COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 27 JUIN 2019
N° 2019/564
N° RG 17/22874
N° Portalis DBVB-V-B7B-BBV6X
URSSAF PACA
C/
[J] [Z]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me BOREL
Me FLEURENTDIDIER
DÉCISION DÉFÉRÉE À LA COUR :
Ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de grande instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 12 décembre 2017 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/01236.
APPELANTE
UNION DE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D'ALLOCATIONS FAMILIALES (URSSAF) PACA
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Jean-Victor BOREL de la SCP BOREL / DEL PRETE & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Jenna BROWN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
INTIMÉ
Monsieur [J] [Z]
né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Chloé FLEURENTDIDIER, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Nassos CATSICALIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 mai 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, madame Geneviève TOUVIER, présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La cour était composée de :
madame Geneviève TOUVIER, présidente
madame Sylvie PEREZ, conseillère
madame Virginie BROT, conseillère
Greffier lors des débats : madame Caroline BURON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 juin 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 juin 2019
Signé par madame Geneviève TOUVIER, présidente, et madame Caroline BURON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Saisi par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Provence Alpes Côte d'Azur (URSSAF PACA) aux fins de condamnation de M. [J] [Z], dirigeant de la SARL MONTIS, au paiement de cotisations, contributions et sanctions pécuniaires dues par cette société sur le fondement de l'article L. 243-3-2 du code de la sécurité sociale, le président du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a rejeté les prétentions de l'URSSAF par décision du 12 décembre 2017.
Par déclaration reçue au greffe le 22 décembre 2017, cette dernière a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions transmises le 27 novembre 2018, l'URSSAF PACA demande à la cour de :
- recevoir son appel ;
- dire et juger que la décision attaquée a été improprement qualifiée d'ordonnance de référé, le président du tribunal de grande instance saisi d'une action fondée sur l'article L 243-3-2 du code de la sécurité sociale ayant vocation à rendre une décision au fond ;
- infirmer la décision attaquée en date du 12 décembre 2017 ;
Statuant à nouveau,
A titre principal,
- dire et juger que M. [J] [Z] doit être tenu solidairement au paiement des cotisations, contributions et sanctions pécuniaires dues par la société MONTIS pour un montant de 766.123 euros, au titre de la solidarité financière du dirigeant prévue par l'article L 243-3-2 du code de la sécurité sociale ;
- condamner en conséquence M. [J] [Z] au paiement au profit de l'URSSAF PACA de la somme de 766.123 euros, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de l'assignation introductive d'instance ;
- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes ainsi que de son appel incident ;
- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a retenu que les manoeuvres frauduleuses imputables à M. [Z] n'apparaissent pas contestables au regard des éléments de preuve versés aux débats ;
- condamner M. [J] [Z] au paiement de la somme de 10.000 euros au profit de l'URSSAF PACA sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [J] [Z] aux entiers dépens, distraits au profit de la SCP BOREL & DEL PRETE par application de l'article 699 du code de procédure civile.
L'URSSAF PACA indique à titre préliminaire que les « manoeuvres frauduleuses et l'inobservation grave et répétée des obligations sociales » résultent en l'espèce de faits de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié au sens des dispositions de l'article L 8221-5 du code du travail. Plus précisément, les inspecteurs de l'URSSAF PACA ont constaté que M. [Z] a minoré de manière intentionnelle des salaires déclarés pour le calcul des cotisations sociales et s'est abstenu de procéder aux déclarations obligatoires. M. [Z] a été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel de Marseille pour ces faits. Elle précise que les sommes concernées n'ont nullement fait l'objet d'un redressement antérieur comme le soutient l'intimé.
S'agissant de l'impossibilité de recouvrer les cotisations, contributions et sanctions pécuniaires dues par la société, l'appelante fait état de la procédure de liquidation judiciaire qui rend impossible le recouvrement de sa créance en vertu du principe de suspension du droit de poursuite individuelle des créanciers. Elle ajoute qu'en tout état de cause, compte tenu de l'importance de la créance d'un montant de 766.123 euros et du rang occupé dans la procédure collective, elle n'a aucune chance d'être désintéressée, ce qui est confirmé par écrit par le liquidateur judiciaire.
A titre subsidiaire, elle fait valoir qu'un sursis à statuer pourrait être ordonné dans l'attente notamment de l'issue de la procédure de liquidation judiciaire.
Par ses dernières conclusions transmises le 16 mars 2018, M. [Z] demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté l'URSSAF et l'a condamné aux dépens;
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident ;
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a retenu que les manoeuvres frauduleuses n'apparaissent pas contestables ;
- dire et juger que les trois conditions de l'article L243-3-2 du code de la sécurité sociale ne sont pas réunies ;
- débouter l'URSSAF de l'ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Si M. [Z] concède que la première condition posée par l'article L243-3-2 est remplie soit la verbalisation pour travail dissimulé, il soutient que les deux autres conditions manquent.
A cette fin, il expose que :
- l'URSSAF ne démontre nullement l'impossibilité pour elle de recouvrer les sommes dues par la société MONTIS, le placement en liquidation judiciaire de cette société ne suffisant pas à démontrer cette impossibilité et le liquidateur judiciaire disposant à ce jour de la somme de 1.128.229,86 euros à répartir entre les différents créanciers ; seul un jugement de clôture des opérations pour insuffisance d'actifs permettrait à l'URSSAF de démontrer cette impossibilité;
- la somme dont l'URSSAF sollicite le paiement fait l'objet d'une contestation devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et la créance de l'URSSAF a fait l'objet d'une contestation dans le cadre des opérations de vérification du passif ;
- il dément être renvoyé devant un quelconque tribunal correctionnel ;
- l'URSSAF, qui qualifie les faits constatés lors de son contrôle de 'travail dissimulé', n'est pas en mesure d'en apporter confirmation par le TASS ou le tribunal correctionnel alors même qu'il conteste toute qualification de travail dissimulé et tout caractère intentionnel des faits reprochés dans la mesure où la situation que les inspecteurs ont constaté s'explique du fait d'un décalage d'un mois avec une régularisation qui intervenait toujours rapidement et ce, pour des questions de trésorerie.
La clôture de la procédure a été fixée au 7 mai 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
L'action fondée sur l'article L 243-3-2 du code de la sécurité sociale permettant à l'URSSAF d'obtenir la condamnation solidaire du dirigeant aux dettes sociales de sa société doit être engagée devant le président du tribunal de grande instance au fond.
L'URSSAF PACA, qui a fait assigner M. [Z] devant le président du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, a régulièrement saisi la juridiction au fond.
Intitulée ordonnance de référé, la décision querellée a été improprement qualifiée dans son dispositif d'ordonnance en la forme des référés.
Ces erreurs importent toutefois peu dès lors que le président de la juridiction a statué en exerçant les pouvoirs que lui confère l'article L. 243-3-2 du code de la sécurité sociale et qu'aucune critique n'est formulée sur la recevabilité de l'appel.
Sur la demande de déclaration de solidarité
L'article L 243-3-2 du code de la sécurité sociale prévoit que :
« Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement ayant fait l'objet d'une verbalisation pour travail dissimulé est responsable des manoeuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations sociales qui ont rendu impossible le recouvrement des cotisations, contributions et sanctions pécuniaires dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut être déclaré solidairement responsable du paiement de ces cotisations, contributions et sanctions pécuniaires par le président du tribunal de grande instance.
A cette fin, le directeur de l'organisme créancier assigne le dirigeant devant le président du tribunal de grande instance du lieu du siège social.
Le présent article est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement.'
Cet article exige donc :
- une verbalisation pour travail dissimulé ;
- des agissements fautifs constitués par des manoeuvres frauduleuses ou l'inobservation grave et répétée des obligations sociales ;
- l'existence avérée d'un préjudice pour l'URSSAF caractérisée par l'impossibilité de recouvrer les créances en cause sur le patrimoine de la société et un lien de causalité exclusif entre les agissements fautifs et ce préjudice.
Il n'est pas contesté que la première condition posée par ce texte est remplie.
S'agissant de la deuxième condition, les faits constatés par procès-verbal transmis le 5 mars 2014 au parquet du tribunal de grande instance de Marseille dans le cadre de l'infraction de travail dissimulé par minoration intentionnelle des déclarations périodiques de cotisations et contributions de la SARL MONTIS auprès de l'URSSAF PACA font foi jusqu'à preuve du contraire. Après examen des livres de paie qui sont le reflet exact des salaires versés, il y est relevé une minoration systématique et substantielle des masses salariales servant au paiement des cotisations et contributions sociales sur l'exercice 2013. Lors de son audition par les inspecteurs, M. [Z] a d'ailleurs reconnu une pratique consistant, avec l'aval de son expert-comptable, à minorer les déclarations 'avec régularisation a posteriori', ce qui ne peut faire disparaître le caractère fautif de sa pratique. La minoration des borderaux pour l'exercice 2013 porte sur la somme de 269.327 euros.
Le procès-verbal du 29 juillet 2015 des inspecteurs de l'URSSAF PACA concerne le défaut de déclarations de la SARL MONTIS auprès des organismes sociaux ainsi que la minoration intentionnelle des déclarations périodiques des cotisations représentant la dissimulation de 35 salariés rémunérés au SMIC sur la période du 1er janvier 2012 au 31 mai 2015.
L'intimé, qui ne verse aux débats aucune pièce au soutien de sa prétention pour démentir l'existence de manoeuvres frauduleuses ou l'inobservation grave et répétée de ses obligations sociales, était en outre renvoyé devant le tribunal correctionnel de Marseille le 10 septembre 2018 ; il est taisant sur l'issue de cette procédure.
En conséquence, les manoeuvres frauduleuses ou à tout le moins les inobservations - dont le caractère répété et grave est démontré - des obligations sociales de M. [Z] en qualité de dirigeant de la SARL MONTIS sont suffisamment établies.
En ce qui concerne la dernière condition posée par l'article L 253-3-2 de code de la sécurité sociale, M. [Z] soutient qu'en l'absence de démonstration de l'impécuniosité de la SARL MONTIS cette condition manque. Or ces dispositions se bornent à exiger que les manoeuvres frauduleuses ou l'inobservation grave et répétée des obligations sociales aient rendu le recouvrement des cotisations sociales impossible c'est-à-dire que soit rapportée la preuve du lien de causalité exclusif entre le manquement du dirigeant durant le temps de ses fonctions et l'impossibilité de recouvrement.
Selon l'URSSAF PACA, le simple fait que la société MONTIS fasse actuellement l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire rend impossible le recouvrement de sa créance. Or, l'impossibilité du recouvrement des cotisations permettant d'engager la responsabilité du dirigeant social sur ce fondement ne peut résulter uniquement de l'ouverture d'une procédure collective.
Il appartient à l'URSSAF de démontrer cumulativement :
- qu'elle est dans l'incapacité définitive de recouvrer le montant de sa créance ;
- qu'elle a en vain utilisé tous les actes de poursuite à sa disposition pour obtenir en temps utile le paiement des cotisations et pénalités.
Si la clôture de la procédure collective pour liquidation par insuffisance d'actifs caractériserait sans conteste l'impossibilité du recouvrement, à l'inverse l'absence de clôture pour insuffisance d'actifs ne permet pas d'exclure de facto que le recouvrement de la créance est définitivement compromis.
En l'espèce, si le liquidateur judiciaire de la SARL MONTIS indique par courrier du 27 septembre 2018 adressé à l'URSSAF PACA qu'en 'l'état des créances déclarées par les services fiscaux, il ne semble pas que les créanciers de votre rang puissent concourir aux opérations de répartition', il n'est pas affirmatif sur l'absence de désintéressement possible de l'organisme social. Il indique d'ailleurs au conseil de M. [Z] par courriel du 22 mai 2017 que des actifs importants ont été recouvrés dans le dossier MONTIS (410.080,45 euros, 701.849,41 euros et 16.300 euros). Ces sommes seraient suffisantes pour régler la dette fiscale mentionnée dans le document produit par l'appelante (pièce n°13 : solde de la dette fiscale d'un montant de 570.825,50 euros au 13 novembre 2017) et envisager le recouvrement d'impositions dues par la SARL MONTIS à l'URSSAF PACA.
Il est constant qu'aucun certificat d'irrecouvrabilité de la créance de l'URSSAF n'a été établi par le liquidateur ni qu'aucune clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actifs n'est intervenue.
Dans ces conditions, en l'absence de tout élément permettant de s'assurer avec certitude que la SARL débitrice n'est pas en mesure de s'acquitter de la dette sociale et sans qu'il ne soit démontré l'opportunité de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure de liquidation judiciaire, c'est par une juste appréciation des faits et du droit que le premier juge a estimé qu'il n'est pas démontré à ce stade que la poursuite du dirigeant de la société MONTIS est justifiée.
L'ordonnance querellée sera confirmée en toutes ses dispositions.
Sur les autres demandes
Il y a lieu à condamnation de l'URSSAF PACA à payer à M. [Z] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, sauf à préciser qu'il ne s'agit pas d'une ordonnance de référé ;
Y ajoutant,
Rejette l'ensemble des demandes de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Provence Alpes Côte d'Azur ;
Condamne l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Provence Alpes Côte d'Azur à payer à M. [J] [Z] la somme 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Provence Alpes Côte d'Azur aux dépens d'appel.
Le greffier,La présidente,