COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 2-2 anciennement dénommée 6ème chambre B
ARRÊT AU FOND
DU 04 JUIN 2019
N°2019/304
Rôle N° RG 17/11953 N° Portalis DBVB-V-B7B-
BAYLD
[T] [B]
C/
[D] [E] [M] épouse [B]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Céline DEPRE
Me Jean-Pascal BENOIT
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge aux affaires familiales d'Aix-en-Provence en date du 28 avril 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 17/01273.
APPELANT
Monsieur [T] [B]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]
de nationalité française,
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Céline DEPRE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
Madame [D] [E] [M] épouse [B]
née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 2]
de nationalité française,
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-Pascal BENOIT, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mars 2019, en chambre du conseil, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, président, et Mme Michèle CUTAJAR, conseiller, chargés du rapport.
Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, président, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, président
Mme Michèle CUTAJAR, conseiller
Mme Evelyne GUYON, conseiller
Greffier lors des débats : Madame Jessica FREITAS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 mai 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 mai 2019, à cette date le délibéré a été prorogé au 04 juin 2019,
Signé par Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, président et Madame Jessica FREITAS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame [D] [M] et Monsieur [T] [B] se sont mariés le [Date mariage 1] 1989 par devant l'officier d'état civil de la commune de [Localité 1], sans contrat de mariage préalable.
Trois enfants sont issus de cette union :
- [S], née le [Date naissance 3] 1990 à [Localité 1], aujourd'hui majeure,
- [Z], né le [Date naissance 4] 1992 à [Localité 1], aujourd'hui majeur,
- [O], né [Date naissance 5] 1999 à [Localité 1], aujourd'hui majeur.
Mme [M] a présenté une requête en divorce le 16 septembre 2014.
M. [B] a présenté une requête en divorce le 29 septembre 2014.
Les deux procédures ont été jointes par une ordonnance du 17 février 2015.
Par ordonnance de non-conciliation rendue le 24 février 2015, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de AIX-EN-PROVENCE a notamment :
- autorisé l'épouse à introduire l'instance,
- attribué la jouissance du domicile conjugal à M. [B], à titre gratuit (bien commun),
- débouté M. [B] de sa demande de pension alimentaire au titre du devoir de secours,
- dit que l'autorité parentale sur l'enfant mineur sera exercée par les deux parents conjointement,
- avant dire droit, ordonné une enquête sociale et une expertise psychologique,
- ordonné un sursis à statuer sur les prétentions respectives des parties,
- à titre provisoire, fixé la résidence de l'enfant au domicile de M. [B],
- dit que Mme [M] exercera librement son droit de visite et d'hébergement,
- fixé la contribution de Mme [M] à l'entretien et l'éducation de l'enfant à la somme de 200€ par mois, avec indexation.
L'enquête sociale a été rendue le 29 mai 2015. Elle souligne notamment la déscolarisation de [O], la tentative de Mme [M] de lui faire suivre des cours par correspondance, l'échec de M. [B] [B] à lui faire reprendre une scolarité normale. L'enquêteur estime que Mme [M] est une femme en souffrance et en plein désarroi. Il suggère une formule de reprise de contact progressif en centre de rencontre entre [O] et sa mère pendant une période de six mois, notamment parce qu'elle paraît plus à même de réinsérer son fils dans un suivi scolaire, et parce que ceci serait de nature à donner à la mère une motivation supplémentaire pour reprendre une activité professionnelle et une vie normale.
Par ordonnance rendue le 30 juin 2015, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de AIX-EN-PROVENCE a notamment :
- fixé la résidence de l'enfant [O] au domicile de M. [B],
- dit que Mme [M] pourra exercer son droit de visite une fois par mois, le samedi ou le mercredi, par l'intermédiaire d'une association, sauf meilleur accord pourvant être passé avec cette dernière dans l'intérêt de l'enfant et dans le respect des règles de fonctionnement de celle-ci, à charge pour M. [B] d'amener et reprendre l'enfant concerné dans ce lieu.
Mme [M] a introduit une demande en divorce le 24 juin 2015.
Par jugement rendu le 28 avril 2017, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a notamment :
- constaté que l'ordonnance de non conciliation a statué sur les modalités de vie séparée des époux le 24 février 2015,
- prononcé le divorce des époux sur le fondement des dispositions de l'article 237 du code civil pour altération définitive du lien conjugal,
- dit que chacun des époux ne conservera pas l'usage du nom de son conjoint à l'issue du prononcé du divorce,
- ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux existants entre les parties,
- débouté M. [B] de sa demande de prestation compensatoire,
- rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme [M],
- dit n'y avoir lieu à statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale à l'égard de [O] aujourd'hui majeur,
- fixé la contribution de Mme [M] à l'entretien et l'éducation de l'enfant à la somme de 200 € par mois, avec indexation.
M. [B] a interjeté appel de cette décision le 22 juin 2017.
Mme [M] a interjeté appel incident.
Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 12 mars 2019, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [B] demande à la cour de :
- débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, et notamment de sa demande de voir prononcer le divorce aux torts exclusifs de son époux,
- confirmer jugement de divorce sur le prononcé du divorce pour altération définitive du lien conjugal et s'agissant de la contribution mise à la charge de la mère d'un montant de 200 € par mois, indexé, pour l'enfant [O] désormais majeur,
- le réformer la prestation compensatoire,
- dire et juger 'il existe une importante disparité dans les conditions de vie respectives des époux,
- condamner Mme [M] au versement d'une prestation compensatoire de 90.000 € en capital au profit de son époux,
- condamner Mme [M] à la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Maître Céline DÉPRÉ, avocat postulant aux offres de droit.
M. [B] fait en effet notamment valoir que :
- ses enfants et lui ont subi un abandon total de Mme [M] à la fin de l'été 2014 alors que [O] était encore à charge ; que le harcèlement qu'elle prétend avoir subi pour justifier sa démission juste avant l'audience de conciliation est une invention ; que c'est de son plein gré que [O] avait refusé de se rendre au domicile de sa mère lorsqu'elle a déménagé à [Localité 3], préférant rester proche de ses amis et sa famille ; que Mme [M] avait déscolarisé [O] en vue de la mise en place une résidence alternée qu'il a refusé ; que son déménagement est lié à une rencontre amoureuse ; qu'elle a organisé son insolvabilité et fait constater sa prétendue dépression par ses connaissances dans le milieu médical, car elle est infirmière de profession ; que Mme [M] a délibérément choisi de s'éloigner de sa famille ; qu'il a plongé dans une profonde dépression qui l'a conduit à perdre son emploi, son CDD n'ayant pas été reconduit ; qu'il s'est retrouvé avec un enfant à charge dans une situation financière précaire ; que Mme [M] a refait sa vie et ne paye pas la contribution alimentaire qui a été mise à sa charge,
- Mme [M] n'a pas conclu sur la prestation compensatoire en première instance et la motivation du premier juge pour le débouter de sa demande est sommaire et arbitraire ; que ce dernier s'est contenté de considérer que les époux ont des revenus à peu près équivalents alors qu'il existe une disparité évidente des revenus et des conditions de vie ; que Mme [M] a justifié très partiellement de ses ressources après avoir organisé son insolvabilité ; que la vie commune a duré plus de 27 ans ; que Mme [M] est âgé de 53 ans et a travaillé pendant longtemps comme infirmière dans le secteur public, lui offrant une situation stable et confortable; qu'elle a pu prendre sa retraite après 15 ans d'exercice et 3 enfants ; qu'elle a continué ensuite d'exercer sous le statut d'infirmière libérale, lui procurant un revenu complémentaire important; qu'elle a librement choisi de cesser de travailler en cours de procédure dans le but d'organiser son insolvabilité ; qu'elle est hébergée par son compagnon ; qu'elle ne justifie pas de sa situation professionnelle et financière actuelle et ne produit que des pièces anciennes ; que la pièce la plus récente est une attestation Pôle Emploi du 2 octobre 2018 indiquant qu'elle a perçu 1.983,07€ ; qu'elle a hérité avec sa s'ur de trois biens immobiliers suite au décès de sa mère, pour une valeur totale estimée à plus d'1 million d'euros ;
- M. [B] est âgé de 50 ans et s'est consacré pendant le mariage à l'éducation des trois enfants du couple et à l'entretien du foyer, ce qui a permis à Mme [M] de faire carrière ; qu'il est carrossier de formation et que l'écart entre leurs salaires a toujours été important ; qu'il travaillait en CDD pour un salaire net d'environ 1.200€ mensuel mais qu'il a perdu son emploi depuis le 10 octobre 2018 ; qu'il est bénéficiaire de l'allocation d'aide au retour à l'emploi depuis le 19 novembre 2018 et perçoit à ce titre une somme maximum de 1.032,60€ mensuel ; qu'il entretient seul l'immeuble commun et a la charge totale de [O] depuis l'abandon de Mme [M] en septembre 2014 ; que celle-ci a payé partiellement la pension alimentaire mise à sa charge pour l'entretien et l'éducation de l'enfant uniquement suite à une plainte déposée par lui; qu'elle a cessé tout règlement depuis octobre 2018 ; que [O] a terminé son bac professionnel en août 2017 et ne travaille plus depuis cette date ; que toutes les tentatives de liquidation amiables ont échoué.
Dans le dernier état de ses conclusions, enregistrées le 13 novembre 2017, et auxquelles il est expressément fait renvoi pour un exposé plus ample de ses moyens et prétentions, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [M] demande à la cour de:
- recevoir l'appel incident et rejeter les demandes de l'époux,
- prononcer le divorce des époux aux torts exclusifs du mari,
- le condamner à payer la somme de 5.000€ à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
- dire n'y avoir pas lieu à prestation compensatoire,
- confirmer le montant de la contribution alimentaire à 200€ par mois,
- supprimer le devoir de secours sous forme d'occupation gratuite à compter de mai 2017,
- prendre acte des propositions de règlement des intérêts pécuniaires de l'épouse et à défaut d'accord renvoyer les époux à une procédure de liquidation,
- voir ordonner mention du dispositif du jugement à intervenir en marge de l'acte de mariage des époux, ainsi qu'en marge des actes de naissance de chacun des époux,
- condamner M. [B] à payer la somme de 2.000€ au titre de l'article 700,
- condamner M. [B] aux dépens.
Mme [M] fait en effet notamment valoir que :
- son déménagement à [Localité 3] est justifié par une opportunité professionnelle ; que les époux étaient d'accord pour se séparer et avaient prévu une garde alternée pour [O], avec un enseignement par correspondance ;
- M. [B] a trahi sa parole et a manipulé [O] pour qu'il rompe toute relation avec elle; qu'il l'a harcelée, insultée sur internet et poussée à la démission ; qu'il s'est inscrit sur un site de rencontres ; qu'il n'a pas respecté son droit de visite envers l'enfant ; qu'il fait obstacle à la vente du domicile conjugal ; que ces évènements l'ont plongé dans une grave dépression qui a engendré un arrêt de travail durant plusieurs mois ; que l'enquête sociale évoque la souffrance vécue par elle ; qu'elle vit seule,
- elle a toujours été une mère investie et échange régulièrement avec ses enfants,
- elle est retraitée du secteur public et salariée du secteur privé ; qu'elle perçoit en tout 2.550€ mensuel (2.100€ de salaire et 450€ de retraite) ; qu'elle est actuellement en arrêt suite à un accident du travail ; que M. [B] prétend s'être consacré à l'éducation des enfants, ce qui est contredit par l'enquête sociale ; qu'il est carrossier et travaille également de manière dissimulée, effectuant de nombreux dépôts bancaire en espèces ; que [Z] et [S] sont financièrement autonomes ; que l'enquête sociale révèle l'absence d'implication de M. [B] dans la vie de [O] ; qu'il jouit gratuitement de l'immeuble commun et mène un train de vie confortable ; qu'ils ont des revenus équivalent et qu'il n'existe donc pas de réelle disparité entre eux ; qu'elle est âgée de 52 ans et M. [B] de 48 ans ; que le mariage a duré 25 ans.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
EN LA FORME
Le jugement frappé d'appel a été rendu le 28 avril 2017. M. [B] en a interjeté appel par déclaration déposée le 22 juin 2017.
Aucun élément ne permet de critiquer la régularité de l'appel, qui n'est par ailleurs pas contestée. L'appel sera en conséquence déclaré recevable.
AU FOND
Il convient de rappeler à titre liminaire, d'une part, qu'en vertu de l'article 954 du code de procédure civile, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif, et d'autre part, que la cour ne statue que sur les demandes énoncées au dispositif des conclusions.
En l'espèce, les points de désaccord qui opposent les parties concernent exclusivement le prononcé du divorce, la jouissance à titre gratuit du logement familial, l'allocation de dommages et intérêts et la prestation compensatoire.
La décision déférée sera donc confirmée dans l'ensemble des dispositions non soumises à la censure de la cour.
Sur le prononcé du divorce
L'article 242 du Code civil dispose que le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune.
Aux termes de l'article 246 du même code, si une demande pour altération définitive du lien conjugal et une demande pour faute sont concurremment présentées, le juge examine en premier lieu la demande pour faute. S'il rejette celle-ci le juge statue alors sur la demande en divorce pour altération définitive du lien conjugal.
Mme [M] fait valoir, à l'appui de sa demande en divorce aux torts exclusifs du mari, que les époux s'étaient entendus sur une séparation à l'amiable et sur une résidence alternée pour l'enfant [O], mais que M. [B] n'a pas respecté cet accord et a induit une situation d'aliénation parentale à son égard de la part de [O]. Elle soutient en outre que M. [B] l'a alors harcelée, notamment en piratant son compte Facebook, en l'insultant sur Internet, en agressant le personnel de l'établissement où elle travaillait. Elle ajoute que M. [B] a vendu le véhicule pour lequel elle acquitte encore un crédit. Mme [M] conclut que ce comportement a généré chez elle une dépression, confirmée par les résultats de l'enquête sociale.
L'article 373-2-12 du code civil prohibe expressément l'utilisation de l'enquête sociale ordonnée dans le cadre du litige pour trancher du débat sur la cause du divorce. Il ne sera donc pas fait référence à cette enquête sociale pour statue sur ce chef de demande.
Mme [M] produit les attestations de deux amies, Mmes [S] et [H] qui confortent ses allégations relatives au piratage du compte Facebook de l'épouse par l'époux, qui s'est notamment fait passer pour sa femme, l'a insulté à plusieurs reprises, comme le fait qu'il a pu harceler ses connaissances et venir agresser verbalement le personnel de la clinique où elle travaillait. Elle présente encore de nombreux échanges par messages SMS entre l'époux et leur fille [S], au mois de septembre 2014, qui confirment ce piratage et l'intention de lui nuire qu'y exprime M. [B].
Mme [M] produit encore des copies de messages internet de M. [B], qui, sous le pseudonyme [T] 135, passe des annonces sur un site de rencontres. Elle produit l'acte de vente d'un véhicule.
M. [B] ne conteste pas expressément ces allégations.
Les pièces produites montrent que le couple a connu de nombreuses vicissitudes, entrecoupées de séparations et de réconciliations, notamment sur la période 2011-2014. Les allégation de violences ou de crises de colère de son époux, d'ailleurs peu précises, ne peuvent être prises en compte en raison de ces réconciliations.
Mme [M] produit un certificat médical du 23 juin 2014 attestant qu'elle porte la trace d'un hématome occasionnant deux jours d'incapacité totale de travail. Elle expose dans une plainte du 4 septembre 2014 que ceci résulte d'une altercation lors de son passage au domicile conjugal.
Ceci étant, il résulte des déclarations de l'époux que l'épouse a définitivement quitté le domicile conjugal à l'été 2014, et que les relations ont progressivement été coupées. Si Mme [M] justifie que des rencontres en point rencontre n'ont pu se dérouler du fait du refus de l'appelant, il n'en reste pas moins qu'elle ne témoigne pas d'un investissement particulier pour rétablir les relations avec [O].
M. [B] verse aux débats une main-courante du 13 septembre 2014 dans laquelle il signale l'abandon du domicile conjugal courant août 2014.
Surtout, il résulte de ses propres déclarations dans le cadre d'une plainte du 4 septembre 2014 et d'une main-courante du 7 septembre 2014 que l'épouse a quitté son mari dès le mois de janvier 2014, lorsqu'elle a choisi d'occuper un emploi à [Localité 3] à distance du domicile conjugal à [Localité 4]. Elle n'y mentionne nullement un accord des époux pour la séparation.
M. [B] produit de nombreuses copies d'échanges d'une prénommée '[U]' avec plusieurs hommes sur deux sites d'échanges (Meetic et Be2), étant précisé que le second prénom de l'épouse est [E], qu'elle utilise d'ailleurs à l'occasion pour des achats. Figure notamment un échange le 30 juin 2014 depuis un compte à son nom avec un dénommé [G] [C]. Dans un autre message du 13 août 2014, Mme [M] indique 'j'ai enfin quitté mon mari'.
M. [B] soutient encore qu'elle entretient une relation adultère avec un M. [L]. Est produite une attestation de ce dernier qui ne fait que préciser qu'il ne vit pas avec l'intimée.
Les éléments rappelés ci-dessus montrent que ce n'est qu'une fois que l'épouse a quitté le domicile conjugal, en violation de ses obligations matrimoniales, et alors qu'elle avait déjà des relations, au moins par correspondance, avec des tiers, que l'époux a pu commettre les faits de piratage et de harcèlement, sur la période qui a suivi de peu la séparation. Par ailleurs, l'existence d'une relation extra-conjugale avant le prononcé du divorce est également avérée.
Mme [M] ne fait pas davantage la preuve d'une aliénation de l'enfant [O] qui serait imputable à M. [B], compte tenu de la décision de l'épouse de quitter le domicile conjugal.
Mme [M] n'apporte pas la démonstration qui lui incombe de faits rendant intolérable le maintien de la vie commune qui seraient exclusivement imputables à l'époux, au sens de l'article 242 précité. Sa demande de divorce aux torts exclusifs du mari sera donc écartée.
L'article 238 du code civil prévoit que le divorce est prononcé pour altération définitive du lien conjugal, si la demande en divorce pour faute est rejetée, dès lors que la demande est présentée à titre reconventionnel, comme en l'espèce.
La décision frappée d'appel sera donc confirmée de ce chef.
Mme [M] sollicite une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code civil, aujourd'hui l'article 1240 du même code. Il lui incombe de faire la preuve d'un préjudice indépendant de celui de la rupture du lien matrimonial, imputable à son époux.
L'exposé des faits rappelés ci-dessus conduit à rejeter ce chef de demande, faute de preuve de l'existence d'un tel préjudice.
Sur les rapports entre époux
Sur la demande au titre de la jouissance gratuite du domicile conjugal:
L'ordonnance de non-conciliation du 24 février 2015 a accordé à M. [B] la jouissance du domicile conjugal à titre gratuit. Mme [M] sollicite la fin de cette mesure à compter du mois de mai 2017, soit postérieurement au jugement de divorce.
M. [B] ne prend pas position explicitement à ce titre.
L'obligation alimentaire découlant du lien matrimonial cesse au jour du prononcé du divorce.
Dans la mesure où l'époux n'a interjeté appel que du chef de la prestation compensatoire, et non du fait du prononcé du divorce, auquel il est dès lors réputé avoir acquiescé, et compte tenu de la situation financière respective des parties détaillée ci-dessous, il y a lieu de faire droit à ce chef de demande.
Sur la demande de prestation compensatoire:
En vertu des dispositions de l'article 270 du code civil, le divorce met fin au devoir de secours entre époux. L'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respective. Cette prestation un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d'un capital dont le montant est fixé par le juge.
En application de ce texte, c'est donc au moment de la dissolution du mariage que doivent être appréciées les conditions d'attribution éventuelle d'une prestation compensatoire. Compte tenu de la contestation par l'épouse de la cause du divorce, c'est au jour du présent arrêt qu'il convient d'examiner la situation respective des parties.
L'article 271 du code civil précise que la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. À cet effet, le juge prend en considération notamment :
- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelle ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits retraites qui aura pu être causées, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les choix professionnels de l'époux débiteur.
M. [B] forme une demande de prestation compensatoire à hauteur de 90.000 €, contestée par l'épouse.
Le mariage a duré 29 ans. L'épouse est âgée de 53 ans, et l'époux de 50 ans. Aucun problème de santé particulier n'est allégué de part et d'autre.
Le domicile conjugal est un bien commun, et les droits des parties sont équivalents à ce titre.
L'épouse a régulièrement travaillé en qualité d'infirmière dans le secteur public, et a pu prendre sa retraite après 15 ans de service. Elle a ensuite travaillé en tant que salariée dans le secteur public. Elle précise que sa retraite est de 450 € par mois. Elle établit qu'après une periode d'arrêt de travail pour accident de travail du 28 novembre 2016 au mois de juin 2018, elle a été licenciée pour inaptitude et se trouve actuelle sans emploi, en percevant des indemnités de chômage de 1.983 € au mois d'octobre 2018.
Il n'est pas établi qu'elle partage ses charges avec un compagnon. Outre les dépenses de la vie courante, elle justifie acquitter mensuellement les charges suivantes:
- loyer: 785 €,
- taxe foncière: 30 €,
- taxe d'habitation: 69 €,
- assurance habitation: 17 €,
- électricité: 45 €,
- eau: 14 €,
- impôt sur le revenu: 212 €.
Elle règle à M. [B] une contribution mensuelle de 200 € pour l'entretien et l'éducation de l'enfant [O].
Mme [M] ne le mentionne pas explicitement, mais elle produit une déclaration de succession concernant sa mère, décédée le [Date décès 1] 2016, dont il résulte qu'elle a recueilli la somme de 461.182,09 € en héritage.
M. [B] indique dans sa déclaration de revenus percevoir une somme mensuelle de 1.000 €, et justifie qu'il est actuellement sans emploi avec la perception d'indemnités mensuelles à hauteur de 1.032,60 €.
Ceci étant, carrossier de profession, il semble avoir alterné les périodes d'emploi et de chômage au cours des récentes années. Ainsi, il a perçu un revenu imposable cumulé de 11.462,23 € au mois de septembre 2016 (bulletin de paie du mois de septembre 2016), 14.504,40 € au mois d'octobre 2017 (bulletin de paie du mois d'octobre 2017) et 10.758 € au mois de septembre 2018 (bulletin du mois de septembre 2018). L'absence de chronologie détaillée de ses périodes d'emploi salarié et de chômage ne permet pas d'apprécier exactement ses revenus déclarés, sauf pour l'année 2017, où son avis d'imposition mentionne la somme de 17.407 € de revenu imposable, soit nettement plus de 1.000 € par mois.
Les pièces produites aux débats démontrent cependant que M. [B] a une activité professionnelle occulte. Il déclarait déjà à l'enquêteur social en 2015 avoir 'quelques gâches en carrosserie pour joindre les deux bouts'. Or, la lecture des relevés de son compte bancaire produits par l'épouse démontre qu'entre les mois d'octobre 2017 et janvier 2018, il acquitte à plusieurs reprises - dont trois fois en octobre 2017, notamment - des frais de carte grise, tandis que transitent fréquemment sur son compte des sommes de plusieurs milliers d'euros. Cette activité n'est pas compatible avec les revenus officiellement déclarés, et conforte donc l'affirmation de Mme [M] selon laquelle M. [B] travaille sans être déclaré à l'achat et à la revente de véhicules qu'il répare lui-même. Le niveau de ses dépenses courantes apparaît également hors de proportion avec un revenu déclaré de 1.000 € par mois.
M. [B] acquitte les dépenses de la vie courante, et supporte l'entretien au quotidien de l'enfant commun [O]. Il justifie acquitter mensuellement les charges suivantes:
- électricité: 61 €,
- assurances: 194,91 €,
- taxe d'habitation: 20 €,
- mutuelle: 65 €,
- taxe foncière: 30 €,
- internet/téléphonie: 80 €,
- eau: 31 €.
Les charges des parties sont donc équivalentes. Les ressources occultes de M. [B] ne lui permettent pas de démontrer une disparité des revenus à son détriment.
En définitive, la disparité n'existe au détriment de M. [B] qu'en ce qui concerne la situation patrimoniale.
Pour autant, il doit être néanmoins rappelé que le mécanisme de la prestation compensatoire n'a pas pour objet d'égaliser les situations de fortune.
Au bénéfice de ces observations, le montant de la prestation compensatoire allouée à M. [B] sera donc fixé à la somme 20.000 € en capital.
Sur les demandes accessoires
Mme [M], qui succombe, supportera la charge des dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [B] l'intégralité des sommes engagées pour l'instance d'appel et non comprises dans les dépens; il sera fait droit à sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile selon les modalités indiquées au dispositif ci-dessous.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant publiquement, contradictoirement, après débats non publics,
Confirme la décision entreprise sauf en ses dispositions relatives à la prestation compensatoire et à la jouissance du domicile conjugal,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne Mme [D] [E] [M] à verser à M. [T] [B] une prestation compensatoire de vingt mille euros (20.000 €) en capital,
Dit que la jouissance à titre gratuit du domicile conjugal au bénéfice de M. [T] [B] cesse à compter du 1er mai 2017,
Condamne Mme [D] [E] [M] aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne Mme [D] [E] [M] à payer à M. [T] [B] la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Dit que Maître Céline DEPRE, avocat, pourra exercer à l'encontre de Mme [D] [E] [M] le droit prévu par l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT