COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 26 NOVEMBRE 2019
AV
N° 2019/ 635
Rôle N° RG 19/08567 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BEKVN
Etablissement Public METROPLOE NICE COTE D'AZUR
C/
[Q] [F]
Compagnie d'assurances AXA FRANCE IARD
ETABLISSEMENTPUBLIC REGIE EAU D'AZUR
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Eric TARLET
Me Romain CHERFILS
Me Roselyne SIMON-THIBAUD
Me Paul GUEDJ
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance du Juge de la mise en état de NICE en date du 13 Mai 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 17/05644.
APPELANTE
Etablissement Public METROPOLE DE NICE COTE D'AZUR prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Eric TARLET de la SCP LIZEE PETIT TARLET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Astrid LANFRANCHI de la SELARL [Personne physico-morale 1], avocat au barreau de NICE substitué par Pierre VARENNE, avocat au barreau de GRASSE, plaidant.
INTIMES
Monsieur [Q] [F] en sa qualité de tuteur de Mme [V] [H] veuve [E]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assisté par Me Philippe TEBOUL de la SELARL TEBOUL PHILIPPE, avocat au barreau de NICE,
Compagnie d'assurances AXA FRANCE IARD prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités au siège
[Adresse 3]
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LEXAVOUE BOULAN CHERFILS IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assisté et plaidant par Me Frédéric VANZO, avocat au barreau de NICE
ETABLISSEMENTPUBLIC REGIE EAU D'AZUR pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assisté et plaidant par Me Emeric MORICE avocat au barreau de PARIS substitué par Me Loïc HERLEDAN, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Octobre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Anne VIDAL, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Agnès SOULIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Novembre 2019,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Mme Agnès SOULIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
M. [Q] [F], ès qualités de tuteur de Mme [V] [H], a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nice, suivant actes d'huissier des 27, 28 et 30 novembre 2017, la Régie Eau d'Azur, la [Adresse 5] et la société AXA France IARD, assureur de Mme [V] [H], pour obtenir leur condamnation in solidum à lui verser une somme de 270 591,64 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 35 200 euros en réparation de son préjudice de jouissance à la suite des désordres causés dans son immeuble par la défaillance d'une canalisation d'eau potable.
La [Adresse 5] a soulevé l'incompétence du juge judiciaire au profit du tribunal administratif de Nice pour statuer sur les demandes. De son côté, la Régie Eau d'Azur a demandé au juge de la mise en état de prononcer la nullité de l'assignation délivrée par M. [Q] [F], ès qualités de tuteur de Mme [V] [H], au motif qu'elle ne comporte pas de moyen de droit lui permettant de comprendre les motifs de la condamnation qui est sollicitée.
Par ordonnance en date du 13 mai 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la [Adresse 5] et retenu que le tribunal de grande instance de Nice était compétent pour trancher le litige, considérant que celui-ci est lié à la rupture d'une canalisation assurant la fourniture d'eau par la Régie Eau d'Azur, les canalisations appartenant à la Métropole Nice Côte d'Azur, ayant causé un dommage à un usager, Mme [V] [H], que la fourniture d'eau est un service public industriel et commercial et que le dommage né à l'occasion de cette fourniture d'eau relève de la compétence du juge judiciaire.
Il a également rejeté l'exception de nullité de l'assignation en relevant que l'assignation mentionne en page 14 qu'il s'agit d'une action en responsabilité de plein droit et qu'elle vise dans son dispositif les articles de loi invoqués par la demanderesse.
La [Adresse 5] a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 24 mai 2019. L'affaire a été fixée selon les modalités de l'article 905 du code de procédure civile à l'audience du 21 octobre 2019.
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La [Adresse 5], suivant ses conclusions récapitulatives notifiées le 10 octobre 2019, demande à la cour, au visa de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII titre II et des lois des 16 et 24 août 1790, de se déclarer incompétente au profit du tribunal administratif de Nice pour connaître de ce litige et de condamner M. [Q] [F], ès qualités de tuteur de Mme [V] [H], à lui payer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que le dommage invoqué par Mme [V] [H] constitue un dommage de travaux publics, les désordres dont elle fait état ayant pour origine prépondérante une fuite du réseau d'eau potable métropolitain, avant le compteur privatif de l'usager ; cette canalisation d'eau potable constitue un ouvrage public, s'agissant d'un bien immobilier ayant fait l'objet d'un travail d'aménagement et affecté à un but d'intérêt général, peu important le lieu de son implantation et la qualité de son propriétaire ; il est jugé que les dommages subis par les tiers du fait des branchements entre la conduite principale et le compteur de l'abonné constituent des dommages de travaux publics ; du fait de la localisation de la fuite, avant son compteur, Mme [V] [H] est un tiers et non un usager.
Elle ajoute que le premier juge a retenu sa compétence en considérant que la Régie Eau d'Azur était un service public industriel et commercial mais ce n'est pas le cas de la Métropole [Localité 1] Côte d'Azur qui est pourtant mise en cause en qualité de maître d'ouvrage de la canalisation ; les décisions de jurisprudence opposées par la société AXA France IARD ne sont pas applicables contre la Métropole [Localité 1] Côte d'[Localité 2] et Mme [V] [H] ne peut se prévaloir de la qualité d'usager à son égard.
La Régie Eau d'Azur, par conclusions en date du 26 septembre 2019, demande à la cour, au visa de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII et de la jurisprudence y afférent, de réformer l'ordonnance déférée en tant qu'elle retient la compétence du juge judiciaire, de se déclarer incompétente pour connaître de l'action introduite par M. [Q] [F], ès qualités de tuteur de Mme [V] [H], contre la Régie Eau d'Azur au profit du tribunal administratif de Nice et de mettre à la charge de Mme [V] [H] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait état de la jurisprudence du Tribunal des conflits et des juridictions administratives retenant que le juge judiciaire n'est compétent que si le dommage dont il est demandé réparation est survenu dans le cadre de la fourniture de la prestation du service public industriel et commercial, c'est à dire est lié à la relation contractuelle existant entre le service et l'usager.
Elle soutient que les deux conditions cumulatives imposées par la jurisprudence, lien contractuel entre le gestionnaire du service et la victime et désordre résultant nécessairement de la mauvaise exécution de ce contrat, ne sont pas réunies :
- d'une part, la Régie Eau d'Azur et Mme [V] [H] n'étaient pas liées par un contrat d'abonnement au moment de la découverte des désordres, le 25 août 2014, puisque la Régie Eau d'Azur n'a été chargée d'exploiter le réseau public sur la commune de La Bollène Vésubie qu'à compter du 1er janvier 2015,
- d'autre part, la maison appartenant à Mme [V] [H], inoccupée depuis a minima 2013, n'était plus alimentée en eau potable, de sorte que les dommages décrits ne peuvent s'être déclarés à l'occasion de la fourniture de l'eau potable.
M. [Q] [F], ès qualités de tuteur de Mme [V] [H], en l'état de ses dernières écritures notifiées le 4 octobre 2019, demande à la cour de :
- débouter la [Adresse 5] de toutes leurs demandes, fins et conclusions et confirmer purememnt et simplement l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice avec toutes ses conséquences de droit,
- condamner la [Adresse 5], d'une part, et la Régie Eau d'Azur, d'autre part, à lui payer, chacune, la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée et celle de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens in solidum.
Il rappelle que Mme [V] [H] est propriétaire d'une maison à usage d'habitation sur la commune de La Bollène Vésubie, qu'elle n'y vit plus depuis des années mais que la commune l'a informée par lettre du 28 août 2014 que la construction présentait d'importants dégâts faisant craindre un effondrement dont l'origine serait une rupture de la canalisation d'eau potable alimentant la maison, entre la bouche à clé du réseau présent sous le chemin piéton et le compteur d'eau de l'habitation.
Il conteste les argumentations défendues par la [Adresse 5] et par la Régie Eau d'Azur en faisant valoir :
- le Tribunal des conflits, dans une jurisprudence applicable à tous les usagers, retient la compétence du juge judiciaire alors même que les dommages trouvent leur origine dans un incident survenu en amont du branchement particulier (TC 12 octobre 2015) ;
- la Régie Eau d'Azur est l'émanation de la Métropole [Localité 1] Côte d'Azur et il importe peu que sa concession n'ait débuté que le 1er janvier 2015 ; en tout état de cause le désordre a perduré au-delà de cette date, de sorte que sa responsabilité est engagée ;
- il importe peu que Mme [V] [H] n'ait plus habité la maison, le Tribunal des conflits estimant que le fournisseur reste responsable dans le cadre d'un rapport de droit privé, et ce quelle que soit la consommation effective d'eau.
La société AXA France IARD, aux termes de ses conclusions notifiées le 2 septembre 2019, conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée et à la condamnation de la [Adresse 5] à lui verser une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Elle considère que cette affaire relève de la compétence judiciaire car elle oppose fondamentalement un client abonné au service public industriel et commercial de distribution d'eau potable, qu'il s'agisse de la Régie Eau d'Azur ou, avant le 1er janvier 2015, la Métropole [Localité 1] Côte d'Azur, à raison d'un dommage affectant le bien immobilier de cet abonné.
Les arrêts du Tribunal des conflits et du Conseil d'Etat cités par la Métropole Nice Côte d'Azur ne peuvent être appliqués, celui du 2 mars 1987 concernant un propriétaire d'immeuble non abonné à EDF, donc un tiers, et celui du 2 juillet 1975 ayant statué uniquement sur le lien de causalité entre les travaux litigieux et le dommage, sans se pencher sur la question de la compétence. Au contraire, les décisions les plus récentes du Tribunal des conflits confirment la compétence judiciaire, de même qu'un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 12 juillet 2018.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu que le litige qui oppose M. [Q] [F], ès qualités de tuteur de Mme [V] [H], à la [Adresse 5] et à la Régie Eau d'Azur porte sur la mise en jeu de la responsabilité de ces deux entités à raison de la rupture d'une canalisation de desserte en eau potable survenue sur le terrain de Mme [V] [H] et des dommages qui en sont résultés ;
Qu'il n'est pas discuté que la fuite se situe sur le réseau d'eau métropolitain, entre la canalisation générale située sous la voie publique et le compteur d'eau de Mme [V] [H], donc sur l'ouvrage public que constitue le réseau de desserte en eau potable, mais sur une partie de canalisation desservant exclusivement la maison de Mme [V] [H] ; qu'il n'est pas contesté non plus que la [Adresse 5] est en charge du service public de distribution d'eau potable et qu'elle est propriétaire du réseau de desserte en eau de la commune de La Bollène-Vésubie dont elle a concédé l'exploitation à la Régie Eau d'Azur à compter du 1er janvier 2015 ;
Attendu qu'il doit être rappelé, s'agissant de la détermination de la juridiction compétente pour trancher le litige, que si l'action en responsabilité engagée contre une personne publique à raison d'un dommage de travaux publics relève en principe du juge administratif, il est désormais acquis que tous les rapports entre l'usager d'un service public industriel et commercial relèvent de la compétence judiciaire ; que la distinction s'opère à raison de la qualité de tiers ou d'usager du demandeur à l'action et en fonction de l'endroit précis d'où provient le dommage sur l'équipement public ;
Qu'il est jugé que, si le dommage provient du branchement particulier, c'est à dire de la conduite d'eau allant de la conduite principale jusqu'au compteur de l'abonné, ce dernier a la qualité d'usager du service public et est recevable à saisir le juge judiciaire pour réclamer la réparation du dommage subi du fait de la défaillance de l'ouvrage public, dès lors que l'existence même de cette canalisation ressortit à l'exécution de son contrat d'abonnement ; que le juge administratif ne serait compétent que si la fuite avait lieu sur la canalisation principale desservant un ensemble de constructions, le demandeur étant alors considéré comme un tiers puisque l'existence de cette canalisation principale n'est pas liée à son contrat ;
Que c'est en vain que la [Adresse 5] prétend qu'elle ne peut être recherchée devant le juge judiciaire car elle n'est pas un établissement à caractère industriel et commercial, dès lors qu'elle est en charge du service public de distribution d'eau et qu'elle ne conteste pas être propriétaire de la canalisation fuyarde ;
Que c'est en vain également que la Régie Eau d'Azur s'oppose à la compétence du juge judiciaire en contestant la qualité d'usager de Mme [V] [H] ; qu'il importe peu en effet que cette dernière, du fait de l'inoccupation depuis plusieurs années de sa maison, ne consomme plus d'eau, seul important le fait qu'elle est abonnée au réseau public d'eau et que la canalisation permet la desserte de son immeuble ;
Que la question de l'existence d'un contrat entre Mme [V] [H] et la Régie Eau d'Azur à la date à laquelle la fuite d'eau a été constatée est indépendante de celle de la détermiation de la juridiction compétente pour examiner les demandes, s'agissant là d'une question qui intéresse, non pas la compétence mais la recevabilité des prétentions à l'encontre de la Régie Eau d'Azur ;
Qu'il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice déférée ;
Attendu qu'il n'est pas établi qu'en contestant la compétence judiciaire devant le juge de la mise en état et en interjetant appel de la décision rendue, la [Adresse 5] aurait commis un abus de droit justifiant qu'elle puisse être condamnée au paiement de dommages et intérêts ; que s'agissant de la Régie Eau d'Azur, elle n'est à l'origine ni de l'exception de procédure soulevée, ni de l'appel interjeté, même si elle a soutenu les moyens développés par l'appelante, de sorte qu'il ne peut lui être reproché aucune procédure abusive;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
Par ces motifs,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement
et en dernier ressort,
Déboute la [Adresse 5] de son appel et la Régie Eau d'Azur de son appel incident et confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nice déférée en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute M. [Q] [F], ès qualités de tuteur de Mme [V] [H], de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée contre la [Adresse 5] et la Régie Eau d'Azur ;
Condamne la [Adresse 5] à payer à M. [Q] [F], ès qualités de tuteur de Mme [V] [H], une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en appel ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des autres parties ;
Condamne la [Adresse 5] aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT