COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-1
ARRÊT AU FOND
DU 14 FEVRIER 2019
N° 2019/ 25
Rôles RG 18/09976
RG 18/10388
- N° Portalis DBVB-V-B7C-BCTNS
SARL OURAGAN FILMS
SAS SAINT THOMAS PRODUCTIONS
C/
Société KOCH FILMS GMBH
SCP [X] [U] [O]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me BRUZZO
Me CHERFILS
Me LASALARIE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de Commerce de SALON-DE-PROVENCE en date du 13 Juin 2018 enregistrée au répertoire général sous le n° 2018-2341.
APPELANTES
SARL OURAGAN FILMS,
dont le siège est [Adresse 1]
représentée par Me Philippe BRUZZO de l'AARPI BRUZZO / DUBUCQ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée et plaidant par Me Benjamin SARFATI, avocat au barreau de PARIS
SAS SAINT THOMAS PRODUCTIONS,
dont le siège est [Adresse 2]
représentée par Me Philippe BRUZZO de l'AARPI BRUZZO / DUBUCQ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée et plaidant par Me Benjamin SARFATI, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
Société KOCH FILMS GMBH,
dont le siège est [Adresse 3]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée et plaidant par Me Charles-Edouard RENAULT, avocat au barreau de PARIS
PARTIE INTERVENANTE
SCP [X] [U] [O]
dont le siège est [Adresse 4]
représentée et plaidant par Me Jean-Mathieu LASALARIE, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Janvier 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, monsieur FOHLEN, conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Pierre CALLOCH, Président
Monsieur Baudouin FOHLEN, Conseiller
Monsieur Jean-Pierre PRIEUR, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Viviane BALLESTER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Février 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Février 2019,
Signé par Monsieur Pierre CALLOCH, Président et Madame Viviane BALLESTER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
F A I T S - P R O C E D U R E - D E M A N D E S :
La plaquette de présentation du film consacré aux ouragans précise qu'il est présenté par la S.A.S. SAINT THOMAS PRODUCTIONS présidée par la S.A.S. IMAGINOVA, elle-même présidée par Monsieur [H] [M].
La S.A.R.L. OURAGAN FILMS, dont le gérant était Monsieur [M] [R] et est aujourd'hui Madame [Y] [R], a par contrat du 30 juillet 2012 confié à la société allemande KOCH FILMS GmbH la distribution du film documentaire Hurricane en 3 D d'une durée minimum de 85 minutes et maximum de 105 minutes ; ce contrat stipule pour tout litige la compétence de la juridiction de MUNICH.
Le 30 janvier [en réalité le 26 mai] 2014 un contrat de distribution de la Série a été conclu entre la société SAINT THOMAS et la société KOCH pour la série Hurricane d'une durée de
3 heures 52 minutes, avec également une attribution de compétence à la juridiction de MUNICH.
La société OURAGAN a assigné la société KOCH devant la Cour Régionale de MUNICH, qui a notamment condamné la seconde à payer à la première la somme principale de 120 000 € 00 par une décision (traduite en anglais) du 24 juin 2016.
Le CENTRE NATIONAL DU CINEMA ET DE L'IMAGE ANIMEE [] a le
14 novembre 2016 accordé au film l'agrément de production.
La décision judiciaire précitée a été infirmée par la Cour Régionale Supérieure de MUNICH dans une décision (traduite en anglais) du 30 novembre 2017 ayant notamment jugé que le contrat du 30 juillet 2012 est toujours en vigueur.
Ce même 30 novembre 2017 la société KOCH a mis en demeure en langue anglo-saxonne la société OURAGAN de délivrer le film, ce qui a été annoncé le 4 décembre (avec traduction en français) et fait le 6 ; mais la société KOCH a le 9 refusé en langue anglo-saxonne cette délivrance au motif notamment que ce film utilise des images de la série en violation de l'article 9 du contrat de 2012 ; le 19 janvier 2018 la société OURAGAN (avec traduction en français) a notamment répondu que cette utilisation n'est pas interdite par cet article, précisé pouvoir mettre à disposition le budget pris en charge par le CNC ce qui se traduit par un budget du film de 7 530 566 € 00, demandé à la société KOCH d'accepter le film d'ici le 26, et annoncé l'envoi de la facture pour l'acompte de 280 000 € 00 ; le 7 février la société KOCH a en langue anglo-saxonne rejeté cette facture, et réclamé l'agrément de production par le CNC.
Deux sommations interpellatives ont été délivrées à la requête de la société KOCH le
7 février 2018 :
- l'une à la société OURAGAN pour la transmission relativement au Film de l'agrément des investissements, du dossier d'agrément de production et de l'agrément final délivré à cette société par le CNC, le tout afin d'obtenir confirmation du budget effectivement engagé dans le cadre de la production dudit Film ; la société OURAGAN a opposé un refus vu l'absence de décision de Justice la contraignant ;
- l'autre à la société SAINT THOMAS pour la transmission relativement à la Série des contrats de financement, des contrats de cession de droits, des budget définitif et plan de financement, et enfin des éléments relatifs à l'agrément audiovisuel délivré par le CNC, le tout pour obtenir confirmation du budget effectivement engagé dans le cadre de la production de la Série ; mais la personne présente a indiqué ne pas être habilitée.
Sur requêtes de la société KOCH contre les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS le Président du Tribunal de Commerce de SALON DE PROVENCE par ordonnances des 22 (pour la société OURAGAN) et 28 (pour la société SAINT THOMAS) février 2018 rendues au visa de l'article 145 du Code de Procédure Civile a :
* désigné la S.C.P. [X]-[U]-[O], Huissiers de Justice, avec pour mission de se rendre aux sièges des sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS ;
* autorisé l'Huissier de Justice ainsi désigné à identifier tous éléments (notamment matériel financier, commercial ou épistolaire (ex., factures, courriels, relevés de comptes bancaires, décomptes de royalties, flux financiers, documents commerciaux, comptables ou juridiques) et à prendre copie de tous documents et fichiers (notamment informatiques tels que fichiers word, pdf, excel, powerpoint, sms, jpeg...) de toute nature, quelle que soit leur forme et support et à recueillir :
- pour la société OURAGAN tout élément en rapport avec les faits décrits ci-avant démontrant la réalité du budget effectivement engagé dans la production du Film, et en particulier :
. le dossier de demande d'agrément des investissements relatif au Film et l'agrément des investissements relatif au Film délivré par le CNC ;
. le dossier d'agrément de production relatif au Film ;
. l'agrément final délivré à la société OURAGAN par le CNC s'agissant du Film.
- pour la société SAINT THOMAS tout élément en rapport avec les faits décrits ci-avant démontrant la réalité du budget effectivement engagé dans la production de la Série, et en particulier :
. les contrats de financement relatifs à la Série ;
. les contrats de cession de droits relatifs à la Série ;
. le budget définitif et le plan de financement de la Série ;
. les éléments relatifs à l'Agrément audiovisuel de la Série délivrés par le CNC ;
* à cette fin, autorisé l'Huissier de Justice à consigner, le cas échéant, toutes déclarations en relation avec la mission faites au cours des opérations en s'abstenant de toute interpellation sans rapport avec sa mission autres que celles nécessaires à l'accomplissement de celle-ci et à dresser un procès-verbal de ses opérations ;
* à cette fin, autorisé l'Huissier de Justice ainsi désigné à accéder à tous terminaux informatiques (ordinateurs, tablettes informatiques, ipad', téléphones mobiles, iphone, blackberry, HTC') se trouvant aux sièges sociaux des sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS, ou à toute autre adresse qui pourrait être découverte à cette occasion, et à se faire communiquer les codes d'accès à ces terminaux, ou au besoin, à faire rechercher lesdits codes par l'expert informatique de son choix, puis à consulter les disques durs, serveurs, boites de messagerie de ces terminaux, clés USB ou autres supports de stockages de données informatiques, répertoires téléphoniques et de messagerie de la société OURAGAN, à l'effet d'identifier tous éléments professionnels (correspondance, courriels, documents commerciaux,'), sur tous supports, tous fichiers et/ou tous dossiers, en utilisant les mots clés suivants, sans que cette liste soit limitative :
o Hurricane ;
o Ouragan ;
o Koch ;
o Budget ;
o Agrément des Investissements ;
o Agrément de Production ;
o Agrément Audiovisuel ;
o CNC ;
* autorisé l'Huissier de Justice, si les recherches s'avèrent fructueuses, à procéder à une copie sur un support numérique amovible (Type USB ou disque dur) de l'ensemble des fichiers, dossiers, documents, messages et emails identifiés dans le cadre des recherches effectuées et, s'agissant des emails, à charge pour l'Huissier de Justice mandaté de s'assurer préalablement qu'il ne s'agit pas de correspondances privées ;
* autorisé l'Huissier de Justice à prendre copie en deux exemplaires, l'un destiné à la partie requérante afin d'utilisation dans le cadre d'une éventuelle expertise judiciaire ou procédure au fond, et l'autre qui restera annexée au procès-verbal, des fichiers et courriers électroniques identifiés en rapport avec la mission, sous forme numérique et sur tout support (clefs « USB », CD, DVD et autres disques durs externes), ou sur support papier ;
* autorisé l'Huissier de Justice à utiliser, pour les besoins de cette mesure, le matériel de reprographie se trouvant sur les lieux des opérations ;
* dit qu'en cas d'absence de photocopieur sur place ou d'impossibilité d'utiliser l'appareil existant sur place, l'Huissier de Justice pourra emporter momentanément les pièces à copier afin de les reproduire en son étude, à charge pour lui de les restituer aussitôt après copie faite ;
* autorisé l'Huissier de Justice ainsi désigné à se faire assister d'un serrurier, de tout technicien utile à l'accomplissement de sa mission et de tout expert informatique de son choix ;
* autorisé l'Huissier de Justice ainsi désigné à poser toute question concernant les documents et leur contenu ;
* autorisé l'Huissier de Justice à se faire substituer par tout autre confrère territorialement compétent, en cas d'empêchement ou de nécessité ;
* interdit aux dirigeants des sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS et à toutes personnes présentes sur les lieux de faire obstruction par quelque moyen que ce soit aux opérations de constat ;
* enjoint aux dirigeants des sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS et à toutes personnes présentes sur les lieux de permettre l'accès aux ordinateurs, serveurs, terminaux mobiles, connexions diverses et à communiquer les codes d'accès et mots de passe permettant l'ouverture des systèmes et des applications informatiques.
Ces 2 ordonnances ont été exécutées le 7 mars 2018 par l'Huissier de Justice.
Le 25 avril 2018 les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS ont fait assigner la société KOCH en rétractation desdites ordonnances.
La société KOCH a reproché le 6 juin à la société OURAGAN de ne pas lui avoir livré le film sans défaut, et dans le respect du cadre budgétaire minimum convenu de 7,5 millions d'euros.
Le Président du Tribunal de Commerce de SALON DE PROVENCE par ordonnance de référé du 13 juin 2018 a :
* donné acte à Maître [V] [O] et Maître [I] [X], de la S.C.P. [X]-[U]-[O], Huissiers de Justice, de leurs interventions volontaires à l'instance ;
* dit que le Président du Tribunal de Commerce était compétent pour ordonner les mesures d'instruction sollicitées par la société KOCH ;
* constaté que la société KOCH justifiait de motifs légitimes validant la dérogation au
principe du contradictoire et permettant l'obtention des mesures d'investigation sollicitées :
* constaté que ces mesures étaient proportionnées à l'objectif poursuivi ;
* dit n'y avoir lieu à rétractation des ordonnances rendues les 22 et 28 février 2018 ;
* débouté les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS de leurs demandes de rétractation de ces ordonnances ;
* débouté les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS de leurs demandes reconventionnelles;
* débouté les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS de toutes leurs autres demandes ;
* condamné solidairement les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS à payer chacune à la société KOCH la somme de 6 000 € 00 en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
* dit que la présente ordonnance sera notifiée aux parties par lettre recommandée avec accusé réception ;
* condamné solidairement les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS aux entiers dépens de la présente instance, ainsi que les frais exposés dans le cadre des saisies opérées au siège social des sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS, conformément à l'article 695 du Code de Procédure Civile.
La S.A.R.L. OURAGAN FILMS et la S.A.S. SAINT THOMAS PRODUCTIONS ont régulièrement interjeté le même appel, d'abord le 15 juin 2018 contre la société KOCH (dossier n° 18/09976), puis le 21 suivant contre la même et la S.C.P. [X]-[U]-[O] (dossier n° 18/10388), et par conclusions du 24 juillet 2018 soutiennent notamment que :
- la société KOCH n'a fourni que 14 exemples d'images (pour quelques dizaines de secondes) semblant identiques entre le Film et la Série ; des images de la seconde ont été insérées dans le premier, soit des images d'archives dont l'utilisation est une pratique standard ;
- la société KOCH n'avait demandé que l'audition des Huissiers instrumentaires en qualité de témoins, ce qui n'est pas une intervention volontaire laquelle n'a pas été demandée ; la S.C.P. [X]-[U]-[O] n'a formé aucune demande ni soulevé le moindre argument en faveur d'une partie ;
- le Juge doit apprécier les mérites de la requête au jour où il statue, sans retenir des éléments recueillis au jour de l'exécution de l'ordonnance subséquente ; or l'ordonnance de référé s'est fondée sur les investigations menées par l'Huissier de Justice ;
- la société KOCH a manqué au principe de loyauté en dissimulant divers éléments (échanges entre avril et septembre 2015, version du Film remise depuis avril 2015, décision de la Cour de MUNICH) ;
- le Juge français est incompétent pour ordonner les mesures d'investigations contestées ; la clause attributive de compétence du contrat concerne également les mesures provisoires ou conservatoires ; la société KOCH souhaitait non pas conserver une situation de fait ou de droit, mais constituer des preuves et obtenir les éléments lui permettant le cas échéant de confirmer les violations contractuelles suspectées et d'apprécier ainsi le bien fondé et les chances de succès d'une éventuelle action contre les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS ; cette clause a été imposée par la société KOCH ; le Président du Tribunal de Commerce de SALON DE PROVENCE ne pouvait retenir sa compétence ; ce Magistrat est également incompétent pour affirmer que le budget du Film réalisé était inférieur à celui du contrat, ce point relevant exclusivement du Juge allemand ;
- il y a absence de motifs justifiant la dérogation au principe du contradictoire : aucune disposition contractuelle ne prévoit contre elles l'obligation de communiquer les documents réclamés avec une parfaite mauvaise foi par la société KOCH ; aucun risque de leur disparition n'est caractérisé ; leur adversaire ne sollicitait pas la seule saisie de documents informatiques, mais beaucoup de documents papier qu'elles-mêmes ne peuvent se permettre de faire disparaître car concernant des tiers ;
- il y a absence de motif légitime de la société KOCH pour obtenir les mesures d'investigations contestées : il n'est pas prévu que le Film soit intégralement et exclusivement composé d'images inédites tournées par la société OURAGAN ; le contrat pour la Série ne fixait aucun budget prévisionnel ; la société KOCH, en possession des Film et Série et des contrats, peut comparer les images de ceux-là pour attester de la violation par elles-mêmes de leurs obligations contractuelles ;
- les mesures ordonnées ont un caractère disproportionné : elles ont accordé des pouvoirs illimités à l'Huissier de Justice, autorisé à saisir librement tous les documents (soit plusieurs milliers) qu'il estime pertinent, sans aucune restriction et sans contrôle préalable du Juge ou de la partie saisie, et à utiliser pareillement n'importe quel mot-clé ; ces documents n'ont pas été mis sous séquestre, mais remis immédiatement à la société KOCH ; l'Huissier de Justice pouvait interroger tous les membres des sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS, et opérer à leurs sièges mais aussi à toute autre adresse ; le délai d'1 mois accordé à l'Huissier de Justice n'est pas une durée raisonnable ; ces mesures s'apparentent à une véritable perquisition privée ;
- les procédures sur requête engagées par la société KOCH sont abusives.
Les appelantes demandent à la Cour, vu les articles 145 du Code de Procédure Civile et 10 du Code Civil ; les règlements Bruxelles 1bis n° 1215-2012 du 12 décembre 2012 et n° 1206/2001 du 28 mai 2001, de :
- prononcer la jonction des 2 instances ;
- infirmer l'ordonnance de référé ;
- et statuant à nouveau ;
- déclarer inopérant tout moyen ou argument soulevé par la société KOCH ou par la S.C.P. [X]-[U]-[O] et qui serait tiré des résultats des opérations menées le 7 mars 2018 suites aux ordonnances rendues les 22 et 28 février 2018 ;
- écarter des débats toute pièce qui serait produite à la présente procédure par la société KOCH ou par la S.C.P. [X]-[U]-[O] et qui se rapporterait aux éléments saisis lors des opérations menées le 7 mars 2018 suites aux ordonnances ci-dessus ;
- dire et juger que la société KOCH a manqué à son obligation de concourir à la manifestation de la vérité ;
- dire et juger que le Président du Tribunal de Commerce n'était pas compétent pour ordonner les mesures d'investigations sollicitées par la société KOCH ;
- dire et juger que la société KOCH ne justifie d'aucun motif justifiant la dérogation au principe du contradictoire ;
- dire et juger que la société KOCH ne démontre pas l'existence d'un motif légitime pour obtenir les mesures d'investigations sollicitées ;
- dire et juger que les mesures d'investigations sollicitées n'étaient ni proportionnées à l'objectif poursuivi ni suffisamment circonscrites et limitées dans le temps et n'étaient donc pas légalement admissibles ;
- en conséquence ;
- prononcer la rétractation des ordonnances rendues les 22 et 28 février 2018 à la requête de la société KOCH ;
- prononcer la nullité des procès-verbaux établis par la S.C.P. GROS D'HAILLECOURT- [U]-[O] et ses auxiliaires et de l'ensemble des opérations réalisées par les mêmes sur le fondement des ordonnances rendues les 22 et 28 février 2018, notamment les opérations du 7 mars 2018 ;
- ordonner à la société KOCH d'indiquer la date de communication par la S.C.P. [X]-[U]-[O] de ces procès-verbaux ainsi que de l'ensemble des éléments saisis et/ou copiés lors des opérations du 7 mars 2018, dans un délai de 7 jours à compter de la signification de la décision à venir, sous une astreinte de 500 € 00 par jour de retard ;
- ordonner la destruction des procès-verbaux établis et de l'ensemble des éléments saisis et/ou copiés par la S.C.P. [X]-[U]-[O] lors des opérations du 7 mars 2018, qu'il s'agisse de la copie détenue par les huissiers ou de la copie remise à la société KOCH, aux frais exclusifs de cette dernière ;
- ordonner la destruction de l'ensemble des rapports, audit, expertise ou tout autre analyse établie sur la base des éléments saisis et/ou copiés par la S.C.P. [X]- [U]-[O] lors des opérations du 7 mars 2018, aux frais exclusifs de la société KOCH ;
- ordonner à la société KOCH de justifier de la destruction effective des procès-verbaux établis et de l'ensemble des éléments saisis et/ou copiés par la S.C.P. [X]- [U]-[O] lors des opérations du 7 mars 2018, dans un délai de 7 jours à compter de la signification de la décision à venir, sous une astreinte de 2 000 € 00 par jour de retard ;
- réserver sa compétence pour liquider l'astreinte ordonnée ;
- condamner la société KOCH à verser aux sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS les sommes de :
. 12 500 € 00 chacune à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
. 15 000 € 00 chacune au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Concluant le 17 octobre 2018 la société KOCH FILMS GMBH répond notamment que:
- la durée de 85 minutes pour un film est le minimum exigé par les diffuseurs allemands ; la durée inférieure l'a conduite à résilier le contrat le 20 mai 2015 ;
- la procédure en Allemagne l'a été sur un fondement juridique différent, et était terminée et complètement purgée au jour du dépôt des 2 requêtes relatives à la preuve du non respect du budget contractuel ;
- elle a constaté que le Film était de très faible qualité et se rapprochait beaucoup plus de la Série ; un nombre non négligeable d'images du premier ont été incluses dans la seconde, en contradiction avec les engagements contractuels ; elle s'est logiquement interrogée sur le respect du budget fixé par le contrat du Film à une somme non inférieure à 7,5 millions d'euros, et sur une affectation partielle à la Série ;
- elle a réclamé à la société OURAGAN les documents (agréments des investissements, de production et finaux) permettant d'attester du budget réel du Film, mais sans succès ; elle a fait de même auprès de la société SAINT THOMAS pour la série (contrats de financement, de cession de droits, budget et plan de financement, agrément audiovisuel), là aussi sans réussir ;
- la société KOCH n'a pas manqué au principe de loyauté : elle n'était pas tenue de mentionner l'existence de la procédure allemande, sans aucun rapport avec les manquements imputés aux sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS ;
- le Juge de la rétractation apprécie le motif légitime à la lumière des preuves produites devant lui postérieurement au dépôt de la requête ;
- les mesures provisoires ou conservatoires peuvent être demandées à la juridiction d'un Etat autre que celle convenue dans les clauses attributives de compétence des contrats Film et Série, car elles visent non à apprécier l'opportunité d'une action, mais à sauvegarder des preuves ;
- il existait des motifs justifiant la dérogation au principe du contradictoire : refus de ses demandes des 5 janvier et 7 février 2018, malgré sommations interpellatives ultérieures du 7 février ; le montant minimum du budget du Film constitue une condition essentielle du contrat, et devait être vérifié ;
- il y a des motifs légitimes justifiant l'obtention des mesures contestées : budget insuffisant du Film, reprise d'images du Film dans la Série, mutualisation des 2 budgets ;
- il y a absence de caractère disproportionné des mesures ordonnées : l'ordonnance limite celles-ci dans leur objet (en rapport avec les faits démontrant la réalité du budget effectif) et dans le temps (1 mois) ; l'ordinateur de la fille de Madame [R] est au siège de la société OURAGAN, et contient 20 documents relatifs aux faits reprochés ;
- sa procédure n'est pas abusive.
L'intimée demande à la Cour, vu les articles 1458 du Code de Procédure Civile et 1240 du Code Civil, de :
- confirmer l'ordonnance de référé ;
- en conséquence, débouter les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS de l'ensemble de leurs demandes ;
- et statuant à nouveau, condamner solidairement les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS à payer chacune à la société KOCH la somme de 15 000 € 00 en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La S.C.P. [X]-[U]-[O] par conclusions du
23 octobre 2018 répond notamment que :
- son intervention volontaire en première instance était légitime puisque les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS contestent les mesures d'exécution menées par elle ;
- cependant aucunes demandes ne sont formées contre elle ;
- l'accès par l'Huissier de Justice à l'ordinateur de la fille de Monsieur [M] au siège de la société OURAGAN est conforme à l'ordonnance sur requête, cet appareil ayant appartenu à un employé de la société ; 20 documents dont le budget du film ont été retrouvés sur cet ordinateur;
- elle a pris soin de ne pas excéder sa mission (assistance d'un serrurier pour ouvrir les portes à
9 h 00) ; les éléments saisis sont en rapport avec les faits du budget, peu important qu'elle ait trouvé des milliers d'éléments ; elle n'a pas consulté les documents sans relation avec les faits décrits.
L'intimée demande à la Cour de :
- constater qu'aucune demande n'est formulée à son encontre ;
- confirmer dans son intégralité l'ordonnance de référé ;
- débouter en conséquence les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS de toutes leurs demandes.
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M O T I F S D E L ' A R R E T :
Les 2 dossiers concernant le même appel, il convient de les joindre.
Sur l'Huissier de Justice commis :
Les critiques formées par les sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS contre les conditions de déroulement des constats du 7 mars 2018, établis en exécution des ordonnances sur requêtes rendues les 22 et 28 février précédents, légitiment l'intervention volontaire [et non uniquement l'audition dont la prétendu demande par la société KOCH n'est pas démontrée] des Huissiers de Justice concernés, laquelle a été jugée à bon droit fondée par l'ordonnance de référé.
Sur la compétence de la juridiction :
Selon l'article 35 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant notamment la compétence judiciaire des décisions en matière civile et commerciale 'Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un Etat membre peuvent être demandées aux juridictions de cet Etat, même si les juridictions d'un autre Etat membre sont compétentes pour connaître du fond' ; ce texte déroge à la clause attributive de compétence, et par suite est d'interprétation stricte.
La recherche par la société KOCH, au moyen d'ordonnances sur requêtes, d'éléments en possession des sociétés OURAGAN et SAINT THOMAS a pour seul but de préparer un éventuel procès au fond, ce qui démontre son caractère uniquement probatoire, mais ni provisoire ni conservatoire vu l'absence de volonté de cette requérante de maintenir une situation de fait ou de droit ; ce litige est donc de la compétence de la juridiction de MUNICH stipulée dans les contrats des 30 juillet 2012 et 30 janvier [en réalité le 26 mai] 2014.
C'est par suite à tort que le Président du Tribunal de Commerce français a retenu sa compétence, d'où l'infirmation de l'ordonnance de référé rendue, sauf en ce qui concerne l'Huissier de Justice.
Cette infirmation entraîne nécessairement, mais sans qu'il soit nécessaire pour la Cour de le préciser explicitement, la rétractation des ordonnances sur requêtes des 22 et 28 février 2018 et la disparition juridique des 2 procès-verbaux de constats du 7 mars 2018 ainsi que de leurs effets.
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D E C I S I O N
La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.
Joint le dossier n° 18/10388 au dossier n° 18/09976 avec ce dernier numéro pour référence commune.
Confirme l'ordonnance de référé du 13 juin 2018 uniquement pour avoir donné acte à Maître [V] [O] et Maître [I] [X], de la S.C.P. [X]-[U]-[O] Huissiers de Justice, de leurs interventions volontaires à l'instance.
Infirme tout le reste de cette ordonnance de référé, et juge la juridiction française incompétente pour rendre les ordonnances sur requêtes des 22 et 28 février 2018.
Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile condamne la société KOCH FILMS GMBH à payer à la société OURAGAN et à la S.A.S. SAINT THOMAS PRODUCTIONS une indemnité de 10 000 € 00 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamne la société KOCH FILMS GMBH aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Rejette toutes autres demandes.
Le GREFFIER. Le PRÉSIDENT.