COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 14 JANVIER 2020
DD
N° 2020/ 22
N° RG 18/02478
N° Portalis DBVB-V-B7C-BB6AS
[I] [N]
Société LSN ASSURANCES
C/
[O] [T] épouse [G]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me DAVAL-GUEDJ
Me BEZZINA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 19 Décembre 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 15/06495.
APPELANTS
Maître [I] [U]
dont le siège social est [Adresse 2]
Compagnie LSN ASSURANCES prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est au [Adresse 5]
représentés par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
assistés par Me Hélène BERLINER de la SCP D'AVOCATS BERLINER-DUTERTRE-LACROUTS, avocat au barreau de NICE, substitué par Me Stefano CARNAZZA, avocat au barreau de NICE, plaidant
INTIMÉE
Madame [O] [T] épouse [G]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 6],
demeurant [Adresse 3]
représentée et assistée par Me André-Hubert BEZZINA, avocat au barreau de NICE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 26 Novembre 2019 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, madame Danielle DEMONT, conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Madame Anne DAMPFHOFFER, Conseiller
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline BURON.
Greffier lors du prononcé : Mme Agnès SOULIER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Janvier 2020.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Janvier 2020,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Mme Agnès SOULIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Exposé du litige
Par acte dressé le 26 décembre 2013 par Me [I] [N], notaire à [Localité 6], Mme [O] [T] épouse [G] a consenti à son fils, né le [Date naissance 4] 1994, une donation définitive d'usufruit portant sur un appartement.
Le 5 mai 2015 l'administration fiscale a adressé à Mme [T] une proposition de rectification en exposant que le bénéficiaire de la donation étant âgé de moins de 21 ans, la valeur de l'usufruit était de 90 % et non de 50 % comme faussement évalué par le notaire, de sorte qu'un complément de droits de mutation lui a été réclamé à hauteur de 13'558 € outre 868 € d'intérêts de retard, soit un montant total en droits et pénalités de 14'426 €.
Par exploits du 26 novembre et du 1er décembre 2015 Mme [T] a fait assigner le notaire et son assureur en responsabilité civile professionnelle en invoquant un manquement au devoir de conseil, et sollicité leur condamnation à lui payer :
' 28'288 € au titre du remboursement des honoraires dus à l'étude ;
' 13'558 € au titre du complément de droits réclamé par l'administration fiscale ;
' et 868 € au titre des intérêts de retard.
Par jugement en date du 19 décembre 2017 le tribunal de grande instance de Nice a :
' dit que Me [I] [N] a engagé sa responsabilité civile professionnelle ;
' condamné in solidum la société d'assurance Lsn Assurances et Me [I] [N] à payer la somme de 12'202,20 € à Mme [O] [T] épouse [G] à titre de dommages-intérêts ainsi qu'aux dépens et la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
' débouté les parties de leurs demandes plus amples ;
' et ordonné l'exécution provisoire.
Le tribunal retient :
' que le notaire a commis une erreur d'évaluation de la valeur de l'usufruit en le minorant de moitié, soit 122'500 € au lieu des 220'500 €, la pleine propriété étant estimée à 245'000 € ; que le calcul des droits s'élevait à 30'952 € au lieu de 20'394 €, soit un reliquat à payer de 13'558 € outre l'intérêt de retard ; que cette erreur est constitutive d'une faute dans la mesure ou il n'existait aucun aléa dans le calcul de la valeur de l'usufruit et qu'il appartenait à Me [N] d'informer Mme [T] du montant réel des droits d'enregistrement dûs au titre de la donation envisagée compte tenu de l'âge du donataire, information déterminante dans l'acquiescement à l'acte, et ce d'autant que le notaire soutient que la donation avait pour but de distraire le bien donné de l'impôt sur la fortune ;
' que le préjudice en lien certain et direct de causalité avec la faute est la perte d'une chance de ne pas avoir procédé à cette donation en connaissance du montant réel des droits d'enregistrement dus à l'administration fiscale ; que cette perte sera évaluée à 90 % du montant des droits d'enregistrement à régler, soit à12'202, 20 € ;
' qu'en ce qui concerne les intérêts de retard, Mme [T] ne justifie pas d'une éventuelle remise de l'intérêt de retard par l'administration fiscale compte tenu de sa bonne foi ou du refus de cette dernière d'y procéder, de sorte qu'aucune indemnisation ne sera accordée à ce titre ; que par ailleurs elle ne peut pas être remboursée des honoraires payés au notaire, des droits d'enregistrement de l'acte ou encore des frais de la publicité foncière qui étaient dus dans le cadre de la donation à laquelle elle a consenti.
Le 13 février 2018 M. [I] [N] et la société d'assurance Lsn Assurances ont relevé appel de cette décision.
Par conclusions du 9 mai 2018 ils demandent à la cour :
' d'infirmer le jugement entrepris sauf le rejet des demandes plus amples de Mme [T] (honoraires dus à l'étude pour 28'288 €, complément de droits à hauteur de 13'558 €, et intérêts de retard pour 868 €) ;
' de dire que la perte d'une chance de renoncer à la donation qui n'était pas dans le débat n'est par certaine et qu'en tout état de cause, elle était minime ;
' d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a condamnés à payer la somme de 12'202,20 €;
' de débouter Mme [T] de toutes ses demandes ;
' et de la condamner à leur payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction.
Par conclusions du 7 août 2018 Mme [O] [T] épouse [G] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et de condamner les appelants à lui payer la somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
La cour renvoie aux écritures précitées pour l'exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties.
Motifs
Attendu que Mme [T] soutient que la donation avait un seul but celui d'assurer un revenu locatif à son fils [Z] ; qu'elle s'est rendue à l'étude du notaire pour envisager une donation temporaire d'usufruit pendant 10 ans, couvrant la durée des études de son fils ; que c'est Me [N], le notaire, qui lui a conseillé d'opter pour une donation définitive d'usufruit plutôt que pour une donation temporaire en raison du faible différentiel des droits à payer auprès de l'administration fiscale ; que l'erreur grossière d'analyse chiffrée est à l'origine de la prise de décision de Mme [T] ; que si elle avait connu le montant du différentiel entre une donation temporaire et une donation définitive elle ne l'aurait jamais initiée ; qu'elle n'avait aucune urgence prétendument fiscale ; que s'il s'était seulement agi de transmettre un patrimoine à son fils [Z], la concluante aurait effectué une donation de la nue-propriété, écartant ainsi les droits à payer par son fils à son décès ce qui aurait engendré un coût bien moindre de l'opération vu l'âge (55 ans) de la concluante au moment où le notaire est intervenu ; que l'erreur de calcul étant reconnue par le notaire, l'assureur a offert de s'acquitter des intérêts de retard, ce qui n'est pas acceptable ; que si le calcul du notaire n'avait pas été erroné et lui avait permis de se rendre compte de la fiscalité qu'engendrait l'opération proposée, Mme [T], de façon certaine, aurait refusé la donation ;
Mais attendu que le notaire répond que Mme [T] a souhaité faire l'opération alors même qu'elle avait parfaitement connaissance de ce que la donation avait un coût fiscal et donné son accord malgré un coût fiscal de 28 300 € au total, frais et émoluments compris ; qu'elle ne démontre pas que le fait de devoir supporter le paiement d'un droit complémentaire de 13'558 € aurait changé en quoi que ce soit sa décision, son imposition au titre de l'ISF étant réduite sur plusieurs années, et lui permettant dans le même temps de préparer également la transmission de son patrimoine à son fils ; qu'une donation avec réserve d'usufruit n'est taxée qu'une seule fois ; qu'au décès de Mme [T], son fils n'aura pas de droits supplémentaires à payer du fait de la reconstitution de la pleine propriété du bien ; qu'il n'a pas manqué à son devoir de conseil, le conseil donné à Mme [T] de procéder à la donation répondant parfaitement aux objectifs poursuivis par cette dernière ; que la proposition de rectification ne fait que rétablir Mme [T] dans la situation qui aurait du être la sienne sans l'erreur de calcul ;que le paiement de l'impôt auquel la « victime » est légalement tenue et mis à sa charge suite à un redressement fiscal, ne constitue pas un dommage indemnisable ; que les droits sont dus indépendamment de l'erreur de calcul commise, de même des frais et émoluments, lesquels sont la contrepartie tarifée et réglementée de l'opération de donation ; que le tribunal a considéré d'office que le défaut d'information du notaire à l'égard de Mme [T] sur le montant des droits avait fait perdre une chance à cette dernière de pouvoir renoncer à la donation, alors que compte tenu de la défiscalisation sur plusieurs années au titre de l'ISF, les droits payés seront rapidement amortis ;
Attendu qu'en effet, même si l'objectif de la donation de l'usufruit par Mme [T] n'était pas du tout de réduire l'assiette de son imposition de solidarité sur la fortune, comme elle le prétend, la donation litigieuse a néanmoins eu cet effet bénéfique, en excluant le bien immobilier litigieux de l'assiette de l'ISF, puisque cet impôt est assis sur l'usufruit du bien ;
Que la contribuable ne fournissant aucun élément sur sa situation fiscale globale et sur le montant précis de l'ISF qu'elle doit acquitter, Mme [T] ne prouve pas que la donation temporaire de l'usufruit qu'elle envisageait d'après elle aurait pu entraîner une fiscalité plus avantageuse pour elle que l'avantage fiscal pluriannuel qui lui a été conféré par la donation définitive de l'usufruit du bien instrumentée par le notaire ;
Que de surcroît il ne ressort d'aucun élément probant que Mme [T] aurait d'abord sollicité ce notaire en vue d'une donation temporaire et que c'est ce dernier qui lui aurait fait changer d'avis sur la nature de l'acte qu'elle souhaitait instrumenter ;
Attendu que Mme [T] ne rapporte donc pas la preuve qu'une fois mieux informée sur le montant des droits à verser, elle aurait renoncé à la donation ; qu'elle n'a perdu aucune chance raisonnable de renoncer à l'acte de donation du 26 décembre 2013 ;
Attendu en outre que le paiement des droits d'enregistrement au titre de la donation définitive d'usufruit permettra à son fils d'être exonéré du paiement des droits sur le bien immobilier en cause, lors de la succession et que Mme [T] ne peut donc considérer qu'il s'agirait d'un préjudice indemnisable et réclamer que le notaire en supporte la charge ;
Attendu que si Me [N] a manqué à son devoir d'information quant au montant des droits à payer, lesquels se sont révélés supérieurs à ceux annoncés, aucun dommage en lien de causalité avec la faute de Me [N] ne peut être retenu ;
Attendu qu'il s'ensuit l'infirmation du jugement déféré et le rejet de toutes les demandes indemnitaires de Mme [T] ;
Par ces motifs
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que M. [I] [N], notaire à [Localité 6] a commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle,
l'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau
Dit que la faute professionnelle de Me [I] [N] n'a entraîné aucun dommage,
Déboute Mme [O] [T] épouse [G] de toutes ses demandes de dommages et intérêts,
Condamne Mme [O] [T] épouse [G] à payer à M. [I] [N] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT