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27/10/2022 | FRANCE | N°22/04024

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 27 octobre 2022, 22/04024


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2



ARRÊT

DU 27 OCTOBRE 2022



N°2022/711













Rôle N° RG 22/04024 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJCKQ







[P], [W], [M] [O] épouse [N]

[E] [N]





C/



[A] [H]





































Copie exécutoire délivrée le :

à :



Me Joseph MAGNAN

>
Me Philippe CAMPOLO





Décision déférée à la Cour :



Ordonnance de référé rendue par le Président du Juge des contentieux de la protection de FREJUS en date du 15 février 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 12-21-0146.





APPELANTS



Madame [P] [O] épouse [N]

née le 06 décembre 1961 à [Localité 12], demeurant [...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 27 OCTOBRE 2022

N°2022/711

Rôle N° RG 22/04024 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJCKQ

[P], [W], [M] [O] épouse [N]

[E] [N]

C/

[A] [H]

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me Joseph MAGNAN

Me Philippe CAMPOLO

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du Juge des contentieux de la protection de FREJUS en date du 15 février 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 12-21-0146.

APPELANTS

Madame [P] [O] épouse [N]

née le 06 décembre 1961 à [Localité 12], demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Christian NIVOIX, avocat au barreau de STRASBOURG, plaidant

Monsieur [E] [N]

né le 21 novembre 1963 à [Localité 12], demeurant [Adresse 4]

représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP MAGNAN PAUL MAGNAN JOSEPH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assisté de Me Christian NIVOIX, avocat au barreau de STRASBOURG, plaidant

INTIMEE

Madame [A] [H]

née le 23 octobre 1960 à [Localité 15], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Philippe CAMPOLO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN substitué par Me Sébastien BADIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 septembre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sylvie PEREZ, Conseillère, et Mme Catherine OUVREL, Conseillère, chargées du rapport.

Mme Sylvie PEREZ, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Sylvie PEREZ, Conseillère

Mme Catherine OUVREL, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2022.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2022.

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Suivant acte notarié en date du 6 décembre 2007, dressé en l'étude de maître [Y] [C], notaire associé à [Localité 14], la SAFER a cédé à [J] [O], éleveur ovins, une parcelle de terre en nature de verger divers sur laquelle est édifiée une petite construction à usage d'abri forestier situé à [Adresse 9], cadastrée section C, n° [Cadastre 5] et [Cadastre 6].

L'acte de vente stipulait un cahier des charges par lequel M. [O] s'engageait à maintenir pendant une durée de 15 ans à compter de sa signature, une activité agricole sur le bien objet de la vente.

M. [O] est décédé le 1er décembre 2019, laissant pour unique héritière sa soeur [P] [O] épouse [N], mariée sous le régime de la communauté universelle à [E] [N].

Par acte sous seing privé en date du 27 janvier 2020, Mme [P] [N] a cédé à Mme [A] [H] une partie des droits à paiement de base (DPB) ayant appartenu à feu [J] [O].

Par acte d'huissier en date du 22 juin 2021, M. et Mme [N] ont fait assigner Mme [H] en référé devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Fréjus afin de voir constater l'occupation son droit ni titre par la requise de la propriété leur appartenant, ordonner son expulsion sous astreinte, et le voir condamner au paiement d'une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation.

Dans le cadre de cette instance, Mme [H] a soulevé l'incompétence du juge des contentieux de la protection au profit du tribunal paritaire des baux ruraux, soutenant être titulaire d'un bail rural verbal.

Par ordonnance en date du 15 février 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Fréjus s'est déclaré matériellement incompétent pour connaître du litige et a :

- dit n'y avoir lieu à référé,

- déclaré irrecevables les demandes de M. et Mme [N],

- dit n'y avoir lieu de se dessaisir au profit du président du tribunal paritaire des baux au de Fréjus,

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Fréjus,

- réservé les demandes des parties jusqu'en fin d'instance,

- rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge des requérants.

Selon déclaration reçue au greffe le 18 mars 2022, M. et Mme [N] ont interjeté appel de la décision, appel portant sur tous les chefs de la décision expressément critiqués.

Par requête en date du 18 mars 2022, M. et Mme [N] ont sollicité la fixation de l'affaire à jour fixe.

Par ordonnance du 24 mars 2022, la requête a été rejetée.

Par conclusions déposées et signifiées le 28 avril 2022, M. et Mme [N] ont conclu comme suit :

- réformer l'ordonnance de référé du 15 février 2022,

Statuant à nouveau :

- ordonner l'expulsion de Mme [A] [H] de l'immeuble occupé sis à [Adresse 7] ainsi que de toutes autres personnes et animaux de son chef, au besoin avec le concours de la force publique, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir et jusqu'à évacuation complète et définitive des lieux,

- condamner Mme [H] à leur payer une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation d'un montant de 1 000 euros, ce à compter de l'assignation d'origine du 21 juin 2021,

- condamner Mme [H] à leur payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel.

M. et Mme [N] exposent être propriétaires d'un bien immobilier constitué d'un terrain et d'une bâtisse situés [Adresse 1], bien qu'ils indiquent être occupé sans droit ni titre par Mme [H].

Ils font valoir que l'abri forestier a été aménagé par M. [O], exploitant un cheptel ovin composé d'environ 600 têtes, qui en a fait une maison d'habitation complètement équipée, composé de trois pièces et de sanitaires.

Ils exposent que :

- lorsque M. [O] est décédé dans des circonstances tragiques, Mme [P] [N], habitant à 950 km, a été amenée à demander à Mme [H], éleveuse d'ovins, de s'occuper temporairement du troupeau et des chiens et de prendre toute décision nécessaire à la bonne gestion et la continuité de l'exploitation d'ovins ainsi qu'à accéder à la maison d'habitation de M. [O], jusqu'à nouvel accord,

- le 27 janvier 2020, Mme [N] a vendu le troupeau d'ovins à Mme [H] et le 15 mai 2020, lui a cédé une partie du droit à paiement de base ayant appartenu à M. [O], droits se rapportant à des surfaces pâturées et non à des surfaces agricoles,

- par un courriel du 20 août 2021, Mme [N] a demandé à Mme [H] la libération des lieux pour le 1er novembre 2020, indiquant pouvoir autoriser une solution provisoire à savoir utilisation de la serre et parcelle derrière la maison, expliquant envisager des travaux importants de rénovation de l'ancienne maison.

Les appelants font grief au premier juge d'avoir renvoyé les parties à se pourvoir devant le tribunal paritaire des baux ruraux statuant au fond, expliquant qu'il n'a jamais été convenu avec Mme [H] la conclusion d'un bail rural même verbal.

Ils exposent, sur la base du projet de transmission d'exploitation sylvo pastoral de M. [O], que le périmètre du projet prévoyait une localisation de l'exploitation ailleurs que chez M. [O] et notamment l'installation d'une cabane pastorale sur un terrain communal situé à [Localité 8], ces documents n'incluant à aucun moment l'installation de Mme [H] dans l'abri forestier aménagé en habitation par M. [O].

Ils relèvent que les parties accompagnatrices de ce projet, à savoir le Centre d'Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée (CERPAM) et la communauté de communes, ont, après le décès de M. [O], abandonné le projet de cabanon sur la parcelle de terrain appartenant à la commune et tenté d'incorporer la maison d'habitation dans le périmètre de la transmission, de sorte de se dispenser de l'édification d'un cabanon, de son aménagement et de son accès.

Ils exposent que ces circonstances ont conforté Mme [H] dans la croyance qu'elle pouvait tranquillement s'établir dans la maison, alors que les parties prenantes, simples accompagnatrices, n'hésitaient pas à user de méthodes fortes, notamment la SAFER qui n'a cessé de menacer Mme [N] d'une résolution de la vente amiable de la parcelle.

Ils ajoutent que par assignation du 5 avril 2022, la SAFER a introduit cette action en résolution.

Les appelants font valoir qu'il existe une confusion entre la transmission d'une exploitation et un droit au logement, rappelant que jusqu'à présent Mme [H] logeait dans sa caravane, installée à proximité de son troupeau, y ajoutant que la transmission du troupeau ne constitue pas un droit au logement.

Les appelants font grief au premier juge :

- d'avoir considéré que la simple allégation d'un bail rural verbal permettait de douter de l'évidence du caractère sans droit ni titre de l'occupation de Mme [H],

- d'avoir rejeté les dispositions de l'article L. 213-4-3 du code de l'organisation judiciaire, indiquant démontrer que sur la parcelle numéro [Cadastre 5] et [Cadastre 6] est édifiée une maison d'habitation que M. [O] avait restaurée et rendue habitable, nul doute qu'il s'agisse d'un immeuble bâti au sens du texte précité.

Par conclusions déposées et notifiées le 1er août 2022, Mme [H] a conclu comme suit :

- confirmer l'ordonnance de référé du 15 février 2022,

- condamner M. et Mme [N] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens au titre de la procédure d'appel.

Mme [H] expose être éleveuse d'ovins depuis octobre 2015 et exploiter cette activité à [Adresse 13].

Elle explique qu'en février 2019, le CERPAM l'a mise en contact avec M. [J] [O] qui les avait sollicités aux fins d'obtenir un repreneur de son exploitation d'ovins, lui permettant d'actionner ses droits à la retraite à compter de décembre 2020 et qu'afin d'assurer une transmission régulière, ces derniers ont été accompagnés par la chambre de l'agriculture, le CERPAM et la Communauté de commune des pays de [Localité 11].

A ce titre, Mme [H] expose avoir joint son troupeau à celui de M. [O], avec son accord, aux fins de respecter une véritable transmission entre les deux agriculteurs, rappelant que cependant celui-ci est décédé en décembre 2019.

Au vu de cette situation, l'intimé explique qu'une réunion s'est déroulée pour permettre la continuation de l'exploitation et la cession de celle-ci entre les héritiers, les époux [N] et elle-même.

Mme [H] indique qu'une proposition d'achat de la maison servant de siège à l'exploitation, dont elle a assuré la reprise en ayant d'ores et déjà procédé à l'achat du troupeau et des surfaces agricoles pour la somme totale de 57 800 euros, lui était alors proposée par Mme [N].

L'intimée rappelle que le 5 décembre 2019, cette dernière l'autorisait par conséquent à :

- prendre toutes les mesures relatives au troupeau d'ovins et animaux qui y sont attachés, nécessaires à la bonne gestion et continuité de l'exploitation,

- accéder à la maison d'habitation de M. [O] pendant la durée de l'engagement qu'elle a pris en date du 5 décembre 2019, d'assurer la gestion et la continuité de l'exploitation d'ovins de celui-ci.

Concernant la compétence du juge des référés, Mme [H] soutient être incontestablement liée par un bail rural aux consorts [N] et que compte tenu des articles L213-4-2 et suivants du Code de l'organisation judiciaire, l'action relative à un bail rural, qui répond aux articles L.491-1 et suivants du Code rural, ne relève pas de la compétence du juge du contentieux et de la protection.

Elle rappelle qu'une procédure de transmission de l'exploitation de M. [O] était en cours auprès des instances responsables avant son décès et que ses héritiers n'ayant la qualité d'agriculteur, n'avaient d'autres choix, au vu des procédures de transfert, que de conclure à un bail rural.

Elle considère que la preuve d'un bail rural verbal en est rapportée par deux des attestations de Mme [N] lui accordant la jouissance de l'immeuble en contrepartie de la gestion de l'exploitation, y ajoutant que l'immeuble en question est constitutif du siège social de l'exploitation et ne peut aucunement être détaché de l'exploitation agricole, de sorte que la juridiction de céans sera alors amenée à confirmer le renvoi de cette affaire devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Fréjus.

S'agissant du défaut de pouvoir du juge des référés, Mme [H] conteste les éléments avancés par Mme [N] qui pour justifier de la saisine du juge des référés, invoque en premier lieu la création, par sa fille, d'une entreprise individuelle de production oléicole avec laquelle elle a conclu un contrat de commodat aux fins qu'elle puisse y exploiter son activité.

Mme [H] fait valoir que compte tenu de ce qu'elle occupe les lieux, la fille de Mme [N] ne peut aucunement débuter son exploitation, y ajoutant de plus que son activité d'oléiculture n'est ni agréée par la communauté de commune, ni par la SAFER.

Elle fait de plus valoir que, compte tenu de la procédure de transmission en cours, il revient à la SAFER de trouver un autre exploitant et de régulariser un appel à candidatures obligatoire dans ces conditions, et qu'à ce titre, Mme [N] ne peut en aucun cas conclure seul un tel bail à sa fille qui se doit de déposer son projet comme tout autre candidat.

Sur l'existence d'un bail rural, elle rappelle que l'article L 411-4 du code rural il reconnaît la validité du bail rural verbal qui aux termes de l'article L411-1 du code rural est défini comme suit : « toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole ».

Elle rappelle avoir entamé avec M. [O] des démarches de transfert d'exploitation et rejoint ce dernier dès l'été 2019, mettant en commun son troupeau et emménageant au sein de l'exploitation.

Elle explique que, suite au décès de M. [O] avant la finalisation de la transmission, ses héritiers se doivent alors de continuer les démarches en son nom n'étant pas en mesure de reprendre l'activité.

Elle considère que c'est titre, elle est donc devenue propriétaire du troupeau et des surfaces agricoles de M. [O] comme il en était convenu, ne restant alors plus qu'à estimer le siège social de l'exploitation et procéder à la vente à son profit.

Elle explique que la jouissance de cet immeuble, d'ailleurs constitutif du siège social de l'exploitation agricole qui lui a été cédée, l'a été aux fins d'assurer la bonne gestion et continuité de l'exploitation d'ovins de M. [O], ajoutant que la jurisprudence rappelle que le caractère onéreux du bail peut se déduire du versement d'un loyer mais aussi de la simple prise en charge de frais (C. Cass. 3ème civ. 14 janv. 2004, n°02-12.663) ou d'un versement en nature, tel qu'un partage de récolte (C. Cass. 3ème civ. 2 avril 2003, n°01-14.446).

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Compétence matérielle du juge des contentieux de la protection :

Mme [H], qui soutient être titulaire d'un bail rural verbal, met en cause la compétence du juge des référés au visa des articles L. 213-4-2 et suivants du code de l'organisation judiciaire, indiquant que l'action relative à un bail rural, qui répond aux articles L. 491-1 et suivants du code rural, ne relève pas de la compétence du juge des contentieux de la protection.

1.1. Compétence matérielle tenant à l'existence d'un bail rural :

Il est rappelé aux termes de la vente intervenue le 6 décembre 2007, entre la SAFER et M. [J] [O], éleveur ovins, celui-ci s'engageait, en application du cahier des charges, à maintenir pendant une durée de 15 ans une activité agricole sur le bien objet de la vente.

Dans le cadre du Plan d'Orientation Pastorale Intercommunale du pays de [Localité 11], il a été donné mission par la Communauté de Communes au Centre d'Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée, de réaliser la transmission de l'exploitation de M. [O] qui en 2018, a fait connaître à la chambre d'agriculture du Var qu'il comptait prendre sa retraite en 2020.

C'est ainsi qu'il résulte du projet de transmission d'exploitation sylvopastorale de M. [O], daté du 24 juin 2019, que la candidature de Mme [A] [H] a été retenue.

Ce projet prévoyait la création d'un siège d'exploitation communale sur un terrain communal situé en zone A, la création d'une cabane pastorale d'hivernage sur la parcelle E[Cadastre 3] et la location de cette cabane à l'éleveur en lien avec le transfert de la concession de pâturages en forêt communale de M. [O] à Mme [H], avec réalisation d'un chemin d'accès et d'un emplacement viabilisé par la commune, ainsi qu'une proposition de mise en place de façon transitoire sur le site à partir de l'automne 2019 d'une caravane appartenant à Mme [H].

Ce projet prévoyait également que Mme [H] mettrait pendant l'été 2019 son troupeau avec celui de M. [O] en estive, qu'elle logerait jusqu'en septembre dans l'habitation de ce dernier mais qu'il lui faudrait trouver un emplacement pour sa caravane à partir de septembre, celle-ci travaillant en association à M. [O] jusqu'en mai 2020.

M. [O] est décédé le 1er décembre 2019, avant l'expiration du délai de 15 ans et la finalisation de la transmission de son exploitation.

Selon deux attestations manuscrites du 5 décembre 2019, Mme [N], soeur et héritière de M. [O], a autorisé Mme [H] :

- « à prendre toutes les mesures relatives au troupeau d'ovins et animaux qui y sont attachés, nécessaires à la bonne gestion et continuité de l'exploitation d'ovins de M. [J] [O] et ce jusqu'à ce qu'un nouvel accord dérogeant aux présentes soit signé » ;

- « à accéder à la maison d'habitation de M. [J] [O] pendant la durée de l'engagement qu'elle a pris en date du 5 décembre 2019, d'assurer la gestion et la continuité de l'exploitation d'ovins de M. [O] [J] ».

Selon attestation de vente en date du 27 janvier 2020, Mme [P] [N] a vendu à Mme [H] le troupeau de moutons ayant appartenu à son frère.

Selon document daté du 13 mai 2020, intitulé « Transfert de droit à paiement de base ( DPB) intervenant au plus tard le 15 mai 2020 sans accompagnement d'un transfert de foncier »Mme [P] [N] a transféré à Mme [H] ses droits à paiement de base au nombre de 400.

Tout en rappelant que M. [O] est décédé avant la finalisation de la transmission de son exploitation, et alors que selon l'intimée, les héritiers ne sont pas en mesure de reprendre l'activité pastorale, Mme [H] indique qu'elle est devenue propriétaire du troupeau et des surfaces agricoles de M. [O] comme il en était convenu.

Si cette affirmation est exacte concernant le troupeau, par contre il existe une contestation sérieuse quant à la propriété des surfaces agricoles puisque justement la transmission de l'exploitation du défunt n'a pas été finalisée et que d'autre part Mme [H] soutient en être locataire au titre d'un bail rural verbal.

Par ailleurs, il est rappelé que l'acte de vente conclu entre eux, la SAFER et M. [O] prévoit expressément le sort de l'exploitation pastorale dans l'hypothèse du décès de ce dernier, s'agissant du seul transfert de la concession de pâturages comme mentionné au projet. Il doit être relevé que ce projet, établi dans la perspective d'un départ à la retraite de M. [O], ne concerne pas les parcelles [Cadastre 5] et [Cadastre 6] sur lesquelles celui-ci entendait vivre pendant sa retraite, et que ces parcelles font désormais l'objet de l'action en résolution de la vente initiée le 5 avril 2022 par la SAFER.

Les appelants font valoir qu'il n'a jamais été convenu entre M. [O], sa soeur, héritière, et Mme [H] la conclusion d'un bail rural même verbal, rappelant que le projet de transmission, sous l'égide du CERPAM, ne prévoit pas de bail rural puisqu'il est prévu d'installer Mme [H] sur une parcelle avec un cabanon édifié par la Communauté de Communes, rappelant que le transfert d'exploitation n'a jamais incorporé la maison d'habitation de M. [O].

Sur la base des attestations mentionnées ci-dessus, il ressort que Mme [N] a pris un engagement temporaire tenant à la continuation de l'exploitation d'ovins jusqu'à l'intervention d'un nouvel accord, engagement destiné, eu égard aux circonstances, à parer à une situation d'urgence. Cette situation a pris fin le 27 janvier 2020, avec la vente de l'ensemble du troupeau d'ovins de M. [O] à Mme [H], laquelle ne verse aucun loyer ni fermage.

Il résulte de ces éléments, qu'il n'est pas établi avec l'évidence requise en référé qu'un bail rural verbal a été conclu entre Mme [N] et Mme [H], de sorte qu'il n'existe aucune contestation sérieuse quant à la compétence matérielle du juge des contentieux de la protection au regard de l'allégation de l'existence d'un bail rural.

1.2. Compétence matérielle tenant au bâti :

Mme [H] expose, au visa des articles L. 213-4-2 à L. 213-4-7 du code de l'organisation judiciaire, que l'action en référé expulsion initiée par les époux [N] ne relève pas du juge des contentieux de la protection, considérant occuper les lieux au titre d'un bail rural.

Il est relevé à titre liminaire que l'intimée ne conteste pas le droit de propriété de Mme [N] sur le bien dont s'agit, au demeurant justifié par la production d'une attestation notariée datée du 6 janvier 2020 ainsi que d'un acte authentique en date du 23 avril 2020 établissant les qualités héréditaires de Mme [N].

Les articles L. 213-4-3 et L.213-4-4 du code de l'organisation judiciaire prévoient que le juge des contentieux de la protection connaît notamment des actions « tendant à l'expulsion des personnes qui occupent aux fins d'habitation des immeubles bâtis sans droit ni titre» ainsi que des actions « dont un contrat de louage d'immeuble à usage d'habitation ou un contrat portant sur l'occupation d'un logement est l'objet, la cause ou l'occasion ainsi que des actions relatives à l'application de la loi du 1er septembre 1948 ».

Le premier juge a déclaré l'action de M. et Mme [N] irrecevable en ce que l'acte notarié du 6 décembre 2007 ne fait pas mention d'un immeuble bâti mais uniquement d'un abri forestier.

Il est constant que suivant acte notarié en date du 6 décembre 2007, la SAFER a cédé à [J] [O], éleveur ovins, une parcelle de terre en nature de verger divers sur laquelle est édifiée une petite construction à usage d'abri forestier situé à [Adresse 9], cadastrée section C, n° [Cadastre 5] et [Cadastre 6].

Les appelants font valoir que M. [O] avait restauré et rendu complètement habitable cet abri forestier dès son acquisition en 2007.

Ils versent aux débats une fiche descriptive du bien établie par la direction générale des finances publiques qui mentionne qu'il s'agit bien d'une maison, d'une superficie de 80 m², comportant trois pièces, les époux [N] ajoutant que le fait que Mme [H] se maintient dans les lieux depuis deux ans, démontre qu'il s'agit d'une maison d'habitation.

Mme [H] produit de plus un procès-verbal de constat des lieux établi le 25 mars 2021 qui décrit une bâtisse d'environ 100 m² alors le commissaire de justice indique que sur le cadastre, seul un cabanon de chasse de 25 m² est répertorié, qu'un appentis est attenant à la maison, que l'eau provient d'un forage dans le sol et l'électricité de panneaux solaires avec un groupe électrogène, que la maison se compose d'un séjour, une cuisine, d'un cellier, d'une chambre et d'une salle de bains.

Il résulte de ces différents éléments, qu'il s'agit bien de la description d'un immeuble bâti, occupé à des fins d'habitation par Mme [H], de sorte qu'aucune contestation sérieuse ne s'oppose à la compétence du juge des contentieux de la protection en application de l'article L. 213-4-3 du code de l'organisation judiciaire.

En conséquence de quoi, la demande des époux [N] relève bien de la compétence du juge des contentieux de la protection statuant en référé et est recevable, de sorte que l'ordonnance déférée à la cour sera infirmée des chefs de l'incompétence prononcée du juge des contentieux de la protection et de l'irrecevabilité des demandes de M. et Mme [N].

2. L'urgence et le trouble manifestement illicite :

M. et Mme [N] font valoir qu'ils ont consenti à bail le terrain arboré d'oliviers à Mme [Z] [N], fille de Mme, en vue de l'exploitation d'une entreprise individuelle de production oléicole, qu'ils sont tenus par ailleurs en tant que propriétaires, d'effectuer des travaux d'entretien de défrichage à proximité du bien et que le trouble causé par Mme [H] à leur droit de propriété est suffisamment grave pour que son expulsion soit ordonnée.

Mme [H] demande à la cour, dans l'hypothèse où celle-ci se déclarerait compétente pour statuer sur la demande des époux [N], de constater qu'il existe un bail rural conclu entre eux.

Il résulte cependant des mêmes développements par lesquels il a été décidé de la compétence de la juridiction de céans, l'absence d'établissement avec l'évidence requise en référé d'un bail rural.

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, il est prévu que dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, il est prévu que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans un courrier daté du 20 août 2020, Mme [N] a demandé à Mme [H] de libérer les lieux occupés, rappelant que l'autorisation donnée était provisoire, courriel réitéré le 5 octobre 2020.

L'occupation sans droit ni titre du bien d'autrui depuis plus de deux ans à ce jour constitue un trouble manifestement illicite auquel il est urgent de mettre fin par la mesure d'expulsion sollicitée par les appelants à l'encontre de Madame [H] dans les conditions et sous astreinte prévues au dispositif ci-après.

3. La provision :

M. et Mme [N] sollicitent la condamnation de Madame [H] au paiement d'une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation d'un montant de 1000 euros.

L'article 835 du code de procédure civile prévoit que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peut accorder une provision au créancier dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Le montant de la provision allouée en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée, et que le juge des référés fixe discrétionnairement à l'intérieur de cette limite la somme qu'il convient allouer au requérant.

Force de constater que les appelants produisent à l'appui de leurs demandes aucun élément permettant de chiffrer cette indemnité d'occupation à hauteur du montant sollicité, de sorte qu'il y a lieu de constater l'existence de contestations sérieuses, et de confirmer l'ordonnance déférée à la cour de ce chef.

Chacune des parties succombant partiellement en sa demande, supportera la charge des frais irrépétibles exposés par elle au cours de l'instance en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme l'ordonnance du 15 février 2022 prononcée par le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Fréjus, sauf concernant l'indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Se déclare compétente pour statuer sur la demande des époux [N] et déclare cette demande recevable ;

Ordonne l'expulsion de Mme [A] [H] ainsi que celle tout occupant de son chef et animaux, des lieux situés à [Adresse 10], avec au besoin l'assistance de la force publique, sous astreinte de 20 euros par jour de retard commençant à courir trois mois après la signification du présent arrêt, et pendant trois mois, passé lequel délai il devra être statué à nouveau sur le montant de l'astreinte ;

Dit que chacune des parties supportera la charge des frais irrépétibles exposés par elle au cours de l'instance en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [H] aux dépens d'appel.

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-2
Numéro d'arrêt : 22/04024
Date de la décision : 27/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-27;22.04024 ?
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