COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-5
ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION
DU 12 Décembre 2019
N° 2019/
Rôle N° RG 19/03922 N° Portalis DBVB-V-B7D-BD5IE
[P] [O]
C/
Société VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANEE CENTRE E ST
Copie exécutoire délivrée
le : 12/12/2019
à :
- Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
- Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d'AIX EN PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Arrêt en date du 7 novembre 2019 prononcé sur saisine de la Cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 décembre 2018, qui a cassé l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence rendu le 25 novembre 2016, ayant lui-même statué sur l'appel du jugement du conseil de prud'hommes de Marseille en date du 6 juin 2007, enregistré au répertoire général sous le n°06/02216.
APPELANT
Monsieur [P] [O], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
et par Me Michel DOSSETTO, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANEE CENTRE EST venant aux droits de la Société CEGELEC SUD EST, demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Romain CHERFILS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et par Me Frédéric FRIBURGER, avocat au barreau de MARSEILLE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Septembre 2019 en audience publique devant la Cour composée de :
Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre
Madame Mariane ALVARADE, Conseiller
Madame Erika BROCHE, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2019 prorogé sucessivement le 21 Novembre 2019 et le 12 Décembre 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2019.
Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Pascale ROCK, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*-*-*-*-*
EXPOSE DU LITIGE
M. [P] [O] a été engagé à compter du 17 mai 2000 par la société CEGELEC SUD EST, aux droits de laquelle vient la SASU VINCI ENERGIE INFRA MEDITERRANEE CENTRE EST, suivant contrat à durée indéterminée en qualité de « cadre fonction personnel et relations sociales », classé en dernier lieu en position B2 de la convention collective nationale des cadres des travaux publics du 1er juin 2004. Il a assuré l'intérim du directeur des ressources humaines du 1er mai 2005 au 1er mars 2006. Au dernier stade de la relation contractuelle, il percevait une rémunération mensuelle brute de base de 3870 euros.
Il était par ailleurs titulaire d'un mandat de conseiller prud'homal devant le Conseil de Prud'hommes de Martigues.
La relation entre les parties était régie par les dispositions de la convention collective des ingénieurs et assimilés cadres des entreprises de travaux publics.
Il a saisi, le 4 septembre 2006, le conseil de prud'hommes de Marseille d'une demande de reclassification au niveau B4 pour la période comprise entre octobre 2004 et fin avril 2005 et au niveau C1 depuis mai 2005, de demandes de rappel de salaire au titre de ses fonctions d'officier de sécurité, outre les accessoires de salaire et par voie de conclusions du 18 janvier 2007, il a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 décembre 2006, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire, et après autorisation de l'inspection du travail compte tenu de ses fonctions de conseiller prud'homal depuis 2002, par lettre du 23 février 2007, adressée sous la même forme, il a été licencié pour faute grave.
Le conseil de prud'hommes de Marseille, par jugement du 6 juin 2007, a dit que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, n'était pas fondée, l'a débouté de ses demandes, a débouté l'employeur de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [O] aux dépens.
Le 22 juin 2007, M. [O] a interjeté appel de cette décision.
Par jugement du 26 janvier 2010, le tribunal administratif a annulé l'autorisation de licenciement de M. [O], estimant que la décision contestée était intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière au regard des dispositions de l'article R 436-4 du code du travail. Ledit jugement a été confirmé par la Cour administrative d'appel le 29 mai 2012.
Statuant sur l'appel formé contre le jugement du Conseil de prud'hommes du 6 juin 2007, par arrêt rendu le 25 novembre 2016, la Cour d'appel d'Aix-En-Provence a :
confirmé le jugement déféré,
Y ajoutant,
condamné la société VINCI ENERGIES INFRA MEDITERRANEE CENTRE EST à payer à M. [O] le complément de salaire de 7740 euros en réparation du préjudice découlant de l'annulation de l'autorisation de licenciement,
rejeté les autres demandes des parties,
condamné la société VINCI ENERGIES INFRA MEDITERRANEE CENTRE EST aux dépens d'appel.
Sur le pourvoi formé par M. [O], la Cour de cassation a, par arrêt du 5 décembre 2018, cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d appel d'Aix-en-Provence, mais seulement en ce qu'il a débouté M. [O] de ses demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de condamnation en conséquence de la société VINCI ENERGIES INFRA MEDITERRANEE CENTRE EST à lui payer les sommes de 74400 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive, 18600 euros à titre de préavis, 1860 euros à titre de congés payés sur préavis et 12778 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.
Dans ses dernières conclusions développées oralement à l'audience, M. [O] fait valoir que la Cour suprême a cassé l'arret de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 25 novembre 2016 sur l'entrave réalisée à l'exercice normal de ses fonctions de conseiller prud'hommes,
qu'il a subi de la part de son employeur une limitation dans son devoir d'assumer pleinement ses fonctions de conseiller prud'homal,
qu'il est fondé à réclamer, en raison de la violation de son statut protecteur, une indemnité égale au montant des rémunérations qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et l'expiration de la période de protection.
Il demande à la Cour de :
'- prononcer la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,
En conséquence,
- condamner la société VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANEE CENTRE EST à lui payer les sommes de :
74400 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
11610 euros à titre de préavis,
1161 euros à titre de congés payés sur préavis,
12.778 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
161200 euros pour violation du statut protecteur,
- dire qu'à titre d'indemnisation complémentaire, les sommes allouées au concluant, produiront intérêts de droit à compter de la demande en justice, soit le 4 septembre 2006, avec capitalisation, en application des dispositions des articles 1153-1 et 1154 du code civil,
- condamner la société VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANEE CENTRE EST à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANEE CENTRE EST aux entiers dépens.'.
Dans ses dernières conclusions développées oralement à l'audience, la SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST fait valoir que sur le fondement des dispositions des articles 625, 631 et 638 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi a le pouvoir de juger à nouveau le litige en fait et en droit, à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation, que la présente cour n'est donc pas tenue de rendre une décision contraire à celle qui a été cassée,
que par ailleurs, en vertu de l'article 632 du code de procédure civile, devant la juridiction de renvoi, « les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l'appui de leurs prétentions »,
qu'aux termes de la jurisprudence établie par la Cour suprême, et en particulier d'un arrêt du
11 octobre 2017, rendu dans des circonstances similaires, la Cour de céans ne pourra que se déclarer non liée par l'arrêt du 5 décembre 2018 et juger :
- qu'en l'état de l'autorisation administrative de licenciement de M. [O] en date du 15 février 2007, il n'était plus possible pour le juge prud'homal de statuer sur sa demande de résiliation judiciaire antérieure;
qu'en l'état de l'annulation de l'autorisation du licenciement de M.[O] devenue définitive des suites de l'arrêt de la Cour administrative d'appel du 29 mai 2012, il n'était de même plus possible pour le juge prud'homal de statuer sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié ;
qu'ainsi, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, même si elle a confirmé l'absence de bien-fondé de la demande de résiliation judiciaire formulée par M. [O], aurait dû en tout état de cause juger cette demande irrecevable car devenue sans objet du fait de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement intervenue entre temps,
- que le contrat de travail de M. [O] est réputé rompu à la date de son licenciement prononcé le 23 février 2007, peu important l'annulation ultérieure de l'autorisation administrative qui n'a eu que pour effet de lui octroyer une indemnisation au titre de son préjudice ;
- que la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [O] à ses torts est irrecevable et ne peut plus être prononcée dans la mesure où son contrat de travail a déjà été rompu;
- que la haute Cour aurait donc dû, aux termes de son arrêt du 25 novembre 2016, relever d'office le moyen de droit tiré de l'impossibilité pour le juge prud'homal de statuer sur la demande de résiliation judiciaire du fait du licenciement intervenu conformément à sa jurisprudence en la matière.
Subsidiairement,
que la haute Cour a opéré un contrôle large de la qualification des faits,qui relevait de l'appréciation souveraine des juges du fond, lesquels, après avoir constaté les faits soumis à leur analyse ' en l'espèce le mail litigieux du 22 septembre 2006 ' ont régulièrement considéré qu'ils ne constituaient pas un manquement de l'employeur suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail,
que la Cour de cassation a outrepassé son devoir de statuer sur le droit en se prononçant sur la qualification des faits qui relevait du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond,
De façon encore plus subsidiaire,
qu'il conviendra de considérer que le mail du 22 septembre 2016 ne constitue pas un manquement suffisamment grave de l'employeur pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail et justifiant la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur.
Ses prétentions se présentent ainsi :
'Vu les articles 620, 625, 631, 632, 638 et 700 du code de procédure civile,
Vu les articles L.2411-22, L.2422-4, L.1235-3 et L.1234-9 du code du travail,
Vu l'article L.411-2 du code de l'organisation judiciaire,
Vu l'article 1184 du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu la jurisprudence citée,
Il est demandé à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence de la recevoir dans ses écritures, l'y dire bien fondée et :
- résister à la position de la Cour de cassation dans son arrêt du 5 décembre 2018,
et juger à nouveau l'affaire en fait et en droit.
- A titre principal :
- juger qu'en l'état de l'autorisation administrative de licenciement de M. [O] en date du 15 février 2007, il n'était plus possible pour le juge prud'homal de statuer sur sa demande de résiliation judiciaire antérieure;
- juger qu'en l'état de l'annulation de l'autorisation du licenciement de M.[O] devenue définitive des suites de l'arrêt de la Cour administrative d'appel du 29 mai 2012, il n'était de même plus possible pour le juge prud'homal de statuer sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié ;
- juger que le contrat de travail de M. [O] est réputé rompu à la date de son licenciement prononcé le 23 février 2007, peu important l'annulation ultérieure de l'autorisation administrative qui n'a eu que pour effet de lui octroyer une indemnisation au titre de son préjudice ;
En conséquence,
- juger que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M.[O] à ses torts est irrecevable sans objet dans la mesure où son contrat de travail a déjà été rompu;
- A titre subsidiaire :
- relever que la Cour de cassation a outrepassé son devoir de statuer sur le droit en se prononçant sur la qualification des faits qui relevaient du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ;
En conséquence,
- confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille le 6 juin 2007 ayant jugé la résiliation judiciaire infondée après avoir souverainement apprécié la qualification des faits soumis à son analyse;
- A titre infiniment subsidiaire :
- considérer que le mail du 21 septembre 2016 ne constitue pas un manquement suffisamment grave de l'employeur pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail ;
- en conséquence,
- juger infondée la demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur formulée par
M. [O];
Et, statuant à nouveau :
- rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur formulée par M. [O] ;
- débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner M. [O] à lui verser la somme de 3500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, article 699 du code de procédure civile, ceux d'appel distraits au profit de la SELARL LEXAVOUE AIX-EN-PROVENCE, avocats aux offres de droit.'.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la résiliation judiciaire
Par application des disposition des articles 1184 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 recodifié aux articles 1224 et suivants du code civil, et 1231-1 et 1222-1 du code du travail, le salarié est admis à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur des obligations découlant du contrat.
Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
En présence d'un salarié protégé, la demande de résiliation judiciaire peut être fondée, non seulement sur un manquement aux obligations contractuelles de l'employeur, mais également sur une atteinte aux fonctions représentatives qui produit alors les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits évoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.
En l'espèce, M. [O] a saisi la juridiction prud'homale le 4 septembre 2006 aux fins de rappel de salaire et étendu ses prétentions suivant conclusions du 18 janvier 2007 à la demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, au motif d'une atteinte portée à l'exécution de son mandat de conseiller prud'homal.
Il a entretemps été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement le 4 décembre 2006 et par suite licencié pour faute grave le 23 février 2007.
La SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST formule devant la présente cour de nouveaux moyens à l'appui de ses contestations.
Elle fait valoir qu'il est établi que lorsque le licenciement du salarié protégé est autorisé par l'administration et prononcé par l'employeur, alors que l'action en résiliation judiciaire est en cours, le juge judiciaire ne peut plus se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire, au nom du principe de séparation des pouvoirs, et peu important que la demande de résiliation judiciaire soit antérieure au licenciement.
Toutefois, si la procédure de licenciement du salarié protégé est d'ordre public, le salarié protégé ne saurait être privé de la possibilité de poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, dont bénéficie par ailleurs le salarié non protégé, sous peine d'instaurer une inégalité de traitement entre ces deux catégories de salariés.
Elle ajoute que le contrôle de la qualification des faits relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, lesquels, après avoir constaté les faits soumis à leur analyse ont régulièrement considéré qu'ils ne constituaient pas un manquement de l'employeur suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts de l'employeur, qu'en décidant que la Cour d'appel aurait dû constater l'existence d'une entrave à l'exercice des fonctions de conseiller prud'homal de
M. [O], la Cour de cassation a apprécié la qualification des faits, excédant ainsi son devoir de statuer uniquement en droit,
que dans l'hypothèse ou l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [O] serait accueillie, la Cour devra, « relever que la Cour de cassation a outrepassé son devoir de statuer sur le droit en se prononçant sur la qualification des faits qui relevait du pouvoir souverain d appréciation des juges du fond ».
Si le contrôle de la qualification des faits relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation s'autorise à exercer un contrôle minimum de la qualification retenue par les juges du fond, pouvant être appelée à sanctionner notamment les erreurs d'appréciation manifeste.
En l'espèce, le contrôle exercé par la Cour suprême a été limité à la stricte appréciation du point de savoir si les manquements invoqués étaient bien de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
Les moyens non fondés seront écartés.
Sur la demande aux fins de résiliation judiciaire
Il convient de rappeler les termes de l'article L.1443-1 du code du travail, qui dispose : « Le fait de porter atteinte ou de tenter de porter atteinte soit à la libre désignation à la nomination des conseillers prud'hommes, soit à l'indépendance ou à l'exercice régulier des fonctions de conseiller prud'hommes, notamment par méconnaissance des articles L. 1442-2,L. 1442-5 à L. 1442-7 et L. 1442-10, est puni d un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3.750 euros ».
L'article L. 1442-5 du code précité énonce : « les employeurs laissent aux salariés de leur entreprise, membres d'un conseil de prud'hommes, le temps nécessaire pour se rendre et participer aux activités prud'homales» réglementairement définies.
Il s'en suit que l'employeur est tenu d'assurer au salarié l'exercice régulier de ses fonctions de conseiller prud'homal.
En l'espèce, par courriel du 22 septembre 2006, Mme [N], directrice des ressources humaines, a demandé à M. [O] « de ne pas assurer de remplacement d'autres conseillers et de respecter le « rôle » en début d'année judiciaire ».
Une telle décision, ayant pour finalité en définitive d'interférer dans le cadre de l'exercice du mandat prud'homal en demandant au salarié de refuser d'effectuer le remplacement de conseillers absents, caractérise une entrave au mandat de conseiller prud'hommes du salarié et un manquement rendant impossible la poursuite du contrat de travail, justifiant dès lors la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur.
Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef.
Sur les conséquences indemnitaires
Sur la violation du statut protecteur
M. [O] sollicite la somme de 161 200 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur, représentant le montant de sa rémunération entre son éviction et l'expiration de la période de protection, additionnée des six mois aprés l'expiration du mandat, soit le 2 juin 2009.
La SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST fait valoir que M. [O] a déjà été indemnisé au titre de la rupture de son contrat de travail des suites de l'annulation de l'autorisation administrative de son licenciement, laquelle a emporté sa condamnation à lui verser la somme de 7740 euros à titre d'indemnité en réparation de son préjudice correspondant aux salaires qu'il aurait perçus entre son licenciement et l'expiration d'un délai de deux mois suivant la notification de la décision d'annulation, après déduction des salaires perçus dans le cadre de son nouvel emploi pendant cette période,
que cette condamnation n'ayant pas été cassée par l'arrêt de la Cour de cassation du 5 décembre 2018, est devenue définitive et M.[O] ne saurait obtenir une double indemnisation dans le cadre d'une double rupture de son contrat de travail.
En application de l'article L.2422-4 du code du travail, le salarié protégé dont la demande d'autorisation de licenciement a été annulée par une décision devenue définitive a droit à l'indemnisation du préjudice subi pour la période écoulée entre le licenciement et l'expiration du délai de 2 mois suivant la notification de la décision d'annulation.
Retenant que M. [O] avait retrouvé un emploi à compter du 1er avril 2007, la Cour, dans son arrêt du 25 novembre 2016, lui a alloué en réparation de son préjudice une somme de 7740 euros correspondant aux salaires non perçus pour les mois de février et mars 2007.
La dite indemnisation diffère de celle demandée en ce qu'elle a pour objet de réparer le préjudice subi du fait de l'annulation.
Le moyen sera en conséquence rejeté.
M. [O] ne peut toutefois prétendre qu'au paiement d'une somme égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir depuis son licenciement jusqu'à l'expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la demande, dans la limite d'une durée de
2 ans (durée minimale légale du mandat de représentants élus du personnel) augmentée de 6 mois, soit 30 mois.
Il sera en conséquence alloué à M. [O] la somme de 116 100 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul
M. [O] sollicite une somme de 74 000 euros de ce chef.
La SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST fait valoir que cette demande est infondée, dès lors qu'en sus de l'indemnité prévue à l'article L.2422-4 du code du travail, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne peut être allouée au salarié que « s'il est établi que son licenciement était, au moment où il a été prononcé, dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu'en l'espèce, il est établi que le licenciement de M. [O] reposait sur une cause réelle et sérieuse,
qu'en tout état de cause, M. [O] ne justifie d'aucun préjudice particulier.
La demande du salarié résultant de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, laquelle produit les effets d'un licenciement nul en raison de la violation du statut protecteur, est toutefois fondée.
Compte tenu de l'ancienneté dans l'entreprise de M. [O], soit sept années, alors qu'il était âgé de 46 ans, de la rémunération qu'il percevait, soit 3870 euros, de sa situation au regard de l'emploi postérieurement à la rupture du contrat de travail, les éléments du dossier permettant de relever qu'il a occupé un emploi à compter d'avril 2007, il convient de lui allouer une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement
Le salarié réclame la somme de 12 778 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.
La Cour relève à l'examen du récapitulatif du solde de tout compte qu'une somme de 9206 euros a été versée au salarié en juin 2007 de ce chef, ce qui n'est pas utilement contesté, M. [O] n'expliquant pas au demeurant la différence qu'il réclame. Il sera en conséquence débouté de sa demande.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents
M. [O] sollicite la somme de 11 610 euros à titre d'indemnité de préavis outre celle de 1161 euros au titre des congés payés y afférents.
La SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST explique que M. [O] était tenu d'exécuter son préavis suite à la notification de son licenciement au mois de février 2007, que par courrier du 30 mars 2007, il a indiqué qu'il refusait de l'effectuer, au motif qu'il serait « dénué de cause » en l'état de sa demande de résiliation judiciaire antérieure, que par courrier du 11 avril 2007, elle lui rappelait que sa demande de résiliation judiciaire soumise à l'appréciation du juge n'emportait pas en soi rupture de la relation contractuelle et qu'il restait tenu des obligations découlant de son contrat de travail.
Au regard des circonstances de l'espèce, le préavis non exécuté, est indemnisable. Il sera en conséquence alloué les sommes demandées.
Sur les intérêts:
Les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d'indemnité de licenciement sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation.
Les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 devenu 1343-2, du code civil.
Sur les dépens et les demandes d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile
La SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST qui succombe doit supporter les dépens et il y a lieu de la condamner à payer à M. [O] une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 1000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, sur renvoi de cassation, en dernier ressort :
Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 décembre 2018,
Vu l'arrêt rendu par la Cour d appel d'Aix-en-Provence le 25 novembre 2016,
Infirme partiellement le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation judiciaire formée par M. [P] [O] et ses demandes indemnitaires subséquentes,
Statuant à nouveau,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [P] [O] aux torts exclusifs de l'employeur au 23 février 2017,
Dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,
Condamne la SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST à payer à M. [P] [O] les sommes suivantes :
- 116100 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,
- 50000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 11610 euros à titre d'indemnité de préavis,
- 1161 euros au titre des congés payés y afférents,
Dit que les créances indemnitaires sont productives d'intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,
Dit que les créances salariales sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,
Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 devenu 1343-2, du code civil,
Y ajoutant,
Condamne la SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST à payer à M. [P] [O] une somme de 1000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SASU VINCI ENERGIES FRANCE INFRAS MEDITERRANNEE CENTRE EST aux dépens,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions.
LE GREFFIERLE PRESIDENT