COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT AU FOND
DU 25 AVRIL 2019
N° 2019/
NT/FP-D
Rôle N° RG 17/03455 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BACE3
SARL GD IMPORT
C/
[D] [I]
Copie exécutoire délivrée
le :
25 AVRIL 2019
à :
Me Richard MUSCAT, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Me Marie-france GERAUD-
TONELLOT, avocat au barreau de GRASSE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 23 Janvier 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 15/00384.
APPELANTE
SARL GD IMPORT, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Richard MUSCAT, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIME
Monsieur [D] [I] demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Marie-france GERAUD-TONELLOT, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Février 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Avril 2019.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Avril 2019
Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCEDURE
M. [D] [I], recruté à compter du 1er juillet 2011 par la société GD import en qualité de magasinier cariste, puis ultérieurement promu magasinier principal, a été licencié pour faute grave par lettre du 29 octobre 2014 ainsi rédigée :
« (...)Suite à l'entretien que nous avons eu le 20 octobre 2014, nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour les motifs qui vous ont été exposés au cours dudit entretien.
Ces motifs sont les suivants :
Vous avez été embauché en qualité de magasinier cariste à compter du 1 juillet 2011 et vous
occupez en dernier lieu les fonctions de magasinier principal niveau V échelon 2 de la CCN de
commerce de gros.
Votre contrat de travail prévoit expressément que vous devez effectuer votre activité conformément aux directives écrites ou verbales de votre hiérarchie et que vous devez veiller à la satisfaction de notre clientèle et à la préservation de la bonne image de la société auprès de nos différents interlocuteurs.
Nous avions déjà été amenés à vous notifier un avertissement le 12 février 2013 pour votre comportement aux termes duquel nous vous avions demandé de ne pas faire preuve d'agressivité dans votre communication vis-à-vis de vos collègues et ce en toutes circonstances. Nous vous avons également rappelé à l'ordre pour le même motif à plusieurs reprises notamment lorsque vous avez eu une altercation avec au moins 3 de nos collaborateurs ou lorsque votre comportement a provoqué les pleurs de plusieurs de nos collaboratrices.
Or, vous n'avez manifestement pas tenu compte de ces avertissements dans la mesure où en date
du 1er octobre 2014, vous avez eu un entretien avec M. [A] [N] gérant de la société au cours duquel votre comportement s'est avéré absolument intolérable.
Vous n'avez pas hésité à hurler au cours de cet entretien, à le menacer, à claquer la porte puis à vous précipiter dans l'entrepôt pour reprendre votre activité dans un état d'énervement manifestement incompatible avec la conduite d'un chariot élévateur.
Le 2 octobre 2014, vous avez rencontré une nouvelle fois M. [A] [N] et vous avez à cette occasion réitérée le même comportement en n'hésitant pas à insulter les autres collaborateurs de l'entreprise en les traitant notamment de « merdeux » ou encore de menteur. Vous avez également clairement affirmé que vous n'admettiez aucune autorité de la part de la direction de la société et qu'il vous appartenait d'organiser votre activité comme vous l'entendiez.
La réitération d'un comportement verbalement très agressif et totalement inadéquat avec ce que
nous sommes en droit d'attendre de nos collaborateurs nous a naturellement conduits à vous mettre à pied à titre provisoire dans l'attente d'envisager le type de procédure que nous entendions poursuivre.
Suite à cette altercation, nous avons constaté que votre comportement agressif s'exprimait également à l'encontre des collaborateurs qui ont été amenés à travailler avec vous. C'est ainsi que
- Deux collaborateurs ont quitté l'entreprise au cours des deux derniers mois en indiquant clairement que vous en portiez la responsabilité en raison de votre attitude à leur égard
-Suite à votre absence de la société dans le cadre de votre mise à pied, des collaborateurs de
l'entrepôt ont fait part du climat de terreur que vous y faisiez régner et que nous avons découvert à cette occasion.
Votre comportement tel que rappelé ci-dessus rend impossible votre maintien dans l'entreprise
pendant une période de préavis et nous conduit dont à vous notifier votre licenciement pour faute grave. Celui-ci prend donc effet immédiatement (...).
Le conseil de prudhommes de Grasse, saisi par M. [D] [I] le 10 avril 2015, a, par jugement du 23 janvier 2017, dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société GD import à lui payer :
2 208,43 € au titre du salaire de la mise à pied conservatoire,
220, 83 € au titre de l'indemnité de congés payés afférente,
3 875, 84 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,
378, 58 € au titre de l'indemnité de congés payés afférente,
1 218 € au titre de l'indemnité de licenciement,
12 948, 78 € au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
800 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration datée du 21 février 2017, la société GD import a relevé appel total de cette décision.
Concluant, dans ses dernière écritures notifiées le 15 mars 2018, au bien fondé du licenciement, l'appelante sollicite l'infirmation de la décision prud'homale, le rejet de toutes les demandes de M. [D] [I] et sa condamnation au paiement de 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [D] [I] soutenant, dans ses dernière conclusions notifiées avant l'ordonnance de clôture le 19 juin 2018, que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, demande la confirmation de la décision prud'homale sauf à lui allouer 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et à fixer l'intérêt légal à compter du 10 avril 2015, date de saisine du conseil de prudhommes.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 janvier 2019.
La cour renvoie pour plus ample exposé aux écritures reprises et soutenues par les conseils des parties à l'audience d'appel tenue le 4 février 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur le licenciement
Attendu que la lettre de licenciement sus-reproduite qui fixe les limites du litige, reproche à M. [D] [I] un comportement agressif, irrespectueux et insultant les 1er et 2 octobre 2014 à l'égard du gérant de l'entreprise M. [A] [N] ; que l'intimé ne conteste pas explicitement dans ses écritures l'attitude qui lui est reprochée mais soutient, dans le dessein de l'excuser ou la relativiser, qu'il exerçait son droit de signalement d'un danger et qu'il se serait vu rétorquer par l'employeur « c'est moi le patron et c'est moi qui décide » (paragraphe B-a) ; qu'il sera néanmoins observé que, d'une part, l'exercice du droit d'alerte ne saurait, en toute hypothèse, valoir dispense de l'obligation de respect et de politesse s'imposant dans les relations professionnelles, rappelée en l'espèce par l'article 9 du règlement intérieur signé par M. [D] [I] (pièce 31) et qu'il résulte, d'autre part, des attestations crédibles et circonstanciées de l'assistante de direction [G] [D] appelée dans le bureau du gérant de l'entreprise (pièces 18 et 32) que l'agressivité et l'excitation du salarié ont été suscitées non par des préoccupations tenant à la sécurité mais au refus de lui accorder un changement d'aide-magasinier qu'il demandait avec insistance ; que l'agressivité de M. [D] [I] le 1er octobre 2014 et son refus de l'autorité de l'employeur sont également confirmées par les salariés [L] [V] précisant l'avoir entendu « crier à travers les murs » et être descendu dans l'atelier « au cas où » (pièce 19) et [M] [E] indiquant avoir entendu des menaces proférées par l'intimé le 1er octobre et le lendemain à l'encontre de M. [A] [N] (pièce 22) ; qu'en l'état de l'ensemble de ces constatations, ce premier grief sera retenu ;
Attendu qu'il est également reproché à M. [D] [I] un comportement agressif à l'égard des autres collaborateurs de l'entreprise et d'avoir instauré un climat de terreur, attitude ayant conduit deux salariés à partir ; que l'employeur à qui il incombe de prouver la faute grave verse aux débats un grand nombre d'attestations crédibles et concordantes de salariés ou ex-salariés de l'entreprise (Mmes et MM. [B], [D], [V], [T], [W], [S] [U], [P], [K], [F], [G], [H], [J], [R] et [X]) soulignant l'agressivité de M. [D] [I], notamment vis-à-vis des femmes qu'il pouvait faire pleurer, les altercations, conflits et tensions récurrents suscités par son attitude menaçante et insupportable ou exprimant leur soulagement depuis son départ et l'amélioration des relations dans l'entreprise depuis lors ainsi qu'un courriel adressé au gérant le 25 août 2014 par le salarié démissionnaire [Z] faisant part de son usure psychologique de travailler « en binôme avec [D] » et précisant que «(...) en deux ans(...) n'avoir jamais vu autant de monde se plaindre d'une personne et ça quotidiennement(...) » (pièce 23) ; que M. [D] [I] qui a admis selon le compte rendu de l'entretien préalable au licenciement rédigé par la salariée l'assistant (pièce 7) « quelques différents caractériels avec ses collaborateurs sans que cela n'ai aucun incidence sur le travail », se prévaut d'attestations de chauffeurs non salariés de la société GD import (MM. [Y], [O], [L], [M], [A] et [C]), de voisins ou tiers (MM. [Q], [VV] et [WW]) évoquant leurs bonnes relations professionnelles qui ne sauraient apporter un éclairage convaincant sur la réalité des relations dans l'entreprise du fait de leur présence épisodique dans ses locaux ; que les attestations émanant d'ex-salariés de la société GD import dont M. [D] [I] fait également état ne seront pas, non plus, retenues faute de crédibilité suffisante : celles de Mme [U] [SS] comportent des écritures manuscrites différentes ce qui autorise à s'interroger sur l'identité de leur rédacteur (pièces 20 et 37) tandis que MM. [DD] et [KK] (pièces 14, 17, 21, 36) s'avèrent, pour leur part, avoir travaillé avec l'intimé durant un temps par trop limité (un stage pour M. [DD], la période du 1er novembre au 15 décembre 2011 pour M. [KK]) pour que leur appréciation favorable de ses qualités puisse remettre en cause les éléments de preuve de l'employeur ;
Attendu qu'en l'état de l'ensemble de ces constatations, les motifs du licenciement se trouvent avérés et de nature à faire obstacle, en raison de leur gravité compromettant les relations dans l'entreprise, à la poursuite du contrat de travail y compris durant la période de préavis ; que la décision déférée ayant dit le licenciement non justifié sera infirmée et toutes les demandes de M. [D] [I] seront rejetées ;
2) Sur les autres demandes
Attendu que le caractère abusif de l'instance engagée par M. [D] [I] n'étant pas suffisamment démontrée nonobstant l'infirmation de la décision prud'homale, la demande en dommages et intérêts de la société GD import à ce titre sera rejetée ;
Attendu que l'équité n'exige pas de faire application en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que les entiers dépens seront laissés à la charge de M. [D] [I] qui succombe à l'instance ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile :
Infirme le jugement du conseil de prudhommes de Grasse du 23 janvier 2017 ;
Dit le licenciement pour faute grave de M. [D] [I] justifié ;
Rejette toutes les demandes ;
Condamne M. [D] [I] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRESIDENT