COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 26 NOVEMBRE 2019
AD
N° 2019/ 625
Rôle N° RG 17/14003 - N° Portalis DBVB-V-B7B-BA6DI
[D] [P] épouse [N]
C/
Société civile SOZIETÄT [A] RECHTSANWALTSGESELLSCHAFT
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Pierre VARENNE
Me Sarah SAHNOUN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 19 Juin 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 14/04705.
APPELANTE
Madame [D] [P] épouse [N]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 3] (ALLEMAGNE)
de nationalité Allemande, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Pierre VARENNE, avocat au barreau de GRASSE
INTIMEE
Société civile SOZIETÄT [A] RECHTSANWALTSGESELLSCHAFT, Société civile de droit allemand, constituée des avocats Dr. [H] [G], [R] [A], [W] [J], Dr. [I] [M], [B] [O], [U] [C], Dr. [V] [T], ayant son siège [Adresse 4] (Allemagne), représentée par Maître [U] [C], dûment habilitée à cet effet.
demeurant [Adresse 4] (ALLEMAGNE)
représentée par Me Sarah SAHNOUN, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Octobre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Agnès SOULIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2019,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Mme Agnès SOULIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE :
Vu l'arrêt rendu par la présente cour, le 21 mai 2019, ayant déclaré recevable en ses demandes la société [A] Rechtsanwaltsgesellschaft et avant dire droit au fond, ayant ordonné la ré-ouverture des débats en invitant la société [A] Rechtsanwaltsgesellschaft à verser les dispositions du droit allemand applicables aux conditions d'exercice de l'action en nullité pour vice du consentement, ayant également invité les parties à s'expliquer sur le sens à donner à ces dispositions aux fins de résolution du présent litige et ordonné le renvoi de l'affaire en réservant, dans l'attente, les demandes des parties.
Vu les conclusions de Mme [N], en date du 18 septembre 2019, demandant de :
- réformer le jugement,
- rejeter les demandes du cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft,
- déclarer nulle la convention d'honoraires du 9 février 2010, et l'ordre irrévocable de virement fait par Me [S], notaire,
- dire que par la perception de la somme de 12'000 € le cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft a été rempli de ses droits à honoraires,
- condamner le cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft à lui payer la somme de 3734,59€ indûment conservée, avec intérêts de droit à compter du 27 mai 2014, date de la mise en demeure,
- ordonner la mainlevée de l'inscription d'hypothèques prise le 19 août 2014 aux frais du cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft ,
- condamner le cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft à lui payer la somme de 6000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société [A] Rechtsanwaltsgesellschaft a conclu le 13 septembre 2019, en demandant de:
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'appelante à lui verser le montant de ses honoraires impayés,
- réformer partiellement le jugement s'agissant du montant de la dette et constater qu'elle dispose d'une créance certaine, liquide, exigible de 84'458,20 euros au titre des honoraires impayés et condamner en conséquence l'appelante à lui verser cette somme,
- dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 14 mai 2014, date de sa mise en demeure, et ordonner la capitalisation des intérêts,
- ordonner l'exécution provisoire,
- condamner l'appelante à lui verser la somme de 10'000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers .
Motifs
Le jugement attaqué a condamné Mme [N] à payer à la société [A] Rechtsanwaltsgesellschaft une somme de 80'931,53 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 mai 2014 et capitalisation, et a rejeté la demande de mainlevée de l'inscription d'hypothèque.
La société [A] Rechtsanwaltsgesellschaft est un cabinet d'avocats, qui a conseillé Mme [N] pour une procédure de divorce menée en Allemagne.
Dans le cadre de ce litige, elle sollicite à son encontre le paiement d'honoraires dûs de ce chef et qu'elle prétend impayés.
Le cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft affirme qu'il n'a reçu qu'un paiement partiel constitué d'un chèque de provisions de 2000 € le 7 janvier 2010, d'un virement de 10'000 € du 3 décembre 2012, et de 8 virements de 291 € chacun entre le 20 mars et le 9 décembre 2013 de l'ancien mari de Mme [N], ce qui totalise une somme de 14'328 €.
L'appelante conteste ces demandes en se fondant notamment sur le fait qu'elle serait victime de manoeuvres dolosives entraînant la nullité de la reconnaissance de dette et de l'ordre de versement notarié souscrits à son profit et que l'avocat 'n'a eu de cesse de la relancer pour la contraindre au règlement', tout en concluant, dans le dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour en application de l'article 954 du Code de Procédure Civile, à la nullité de la convention d'honoraires et à celle de l'ordre irrévocable de paiement.
Le litige concernant le paiement d'honoraires réclamés par une société d'avocats de droit allemand, le droit allemand est applicable .
Il résulte des textes désormais produits que :
- l'article 119 du Code civil allemand dispose :
'Quiconque a commis une erreur sur le contenu de sa déclaration de volonté ou n'a pas voulu faire une telle déclaration peut contester son consentement sous réserve qu'il soit établi qu'en connaissance de la situation ou de son évaluation raisonnable, il n'aurait pas consenti. Une erreur sur les caractéristiques de la personne ou du bien peut constituer une erreur sur le contenu de la déclaration de volonté lorsque ces caractéristiques peuvent être considérées comme essentielles'.
- l'article 123 du Code civil allemand dispose :
' Celui dont la déclaration de volonté a été obtenue par un dol ou une menace peut contester cette déclaration. Si le dol a été commis par un tiers, la déclaration de volonté ne peut être reliée à l'égard de celui auquel elle a été faite que si ce dernier connaissait ou aurait dû connaître le dol. Dans la mesure où une personne autre que celle à laquelle la déclaration devait être faite a indirectement acquis un droit découlant de la déclaration, celle-ci peut être contestée à son égard si elle connaissait ou aurait dû connaître le dol'.
- par ailleurs, l'article 121 stipule que l'action en nullité doit être intentée immédiatement ( sans délai) après que le titulaire de l'action a eu connaissance des faits lui permettant de l'exercer et l'article 124 prévoit que l'action fondée sur un dol ou une contrainte doit être poursuivie dans le délai d'un an à compter de la connaissance des faits permettant de l'exercer .
La consultation versée aux débats par Mme [N] au sujet de ces textes fixe à deux semaines le délai maximal de l'article 121 à compter de la prise de connaissance de l'information sur le motif du recours, à un délai maximum de 10 ans en l'absence de connaissance de ce motif et elle confirme le délai d'un an pour exercer l'action sur la contrainte, son point de départ étant la fin de la situation de contrainte.
Mme [N] a consulté le cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft à la fin de l'année 2009, après plusieurs années de procédure de divorce contre son mari.
Elle a signé, le 9 février 2010, une convention d'honoraires avec celui-ci au terme de laquelle les prestations devaient être facturées au temps passé, le taux horaire de l'avocat y étant fixé à 250 € hors taxes , la convention précisant également qu'en cas d'accord transactionnel, un honoraire de négociations sera facturé en plus, conformément à la loi allemande sur la rétribution des avocats.
Cette convention avait été précédée de l'envoi d'une courrier par l'avocat du 12 janvier 2010 explicatif de ses principes de rémunération.
Le cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft avait, par ailleurs, envoyé à sa cliente, un courriel du 25 janvier 2010, évoquant une somme de 8000 à 10000 euros brute, dont il explique qu'il ne vise nullement les honoraires convenus pour son travail d'assistance ayant conduit aux décisions rendues, mais qu'il concerne l'estimation des sommes dues en cas d'accord transactionnel soulignant d'ailleurs qu'il y est précisé qu'il est fonction du montant de l'éventuelle indemnité transactionnelle susceptible d'être versée.
La traduction qui en est versée par l'appelante permet de retenir que ce mail évoque d'abord l'envoi de la convention d'honoraires dont on sait qu'elle prévoit un honoraire à l'heure et aussi le cas d'un honoraire de transaction en cas d'accord entre les parties, puisqu'il précise distinctement un honoraire dit 'honoraire d'accord' en stipulant qu'il ne pourra être établi que lorque tous les chiffres seront disponibles et en l'estimant alors entre 8000 et 10 000€ bruts.
S'agissant de la portée à donner à ces éléments au regard de la présente réclamation , il sera considéré que ce courriel ne peut s'entendre que comme nedonnant, à propos de la fourchette ainsi chiffrée, qu'une approximation d'un honoraire de transaction et qu'il n'est pas contesté qu'en fait, aucun accord transactionnel n'a jamais eu lieu après la signature de la convention d'honoraires.
Le cabinet [A] Rechtsanwaltsgesellschaft, qui affirme donc que la somme dont il poursuit le paiement est l'application du contrat signé par les parties , a chiffré sa demande en produisant les différentes factures qu'il a établies entre 2010 et 2014.
Mme [N] ne conteste pas, de son côté, avoir reçu au moins les deux premières factures, à savoir :
- celle correspondant à l'envoi du mail du 20 avril 2010, puisqu'elle écrit dans ses conclusions : 'l'appelante recevait de l'intimé par un courriel du 20 avril 2010 un honoraire pour la période de janvier à avril 2010 pour 41 166,61€'
- et celle correspondant à l'envoi du mail du 11 août 2010, réclamant la somme totale de 49 025,57€ .
Elle a, par ailleurs, fait établir par son notaire, le 26 octobre 2010, un ordre irrévocable de versement d'une somme de 49'025,57 euros à valoir sur le disponible du prix de vente du bien lui appartenant situé à [Localité 5] pour garantie du paiement des factures 10-00 315 et 10-00 613 ( qui sont les deux factures sus-visées) et elle a également signé , le 23 juillet 2012, une reconnaissance de dette ainsi rédigée : 'Je soussignée Mme [D] [N] reconnais par la présente devoir la somme brute de 80'000 €(67'226,89 euros hors taxes ainsi que 12'773,11 euros de TVA au taux de 19 %) à Me [U] [C] en paiement de ses prestations d'avocat pour la période courant de décembre 2009 à juin 2012", ces documents démontrant qu'elle connaissait d'ores et déjà le montant de la dette ainsi réclamée .
La procédure de divorce a donné lieu à une décision du tribunal de Hambourg du 3 février 2012, confirmée par la cour hanséatique de Hambourg le 20 décembre 2012, le mari de Mme [N] se voyant débouté de toutes ses demandes alors qu'il était demandeur pour solliciter une suppression de la pension à compter du mois de mai 2005 et se voyant en conséquence condamné à continuer d'exécuter ses obligations telles que résultant de la précédente décision du tribunal du 11 mai 2004 prévoyant une pension alimentaire mensuelle de 4 090,34 euros .
En droit, le premier moyen opposé aux contestations de Mme [N] par la société [A] consiste à faire valoir qu'aucune critique des sommes réclamées n'a jamais été émise par celle-ci et que les demandes de nullité se heurtent à l'exigence, en droit allemand, de l'exercice d'une action immédiate ou sans délai (article 121) ou dans le délai d'un an à compter de la connaissance lui permettant d'exercer l'action en cas de demande fondée sur le dol ou la violence.
Mme [N] répond que 'l'argument... est irrecevable en cause d'appel et n'a jamais été soulevé en premier ressort' , qu'il est en outre inopérant 'ayant contesté les sommes dues à plusieurs reprises.'
Étant préalablement relevé que le moyen de la société [A] est recevable s'agissant d'une fin de non recevoir et non d'une demande nouvelle devant la cour, il sera par ailleurs considéré sur l'appréciation des conditions de l'exercice de l'action :
- que la première contestation émise par Mme [N] au sujet des honoraires réclamés est fixée par son adversaire comme faite au mois d'avril 2015, date, non critiquée, de ses conclusions en défense devant le Tribunal de Grande Instance suite à l'assignation en paiement du cabinet d'avocats ; qu'elle n'en démontre aucune autre, antérieure, et qu'il sera au demeurant observé qu'il résulte d'un courriel du 7 avril 2014 de Mme [N] à Me [C] que celle-ci y écrit qu'elle ' aimerait vraiment honorer le travail que vous accomplissez maintenant depuis 4 ans sans être rémunéré à l'exception des 2000€ que [X] a payés sur votre commission et de mes 10 000€' ;
- que s'agissant de la convention d'honoraires, dont les termes sont au demeurant parfaitement clairs, distinguant sans ambiguité la facturation au temps passé selon un barême défini de 250€ HT l'heure, dont il est spécifié qu'il déroge au barême légal, et le règlement d'un honoraires de transaction, rien n'établit que l'avocat lui aurait fait des promesses de demandes en justice qui n'auraient pas été présentées ; qu'ainsi, Mme [N] ne saurait prétendre que son avocat n'a pas réclamé les sommes dont elle souhaitait bénéficier ; qu'il résulte, en outre, de la lecture des décisions obtenues et sus rappelées que son ancien mari a effectivement été débouté de toutes ses demandes quant à la pension alimentaire ; que d'autre part, elle a eu connaissance, par ces jugements datant au plus tard de décembre 2012, des prétentions émises pour elle ; que la signature de la convention avait été précédée d'envois de courriers par l'avocat les 12 et 25 janvier, également clairs, de sorte que la seule contestation dont il est justifié contenue aux conclusions de première instance d'avril 2015 est aussi tardive au regard des exigences sus-citées quant aux conditions temporelles d'exercice de l'action fondée sur l'erreur ou sur le dol; qu'enfin, l'existence d'aucune contrainte susceptible de retarder le point de départ de l'action n'est démontrée relativement à cet acte ;
- que s'agissant de l'acte de reconnaissance de dette et de l'ordre irrévocable de paiement, la situation est la même en ce qui concerne le défaut de preuve d'une contestation antérieure à 2015, étant considéré d'une part, que ces actes ont donc été signés en 2010 et 2012 , d'autre part, que Mme [N] connaissait les sommes exactes y réclamées lors de leur signature, les modalités de calcul prévues à la convention, ainsi que la qualité et les résultats des prestations de l'avocat y correspondant vu la date des décisions rendues ; qu'il n'est donc pas plus établi la réalité d'une tromperie sur les demandes promises par l'avocat, notamment quant à une prétendue réclamation d'un capital de 600 000€ ; qu'enfin, la contrainte dont elle se plaint et qui consisterait dans les réclamations répétées et courriers de rappels de son avocat pour des sommes contractuellement dues qui l'auraient conduit à ces signatures est, en toute hypothèse, contemporaine ou postérieure à ces actes, la procédure de saisie immobilière menée étant par ailleurs largement postérieure aux accords donnés par ces actes et ne pouvant donc être avancée comme susceptible d'être retenue comme un vice du consentement.
Il en résulte, vu les textes de droit allemand sus-cités, vu les moyens développés par les parties, et vu la seule date susceptible d'être retenue quant à la première contestation de Mme [N], que la demande de nullité formée contre ces actes ne saurait être admise.
Enfin, la situation prétendument obérée de Mme [N] est sans incidence sur le principe même de l'exécution obligatoire par elle des engagements contractuels conclus.
En ce qui concerne la demande de Mme [N] tendant à se voir restituer la somme de 3734,59€, dont elle prétend qu'elle a été indûment conservée par l'avocat, aucun élément ne démontre le bien fondé de sa demande de ce chef.
Le cabinet d'avocats affirme, pour sa part, que seule, une somme de 2328 € a été reçue par lui et l'examen du compte démontre qu'il l'a déduite de sa réclamation.
L'appelante sera donc déboutée des fins de son recours, y compris de sa demande de main levée de l'inscription hypothécaire et le jugement sera confirmé, sauf cependant sur le montant de la condamnation qui sera fixée à 84 458,20€ vu les sommes à déduire au titre des règlements effectués pour 12 000€ et 2328€.
Le présent arrêt étant exécutoire, il n'y a pas lieu à exécution provisoire.
Vu les articles 696 et suivants du code de procédure civile.
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Rejette les demandes de l'appelante et confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur le montant principal de la condamnation qui sera fixée à 84 458,20€ , l'ensemble des autres dispositions étant donc confirmé,
Y ajoutant :
Condamne Mme [N] à verser à la société [A] Rechtsanwaltsgesellschaft la somme de 1800€ par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes plus amples,
Condamne Mme [N] à supporter les dépens de la procédure d'appel et en ordonne la distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT