COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
9e Chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 27 SEPTEMBRE 2018
N°2018/
Rôle N° RG 15/18375 - N° Portalis DBVB-V-B67-5Q4U
SA SEAC X... I...
C/
J... Y...
Copie exécutoire délivrée
le :
27 Septembre 2018
à :
Me Marianne Z..., avocat au barreau de NARBONNE
Me Annie A..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX-EN-PROVENCE - section E - en date du 15 Septembre 2015, enregistré au répertoire général sous le n° 14/1000.
APPELANTE
SA SEAC X... I..., demeurant [...]
représentée par Me Marianne Z..., avocat au barreau de NARBONNE
INTIME
Monsieur J... Y..., demeurant [...]
représenté par Me Annie A..., avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Juillet 2018, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Agnès MICHEL, Président
Monsieur Jean Yves MARTORANO, Conseiller
Monsieur Pascal MATHIS, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Harmonie VIDAL.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Septembre 2018.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Septembre 2018
Signé par Madame Marie-Agnès MICHEL, Président et Madame Harmonie VIDAL, greffier présent lors du prononcé.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
La SA SEAC X... I..., qui fabrique et commercialise des éléments de construction en béton, a embauché M. J... Y... courant mai 2008 en qualité d'agent technico-commercial cadre, au sein d'une force de vente d'une trentaine de salariés.
Au dernier état de la relation contractuelle, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 3093,67€.
Le salarié a été licencié par lettre du 15 novembre 2013 ainsi rédigée: «Comme suite à votre entretien du 12 novembre 2013 avec M. Laurent X..., au cours duquel vous étiez accompagné de MmeB..., nous vous notifions par la présente votre licenciement au motif suivant: vente de produits à perte et insuffisance professionnelle ayant pour conséquence un développement commercial insuffisant sur votre secteur, et des ventes en baisse. Vous avez été engagé le 28 avril 2008 pour développer les ventes de nos planchers poutrelles hourdis sur la région PACA, et pour prescrire nos solutions techniques auprès des négociants de matériaux, constructeurs de maisons individuelles et entreprises du bâtiment. Lors d'une négociation avec le client AIX BOIS MATÉRIAUX à Aix-en-Provence, au mois d'octobre 2013, vous avez proposé de vendre des palettes de blocs houssées en dessous du prix des matières premières. Nous avons stoppé cette affaire suite à un appel téléphonique de M. C..., par qui nous avons appris la proposition que vous aviez faite, sachant que nous n'avions pas de machine à housser à Meyrargues. La commande représentait 1500 palettes de blocs de 20, pour un chantier du stade Vélodrome de Marseille, que vous proposiez au prix de 0,43€ le bloc franco chantier. Le prix du transport s'élevait à 0,12€ / bloc, et le houssage à 0,03€ / bloc. Cela représente un prix ramené à la tonne à 18€, alors que le prix du mélange ciment et agrégats représente 22€ la tonne!! Aucune entreprise ne peut vendre un produit à un prix inférieur au coût des matières premières. Du moins sans concertation préalable et sur une aussi grosse quantité. D'autre part M. Laurent X... a appris fortuitement par le patron de AIX BOIS MATERIAUX que le prix de vente du chantier était de 0,53€ franco. Ce qui signifie que vous avez voulu vendre les blocs en dessous du prix des matières le constituant en laissant un coefficient de marge au négociant de 23%, alors que la marge des négociants sur ce type de chantier est entre 6 et 10%. De plus vos résultats sont catastrophiques. Sur les produits essentiels pour l'entreprise, les résultats à fin octobre sont les suivants;
'poutrelles précontraintes: ' 19,54%
'poutrelles treillis: ' 33,97%
'blocs: ' 31,10%
Vous comprenez bien qu'aucune entreprise ne peut résister à une telle baisse des ventes, et la pérennité des usines de Mallemort et Meyrargues est en jeu. Lors des réunions trimestrielles, nous vous avons alerté sur cette situation et sur le déficit de prescriptions de nos produits. Mais nous ne constatons pas d'amélioration et les évènements récents qui se sont rajoutés entraînent une perte de confiance; cette situation nuit à la bonne marche de l'entreprise et la direction estime qu'elle entraîne des difficultés de collaboration, rendant impossible le maintien de votre contrat de travail. Lors de l'entretien du 12 novembre 2013, vous n'avez fourni aucune explication de nature à modifier notre appréciation concernant les faits qui vous sont reprochés. Pour ces motifs, nous confirmons votre licenciement. Votre préavis d'une durée de 3 mois, débutera à réception de ce courrier. Nous attirons votre attention sur le fait que pendant votre préavis vous restez tenu de l'ensemble des obligations de votre contrat de travail. Vous bénéficiez au titre du DIF d'un volume de 114 heures qui peut se traduire par le versement sur justificatifs d'une allocation qui devra être utilisée pour financer, en tout ou en partie et à votre initiative une action de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience ou de formation. Vous avez la possibilité de conserver le bénéfice à compter de la rupture de votre contrat de travail du régime de prévoyance en vigueur au sein de l'entreprise. Nous vous demandons de bien vouloir restituer au plus tard le jour de votre départ le véhicule de fonction, le téléphone portable, et tout document ou objet appartenant à l'entreprise. À l'issue du préavis, vous percevrez les sommes vous restant dues, votre certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi.»
Le salarié a répondu par lettre du 2 décembre 2013 dans les termes suivants: «Je suis étonné par la mesure de licenciement que vous avez pris à mon encontre. Je note que vous ne qualifiez pas ce licenciement, s'agit-il d'un licenciement pour faute' Quoi qu'il en soit je conteste les faits qui me sont reprochés. Je n'ai jamais proposé aux clients AIX BOIS MATERIAUX un prix de 0,43€ le bloc, avec le transport et le houssage pour le chantier du Stade Vélodrome à MARSEILLE. Au contraire, concernant le houssage, je me suis rapproché de M. C... Directeur de l'usine de Mallemort en intérim à l'usine de Meyrargues pour lui demander si le filmage était possible et à quel prix. M. C... m'a effectivement indiqué que le houssage était possible moyennant un prix de 0,03€ le bloc. Nous en étions là de la négociation lorsque vous avez estimé que finalement l'opération n'était pas suffisamment rentable. Je vois mal ce que vous pouvez me reprocher en l'état. Je n'ai jamais vendu un produit à un prix inférieur au prix du coût des matières premières. Quant à mes résultats de vente catastrophiques, je tenais à vous indiquer que les autres commerciaux de la société ont des résultats du même ordre, sinon plus bas que les miens. Vous êtes bien placé pour connaître l'état du marché et de la conjoncture économique qui n'est absolument pas porteuse. Vous énoncez les baisses de vente concernant les poutrelles précontraintes, les poutrelles treillis et les blocs, vous omettez d'indiquer que mes résultats sont en hausse de plus 10,24% concernant le Seacbois, et plus 68,09% concernant l'EBS. Je suis d'autant plus étonné de ce licenciement que je n'ai jamais depuis le début de mon embauche reçu le moindre reproche de votre part sans parler de lettre d'avertissement, ce licenciement me cause un préjudice considérable. Je suis âgé de 54 ans, j'ai toujours travaillé au mieux pour votre société j'en veux pour preuve les Salons UMF auquel j'ai participé pour développer et faire connaître vos produits, ces Salons se sont déroulés le week-end sans aucune compensation financière et sans aucune récupération horaires. Je ne vous cache pas que si vous mainteniez cette mesure de licenciement, j'en contesterais le bien fondé devant la juridiction compétente.»
Contestant son licenciement, M. J... Y... a saisi le 26 mai 2014 le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, section encadrement, lequel, par jugement rendu le 15septembre2015, a:
dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse;
condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes:
'18600€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
' 500€ au titre des frais irrépétibles;
débouté les parties du surplus de leurs demandes;
condamné l'employeur aux dépens.
Cette décision a été notifiée le 22 septembre 2015 à la SA SEAC X... I... qui en a interjeté appel suivant déclaration du 8 octobre 2015.
La cour, par arrêt partiellement avant dire droit du 8 juin 2018, a:
confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. J... Y... de ses demandes relatives à des week-ends travaillés et au droit individuel à la formation;
ordonné la réouverture des débats, et sursis à statuer, concernant les demandes relatives au licenciement, aux frais irrépétibles et aux dépens;
dit que M. J... Y... communiquera à la SEAC X... I... la seconde attestation de Mme Élisabeth D... épouse E... avant le 16 juin 2018;
renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 4 juillet 2018 à 9 heures.
Vu les écritures déposées à l'audience et soutenues par son conseil aux termes desquelles la SA SEAC X... I... demande à la cour de:
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit injustifié le licenciement notifié pour cause réelle et sérieuse;
condamner le salarié à lui payer la somme de 2000€ au titre des frais irrépétibles;
condamner le salarié aux dépens.
Vu les écritures déposées à l'audience et reprises par son conseil selon lesquelles M.Jean-Luc Y... demande à la cour de:
confirmer le jugement entrepris;
dire que le licenciement ne revêt aucune cause réelle et sérieuse;
condamner l'employeur à lui régler les sommes suivantes:
'60000,00€ à titre de dommages et intérêts;
' 3000,00€ au titre des frais irrépétibles;
condamner l'employeur aux dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur la cause du licenciement
L'employeur a prononcé le licenciement à la fois pour une faute consistant en une vente de produits à perte et une insuffisance professionnelle ayant pour conséquence un développement commercial insuffisant sur le secteur du salarié ainsi que des ventes en baisse.
1-1/ Sur la faute
Concernant la charge de la preuve d'une faute, au temps du licenciement, l'article L. 1235-1 du code du travail disposait que:
«En cas de litige, lors de la conciliation prévue à l'article L. 1411-1, l'employeur et le salarié peuvent convenir ou le bureau de conciliation proposer d'y mettre un terme par accord. Cet accord prévoit le versement par l'employeur au salarié d'une indemnité forfaitaire dont le montant est déterminé, sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles, en référence à un barème fixé par décret en fonction de l'ancienneté du salarié.
Le procès-verbal constatant l'accord vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail prévues au présent chapitre.
À défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie.»
L'employeur produit l'attestation de M. J... F..., chef d'entreprise de la société cliente à laquelle le salarié aurait tenté de vendre des matériaux à perte. Cette attestation est ainsi rédigée: «Le commercial de la société SEAC sur notre secteur, M. Y..., a proposé à mon entreprise des palettes de bloc houssés pour un prix de 0,43cts le bloc, franco chantier. Nous en avons discuté téléphoniquement avec M.X..., le prix annoncé qui avait suscité l'intérêt d'Aix Bois Matériaux était en dessous du prix des matières premières. Il a annulé l'offre. M. X... a stoppé la vente alors que selon M. Y... il n'était plus question que de régler les modalités de livraison, point qu'il traitait avec l'une de mes collaboratrices, Mme E..., chef d'agence. Sans l'intervention de M. X..., la vente aurait été conclue aux conditions négociées avec M. Y....»
Le salarié produit en sens inverse une attestation de Mme Élisabeth D... épouse E..., chef d'agence de l'entreprise cliente, établie le 19mai 2014 dans les termes suivants: «Je soussignée Mme Élisabeth E..., chef d'agence d'Aix Bois Matériaux en notre qualité de négociant en matériaux nous sommes en relation avec la société SEAC. J'ai personnellement traité des commandes avec M. J... Y..., leur agent dans le 13 pour le chantier du grand stade vélodrome à Marseille. J'avais contacté M. Y... pour des blocs béton. C'était une commande importante (1500palettes). Pour des raisons de sécurité notre client GFC exigeait que les blocs soient en palettes houssées. M.J... Y... m'avait bien précisé que sa société n'avait pas pour habitude de housser les palettes et qu'il devait se renseigner auprès de l'usine afin de savoir si le houssage était possible. Nous n'avons pas arrêté de prix avec M. Y.... La négociation du prix devait intervenir dans un second temps. Après renseignement prix concernant le houssage, nous étions simplement à l'étude de faisabilité. J'atteste donc que M. Y... n'a jamais pu remettre de prix compte tenu que sa direction n'a pas souhaité donner suite à ce chantier.»
Le salarié produit encore une autre attestation de la même personne, datée du 16mars2018, et ainsi rédigée: «Je confirme que M. J... Y... commercial de SEAC n'a jamais indiqué ni remis de prix pour des blocs sur palette houssée destinées au chantier Bouygues Stade Vélodrome. L'attestation de M. F... J... est inexacte dès lors que M. Y... n'avait aucun lien avec lui en ce qui concerne les affaires d'Aix Bois Matériaux. N'ayant pas de retour de M. Y..., j'ai demandé à M. F... de prendre le relais auprès du dirigeant. M.X... Laurent pour lui faire savoir notre mécontentement de n'avoir aucune offre à remettre à notre client. Au final, M. X... Laurent a remis une offre par mail à M. F... qui me l'a transférée/ A cette occasion je me suis aperçu que l'offre de 10 et de 15 était bien inférieure à cette faite habituellement par M. Y....»
Au vu de ces éléments contradictoires la cour retient que le grief de vente à perte n'est pas établi.
1-2/ Sur l'insuffisance professionnelle
L'insuffisance professionnelle se caractérise par l'inaptitude du salarié à exécuter correctement le travail pour lequel il a été embauché. L'appréciation de cette insuffisance professionnelle relève du pouvoir de direction de l'employeur. Le juge n'a pas à contrôler l'organisation du travail établie par l'employeur ou le bon fonctionnement du service mais uniquement que l'employeur invoque des faits précis et vérifiables à l'appui de son appréciation.
L'employeur fait état de résultats qu'il estime catastrophiques et qui seraient imputables au salarié. Soit à fin octobre 2013:
'poutrelles précontraintes: ' 19,54%
'poutrelles treillis: ' 33,97%
'blocs: ' 31,10%
Il précise que lors des réunions trimestrielles il a alerté le salarié sur cette situation et sur le déficit de prescriptions des produits, mais qu'il n'a pas constaté d'amélioration.
Pour établir l'insuffisance professionnelle, l'employeur compare le salarié à MM G... et H... dont les résultats sont meilleurs et il explique qu'un cadre technico-commercial perçoit une prime trimestrielle de 610€ pour résultat atteint à 100% alors que le salarié n'a perçu pour le dernier trimestre que la somme de 305€.
Le salarié reconnaît que ses résultats ne sont pas excellents, mais il les attribue à la conjoncture et les tient dès lors pour acceptables selon l'argumentaire qu'il a déjà développé dans sa lettre du 2 décembre 2013.
Il apparaît que l'employeur salarie 36 commerciaux et que dès lors la comparaison avec seulement deux d'entre eux n'est pas pertinente et que de plus il ne justifie nullement avoir mis en garde le salarié, qui comptait 5 ans d'ancienneté, contre la baisse soudaine de ses résultats.
En conséquence, la cour retient que l'employeur n'invoque pas de faits précis et vérifiables à l'appui de son appréciation de nature à caractériser une insuffisance professionnelle. Dès lors, le licenciement se trouve dénué de cause réelle et sérieuse.
2/ Sur les dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse
Le salarié était âgé de 54 ans au temps du licenciement, il bénéficiait d'une ancienneté de 5ans et il justifie de près d'un an de chômage à la suite de son licenciement. En conséquence, son préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme équivalente à 7 mois de salaire soit 7×3093,67€ = 21655,69€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
3/ Sur les autres demandes
Il convient d'allouer au salarié la somme de 1500€ au titre des frais irrépétibles d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'employeur supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a:
dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse;
condamné la SA SEAC X... I... à payer à M. J... Y... la somme de 500€ au titre des frais irrépétibles de première instance;
condamné la SA SEAC X... I... aux dépens.
L'infirme concernant le montant des dommages et intérêts.
Statuant à nouveau,
Condamne la SA SEAC X... I... à payer à M. J... Y... la somme de 21655,69€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamne la SA SEAC X... I... à payer à M. J... Y... la somme de 1500€ au titre des frais irrépétibles d'appel.
Condamne la SA SEAC X... I... aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT