COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-4
ARRÊT MIXTE
DU 27 JUIN 2019
N° 2019/
GB/FP-D
Rôle N° RG 17/11845 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BAYCR
[D] [U]
C/
SA ASM MONACO FOOTBALL CLUB SA
Copie exécutoire délivrée
le :
27 JUIN 2019
à :
Me Myriam HOUAM, avocat au barreau de NICE
Me Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de NICE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 08 Décembre 2016 enregistré au répertoire général sous le n° 16/00038.
APPELANT
Monsieur [D] [U], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Myriam HOUAM, avocat au barreau de NICE substitué par Me Sophia BOUZIDI, avocat au barreau de NICE
INTIMEE
SA ASM MONACO FOOTBALL CLUB SA, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Gérard BAUDOUX, avocat au barreau de NICE substitué par Me Florian ABASSIT, avocat au barreau de NICE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 15 Mai 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Monsieur Nicolas TRUC, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Françoise PARADIS-DEISS.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2019.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2019,
Signé par Monsieur Jean-Luc THOMAS, Président et Madame Françoise PARADIS-DEISS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
PROCÉDURE
Par déclaration électronique réceptionnée le 20 janvier 2017, M. [D] [U] a interjeté appel du jugement rendu le 8 décembre 2017 par le conseil de prud'hommes de Nice, à lui notifié le 30 décembre 2017, se déclarant territorialement incompétent pour connaître du litige l'opposant à la société AS Monaco Football club (ci-après AS Monaco), mais disant la loi monégasque applicable au litige.
Par arrêt prononcé le 5 décembre 2018, la Cour de cassation a dit que ce conseil était compétent territorialement.
Sur la loi applicable, le salarié revendique une application de la loi française, sans préjudice de l'allocation d'une indemnité de 2 500 euros en l'état de ses frais irrépétibles.
L'employeur, pour sa part, estime que ce litige relève du droit monégasque ; il réclame 5 000 euros en l'état de ses frais non répétibles.
La cour renvoie pour plus ample exposé au jugement déféré et aux dernières écritures des parties notifiées et remises au greffe par l'appelant le 8 avril 2019 et le 5 avril 2019 par l'intimée.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 8 avril 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En se déclarant incompétent pour connaître du litige, le premier juge se privait du pouvoir de trancher dans la même décision la question de fond du droit applicable.
.../...
M. [U] a accompli une prestation de travail pour le compte de l'AS Monaco, en qualité de masseur-kinésithérapeute, en vertu d'un contrat de travail à durée indéterminée du 13 juin 2007, suivi par un second contrat de travail à durée déterminée du 2 juillet 2012, complété par un avenant du 14 juin 2013.
L'employeur se prévaut de l'article 8 du contrat de travail du 2 juillet 2012 qui stipule au chapitre 'Juridiction compétente en cas de litige' qu'afin 'd'exercer la liberté de choix que lui confère l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, le salarié reconnaît que l'activité découlant du présent contrat s'exerce en exécution des instructions émanant des organes dirigeants installé sur le territoire de la Principauté de [Localité 1] dans l'établissement qui constitue le siège de la Société où s'accomplit habituellement le travail.'.
Si, comme sa lecture y suffit, cette première clause contractuelle n'indique pas la législation sous laquelle les parties ont entendu se placer, il en est autrement de l'article 8 du contrat de travail à durée indéterminée du 13 juin 2007 qui stipule 'En cas de difficulté portant sur l'interprétation, l'application et/ou l'exécution des stipulations de la présente convention et donnant lieu à action en justice, les parties s'accordent pour en donner compétence exclusive au Tribunal du Travail de la Principauté de Monaco.' et plus encore de l'article 3 de l'avenant n° 1 au contrat de travail à durée déterminée du 2 juillet 2012 qui, plus clairement, stipule qu'afin 'd'exercer la liberté de choix que lui confère l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, le salarié reconnaît que l'activité découlant du présent contrat s'exerce en exécution des instructions émanant des organes dirigeants installé sur le territoire de la Principauté de [Localité 1] dans l'établissement qui constitue le siège de la Société où s'accomplit habituellement le travail. En sorte que les parties choisissent communément, librement et expressément la Loi monégasque pour régir l'interprétation du contrat, l'exécution des obligations qu'il engendre, les conséquences de l'inexécution totale ou partielle de ses obligations ainsi que les règles de droit en vertu desquelles le dommage serait évalué, les modes d'extinction des obligations ainsi que les prescriptions et déchéances fondées sur l'expiration d'un délai et les conséquences de la nullité du contrat.'.
Sur la loi applicable, la convention de Rome du 19 juin 1980 dispose en son article 6 que le contrat de travail est régi par la loi choisie par les parties, mais précise que ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, sauf si le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas, c'est la loi de ce pays qui s'applique.
La détermination des 'liens les plus étroits', dont la preuve doit être rapportée par celui qui prétend écarter la loi du lieu d'accomplissement habituel du travail, se fait par le principe de proximité et prend en compte divers critères qui, rapportés à l'espèce, selon l'employeur, appellent les observations suivantes :
- l'employeur monégasque réside à [Localité 1], mais le salarié français réside en France,
- le contrat de travail est rédigé en français, langue commune aux deux parties à ce contrat,
- le salarié était rémunéré en euro, monnaie commune aux deux parties à ce contrat de travail.
En l'espèce, M. [U] a manifesté sa volonté d'appliquer à la relation de travail une loi étrangère, mais, comme la cour l'a déjà jugé dans son arrêt sur contredit du 18 mai 2017, il exécutait sa prestation de travail essentiellement à l'occasion des entraînements des joueurs au centre de formation du club situé à [Localité 2] (Alpes-Maritimes) et un nombre important de rencontres sportives auxquelles le salarié a pu participer se déroulaient sur le territoire français, étant observé que la circonstance que des matchs requérant sa présence se sont déroulés au [Établissement 1], à [Localité 1], n'infirme pas la constatation selon laquelle l'essentiel de sa prestation de travail a été réalisée sur le territoire français.
Il suffit, pour en être convaincu, de rappeler que les contrats de travail liant les parties stipulent tous que le lieu d'exécution de la prestation de travail est le 'Centre de formation de l'AS Monaco FC SA' situé à [Localité 2].
Pour encore démontrer que le contrat de travail présentait des 'liens plus étroits' avec la principauté de [Localité 1], l'intimée fait valoir que le salarié prenait régulièrement ses repas à la cantine de l'entreprise située dans les locaux du [Établissement 1], à [Localité 1], ce qui ne ressort pas de l'unique attestation de M. [L], responsable de la 'Vie quotidienne du centre de formation de l'AS Monaco', lequel se borne à indiquer que le salarié prenait ses déjeuners dans la cafétéria de ce centre sportif, durant des années, sans toutefois préciser la fréquence de sa présence - il dit 'de manière assez fréquente' et 'parfois' de manière obligatoire lors des repas d'avant match avec l'ensemble de l'équipe - comme le faisait le salarié à l'occasion des déplacements de l'équipe sur le territoire français.
Il convient enfin de retenir que s'il est exact que les contrats de travail ont été signés à [Localité 1] et que le salarié était exclusivement rattaché à l'administration monégasque pour les questions administratives (paie, congés payés ...), ceci constitue un lien d'attachement mineur en comparaison de son engagement d'accomplir sa prestation de travail sur le territoire français.
D'où il suit que M. [U] est fondé à dénoncer son engagement de placer sa relation de travail avec l'AS Monaco sur le régime du droit monégasque pour désormais bénéficier de la protection liée à l'ordre public interne érigé par la loi française quant à l'appréciation juridique de ses réclamations dont le détail, au stade de la première instance, était le suivant :
5 194,56 euros au titre de l'indemnité de requalification,
964,80 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,
10 389,12 euros pour préavis, ainsi que 1 038,91 euros au titre des congés payés afférents,
41 556,48 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le surplus des prétentions étant indifférent en l'état.
.../...
Pour opérer une comparaison objective des législations française et monégasque sur le traitement que chacune de ces deux législations réserve au cas d'un salarié français licencié par un employeur monégasque, il convient de se reporter aux lois des deux pays afin d'apprécier, pour chaque chef de demande, la loi la plus favorable au salarié.
Sur la demande tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée du 2 juillet 2012, le salarié invoque l'absence de motif mentionné sur ce contrat permettant à l'employeur de recourir à un emploi précaire.
En droit monégasque, la loi n° 728 du 16 mars 1963 concernant le contrat de travail ne prévoit pas le bénéfice d'une indemnité de requalification en cas d'absence de motif d'un recours à un emploi précaire, alors que les articles L. 1245-1 et L. 1245-2 du code du travail français prévoient ce bénéfice, ouvrant droit à une requalification de la relation de travail en un contrat de travail à durée indéterminée et au règlement par l'employeur de cette indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Le droit français étant plus protecteur pour le salarié que le droit monégasque, ce chef de demande sera jugé conformément au code du travail français.
En droit monégasque, l'article 6 de la loi n° 728 su 16 mars 1963 dispose que 'Le contrat de travail à durée indéterminée peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties ; il prend fin au terme du préavis.'.
En droit français, les articles L. 1232-2 et L. 1232-3 font obligation à l'employeur qui envisage de licencier un salarié de la convoquer à un entretien préalable au cours duquel l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié.
Selon l'article L. 1232-4 du même code, le salarié a la faculté de se faire assister lors de son audition par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise ou par un conseiller choisi sur une liste dressée par l'autorité administrative.
Cet entretien préalable a pour but de permettre au salarié de prendre connaissance des motifs pour lesquels son employeur envisage son licenciement afin, éventuellement, d'obtenir une conciliation.
L'obligation faite à l'employeur de ménager cet entretien préalable constitue une garantie a minima pour le salarié d'être entendu en ses explications avant que cet employeur ne décide de la rupture de son contrat de travail.
Par ailleurs, en droit français, l'article L. 1232-6 du code du travail exige que la lettre recommandée avec avis de réception par laquelle il notifie au salarié sa décision de le licencier comporte l'énoncé du ou des motifs soutenant cette décision.
Cette lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, ouvre donc une possibilité de contestation de la part du salarié qui n'existerait pas si la rupture du contrat de travail ne reposait sur aucun motif précis.
Le droit monégasque ne prévoit ni entretien préalable au licenciement ni mention du ou des motifs retenus par l'employeur pour justifier d'une cause réelle et sérieuse de rupture.
L'AS Monaco a procédé au licenciement de M. [U] par une lettre recommandée en date du 23 juillet 2009 se bornant à rappeler les termes de l'article 6 précité de la loi du 16 mars 1963.
Il n'est donc pas douteux que la législation française sur le licenciement est plus protectrice des droits du salarié que la législation monégasque qui sera écartée lors de l'appréciation de ce chef de demande.
.../...
D'où il suit que la cour infirmera le jugement déféré à sa censure en ce qu'il a retenu que le litige opposant les parties devait être soumis au droit monégasque, disant a contrario le droit français applicable.
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La cour étant saisie par la voie de l'appel, l'effet dévolutif de celui-ci lui donne pleine connaissance des demandes sur le fond.
Afin de respecter le principe de la contradiction, il sera ménagé un délai suffisant aux parties pour s'expliquer sur le fond du droit.
Les parties sont invitées en conséquence à conclure sur le fond avant l'ordonnance de clôture qui sera prononcée le 6 janvier 2020.
Le surplus des prétentions et les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile.
Infirme le jugement.
Statuant à nouveau, dit la loi française applicable au litige.
Sur le fond, invite les parties à conclure sur le fond pour l'audience collégiale du 15 janvier 2020 à 14 heures, date à laquelle le dossier sera évoqué sans nouvelle convocation.
Dit que l'ordonnance de clôture interviendra à la date du 6 janvier 2020.
Réserve le surplus des prétentions et les dépens.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT