COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-6
(anciennement dénommée la 10ème chambre).
ARRÊT AU FOND
DU 21 NOVEMBRE 2019
N° 2019/441
N° RG 18/12717
N° Portalis DBVB-V-B7C-BC3PB
[Q] [J]
C/
Compagnie d'assurances MATMUT
Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (CPAM) DES BOU CHES DU RHONE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
- SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE
-SCP W & R LESCUDIER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE en date du 28 Juin 2018 enregistré au répertoire général sous le n° 16/14018.
APPELANT
Monsieur [Q] [J]
né le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, postulant et assisté par Me Alban BORGEL, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant.
INTIMEES
Compagnie d'assurances MATMUT,
demeurant [Adresse 2]
représentée et assistée par Me Roland LESCUDIER de la SCP W & R LESCUDIER, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Audrey PESTEL, avocat au barreau de MARSEILLE, postulant et plaidant.
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE
Assignée le 10/10/2018,
demeurant [Adresse 3]
Défaillante.
*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785,786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président, et Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller.
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Madame Françoise GILLY-ESCOFFIER, Conseiller
Madame Anne VELLA, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2019.
ARRÊT
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2019,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCÉDURE
Le 13 novembre 2003 à [Localité 1], M. [J] a été victime d'un accident corporel de la circulation routière impliquant un véhicule assuré auprès de la SA MATMUT.
Par ordonnance du 17 septembre 2004, le juge des référés du TGI de Marseille a commis M. [E] [Y] aux fins d'expertise judiciaire. Le rapport a été déposé le 26 septembre 2006.
Par jugement du 23 octobre 2007, le TGI de Marseille a accordé à M. [J] une somme de 156833,65 euros en réparation de son préjudice corporel.
M. [J] expose que son état de santé s'est dégradé en 2011. Une expertise amiable des 14 et 21 avril 2016 a été effectuée par le docteur [K]. L'offre d'indemnisation de la SA MATMUT a été rejetée.
Par ordonnance du 20 juillet 2016, le juge des référés de Marseille a accordé une provision de 37662 euros à M. [J], venant s'ajouter à une première provision de 8000 euros.
Par assignation du 10 novembre 2016, M. [J] a saisi le TGI de Marseille en réparation, au contradictoire de la SA MATMUT et de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône.
Par jugement du 7 juin 2018, le TGI de Marseille a :
- condamné la SA MATMUT à indemniser M. [J] des conséquences dommageables de l'aggravation de ses préjudices consécutifs à l'accident du 13 novembre 2003,
- évalué le préjudice corporel lié à cette aggravation à la somme de 57729 euros :
- dépenses de santé actuelles : néant,
- frais d'assistance à expertise : 3580 euros,
- assistance par tierce personne : 3936,00 euros,
- perte de gains professionnels futurs : rejet,
- déficit fonctionnel temporaire : 14013 euros,
- souffrances endurées : 30000 euros,
- déficit fonctionnel permanent : 4000 euros,
- préjudice esthétique : 2200 euros.
- condamné la SA MATMUT à payer à M. [J] la somme de 57729 euros, en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou en quittances, avec intérêt au taux légal à compter de la décision,
- jugé irrecevable la demande de M. [J] au titre de la perte de gains professionnels futurs comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée,
- condamné la SA MATMUT à payer à M. [J] la somme de 1300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclaré le jugement commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône,
- fixé à la somme de 78825,60 euros la créance de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône liée à l'aggravation de l'état de santé de M. [J],
- ordonné l' exécution provisoire du jugement,
- condamné la SA MATMUT aux dépens de l'instance, avec distraction au profit de Maître Alban Borgel, avocat, sur son affirmation de droit.
Le TGI de Marseille était saisi d'une double demande tendant à la réparation :
- de l'aggravation des chefs de préjudice visés par le jugement du 23 octobre 2007, et
- d'une demande distincte de 543365,87 euros, portant sur la perte de gains professionnels futurs (il était soutenu que le TGI de Marseille n'avait statué en 2007 que sur l'incidence professionnelle). Le TGI se voyait opposer par la SA MATMUT une double fin de non-recevoir de ce chef, tirée d'une part de l'autorité de la chose jugée le 23 octobre 2007 (le TGI de Marseille aurait déjà statué sur le perte de gains professionnels futurs) et d'autre part de la prescription de l'action en justice depuis le 2 juin 2016 (cette fin de non-recevoir n'a pas été examinée, le TGI ayant admis la première fin de non-recevoir et déclaré irrecevable la demande au titre du poste perte de gains professionnels futurs).
Par déclaration du 26 juillet 2018, M. [J] a interjeté appel du jugement en ce qu'il a :
- évalué son préjudice corporel à la somme de 57729 euros,
- condamné la SA MATMUT à lui payer cette somme avec intérêt au taux légal à compter du jour du jugement,
- jugé irrecevable la demande de M. [J] au titre du perte de gains professionnels futurs comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée,
- condamné la SA MATMUT à payer à M. [J] la somme de 1300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déclaré le jugement commun et opposable à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 11 février 2019, M. [J] demande à la cour de :
En la forme,
Recevoir l'appel de M. [J] et le déclarer bien fondé,
Au fond,
- confirmer le jugement du TGI de Marseille du 28 juin 2018 en ce qu'il a dit et jugé qu'il revenait à la SA MATMUT d'indemniser l'intégralité de l'aggravation de l'état séquellaire imputable à l'accident de la circulation survenu à [Localité 1] le 13 novembre 2003,
- le réformer pour le surplus.
Et statuant à nouveau,
- condamner la SA MATMUT à payer à M. [J] la somme de 53582 euros en réparation du préjudice qu'il a subi dans les suites de l'aggravation de son état séquellaire imputable à l'accident de la circulation dont il a été victime le 13 novembre 2003 et ce en sus de la créance de l'organisme social et de la provision déjà versée,
- juger que la demande formée par Monsieur [Q] [J] au titre de la perte de gains professionnels futurs est recevable et fondée,
Partant,
- condamner la SA MATMUT à payer à M. [J] la somme de 598044,61 euros en réparation de la perte de gains professionnels futurs qu'il a subie dans les suites de l'accident de la circulation dont il a été victime le 13 novembre 2003 et ce en sus de la créance de l'organisme social,
- condamner la SA MATMUT à payer à M. [J] la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SA MATMUT à supporter les entiers dépens d'instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau d'Aix-en-Provence, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
***
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 mars 2019, la SA MATMUT demande à la cour de :
- débouter M. [J] de sa voie de recours,
- confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions remises en cause, après avoir notamment dit et jugé que la demande au titre de la perte de gains professionnels futurs est au principal irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée, ou, subsidiairement, irrecevable comme prescrite,
- rejeter la demande de M. [J] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner à supporter les dépens d'appel qui seront distraits au profit de la SCP W. & R. LESCUDIER sur le fondement des articles 696 et 699 du code de procédure civile.
La SA MATMUT soutient que la réparation de la perte de gains professionnels futurs se heurte :
- à la prescription décennale de l'article 2226 du code civil applicable à toute action en réparation du dommage corporel. Le délai commence à courir à compter de la consolidation fixée au 1er juin 2006 de sorte que la prescription était acquise le 2 juin 2016 et que l'assignation en référé-provision du 3 juin 2016 n'a eu aucun effet interruptif de la prescription - ce d'autant moins qu'une assignation en justice n'a de vertu interruptive (article 2241 du code civil) que pour les préjudices qu'elle vise ou les contestations qu'elle élève. Or, en l'espèce, l'assignation se bornait à solliciter l'octroi d'une provision équivalente au montant de l'offre formulée par la SA MATMUT par courrier officiel du 1er mai 2016, laquelle ne comportait aucune proposition, que ce soit au titre de l'incidence professionnelle ou de la perte de gains professionnels futurs. La SA MATMUT réfute l'aggravation situationnelle invoquée par M. [J] afin d'obtenir la réouverture de son dossier de réparation du dommage corporel (« l'aggravation médicale qui a été retenue par le Dr [K] est une aggravation psychologique et non pas « physique » de sorte que les développements de l'appelant sur la gravité et la localisation de ses séquelles sont inopérants pour étayer sa réclamation ») ;
- à l'autorité de la chose jugée qui s'attache au premier jugement de Marseille du 23 octobre 2007, en ce qu'il a manifestement traité le poste incidence professionnelle par référence aux pertes de gains professionnels futurs. La SA MATMUT relève en particulier que le juge en 2007 a veillé à chiffrer le manque à gagner de M. [J] en fixant la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre du fait de son absence totale de formation professionnelle, en l'espèce le SMIC, de laquelle il avait déduit le RMI, déterminant ainsi une perte mensuelle de revenus capitalisée afin de chiffrer le manque à gagner de la victime durant sa vie professionnelle.
***
Citée à personne habilitée, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône n'a pas constitué avocat. Par courrier du 17 décembre 2018, elle a indiqué qu'elle n'entendait pas intervenir à l'instance. Elle a communiqué le montant définitif de ses débours.
***
La clôture a été prononcée le 24 septembre 2019.
L'affaire a été plaidée le 8 octobre 2019 et mise en délibéré au 21 novembre 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nature de la décision rendue :
L'arrêt rendu sera réputé contradictoire, conformément à l'article 474 du code de procédure civile.
Sur le droit à indemnisation :
Le droit à indemnisation intégrale du préjudice corporel en aggravation subi par M. [J] n'a jamais été contesté. Seule est discutée en cause d'appel l'évaluation de ce préjudice.
Sur l'indemnisation du préjudice corporel :
Le rapport d'expertise de l'expert [K] [K] des 14 et 21 avril 2016 indique que M. [J] a été victime d'un accident corporel de la circulation routière le 13 novembre 2003, lui occasionnant un traumatisme du membre inférieur gauche et un retentissement psychique secondaire. Un déficit fonctionnel permanent de 20 % a été retenu. M. [J] a présenté une aggravation secondaire du préjudice corporel depuis le 4 août 2011. Des complications sur matériel d'ostéosynthèse tibial gauche ont en effet nécessité de nombreuses interventions chirurgicales et réhospitalisations.
Les conséquences médico-légales de l'accident du 13 novembre 2003 sont les suivantes :
- déficit fonctionnel temporaire total : 4-8 août 2011, 12-14 octobre 2011, 14-21 octobre 2011, 21 octobre au 22 novembre 2011, 7-9 mars 2012, 30 septembre au 8 octobre 2012, 18 octobre 2012 au 29 mai 2013 22 février 2013, 9-23 juillet 2013, 27-31 octobre 2013, 31 octobre 2013 au 22 mars 2014,
- déficit fonctionnel temporaire partiel (classe I) : 10 %, entre les périodes de déficit fonctionnel temporaire total,
- consolidation : 4 octobre 2014,
- incapacité permanente partielle liée à l'aggravation : 2 %,
- souffrances endurées en relation avec l'aggravation : 5,5/7,
- préjudice esthétique permanent en relation avec l'aggravation : 1,5/7,
- besoin d'assistance tierce personne en relation avec l'aggravation : 3 heures par semaine pendant la période de déficit fonctionnel temporaire jusqu'au 22 avril 2014, soit un mois après le retour de l'hôpital.
Ce rapport d'expertise contre lequel aucune critique médicalement fondée n'est formulée, constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi. L'évaluation doit intervenir au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime au moment de la date de consolidation (né le [Date naissance 1] 1980, M. [J] était âgé de 34 ans à la date de la consolidation) afin d'assurer la réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.
M. [J] a subi un dommage corporel : il doit être replacé dans la situation où il se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit, sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit.
L'évaluation du dommage doit être faite au moment où la cour statue.
Sous le bénéfice de ces observations, le préjudice corporel de M. [J] doit être évalué comme suit.
I. PREJUDICES PATRIMONIAUX
a) préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
Dépenses de santé actuelles (DSA) : 78825,60 euros
Par ce poste, il s'agit d'indemniser l'ensemble des frais médicaux, hospitaliers, pharmaceutiques et paramédicaux exposés par l'organisme de sécurité et sociale et ceux éventuellement restés à la charge de la victime durant la phase temporaire d'évolution de la pathologie traumatique, jusqu'à la date de consolidation.
En l'occurrence, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône a communiqué un décompte des débours définitifs du 17 décembre 2017 faisant état, entre la date de l'aggravation séquellaire (4 août 2011) et la date de consolidation (4 octobre 2014) d'une somme de 78825,60 euros.
M. [J] ne fait état d'aucune dépense restée à sa charge.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Frais divers (FD)
*Frais de médecin conseil : 3580 euros
Cette dépense, non prise en charge par les organismes sociaux, a été supportée par M. [J] et est née directement et exclusivement de l'accident. Elle est donc indemnisable par l'assureur du conducteur ou gardien du véhicule impliqué, M. [J] ayant pu valablement se faire assister devant l'expert par le médecin de son choix afin que la discussion s'engage de façon réellement contradictoire sur un terrain médico-légal pour lequel il ne dispose d'aucune compétence technique.
En l'occurrence, M. [J] produit huit factures établies par le docteur [S] [Q] entre le 9 décembre 2013 et le 10 mars 2016 pour un montant total de 3580 euros.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
*Assistance par tierce personne temporaire : 4428 euros
Ce poste correspond à l'aide périodique nécessaire pour que la victime puisse accomplir les actes de la vie quotidienne, liés en particulier à la nécessité de préserver sa sécurité et suppléer sa perte d'autonomie.
La nécessité de la présence auprès de M. [J] d'une tierce personne n'est contestée ni dans son principe ni dans son étendue (3 heures hebdomadaires x 82 semaines). L'expert précise à cet égard, que M. [J] a besoin d'une aide humaine, du fait de l'aggravation, à hauteur de trois heures par semaine pendant les périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel, entre la prise en charge au domicile familial et la date de retour d'hospitalisation majorée de trente jours, soit le 22 avril 2014.
L'assistance par tierce personne reste discutée en revanche quant à son coût. M. [J] conclut à un taux horaire de 24 euros, la SA MATMUT propose un taux de 12 euros. Le jugement entrepris retient un taux de 16 euros.
En application du principe de la réparation intégrale et quelles que soient les modalités choisies par la victime, le tiers responsable est tenu d'indemniser le recours à cette aide humaine indispensable qui ne saurait être réduit en cas d'aide familiale ni subordonné à la production des justificatifs des dépenses effectuées.
Eu égard à la nature de l'aide requise et du handicap qu'elle est destinée à compenser, des tarifs d'aide à domicile en vigueur dans la région PACA, l'indemnisation se fera sur la base d'un taux horaire moyen de 18 euros.
L'indemnité de tierce personne temporaire s'établit à 18 euros x 3 heures x 82 semaines = 4428 euros.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
b) préjudices patrimoniaux permanents après consolidation
Perte de gains professionnels futurs (PGPF) : rejet
Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable. Cette perte ou diminution des gains professionnels peut provenir soit de la perte de son emploi par la victime, soit de l'obligation pour elle d'exercer un emploi à temps partiel à la suite du dommage consolidé. Ce poste n'englobe pas les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste qui ne sont que des conséquences indirectes du dommage.
De ce poste de préjudice, devront être déduites les prestations servies à la victime par les organismes de sécurité sociale (pensions d'invalidité et rentes accidents du travail), les mutuelles, les institutions de prévoyance et les assureurs (prestations longue durée d'invalidité et accidents du travail), de même que par les employeurs publics (allocations temporaires d'invalidité, pensions et rentes viagères d'invalidité) qui tendent à indemniser, le plus souvent de manière forfaitaire, partant de manière partielle l'incapacité invalidante permanente subie par la victime afin d'éviter soit que celle-ci ne bénéficie d'une double indemnisation de son préjudice sur ce point, soit que le recours exercé par l'organisme tiers payeur ne réduise les sommes dues à la victime.
La SA MATMUT oppose deux fins de non-recevoir à la demande de M. [J], tirées :
- l'une, de l'expiration du délai de prescription décennale dans lequel l'article 2226 du code civil enferme l'exercice de toute action tendant à la réparation d'un dommage corporel, et,
- l'autre, de l'autorité de la chose jugée s'attachant au jugement du TGI de Marseille du 23 octobre 2007 qui, sous couvert de l'incidence professionnelle, aurait statué sur la perte de gains professionnels futurs de M. [J].
L'article 2226 du code civil dispose que : « l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé ».
M. [J] et la SA MATMUT divergent quant au point de savoir, s'il y a lieu ou non de différer ce point de départ du 1er juin 2006 (date de consolidation proprement dite) au 26 septembre 2006 (date à laquelle le rapport d'expertise a été notifié aux parties et où M. [J] a eu effectivement connaissance de la naissance de son droit). Le débat est sans objet en réalité dans la mesure où, conformément à l'article 2226, c'est la date de consolidation du préjudice en aggravation retenue par l'expert judiciaire [K] [K], en l'espèce le 4 octobre 2014, qui sert de point de départ au calcul du délai de prescription. Cette première fin de non-recevoir doit donc être écartée.
L'article 1355 du code civil, « l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».
En l'occurrence, les attendus du jugement mettent en évidence que, sous couvert de chiffrer le poste incidence professionnelle, le premier juge a en réalité constaté en premier lieu que M. [J], qui n'avait occupé jusqu'alors que des emplois manuels indissociables d'une bonne constitution physique et d'une bonne motricité, ne pouvait plus, selon l'expert judiciaire [Y], accéder qu'à des emplois ne comportant aucune station debout, aucune marche et aucune manutention. Raisonnant in concreto, il en a conclu que les perspectives de reconversion étaient d'autant plus incertaines que M. [J] n'était pourvu d'aucune formation particulière. Il en a tiré la conclusion que, sur la base d'un SMIC mensuel à 1182 euros et, quel qu'en soit le bien-fondé, retranchement du revenu minimum d'insertion mensuel de 440 euros, M. [J] subissait une perte de revenus annuels de 8904 euros correspondant, après capitalisation par le prix de l'euro suivant barème TD 88/90 à une somme de 186253,87 euros. Il a accordé à M. [J] la somme de 70683,65 euros demandée par l'intéressé.
Ainsi, il est manifeste que le premier juge statuant en 2007, n'a pas spécialement caractérisé les éléments relevant de l'incidence professionnelle, tels que la possible dévalorisation de M. [J] sur le marché du travail, la perte d'une chance professionnelle, l'augmentation de la pénibilité des conditions de travail ou de façon générale toutes les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle. Il a bien au contraire, en croisant une perte annuelle estimée de revenus professionnels avec un barème de capitalisation ' statué sur une perte de gains professionnels futurs. M. [J] n'a pas interjeté appel du jugement du 23 octobre 2007 et ne saurait obtenir une seconde fois la réparation du même préjudice. L'autorité de la chose conduit à déclarer irrecevable la demande de M. [J]. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
II. PREJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX
a) préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
Déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 14013 euros
Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence et le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.
Il doit être réparé sur la base des paramètres retenus par le premier juge, soit une somme de 27 euros par jour eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie. Soit 12069 euros pendant la période d'incapacité totale de 447 jours et, 1944 euros proportionnellement pendant la période d'incapacité partielle à 10% de 720 jours. Soit une somme totale de 14013 euros. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
Souffrances endurées (SE) : 35000 euros
Ce poste prend en considération, les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime. En l'espèce, M. [J] a subi neuf hospitalisations et sept interventions chirurgicales, outre une prise en charge psychiatrique et un séjour en centre de rééducation fonctionnelle. L'expert note par ailleurs que la menace d'une amputation consécutive à l'apparition des troubles infectieux a ravivé et amplifié le vécu traumatique initial avec recrudescence des cauchemars et péjoration de l'avenir. Évaluées à 5,5/7 par l'expert, ces souffrances endurées justifient l'octroi d'une indemnité de 35000 euros. Le jugement sera infirmé de ce chef.
b) préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)
Déficit fonctionnel permanent (DFP) : 5000 euros
Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales).
Le prix du point d'incapacité permanente partielle est fixé selon les séquelles conservées, le taux d'incapacité et l'âge de la victime.
En l'occurrence, le docteur [K] évoque un retentissement algo-fonctionnel important, au niveau du membre inférieur gauche avec un retentissement dans son vécu quotidien, personnel, social, professionnel, sportif. Il justifie la majoration de deux points du déficit fonctionnel permanent par la majoration de la symptomatologie psychiatrique préexistante, en lien avec les complications de son état somatique en 2011 et 2012.
Au regard du taux majoré de déficit fonctionnel permanent (22 %) et de l'âge de M. [J] à la date de la consolidation (34 ans), le prix du point d'incapacité permanente partielle retenu sera de 2500 euros. Soit une indemnité d'un montant total de 5000 euros. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Préjudice esthétique permanent (PEP) : 2200 euros
Ce poste de dommage cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement les éléments de nature à altérer l'apparence physique. En l'occurrence, le docteur [K] relève sur la jambe gauche la présence de cicatrices complémentaires, une augmentation du périmètre de la jambe gauche de deux centimètres et des modifications des reliefs osseux au niveau tibial. Qualifié de 1,5/7, ce poste de préjudice doit être indemnisé à hauteur de 2200 euros, montant proposé par la SA MATMUT. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
***
Le préjudice corporel global subi par M. [J] s'établit ainsi à la somme de 143046,60 euros. Soit, après imputation des débours de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône, une somme de 64221 euros lui revenant, provisions non déduites, qui portera intérêts au taux légal, conformément à l'article 1231-7 du code civil, à compter du prononcé du jugement du 28 juin 2018 sur la somme de 57729 euros et à compter du présent arrêt, soit le 21 novembre 2019, sur le surplus des sommes dues.
Sur les demandes annexes :
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime doivent être confirmées.
L'équité justifie d'allouer à M. [J] une indemnité de 1500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés devant la cour.
La SA MATMUT qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt réputé contradictoire,
Confirme le jugement, hormis sur les postes suivants :
- assistance par tierce personne temporaire,
- souffrances endurées,
- déficit fonctionnel temporaire.
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande d'indemnisation d'une perte de gains professionnels futurs,
Fixe le préjudice corporel global de M. [J] à la somme de 143046,60 euros (cent quarante trois mille quarante six euros et soixante cents),
Dit que l'indemnité revenant à M. [J] s'établit à 64221 euros (soixante quatre mille deux cent vingt et un euros),
Condamne la SA MATMUT à payer à M. [J] la somme de 64221 euros (soixante quatre mille deux cent vingt et un euros), avant déduction des provisions versées,
Dit que cette somme portera intérêt au taux légal, à compter du 28 juin 2018, sur la somme de 57729 euros (cinquante sept mille sept cent vingt neuf euros) et à compter de la présente décision sur le surplus des sommes dues,
Condamne la SA MATMUT à payer à M. [J] somme de 500 euros (cinq cents euros) au titre des frais irrépétibles exposés en appel,
Condamne la SA MATMUT aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du de procédure civile.
Le greffier Le président