COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-5
( anciennement dénommée 4e Chambre A)
ARRÊT AU FOND
DU 17 JANVIER 2019
lb
N° 2019/ 24
Rôle N° RG 17/10514 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BAULP
Société LABHEAVEN
C/
[V] [O]
[M] [O] épouse [O]
[A] [O]
[Z] [O]
[H] [O]
[Y] [O]
[G] [O] épouse Epouse [E]
[I] [O]
[T] [O]
[B] [O]
[N] [D] [F]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
SELAS CABINET POTHET
SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DRAGUIGNAN en date du 28 Avril 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 16/07572.
APPELANTE
Société LABHEAVEN agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, [Adresse 1]
représentée par Me Alain-David POTHET de la SELAS CABINET POTHET, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
INTIMES
Monsieur [V] [O]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Madame [M] [O] épouse [O]
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur [A] [O]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur [Z] [O]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur [H] [O]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur [Y] [O]
demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Madame [G] [O] épouse [E]
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur [I] [O]
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur [T] [O]
demeurant [Adresse 6]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Monsieur [B] [O]
demeurant [Adresse 6]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assisté de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
Madame [N] [F] [D] [F]
demeurant [Adresse 7]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Henry JEAN BAPTISTE, avocat au barreau de PARIS, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 20 Novembre 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Luc BRIAND, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Laure BOURREL, Président
Madame Bernadette MALGRAS, Conseiller
Monsieur Luc BRIAND, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Danielle PANDOLFI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le [Cadastre 1] Janvier 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le [Cadastre 1] Janvier 2019,
Signé par Madame Laure BOURREL, Président et Madame Danielle PANDOLFI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
La société LABHEAVEN, société de droit luxembourgeois, est propriétaire à [Localité 1], [Adresse 8], d'un fonds dénommé « Villa Broquiès » et constitué des parcelles cadastrées section AR n° [Cadastre 2] et AV n° [Cadastre 1], [Cadastre 1], [Cadastre 3] et [Cadastre 4].
M. [V] [O] est propriétaire des parcelles voisines cadastrées section AV n°[Cadastre 5] et AR n° [Cadastre 6].
Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [Z] [O] et M. [H] [O] sont propriétaires des parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 1] et AR n° 388.
M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O] et M. [B] [O] sont quant à eux propriétaires de la parcelle cadastrée section AR n° 34.
L'accès à ces parcelles se fait par un chemin traversant la propriété de la société civile (SCI) LABHEAVEN.
Souhaitant que ce chemin soit déplacé, la société civile LABHEAVEN a, par actes d'huissier des 4 et 5 décembre 2013, fait assigner les consorts [O] et les consorts [O] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de DRAGUIGNAN. Par ordonnance de référé du 15 janvier 2014, le juge a ordonné une expertise et a désigné à cet effet M. [L] [X], lequel a été remplacé par M. [P] [B] au terme d'une ordonnance du 13 mars 2014.
Par acte d'huissier du 10 octobre 2014, Mme [N] [F] [D] [F], nue propriétaire des parcelles voisines cadastrées section AR n° [Cadastre 3], [Cadastre 7], [Cadastre 7], [Cadastre 7] et [Cadastre 8], a fait assigner la société civile LABHEAVEN afin que les opérations d'expertise lui soient étendues, ce qui a été fait au terme d'une ordonnance de référé rendue le 21 janvier 2015.
L'expert a rendu son rapport définitif le 1er juin 2016.
Entre temps, une action en bornage a été intentée par la société civile LABHEAVEN devant le tribunal d'instance de FREJUS, lequel a approuvé, par un jugement du 4 mars 2016, le plan de bornage établi par M. [J] [M], géomètre expert.
Par ailleurs, par lettres du 24 mai 2016, la société LABHEAVEN a informé les consorts [O], [F] et [O] de la mise en service d'un dispositif de fermeture, de part et d'autre des limites de sa propriété, sur le chemin la traversant, et leur a communiqué le code d'accès qui en permet 1' ouverture. Ceux-ci ont assigné la société LABHEAVEN en référé mais, par une ordonnance du 29 juin 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Draguignan a rejeté leur demande tendant à la suppression de ce dispositif, considérant que la seule mise en 'uvre d'un tel dispositif ne constitue pas en soi un trouble manifestement illicite dès lors que la permanence du passage est assurée, et soulignant la compétence du juge du fond pour qualifier juridiquement le chemin litigieux.
La société civile LABHEAVEN, par exploits d'huissier en date des 12, 13, 16 et 21 septembre 2016, a, après autorisation donnée le 5 septembre 2016, assigné à jour fixe M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [Z] [O], M. [H] [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O] et Mme [N] [F] [D] [F] devant le tribunal de grande instance de Draguignan aux fins d'écarter la qualification de chemin d'exploitation et de leur proposer une autre voie d'accès à leurs fonds.
Par jugement du 28 avril 2017, ce tribunal a, pour l'essentiel :
-dit que le chemin litigieux est un chemin d'exploitation,
-en conséquence, dit n'y avoir lieu à statuer sur le désenclavement des parcelles des défendeurs et à ordonner la publication du présent jugement ;
-débouté les consorts [O] de leur demande tendant à voir supprimer les portails installés par la société LABHEAVEN sur son fonds ainsi que le système de vidéosurveillance,
-condamné la société LABHEAVEN à une somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte du 1er juin 2017, la société LABHEAVEN a régulièrement relevé appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 5 novembre 2018, elle demande à la cour de réformer le jugement déféré pour :
-constater que le chemin traversant sa propriété et permettant l'accès entre la voie publique et les fonds appartenant à M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [H] [O], M. [Z] [O], représenté par ses parents M. [V] [O] et Mme [M] [O] épouse [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O], et Mme [N] [F] épouse [F] ne saurait être considéré comme un chemin d'exploitation ;
-constater que l'assiette du passage dont ils bénéficient a été déplacée depuis au moins 1977 et qu'il s'agit dès lors d'une simple tolérance de la société LABHEAVEN,
-constater que les fonds appartenant à M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [H] [O], M. [Z] [O], représenté par ses parents M. [V] [O] et Mme [M] [O] épouse [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O], et Mme [N] [F] épouse [F] seraient en l'état d'enclave,
-lui donner acte de ce qu'elle reconnaît son obligation légale aux fins de désenclavement des fonds appartenant à M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [H] [O], M. [Z] [O], représenté par ses parents M. [V] [O] et Mme [M] [O] épouse [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O], et Mme [N] [F] épouse [F] et qu'elle se propose de désenclaver sur son fonds lesdites propriétés,
-constater que M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [H] [O], M. [Z] [O], représenté par ses parents M. [V] [O] et Mme [M] [O] épouse [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O], et Mme [N] [F] épouse [F] ne disposent d'aucune servitude conventionnelle,
-dire et juger en conséquence qu'elle accepte d'accorder au titre de l'obligation de servitude légale un passage sur son fonds aux propriétés voisines tel que cela ressort du rapport de M. [B] et selon plan annexé audit rapport d'expertise,
-dire et juger que le jugement à intervenir devra faire l'objet d'une publication pour être opposable aux tiers,
-en ce qui concerne le rapport de M. [M], s'il était fait droit à la demande, déclarer prescrite l'action de M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [H] [O], M. [Z] [O], représenté par ses parents M. [V] [O] et Mme [M] [O] épouse [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O], et Mme [N] [F] épouse [F], en ce qui concerne la démolition des ouvrages ayant été construits avant le 8 février 2012,
A titre subsidiaire, sur ce point,
-condamner de la même manière M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [H] [O], M. [Z] [O], représenté par ses parents M. [V] [O] et Mme [M] [O] épouse [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O] et M. [B] [O] à démolir sous astreinte de 100 euros par jour de retard les ouvrages réalisés sur son fonds et objectivés par le rapport de M. [M], suivants: le coffret et les boites aux lettres des consorts [O] apparaissant clairement indiqués sur le plan établi par M. [M],
-condamner compte-tenu de leur résistance abusive M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [H] [O], M. [Z] [O], représenté par ses parents M. [V] [O] et Mme [M] [O] épouse [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O], et Mme [N] [F] épouse [F] à lui payer la somme de 20 000 euros de dommages et intérêts et celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-s'entendre condamner aux entiers dépens tant de première instance que d'appel qui comprendront la contribution à hauteur de 225 euros et dire que la SELAS CABINET POTHET, avocat, pourra recouvrer directement ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.
En réplique, dans leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 15 octobre 2018, M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [Z] [O], M. [H] [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O] et Mme [N] [F] [D] [F] demandent notamment à la cour de :
-confirmer la partie du jugement du 28 avril 2017 ayant dit et jugé que le chemin desservant l'ensemble des fonds débutant sur la RD n° 93 au Nord en passant sur les parcelles AV n°[Cadastre 9] et AR n°[Cadastre 10], avant d' arriver dans l'angle Nord-Est de la parcelle AV n°[Cadastre 4] (SCI), par un ponceau puis longeant ensuite la limite Est de la parcelle A V n°[Cadastre 4] (SCI) et la limite Ouest de la parcelle AR n°[Cadastre 2] (SCI), pour tourner vers l'Est sur la parcelle AV n°[Cadastre 1] (SCI) et rejoindre la pointe Nord de la parcelle AV n°[Cadastre 1], était bien un chemin d'exploitation,
-infirmer en revanche la partie du jugement n'ayant pas ordonné la démolition du double chaînage installé par la société LABHEAVEN et permettant l'accès aux propriétés des trois intimés,
-constater en premier lieu l'irrégularité de l'entrave constituée par le double chaînage, faute d'avoir obtenu une autorisation administrative régulière,
-dire en outre que l'entrave constitue une gêne consistant à rendre particulièrement difficile et malaisé le passage, et se double d'exigences inacceptables de la part de l'appelante, révélatrices d'une pure et simple intention de nuire,
-condamner en conséquence la société LABHEAVEN à supprimer cette entrave dans le délai d'un mois après que la décision sera devenue définitive et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard pendant une durée d'un mois passé laquelle l'astreinte sera liquidée, et il pourra être de nouveau statué.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
C'est en l'état que l'instruction a été close, par ordonnance du 6 novembre 2018.
Après la clôture, les consorts [O] ont produit des écritures le 7 novembre suivant, demandant notamment que soient écartées les conclusions produites par l'appelant le 6 novembre 2018. Par courrier du 19 novembre 2018, la société LABHEAVEN a demandé le rejet de ces conclusions présentées après la clôture.
SUR CE:
1. Sur la demande de rabat de l'ordonnance de clôture et de rejet des conclusions :
En vertu de l'article 784 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.
En l'espèce, si les consorts [O] ont conclu le 15 octobre 2018, la société LABHEAVEN n'a conclu en réplique que le 5 novembre suivant à 13h32, soit la veille de la clôture, en formant des demandes nouvelles et en apportant des éléments nouveaux sous la forme de précisions sur les empiètements allégués.
Par suite, le respect du contradictoire impose, en l'absence de cause grave justifiant le rabat de l'ordonnance de clôture, d'écarter des débats ces conclusions. Il n'y a, de même, pas lieu d'admettre aux débats les écritures produites après l'ordonnance de clôture.
Il résulte de ce qui précède que la cour est saisie des seules prétentions figurant dans les écritures signifiées électroniquement le 28 juillet 2017 pour l'appelante et le 15 octobre 2018 pour les intimés.
2. Sur la qualification du chemin litigieux :
Aux termes de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime: 'Les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation. Ils sont, en l'absence de titre, présumés appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, mais l'usage en est commun à tous les intéressés. L'usage de ces chemins peut être interdit au public.'
Aux termes de l'article L. 162-2 du même code: 'Tous les propriétaires dont les chemins et sentiers desservent les fonds sont tenus les uns envers les autres de contribuer, dans la proportion de leur intérêt, aux travaux nécessaires à leur entretien et à leur mise en état de viabilité.'
Il n'est pas contesté que les défendeurs utilisent actuellement le chemin qui contourne la parcelle AR n° [Cadastre 2] par l'ouest et le sud, depuis la route départementale n° [Cadastre 5] ([Adresse 9]) au nord du lieudit, pour accéder chez elles.
Dans l'acte de vente du 25 novembre 2003, par lequel la société LABHEAVEN a acquis les parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 1] et [Cadastre 4], il est indiqué que « la venderesse déclare que personnellement elle n'a créé ni laissé acquérir aucune servitude sur l'immeuble présentement vendu et qu'à sa connaissance il n'en existe pas; mais que ladite parcelle de terre jouit d'un droit de passage, pour gens, bêtes et véhicules quelconques sur le chemin du quartier, chemin d'exploitation, qui partant de la [Adresse 10], aboutit à la parcelle vendue par les présentes ».
Dans l'acte de vente précédent, relatif à ces mêmes parcelles et établi le 15 septembre 1980, la désignation des biens fait référence à un chemin bordant l'ensemble par l'est et à sa desserte par « un chemin d'exploitation dit du Audrac prenant naissance sur le chemin départemental n° 93».
Au regard de la topographie et des différents actes notariés, M. [P] [B] conclut qu' il est effectivement fait référence à un chemin d'exploitation qui dessert le bien de la société LABHEAVEN depuis la route départementale n° 93 (ou [Adresse 10]) jusqu'au ruisseau en limite nord de la parcelle AV n° [Cadastre 4] (propriété de la société LABHEAVEN).
Ce même chemin est mentionné dans l'acte de vente du 15 septembre 1980, bordant la parcelle AV n° [Cadastre 4] à l'est. L'expert en conclut que la portion litigieuse du chemin, celle qui traverse aujourd'hui la propriété de la société LABHEAVEN, n'est pas qualifiée par les différents titres de propriété. Il ajoute que si les titres des défendeurs font état de servitudes, il ne s'agit que de servitudes grevant leurs propres fonds, et jamais ceux de la société LABHEAVEN.
Analysant des relevés cadastraux plus anciens et remontant jusqu'à l'année 1809, l'expert judiciaire constate qu'il existait bien un chemin traversant la zone du nord au sud qui traversait le fonds aujourd'hui propriété de la société LABHEAVEN. Ce chemin a été déplacé dans le temps, entre 1972 et 1977 d'après les photographies aériennes (page 20 du rapport), pour recouper la configuration actuelle.
L'expert indique que, dans sa configuration ancienne, le chemin avait pour fonction essentielle de relier entre elles des terres labourables et de faire en sorte qu'elles soient desservies par la voie publique afin de favoriser un accès vers le village de [Localité 1].
L'expert judiciaire conclut ainsi : « situé en zone rurale, n'étant pas ouvert à la circulation publique, desservant un nombre limité de tènements dont 1' origine commune est ancienne avec un fonds terminus, sur une largeur de 2,5 mètres, ce chemin a, à notre avis, les caractéristiques d'un chemin d'exploitation » (page 19 du rapport).
Il ressort de différentes attestations produites que le chemin litigieux a régulièrement été emprunté par les ouvriers saisonniers travaillant pour les consorts [S], notamment au moment des vendanges, ce pour une période allant des années 1991 à 2013.
Par ailleurs, si le chemin litigieux permet effectivement de relier les parcelles des défendeurs à la voie publique, cette desserte n'est qu'incidente puisque l'accès à la voie publique se fait, au nord, par un passage sur les parcelles cadastrées AR n° [Cadastre 3] et [Cadastre 11], propriétés des consorts [F]. Cette portion est d'ailleurs qualifiée de chemin d'exploitation par 1'acte de vente des auteurs de la société LABHEAVEN, en date du 11 mai 1934, ce qui est confirmé par les actes de vente des 15 septembre 1980 et 25 novembre 2003, ainsi qu'il a été dit précédemment.
Ainsi, le chemin litigieux, qui n'a pas pour seule fonction de désenclaver les fonds, permet la communication de ces fonds entre eux. Il importe peu que les fonds communicants ne fassent plus tous l'objet d'exploitations agricoles dans la mesure où le critère d'utilité est indifférent en la matière.
C'est donc en procédant à une juste analyse des titres, de la configuration des lieux et de l'historique du tracé litigieux que l'expert, M. [B] a pu le qualifier de chemin d'exploitation.
Il ne s'agit, en réalité, que d'une portion du chemin d'exploitation qui relie la route départementale n° 93 jusqu'à la propriété actuelle des consorts [O] (AR n° [Cadastre 4]), desservant entre ces deux extrémités l'ensemble des fonds appartenant aux parties à la présente instance.
Ensuite, le déplacement du chemin dans les années 1970 est indifférent s'agissant de sa qualification, dans la mesure où ce déplacement a été consensuel, ainsi qu'il résulte des débats, et de sorte que la condition fixée à l'article L. 162-3 du code rural et de la pêche maritime est remplie.
Enfin, 1'absence de participation des riverains aux frais de mise en état de viabilité et d'entretien du chemin ne suffit pas à exclure la qualification de chemin d'exploitation.
Dès lors, le chemin litigieux doit être qualifié de chemin d'exploitation.
Il n'y a, par suite, pas lieu de statuer sur les demandes subsidiaires tendant notamment au désenclavement des parcelles et à la publication de la décision à intervenir.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
3. Sur la demande de suppression des dispositifs de clôture :
Aux termes de l'article 647 du code civil: 'Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l'exception portée en l'article 682.'
En l'espèce, il ressort du procès-verbal de constat d'huissier dressé le 12 février 2016 que la société LABHEAVEN a installé, sur le chemin litigieux, à chaque bordure de sa propriété, une chaîne de levage automatique commandée par des moteurs électriques enchâssée dans un plot, distribuant les codes d'ouverture et de fermeture aux intimés.
Le propriétaire d'un chemin d'exploitation qui pose un portail à l'entrée est à la sortie exerce régulièrement son droit de clôture, sans que l'obligation de man'uvrer cette barrière puisse être regardée comme portant atteinte au droit de jouissance de leurs voisins.
En l'espèce, il n'est pas démontré que le fonctionnement de ces portails constitue une telle atteinte aux droits de jouissance, dès lors qu'il a été procédé à la distribution de codes individualisés et de télécommandes, dont il sera rappelé qu'elles peuvent être librement dupliquées par les intimés pour leur usage privatif, ce quand bien même l'ouverture et la fermeture de ce dispositif pourrait nécessiter de s'extraire de son véhicule, de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande, subsidiaire, tendant à ce que ces digicodes soient placés de telle manière qu'ils seraient accessibles sans imposer aux conducteurs de sortir de leur véhicule.
Il n'est pas non plus établi que ce dispositif porterait atteinte à la sécurité des personnes ou à l'accessibilité des personnes à mobilité réduite ni qu'il serait contraire aux documents d'urbanisme en vigueur ou qu'il aurait dû être précédé d'une autorisation administrative.
Ces installations ne causent donc ni un trouble de jouissance ni un trouble anormal de voisinage. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
4. Sur la demande de suppression des caméras :
Aux termes de l'article 9 du code civil: ' Chacun a droit au respect de sa vie privée. / Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé.'
En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, en particulier du constat d'huissier en date du 23 août 2017, que le dispositif de vidéosurveillance installé par la SCI LABHEAVEN detecte les passages sur le chemin d'exploitation de toute personne se rendant en véhicule au domicile des consorts [O], l'identification précise de chaque conducteur étant facilitée par le fait que celui-ci peut eventuellement être amené, du fait de l'installation du dispositif de fermeture de la voie, à sortir de son véhicule pour en commander l'ouverture.
Ce système aboutit ainsi à permettre une surveillance constante, par les occupants du bien appartenant à la SCI LABHEAVEN et au profit exclusif de ceux-ci, des allées et venues au domicile des intimés.
Par ailleurs, l'argument selon lequel la sécurité imposerait une telle mesure n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien fondé, l'appelante ne faisant, en particulier, état d'aucun risque précis qui rendrait nécessaire la présence de ce dispositif.
Par suite, le dispositif de vidéosurveillance porte, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte excessive à la vie privée des intimés. Son retrait sera ordonné, sous astreinte.
Toutefois, les intimés ne justifiant pas de la nature et de l'étendue du préjudice allégué, leur demande de dommages et intérêts formée à ce titre sera rejetée.
5. Sur la demande de démolition des ouvrages :
Il ne ressort pas avec suffisamment de certitude des pièces du dossier, le plan de l'expert, de trop petite échelle, n'étant étayé par aucune autre pièce sur ce point, que le coffret et les boites aux lettres des consorts [O] auraient été implantés sur la propriété de l'appelante.
La demande sera donc rejetée.
4. Sur les empiètements :
De même, le rapport établi par M. [M] ne permet pas, pour les motifs exposés ci-dessus, d'établir avec certitude que les intimés seraient victimes d'empiètements sur leurs propriétés de la part de la société LABHEAVEN, de sorte que leur demande de démolition ainsi que celle tendant à l'octroi de dommages et intérêts ne peut qu'être rejetée.
5. Sur les autres demandes :
La société LABHEAVEN succombant en ses demandes, elle assumera la charge des dépens d'appel et versera aux intimés, qui justifient des honoraires d'avocat exposés pour leur défense, une somme totale de 36 058,74 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Réforme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande tendant à l'enlèvement du système de viséosurveillance et, statuant de nouveau de ce chef,
Ordonne le retrait du dispositif technique de vidéosurveillance du chemin d'exploitation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration du délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt,
Déboute les intimés de leur demande de dommages et intérêts formée à ce titre,
Confirme le jugement déféré pour le surplus,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société LABHEAVEN à verser à M. [V] [O], Mme [M] [O] épouse [O], M. [A] [O], M. [Z] [O], M. [H] [O], M. [Y] [O], Mme [G] [O], M. [I] [O], M. [T] [O], M. [B] [O] et Mme [N] [F] [D] [F] une somme totale de 36 058,74 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société civile immobilière LABHEAVEN aux dépens d'appel, dont distraction au profit la société LEXAVOUE, avocats, pour ceux dont cette société d'avocats aurait fait l'avance.
LE GREFFIERLE PRESIDENT