclamation de ses adversaires, même si elle a transmis le dossier à son assureur ;
- la responsabilité de voiturier ne peut pas être retenue en cas de vice propre de la chose ou de faute du contractant ; les époux X.../B... C... ont placé des produits inflammables dans les meubles et cartons, et l'article 8 des conditions générales exclut leur prise en charge ; ce genre de produit a parfaitement pu provoquer l'incendie, dont il n'est pas établi qu'il ait pu être provoqué par des fumeurs ;
- les époux X.../B... C... doivent justifier du quantum de leurs demandes indemnitaires, la déclaration de valeur globale pour 25 000 euros 00 ne créant pas l'indemnité équivalente ; le préjudice moral, de jouissance et financier n'est pas justifié ;
- les mêmes sont critiquables d'avoir émis un chèque sans provision pour régler le prix du déménagement ;
- elle n'a pas été réglée de ce prix, alors même que les meubles non endommagés ont été livérs le 20 juillet 2013 ; cette exécution partielle du contrat de déménagement exclut la résolution judiciaire de celui-ci ; la demande en paiement de ce prix a été faite avant l'expiration du délai de prescription de 2 ans de l'article L. 137-2 du Code de la Consommation.
L'intimée demande à la Cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes des époux X.../B... C... ;
- en conséquence, débouter les époux X.../B... C... de leurs entières demandes comme irrecevables pour cause de prescription ;
- subsidiairement, débouter les époux X.../B... C... de leurs entières demandes comme mal fondées ;
- à titre infiniment subsidiaire, limiter la réclamation des époux X.../B... C... à la somme de 5 097 euros 50 ;
- recevoir la S.A.R.L. JO LOC en son appel incident ;
- réformer ledit jugement pour le surplus ;
- condamner les époux X.../B... C... au paiement de la somme de
3 695 euros 64 au titre du solde du prix du déménagement ;
- condamner les époux X.../B... C... au paiement de la somme de
5 000 euros 00 au titre de l'article 700 Code de Procédure Civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2018.
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M O T I F S D E L ' A R R E T :
Sur les demandes des époux X.../B... C... :
Au terme des articles L. 133-6 et L. 133-9 du Code de Commerce, repris par l'article 19 des conditions générales de vente du contrat de déménagement conclu le 17 juin 2013, l'action de ces plaideurs pour les avaries subies par leur mobilier déménagé par la société JO LOC est soumise à la prescription d'un an, dont le point de départ est la livraison c'est-à-dire la date où ce mobilier leur a été offert ou remis.
Cette offre ou remise est intervenue le 20 juillet 2013 jour où la société JO LOC a livré ce qui avait survécu à l'incendie du 14 précédent ; il est sans effet juridique que cette livraison n'ait été que partielle, et que d'autres objets aient été retournés par les époux X.../B... C..., puisqu'une nouvelle livraison n'est jamais intervenue.
L'interruption de la prescription par l'assignation en référé délivrée le 18 décembre 2013 par les époux X.../B... C... à la société JO LOC est non avenue par le rejet définitif, par l'ordonnance de référé du 18 mars 2014, de la demande concrétisée par cette assignation, ainsi que le précise l'article 2243 du Code Civil.
La lettre de la société JO LOC à l'Avocat des époux X.../B... C... du 8 avril 2014 est ainsi libellée : '(...) il reste des meubles et des affaires [de ceux-ci] dans notre garde meubles. Pourriez-vous, je vous prie, nous informer de ce que vos clients souhaitent que nous en fassions. En effet nous ne pouvons pas garder indéfiniment ces affaires à titre gratuit. (...)'. Elle ne constitue donc aucunement une reconnaissance explicite ou implicite de responsabilité susceptible d'interrompre le délai de prescription au sens de l'article 2240 du Code Civil.
Le jugement est en conséquence confirmé pour avoir déclaré irrecevables les demandes des époux X.../B... C..., car prescrites lors de l'assignation au fond du 31 juillet 2014.
Sur les demandes de la société JO LOC :
Cette dernière, suite au non-paiement du chèque de 3 695 euros 64, émis par les époux X.../B... C... au titre du prix du déménagement mais rejeté pour provision insuffisante, a droit à un titre exécutoire constitué par le titre délivré par l'Huissier de Justice, ainsi que le précise l'article L. 111-3 du Code des Procédures Civiles d'Exécution ; c'est donc avec raison que le jugement a débouté la société JO LOC de sa demande en paiement de cette somme au visa de ce texte.
Enfin l'équité fait obstacle à la demande de cette société au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
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D E C I S I O N
La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.
Confirme le jugement du 1er septembre 2015.
Condamne les époux Bernard X.../Chantal B... C... aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Rejette toutes les autres demandes.
Le GREFFIER. Le PRÉSIDENT.