COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 21 JANVIER 2021
N° 2021/ 042
N° RG 18/08946
N° Portalis DBVB-V-B7C-BCQID
La société NEOTION
C/
La Société
SHEET ANCHOR FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Catherine CHAMAGNE
Me Jean-françois JOURDAN
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Cour d'Appel d'AIX-EN-PROVENCE en date du 22 mars 2016 enregistrée au répertoire général sous le n° 13/07296.
APPELANTE
La société NEOTION
dont le siège social est situé [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
représentée par Me Catherine CHAMAGNE, avocat au barreau de MARSEILLE,
plaidant par Me David MEAS, l'AARPI Dentons Europe, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
La société SHEET ANCHOR FRANCE
dont le siège est situé [Adresse 1], prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège
représentée par Me Jean-françois JOURDAN de la SCP JOURDAN / WATTECAMPS & Associés, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Patrick MAUBARET, avocat au barreau de BORDEAUX
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Novembre 2020 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Philippe COULANGE, Président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Monsieur Pascal GUICHARD, Conseiller
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Janvier 2021.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Janvier 2021,
Signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
La SA NEOTION, ayant comme président du directoire M. [S] lequel était également associé avec son épouse au sein de la SCI AZUR, a été locataire de l'immeuble appartenant à cette dernière, situé [Adresse 3], selon bail en date du 31 mars 2005.
Ce bail, qui était soumis à la procédure de conventions réglementées en raison de la nature du contrat et de la qualité de dirigeant de M. [S], donnait la faculté à la SA NEOTION de rester dans les lieux jusqu'en 2014 ou de résilier le bail dès 2008.
Le SCI AZUR souhaitant se défaire de cet immeuble a signé une promesse de vente le 5 février 2007 avec la SAS QUARTZ PROPERTIES et un bail a été établi le même jour par M. [S], agissant en qualité de directeur général délégué de la SA NEOTION, pour cet immeuble, avec cette société.
Finalement l'immeuble appartenant à la SCI AZUR a été acheté le 3 mai 2007 par la SARL SHEET ANCHOR FRANCE et à nouveau un bail a été établi le même jour par M. [S], agissant en qualité de directeur général délégué de la SA NEOTION, pour cet immeuble, avec cette société. Une convention de résiliation amiable et anticipée du bail du 5 février 2007 prenant effet au 2 mai 2007 a été signée entre la SARL SHEET ANCHOR FRANCE et M. [S], agissant en qualité de directeur général délégué de la SA NEOTION. Ce bail commercial imposait à la SA NEOTION de rester dans les lieux durant six années fermes.
Un avenant a par la suite été signé par le Président en exercice de la SA NEOTION le 12 juin 2007 selon lequel la sous-location d'une partie des locaux au profit de la société NEOTION TNT FRANCE ( NTF ) dirigée par M. [S] était autorisée.
Le 31 juillet 2007, M. [S] a cessé ses fonctions de directeur général délégué de la SA NEOTION.
La SA NEOTION estimant que les locaux loués n'étaient plus adaptés à son activité a donné congé et a quitté les lieux le 12 août 2008.
Par assignation en date du 22 mai 2009, la SARL SHEET ANCHOR FRANCE a fait citer la SA NEOTION devant le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE pour obtenir paiement des loyers liés au bail signé le 3 Mai 2007. La SA NEOTION de son côté excipait de la nullité du bail.
Par jugement rendu le 26 mars 2013, le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE a rejeté les demandes de la SARL SHEET ANCHOR FRANCE estimant que celle-ci ne pouvait se prévaloir de ce bail irrégulier pour n'avoir pas été soumis à la procédure des conventions réglementées en l'absence de consultation du conseil d'administration de la SA NEOTION.
La SARL SHEET ANCHOR FRANCE a relevé appel de ce jugement et, par arrêt du 22 mars 2016, la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE a infirmé le jugement entrepris, dit que le bail du 3 mai 2017 liait bien les parties et a condamné la SA NEOTION à payer les loyers prévus au contrat ainsi qu'une clause pénale et les frais irrépétibles.
La SA NEOTION s'est alors pourvue en cassation et, par arrêt rendu le 16 mai 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 22 mars 2016.
Par saisine après renvoi de cassation, la SA NEOTION a saisi la Cour de céans autrement composée. Elle demande à la Cour de confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE et de dire que le bail est nul en application des articles L. 225-38 à L. 225-42 du Code de Commerce.
Subsidiairement elle soutient que la convention de résiliation amiable et anticipée du bail du 5 février 2007 est nulle et plus subsidiairement encore que le bail du 3 mai 2007 est nul en raison de la fraude et de la déloyauté de la SARL SHEET ANCHOR FRANCE.
Elle sollicite l'allocation de la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et la condamnation de la SARL SHEET ANCHOR FRANCE aux dépens.
Elle fait valoir :
- que le bail signé le 3 mai 2007 était contraire à ses intérêts puisqu'elle était ainsi privée de son droit de résiliation triennale.
- que M. [S] savait depuis 2006 qu'il ne pourrait vendre l'immeuble de sa SCI qu'avec un bail imposant à NEOTION de rester au moins 6 ans dans les lieux.
- qu'il était directement intéressé à la signature du bail du 3 mai 2007 qui a, de façon irrégulière, échappé au régime des conventions réglementées.
- que le bail du 3 mai 2007 ne s'est jamais formé car il était conclu sous condition suspensive de la résiliation amiable du bail du 5 février 2007 conclu avec la SAS QUARTZ PROPERTIES qui n'est jamais entré en vigueur cette société n'ayant finalement pas fait l'acquisition des locaux de la SCI.
- que le bail du 5 février 2017 n'est jamais entré en vigueur.
- que le bail du 3 mai 2017 est nul car il n'a pas été soumis à l'autorisation préalable du conseil d'administration de la SA NEOTION et qu'il est entaché de fraude et de déloyauté.
- que la SARL SHEET ANCHOR qui est un professionnel de l'immobilier a agi de mauvaise foi au moment de la conclusion du bail.
- que le bail du 31 mars 2005 n'est pas susceptible de lier les parties si le bail du 3 mai 2007 est annulé car il s'agirait d'une demande nouvelle qui n'a jamais été soumise aux premiers juges.
- qu'en toute hypothèse le bail du 31 mars 2005 ne peut revivre car il a été révoqué par les parties.
- que l'action en contestation de la nullité du congé donné par elle pour le bail du 31 mars 2005 et en paiement des loyers qui pourraient être dus jusqu'au terme du bail est forclose.
- que le montant éventuellement dû au titre du bail n'est pas celui réclamé par SHEET ANCHOR.
La SARL SHEET ANCHOR FRANCE conclut à la réformation du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE. Elle demande à la Cour de débouter la SA NEOTION de toutes ses demandes, de dire que le bail du 3 mai 2007 lie les parties et de condamner la SA NEOTION à lui payer la somme de 602 756,68 € au titre des loyers et charges impayés outre intérêts majorés, celle de 72 330,80 € au titre de la clause pénale et celle de 30 000 € à titre de dommages-intérêts.
Subsidiairement, au cas où le bail du 3 mai 2007 serait déclaré nul, annuler celui du 5 février 2007, dire que les conventions sont régies par le bail du 31 mars 2005 et que la SA NEOTION n'a pas régulièrement donné congé.
Elle sollicite l'allocation de la somme de 15 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et la condamnation de son adversaire aux dépens.
Elle soutient :
- que le bail du 3 mai 2007 n'est pas nul.
- que l'avenant signé le 12 juin 2007 démontre que le PDG de la SA NEOTION était au courant du bail du 3 mai 2007.
- qu'après son départ des lieux la SA NEOTION a mandaté un agent immobilier en visant le bail litigieux.
- qu'ainsi les relations contractuelles entre les partie sont bien régies par le bail du 3 mai 2007.
- que la SA NEOTION qui a cessé tout paiement depuis le 12 août 2008 demeure débitrice de loyers et de charges.
- que si l'annulation du bail du 3 mai 2007 était prononcée, les rapports contractuels se trouveraient alors régi par le bail du 31 mars 2005.
- que la question de la forclusion de l'action en contestation de congé et en paiement de loyers et celle de la prescription constituent des demandes nouvelles en appel et sont irrecevables.
- que le congé n'était pas régulier pour n'avoir pas été donné par acte extra judiciaire.
- que la prescription quiquennale n'est pas acquise.
- que le bail du 31 mars 2005, en l'absence de congé régulier donné pour le 31 mars 2008, s'est poursuivi.
- que le comportement de la SA NEOTION justifie sa condamnation à des dommages-intérêts.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 novembre 2020.
MOTIFS DE LA DECISION
Attendu que par arrêt en date du 16 mai 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 mars 2016, entre les parties par la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE et a remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la même Cour, autrement composée;
Que la haute juridiction a rappelé que pour écarter le moyen de la société NEOTION tiré de la nullité du bail du 3 mai 2017, dire que ce bail lie les parties et condamner la société NEOTION à payer à la société SHEET ANCHOR FRANCE certaines sommes, l'arrêt retient que ce bail, qui était connu des dirigeants de la société NEOTION, ne fait pas partie des conventions visées à l'article L. 225-38 du Code de Commerce;
Qu'elle a décidé qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si M. [S], directeur général délégué de la société NEOTION et associé de la SCI propriétaire des locaux cédés à la société SHEET ANCHOR FRANCE, était indirectement intéressé à la conclusion de la convention du 3 mai 2017, la Cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à exclure l'existence d'une convention soumise à la procédure prévue par l'article L. 225-38 du Code de Commerce, n'a pas donné de base légale à sa décision;
Attendu qu'il ressort en effet des éléments du dossier que M. [S] avait un intérêt évident à la conclusion du bail du 3 mai 2007, puisqu'il était étroitement lié à la vente de son bien en tant qu'associé de la SCI AZUR, l'intérêt de la SA NEOTION était totalement différent;
Qu'en effet, si le montant du loyer du nouveau bail, compte tenu de l'indexation, n'avait pas véritablement varié entre le bail initial du 31 mars 2005 et celui conclu le 3 mai 2007, la SA NEOTION, en signant cette convention nouvelle se trouvait alors contrainte de rester dans les lieux 6 années de plus alors qu'approchait le terme de la première période triennale lui permettant de résilier le bail initial;
Attendu qu'il n'est pas contesté par les parties que le conseil d'administration de la SA NEOTION n'a pas été consulté pour approuver le bail du 3 mai 2007 mais encore que ce bail n'a pas ét éporté à sa connaissance, ainsi qu'en atteste le commissaire aux comptes en raison d'une ' omission ';
Que le 23 juin 2008 l'assemblée générale des actionnaires n'approuvait pas cette convention;
Que les dispositions du Code de Commerce qui exigent que toute convention intervenant directement ou par personne interposée avec entre la société et son directeur général ou l'un de ses directeurs généraux délégués doit être soumise à l'autorisation préalable du conseil d'administration ont pour but d'éviter les conflits d'intérêts entre ceux de la société et ceux de ses dirigeants;
Attendu que la SARL SHEET ANCHOR FRANCE, spécialisée dans la construction et la gestion de biens immobiliers, ne pouvait ignorer que son vendeur était également le représentant de la société devant prendre ce bien à bail et qu'il était largement intéressé à la conclusion de ce contrat;
Qu'elle avait elle-même un intérêt certain à la conclusion du bail litigieux qui maintenait le preneur pendant au moins 6 ans dans les lieux et lui assurait ainsi un investissement plus fructueux;
Que la SA NEOTION, par courrier du 15 octobre 2007, a rapidement contesté le bail conclu seulement quatre mois plus tôt et a avisé la SARL SHEET ANCHOR FRANCE de son intention de quitter les lieux au 31 mars 2008, intention confirmée par courrier du 5 juillet 2008 et effectivement réalisée le 12 août 2008;
Que le fait que l'avenant autorisant la sous location ait, par la suite, été signé par le président directeur général de la SA NEOTION, M. [M], ne peut en aucun cas être assimilé à une connaissance complète des conditions du bail du 3 mai 2007 et constituer une régularisation après coup;
Qu'ainsi la SARL SHEET ANCHOR, dont la bonne foi ne peut être retenue, ne peut se prévaloir du bail du 3 mai 2017 qui sera annulé pour ne pas avoir été soumis à la procédure des conventions réglementées et avoir été conclu dans des conditions irrégulières en raison du rapprochement d'intérêts existant entre elle-même et le dirigeant provisoire de la SA NEOTION, M. [S], également associé de la SCI AZUR, propriétaire de l'immeuble vendu;
Attendu que la SARL SHEET ANCHOR FRANCE ne saurait donc se prévaloir du bail du 3 mai 2007 pour exiger le paiement des loyers afférents à ces locaux jusqu'en mai 2013 alors que la SA NEOTION les a quittés le 12 août 2008;
Attendu que la SARL SHEET ANCHOR FRANCE prétend encore que les dispositions du contrat de bail signé le 31 mars 2005 retrouveraient application en cas d'annulation du bail du 3 mai 2007;
Que cette demande, qui tend comme la précédente au paiement de loyers commerciaux, ne constitue pas une demande nouvelle se rattachant par un lien suffisant à la demande principale;
Que pour autant il ressort des éléments du dossier que le bail du 31 mars 2005 a été révoqué par les parties, aucun loyer n'ayant d'ailleurs été réclamé par la SARL SHEET au titre de ce bail depuis février 2007;
Que dans un courrier du 8 novembre 2007, la SARL SHEET ANCHOR FRANCE s'adressant à la SA NEOTION au sujet du bail du 31 mars 2005, écrit ' concomitamment le bail en cours entre l'ancien propriétaire la Société Civile Immobilière AZUR et la Société NEOTION a donc été résilié par les parties ';
Qu'ainsi l'annulation du bail signé le 3 mai 2007 ne saurait faire revivre le contrat de bail du 31 mars 2005;
Attendu que c'est donc à bon droit que le tribunal a débouté la SARL SHEET ANCHOR FRANCE de ses demandes en paiement et de sa demande en dommages-intérêts qui sont infondées;
Qu'il y a lieu en conséquence de confirmer, par substitution de motifs, le jugement rendu le 26 mars 2013 par le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE;
Attendu qu'il sera alloué à la SA NEOTION, qui a dû mettre avocat à la barre pour assurer sa représentation en justice, la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile;
Attendu que la SARL SHEET ANCHOR FRANCE, qui succombe, supportera les dépens d'appel;
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, en dernier ressort,
Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 16 mai 2018,
CONFIRME, par substitution de motifs, le jugement rendu le 26 mars 2013 par le Tribunal de Grande Instance de MARSEILLE;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SARL SHEET ANCHOR FRANCE à payer à la SA NEOTION la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile;
LA CONDAMNE aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT