COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8a
ARRÊT AU FOND
DU 30 JUILLET 2024
N°2024/258
Rôle N° RG 22/17086 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKQRY
[N] [F]
C/
URSSAF PACA
Copie exécutoire délivrée
le : 30/07/2024
à :
- Me Renata JARRE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
- URSSAF PACA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Pole social du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 14 Décembre 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 16/02502.
APPELANT
Monsieur [N] [F], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Renata JARRE de la SELARL CABINET LAMBALLAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
URSSAF PACA, demeurant [Adresse 3]
représentée par M. [B] [P] en vertu d'un pouvoir spécial
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Juin 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Juillet 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Juillet 2024
Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 16 février 2016, la caisse du RSI, aux droits de laquelle vient désormais l'URSSAF, a décerné à l'encontre de M. [N] [F] une contrainte pour un montant de 9 113 euros au titre de cotisations et majorations de retard (sous déduction d'un versement effectué par le cotisant) se rapportant aux 3ème et 4ème trimestres 2015. La contrainte a été signifiée à M. [F], le 29 février 2016.
Le 9 mars 2016, M. [F] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône de son opposition à la contrainte.
Par jugement contradictoire du 14 décembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a :
- déclaré recevable mais mal fondée l'opposition de M. [F],
- débouté M. [F] de l'ensemble de ses demandes,
- validé la contrainte pour le montant de 8 919 euros et condamné M. [F] au paiement de cette somme,
- condamné M. [F] aux dépens lesquels comprendront les frais de signification de la contrainte,
- rappelé le caractère exécutoire de droit de la décision.
Le tribunal a, en effet, considéré que :
- l'absence de déclaration au passif de la liquidation judiciaire de la SARL [2] est sans effet, la dette de cotisations de sécurité sociale restant due à titre personnel par le travailleur indépendant et ne constituant pas une dette de la société ;
- l'organisme justifie de sa créance tandis que le cotisant n'établit pas s'être libéré de l'intégralité de ses obligations ; il ne peut être reproché au RSI d'avoir imputé des versements au paiement des cotisations pour lesquelles il n'avait pas établi de titre plutôt qu'au réglement des causes de la contrainte.
Par déclaration électronique du 22 décembre 2022, M. [N] [F] a relevé appel du jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions visées à l'audience, dûment notifiées à la partie adverse, développées au cours de l'audience et auxquelles il s'est expressément référé pour le surplus, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
- déclarer fondée son opposition à la contrainte,
- débouter l'URSSAF de l'intégralité de ses prétentions,
- invalider la contrainte pour le montant de 8 919 euros,
- condamner l'URSSAF au paiement de la somme de 21 930 euros,
- condamner l'URSSAF à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamner l'URSSAF aux dépens et à la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir que :
- son affiliation a été traitée tardivement par la caisse du RSI ;
- nées au titre de l'activité professionnelle exercée par la SARL [2], les dettes de cotisations sont nécessairement dues par la société exploitante et il appartenait à l'URSSAF de déclarer sa créance à la liquidation judiciaire de la société, sous peine d'inopposabilité ;
- les nombreux versements qu'il a effectués n'ont pas tous été pris en compte par l'URSSAF dans le décompte qu'elle intègre dans ses conclusions ;
- la caisse lui a réclamé la somme totale de 52 571 euros depuis 2011 et il a versé la somme de 47 717 euros ; la cour d'appel d'Aix-en-Provence a annulé une contrainte d'un montant de 26 784 euros ; c'est donc l'URSSAF qui lui doit de l'argent
- l'URSSAF se refuse à produire un décompte général sur l'ensemble de la période des cotisations dues et celles perçues alors que la charge de la preuve du bien fondé de ses créances lui incombe.
Par conclusions visées à l'audience, dûment notifiées à la partie adverse, développées au cours de l'audience et auxquelles elle s'est expressément référée pour le surplus, l'intimée demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter M. [F] de ses demandes, de condamner M. [F] au paiement de la somme de 4 407 euros, montant résiduel restant dû au titre de la contrainte et de le condamner aux dépens et à lui verser la somme de 2 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée réplique que :
- M. [F], affilié en qualité de gérant majoritaire de la SARL, est obligé personnellement au paiement des cotisations quand bien même elles découlent de son activité professionnelle ;
- c'est à celui qui fait opposition de démontrer que les titres exécutoires décernés ne sont pas justifiés ;
- les paiement effectués avant l'exigibilité ne peuvent pas être pris en compte car sans lien avec l'exigibilité concernée; dans l'hypothèse où le cotisant effectue un paiement en dehors d'une exigibilité donnée, il doit préciser à l'organisme quelle créance il entend payer et en l'absence de précision de sa part, c'est le droit commun qui s'applique; il convient au préalable de justifier des paiements effectués ;
- elle explique le détail du calcul des cotisations objet de la contrainte et indique que la contrainte reste due pour la somme de 4 407 euros ;
- les demandes indemnitaires formées par M. [F] ne sont pas fondées.
MOTIVATION
1- Sur la contrainte et la demande en paiement de M. [F] :
Aux termes de l'article L311-2 du code de la sécurité sociale , sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.
L'article L311-3 11° du même code dispose que sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s'impose l'obligation d'affiliation aux assurances sociales du régime général, les gérants de sociétés à responsabilité limitée et de sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée à condition que lesdits gérants ne possèdent pas ensemble plus de la moitié du capital social.
L'article D. 632-1 du code de la sécurité sociale , dans sa version applicable au présent litige, dispose que sont obligatoirement affiliées, en application de l'article L. 622-7, aux caisses de base du régime social des indépendants, en ce qui concerne les sociétés dont l'activité est industrielle ou commerciale, les personnes physiques énumérées ci-après :
1°) les associés des sociétés en nom collectif, les associés de fait, les associés commandités des sociétés en commandite simple et en commandite par actions ;
2°) les gérants de sociétés à responsabilité limitée qui ne sont pas assimilés aux salariés pour l'application de la législation sur la sécurité sociale ;
3°) les associés majoritaires non gérants d'une SARL exerçant une activité rémunérée au sein de l'entreprise et qui ne sont pas assimilés aux salariés pour l'application de la législation sur la sécurité sociale.
Les assujettis sont tenus de se déclarer à la caisse dont ils relèvent en vue de leur immatriculation dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale .
Selon l'article R. 133-26 du code de la sécurité sociale , dans sa version applicable au présent litige, les cotisations et contributions sociales annuelles dues, à titre personnel, par un travailleur indépendant sont acquittées par versements mensuels d'un montant égal, effectués par prélèvement automatique sur un compte bancaire ou un compte d'épargne.
M. [F] ne saurait invoquer la tardiveté de la prise en compte par le RSI de son affiliation alors qu'il résulte du courrier produit aux débats qu'il a attendu le mois de décembre 2012 pour signaler qu'il était le gérant majoritaire de la SARL [2] depuis le 1er avril 2011. Au demeurant, les cotisations réclamées sont celles des 3ème et 4ème trimestres 2015, soit des cotisations dues à une période largement postérieure où l'affiliation de M. [F] au RSI était prise en compte depuis plusieurs années. Il est encore remarqué que les cotisations sont portables et non quérables et qu'il appartient donc au cotisant de se mettre en règle de ses obligations sociales.
Ensuite, il résulte a contrario des dispositions sus visées que les gérants majoritaires de sociétés à responsabilité limitée relèvent du régime social des indépendants. Aux termes d'une jurisprudence constante, l'associé unique d'une société à responsabilité limitée, qui a le statut de travailleur indépendant, est seul redevable à l'égard de l'organisme social des cotisations et contributions sociales annuelles dues à titre personnel (Cass. civ. 2e, 6 juillet 2017 n° 16-17699).
Ces cotisations sociales constituent ainsi des dettes personnelles du gérant et ne doivent pas être réclamées à la société.
De ce fait, même en présence d'une mesure de redressement ou de liquidation judiciaire de la structure sociétale, l'affilié conserve l'obligation d' en effectuer le paiement à la caisse dont il relève et l'URSSAF n'était donc pas tenue de déclarer sa créance à la procédure collective de la SARL [2].
Si les cotisations sociales dont le gérant est personnellement débiteur constituent une dette professionnelle au sein des dispositions du code de la consommation, elles représentent cependant une dette personnelle, au sens du code de la sécurité sociale , sauf si la procédure collective lui a été personnellement étendue, ce qui n'est pas démontré en l'espèce.
Aux termes de l'article R 244-1 alinéa 1 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige, l 'envoi par l'organisme de recouvrement ou par le service mentionné à l'article R. 155-1 de l'avertissement ou de la mise en demeure prévus à l'article L. 244-2, est effectué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. L'avertissement ou la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées ainsi que la période à laquelle elles se rapportent.
Comme la mise en demeure, la contrainte décernée par l'organisme de recouvrement doit permettre au cotisant de connaître la nature, la cause et l'étendue de son obligation.
La contestation de M. [F] quant aux sommes réclamées par l'URSSAF au titre de la contrainte ne porte véritablement que sur le fait qu'il affirme avoir effectué des versements de sorte qu'il ne devrait plus rien à l'organisme, voire que ce dernier serait aujourd'hui débiteur à son égard.
Comme parfaitement indiqué par l'URSSAF, la cour n'est aujourd'hui saisie que de l'opposition à la contrainte décernée le 16 février 2016 pour paiement des cotisations des 3ème et 4ème trimestres 2015 et non de l'entièreté de la situation financière de M. [F] vis à vis de l'URSSAF. Elle ne peut donc, sur les seuls éléments produits aux débats, se livrer à la vérification du calcul effectué par M. [F] dans ses écritures et faire droit à sa demande en paiement de sommes dont l'URSSAF serait débitrice à son égard. Cette demande est donc rejetée.
Pour autant, l'URSSAF qui rappelle parfaitement les règles d'affectation des versements spontanés réalisés par un débiteur hors de période d'exigibilité des cotisations, n'explique pas à la cour la raison pour laquelle alors que les cotisations du 3ème trimestre 2015 étaient exigibles au 5 août 2015, elle n'a déduit du montant de la cotisation due que le versement fait par M. [F] le 18 août 2015 de 1 500 euros par chèque bancaire et non pas également celui effectué le 21 septembre 2015 d'un même montant et selon le même mode. Or, la mise en demeure date du 13 octobre 2015 et mentionne prendre en compte les versements effectués jusqu'au 6 octobre 2015. De la même façon, la mise en demeure du 21 décembre 2015 notifiée à M. [F] pour paiement des cotisations afférentes au 4ème trimestre 2015, exigibles au 5 novembre 2015, ne tient pas compte du versement de 1 500 euros réalisé le 16 décembre 2015 au moyen d'un chèque bancaire alors qu'elle précise prendre en compte les paiements effectués jusqu'au 21 décembre 2015. La contrainte décernée suite à ces deux mises en demeure ne déduit pas davantage du montant des cotisations dues les versements effectués par le cotisant et résultant du décompte de la caisse du RSI elle-même.
Les premiers juges ne se sont pas livrés à cette analyse, se contentant de souligner que M. [F] ne conteste pas le principe de la dette, qu'il ne justifie d'aucun justificatif de paiement, non plus de demande d'affectation des sommes versées de sa part.
Or, en cause d'appel, M. [F] conteste à bon escient le montant de cotisations et majorations de retard réclamées au titre de la contrainte du 16 février 2016. Dès lors, cette contrainte doit être annulée faute de permettre au cotisant d'avoir connaissance de l'étendue de son obligation.
Le jugement est donc infirmé en toutes ses dispositions.
2- Sur la demande en dommages-intérêts de M. [F]:
Vu les dispositions de l'article 1240 du code civil,
M. [F] estime que l'attitude de l'URSSAF lui cause un préjudice.
Cependant, il ne justifie d'aucune demande de sa part envers l'organisme qui a repris la gestion de la caisse RSI il y a quelques années, afin que sa situation sociale soit analysée et traitée dans son ensemble. De plus, il ne peut contester ne pas avoir réglé les cotisations dues à leur date d'exigibilité, ni avoir sollicité que les versements effectués spontanément soient imputés à l'arriéré dû. Dès lors qu'il ne démontre pas en quoi l'attitude de l'URSSAF a été fautive, sa demande de dommages-intérêts doit être rejetée.
3- Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile:
L'URSSAF est condamnée aux entiers dépens et à verser à M. [F] la somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sa demande fondée sur les mêmes dispositions est nécessairement rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Statuant à nouveau,
Annule la contrainte décernée par l'URSSAF à M. [N] [F] le 16 février 2016 et signifiée le 29 février 2016 au titre des cotisations et majorations de retard des 3ème et 4ème trimestres 2015 pour un montant de 8 919 euros,
Y ajoutant,
Déboute M. [N] [F] de sa demande en paiement formée à l'encontre de l'URSSAF,
Déboute M. [N] [F] de sa demande en dommages-intérêts,
Condamne l'URSSAF aux entiers dépens,
Condamne l'URSSAF à payer à M. [N] [F] la somme de 1 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente