COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
(anciennement dénommée la 10ème chambre).
ARRÊT AU FOND
DU 05 SEPTEMBRE 2019
N° 2019/ 326
Rôle N° RG 18/13065
N° Portalis DBVB-V-B7C-BC4NJ
Organisme FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORIS ME ET D'AUTRES INFRACTIONS
C/
[U] [R]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
-Me Alain TUILLIER
-Me Mouna BOUGHANMI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX-EN-PROVENCE en date du 05 Juillet 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 17/05684.
APPELANT
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS,
demeurant [Adresse 2]
représenté et assisté par Me Alain TUILLIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE.
INTIME
Monsieur [U] [R]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2018/10579 du 31/10/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 4] (ALGÉRIE),
demeurant [Adresse 5]
représenté et assisté par Me Mouna BOUGHANMI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE.
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 11 Juin 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Monsieur Olivier GOURSAUD, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Olivier GOURSAUD, Président
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
Madame Anne VELLA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2019,
Signé par Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller, pour le président empêché et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 29 décembre 2015, Mme [F] [J], avocate, a saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales du tribunal de grande instance d'Aix en Provence au motif qu'elle aurait été agressée par un client, M. [U] [R].
M. [R] a fait l'objet d'un rappel à la loi pour ces faits le 7 mai 2015.
Le 25 avril 2016, la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales a ordonné une expertise confiée au docteur [G].
A la suite du dépôt du rapport d'expertise, le Fonds de garantie a présenté à Mme [F] [J] une offre d'indemnisation de 14.685,90 € qui a été homologuée par ordonnance du président de la commission le 2 mai 2017.
Par exploit d'huissier en date du 5 octobre 2017, le Fonds de garantie des actes de terrorisme et autres infractions a fait assigner M. [U] [R] devant le tribunal de grande instance d'Aix en Provence aux fins d'obtenir le remboursement de l'indemnité versée à Mme [J].
Par jugement en date du 5 juillet 2018, auquel il est expressément référé pour un exposé plus complet des faits, des prétentions et des moyens des parties, le tribunal de grande instance d'Aix en Provence a :
- dit que la culpabilité de M. [R] dans les faits reprochés n'est pas établie,
- débouté le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions de ses demandes,
- condamné le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions à verser à M. [R] la somme de 1.200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire de la décision,
- condamné le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions aux dépens.
Par déclaration en date du 1er août 2018, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions a interjeté appel de cette décision, son appel portant sur l'ensemble des dispositions du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 14 décembre 2018, le Fonds de garantie demande à la cour de :
- recevoir en la forme son appel,
et, y faisant droit,
- réformer la décision entreprise,
- déclarer M. [R] responsable des dommages subis par Mme [F] [J] le 26 février 2015 à [Localité 3], à la suite des violences légères qu'il a commises, par application de l'article 1240 du code civil,
- condamner M. [R] à lui payer en sa qualité de légalement subrogé dans les droits de la victime, la somme de 14.685,90 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive du 5 octobre 2017, valant mise en demeure, par application de l'article 1231-7 du code civil,
- le condamner à payer au Fonds de garantie une indemnité de 1.500 € au titre de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux entiers dépens, par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le Fonds de garantie fait valoir que :
- le 26 février 2015 à [Localité 3], un différend est survenu entre M. [R] et Mme [J] son avocate, sur le versement d'une provision sur honoraires,
- les parties en cause décrivent les faits de la même manière, sauf en ce que M. [R] conteste avoir secoué Mme [J],
- cependant, les Services de police municipale qui sont intervenus sur les lieux, en présence de M. [R], ont constaté que Mme [J] était très paniquée et excitée et qu'elle pleurait, ils lui ont conseillé de se rendre chez un médecin et l'ont ensuite raccompagnée jusqu'à son véhicule,
- M. [R] a convenu que Mme [J] avait appelé 'au secours' à deux reprises,
- il ressort du procès-verbal établi par le délégué du procureur de la république dans le cadre d'un rappel à la loi que M. [R] a déclaré qu'il reconnaissait les faits,
- M. [R] a signé ce document et sa signature interdit d'estimer qu'il soit illettré,
- les propres déclarations de M. [R] aux enquêteurs indiquant qu'il avait un niveau d'études primaires et qu'il avait obtenu un diplôme de tuyauteur démontrent qu'il n'est pas illettré et qu'il sait lire le français,
- les considérations statistiques sur l'enseignement du français en Algérie, dont il n'est pas démontré qu'elles concernent personnellement M. [R] sont totalement inopérantes à prouver qu'il serait illettré et qu'en outre, il n'aurait pas compris les propos du délégué du procureur lors du rappel à la loi,
- les différents certificats médicaux, dont le premier a été délivré le jour des faits, démontrent la réalité des violences dont a été victime Mme [J],
- le suivi psychothérapeutique dont elle a eu besoin démontre, de plus fort, la réalité de ces violences qui ont encore été confirmées par le rapport de l'expert missionné par la commission d'indemnisation,
-l'indemnisation versée par le Fonds de garantie à Mme [J] correspond parfaitement à la réparation de son préjudice.
Aux termes de ses conclusions en date du 23 octobre 2018, M. [U] [R] demande à la cour de :
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Aix en Provence du 5 juillet 2018,
- déclarer irrecevable le recours subrogatoire du Fonds de garantie dirigé contre lui,
- débouter le Fonds de garantie de l'intégralité de ses demandes,
- condamner le Fonds de garantie à lui payer une indemnité de 2.000 € au titre de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700-2 du code de procédure civile,
- condamner le Fonds de Garantie aux entiers dépens.
M. [R] fait valoir que :
- il a fait l'objet d'un simple rappel à la loi et la caractérisation de l'infraction pénale nécessaire à la recevabilité de la requête devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales n'est pas démontrée, les conditions de l'indemnisation n'étant pas remplies,
- un simple rappel à la loi est dépourvu d'autorité de chose jugée et n'emporte pas par lui même, preuve du fait imputé à un auteur de sa culpabilité,
- en l'espèce, le Fonds de garantie ne démontre pas sa culpabilité,
- en effet, les éléments soumis à l'appréciation du juge civil se limitent aux déclarations des deux protagonistes, alors que lui même a toujours contesté les faits et la procédure pénale fait état d'un témoin présent lors du différent dont la déclaration n'est pas versée aux débats,
- disposant d'un appareil auditif, il a pu hausser la voix dans le cadre du différent l'opposant à Mme [J],
- l'appel aux services de police ne saurait caractériser une faute de sa part susceptible d'engager sa responsabilité et il a bien été indiqué, qu'il contestait avoir secouée Mme [J],
- sa signature sur le formulaire de rappel à la loi ne caractérise pas plus une reconnaissance de culpabilité.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 mai 2019 et l'affaire a été fixée à plaider à l'audience du 11 juin 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 706-11 du code de procédure pénale dispose que le fonds est subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge des dites personnes.
Dans un compte-rendu destiné au Maire de la commune de [Localité 3], les responsables de la police municipale indiquent qu'ils ont été appelés par la police afin de se rendre au domicile professionnel de Maître [F] [J], avocate, au motif que celle-ci se serait faite agresser par un client.
Une fois sur place, ils ont constaté que Mme [J] était très paniquée, excitée et qu'elle pleurait et leur a déclaré avoir été verbalement et physiquement agressée par M. [U] [R], présent sur les lieux.
Elle leur a déclaré que son agresseur l'avait prise par le bras et l'avait secouée fortement en criant.
Ils lui ont conseillé de se rendre chez un médecin aux fins d'établissement d'un certificat médical.
En suite de ces faits, une procédure a été établie par le commissariat de police de [Localité 3] mettant en cause M. [R].
Au cours de son audition, Mme [J] a indiqué que le 26 février 2015, elle avait reçu ce client et qu'à l'issue de l'entretien, elle lui a demandé une provision de 500 €, que celui-ci s'est énervé et lui a dit que ça n'allait pas et qu'il voulait récupérer son dossier, qu'il s'est ensuite levé devant son bureau et s'est mis à hurler à quelques centimètres de son visage en lui criant de lui remettre son dossier, tout en la secouant par l'épaule gauche, qu'elle a crié 'au secours' pensant qu'un autre client qui était dans la salle d'attente allait intervenir, qu'elle a finalement appelé le 17 et que les policiers municipaux sont intervenus.
M. [R] qui n'a pas récupéré son dossier a été invité à quitter le cabinet et les policiers ont raccompagné Mme [J] à son véhicule.
Un certificat médical a été établi le même jour par le docteur [E], psychiatre agréé, qui a constaté chez Mme [J] l'existence d'un vécu d'appréhension, un état d'hyper vigilance et de désordres neuro-végétatifs avec tachycardie, cet ensemble symptomatique étant constitutif d'un état de stress post-émotionnel pouvant être rapporté à l'événement traumatique rapportée par la patiente et entraînant une I.T.T. de 8 jours.
L'état de choc psychologique a été confirmé par un autre certificat médical du docteur [N], médecin généraliste, en date du 10 mars 2015 et d'autres certificats médicaux du docteur [E].
Au cours de son audition par les fonctionnaires de police, M. [U] [R] a confirmé avoir eu un désaccord avec Maître [J], alors qu'elle lui réclamait 500 € d'avance.
Il déclare qu'elle a pris son dossier qui se trouvait devant lui, qu'il a tenté de l'en empêcher, chacun tenant le dossier par un côté, et qu'il l'a finalement récupéré.
Il a admis qu'il ait été possible qu'il ait crié après elle, ajoutant qu'il portait un appareil auditif, mais qu'il ne voulait pas lui faire peur mais seulement récupérer son dossier.
Il conteste l'avoir touchée et notamment l'avoir secouée par l'épaule.
Il a admis également qu'elle avait crié deux fois 'au secours'.
Ainsi si M. [R] ne reconnaît pas l'existence de violences physiques sur la personne de Mme [J], il admet à tout le moins l'existence d'un entretien très tendu au cours duquel il a élevé la voix à l'encontre de cet avocate et a tenté de prendre de force le dossier qu'elle tenait dans la main.
Son comportement à l'encontre de Mme [J] a été violent, au moins verbalement et par le fait d'avoir adopté une attitude menaçante propre à impressionner Mme [J] au point que celle-ci se soit crue en danger puisqu'elle a crié 'au secours' à deux reprises et qui lui a occasionnée un choc psychologique relevé par les policiers municipaux et par plusieurs médecins qui l'ont examinée.
En outre, M. [R] a été convoqué devant le délégué du procureur de la république du chef de violences sur la personne de Maître [F] [J] n'ayant pas entraîné une incapacité de travail supérieure à 8 jours mais avec la circonstance que les faits ont été commis sur un avocat dans l'exercice de ses fonctions, et il a fait l'objet, le 7 mai 2015 d'un rappel à la loi par le délégué du procureur.
Le procès-verbal de rappel à la loi qui porte la signature de M. [R] mentionne que la personne déclare reconnaître les faits pour lesquels un rappel à la loi vient de lui être notifié.
A supposer que M. [R] ne maîtrise pas parfaitement la lecture et l'écriture de la langue française, comme le déclare son fils dans une attestation produite aux débats, il n'est pas douteux que le délégué du procureur de la république lui a expliqué les enjeux d'une procédure de rappel à la loi, explications que M. [R] a été en mesure de comprendre, ainsi qu'il ressort de son audition par les fonctionnaires de police réalisée sans le secours d'un interprète.
En apposant sa signature sur ce document, ce qu'il n'était pas obligé de faire, M. [R] a implicitement reconnu les violences sur la personne de Mme [J].
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la preuve de l'existence de faits présentant le caractère matériel d'une infraction à l'encontre de M. [R] est établie et en application de l'article 706-11 sus visé, le Fonds de garantie, subrogé dans les droits de la victime après l'avoir indemnisée de son préjudice, est donc recevable et fondé à en solliciter le remboursement auprès de l'auteur de l'infraction.
Suivant constat d'accord, homologué par le président de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales, le Fonds de garantie a indemnisé Mme [J] de son préjudice par l'allocation d'une somme de 14.685,90 € se décomposant comme suit :
- frais d'assistance à expertise : 600,00 €
- incidence professionnelle : 7.000,00 €
- déficit fonctionnel temporaire à 25 % : 738,10 €
- déficit fonctionnel temporaire à 10 % : 597,80 €
- souffrances endurées : 3.200,00 €
- déficit fonctionnel permanent : 2.200,00 €
- article 700 : 350,00 €
La cour constate que M. [R] ne discute pas le montant des indemnités allouées à Mme [J] par le Fonds de garantie.
Après déduction du montant de la somme versée au titre de l'article 700 qui n'entre pas dans les prévisions de l'article 706-11, il convient, réformant le jugement, de condamner M. [R] à payer au Fonds de garantie la somme de 14.335,90 € avec intérêts au taux légal à compter de ce jour.
La Cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du Fonds de garantie et il convient de lui allouer à ce titre la somme de 1.000 €.
Les dépens de première instance et d'appel sont mis à la charge de M. [R].
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris,
statuant de nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [U] [R] à payer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions la somme de QUATORZE MILLE TROIS CENT TRENTE CINQ EUROS QUATRE VINGT DIX (14.335,90 €) avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,
Condamne M. [U] [R] à payer au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions la somme de MILLE EUROS (1.000 €) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [U] [R] aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier P/Le président empêché