ARRET
N° 160
Société ENTREPRISE WATTEZ DENIS
C/
[O]
CPAM DE L'ARTOIS
Société PRESENTS
Société ANGELO MECCOLI& CIE
Société TERRASSEMENT ET TRAVAUX FERROVIAIRE
S.A.S. SECURAIL
Société LOCMAFER
S.A. SMABTP
Compagnie d'assurance AREAS
EW
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 25 AVRIL 2022
*************************************************************
N° RG 20/00585 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HUH6
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D' ARRAS EN DATE DU 16 janvier 2020 ( RG : 16/00498)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
La Société ENTREPRISE WATTEZ DENIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ZONE INDUSTRIELLE
La Motte du Bois-BP 94
62440 HARNES
Représentée et plaidant par Me Thomas HUMBERT de la SELAFA B.R.L. Avocats, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIMES
Monsieur [N] [O]
32 rue de Colmar
62740 FOUQUIERES LES LENS
Représenté et plaidant par Me Frédéric BENOIST, avocat au barreau de PARIS
La Société PRESENTS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
31 rue Mazenod
69003 LYON 03
Représentée par Me BEREZIG, avocat au barreau d'AMIENS substituant Me Olivier GELLER de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON
La Société ANGELO MECCOLI& CIE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
24 route des Charpereaux
37270 AZAY SUR CHER
Représentée par Me BOUDOUX D'HAUTEFEUILLE, avocat au barreau d'AMIENS substituant Me Nicolas DESHOULIERES de la SAS ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
La Société de TERRASSEMENT ET TRAVAUX FERROVIAIRE ( EURL STTF ), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
LES NAUZES
81150 LAGRAVE
Représentée et plaidant par Me Nadège MARTY-DAVIES, avocat au barreau de TOULOUSE
La S.A.S. SECURAIL, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
140 Avenue Paul Doumer
92500 RUEIL MALMAISON
Représentée par Me Audrey BOUDOUX D'HAUTEFEUILLE, avocat au barreau d'AMIENS, postulant at ayant pour avocat Me Jean-marc ALBERT de l'ASSOCIATION ALBERT ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
La Société LOCMAFER, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ZA Des Ecugnières
21390 PRECY SOUS THIL
Convoquée à l'audience par lettre simple en date du 03 Juin 2021
Non comparante, non représentée
La SMABTP, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
8, rue Louis Armand
75015 PARIS
Représentée par Me Marilyne KUZNIAK, avocat au barreau de LILLE
La société AREAS, société d'assurances mutuelle, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
47-49 rue de Miromesnil
75380 PARIS CÉDEX 08
Représentée par Me Aïcha SAID avocat au barreau de PARIS substituant Me Jean-Marc ZANATI de la SELAS COMOLET ZANATI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
La CPAM DE L'ARTOIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
11 boulevard du Président Allende
CS 90014
62014 ARRAS CEDEX
Représentée et plaidant par Mme [M] [Z] dûment mandatée
DEBATS :
A l'audience publique du 04 Janvier 2022 devant Mme Elisabeth WABLE, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Mars 2022.
Le délibéré de la décision initialement prévu au 24 Mars 2022 a été prorogé au 04 Avril 2022, puis au 25 Avril 2022.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. Pierre DELATTRE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Elisabeth WABLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Elisabeth WABLE, Président,
Mme Graziella HAUDUIN, Président,
et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 25 Avril 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Elisabeth WABLE, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
Vu le jugement rendu le 16 janvier 2020 par lequel le tribunal judiciaire d'Arras, statuant dans le litige opposant Monsieur [N] [O] d'une part, la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS , la société SMABTP ASSURANCE, la SARL STTF, la SAS ANGELO MECCOLI ET CIE, la SAS SECURAIL, la SA PRESENTS, l'EURL LOCMAFER, la compagnie AREAS, d'autre part, en présence de la CPAM de l'Artois, a :
- constaté les interventions volontaires des compagnies d'assurance SMABTP et AREAS,
- dit n'y avoir lieu à sursis à statuer,
- dit que l'accident du travail dont a été victime Monsieur [N] [O] le 11 décembre 2012 a été notamment causé par la faute inexcusable de son employeur , la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS ,
- fixé au taux maximumlégal la majoration de la rente versée à Monsieur [N] [O] par la CPAM de l'Artois,
- renvoyé Monsieur [N] [O] à la CPAM de l'Artois pour régularisation de ses droits à ce titre,
- dit que cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente reconnu à Monsieur [N] [O]
- ordonné une expertise confiée au Docteur [C] [F] avant dire droit sur les préjudices personnels de Monsieur [N] [O], avec mission reprise au dispositif, aux frais avancés de la CPAM de l'Artois,
- alloué à Monsieur [N] [O], une indemnité provisionnelle de 15000,00 euros à valoir sur la réparation de ses péjudices personnels,
- dit que la CPAM de l'Artois fera l'avance au profit de Monsieur [N] [O] de cette provision et des indemnisations à venir après expertise,
- dit que la CPAM de l'Artois pourra recouvrer à l'encontre de la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS , le montant des indemnisations à venir, le montant de la provision allouée et celui de la majoration de la rente dans la limite du taux d'incapacité permanente de 18% opposable à l'employeur
- déclaré le jugement commun à l'EURL STTF, la SAS ANGELO MECCOLI, la SAS SECURAIL, la SA PRESENTS, l'EURL LOCMAFER, et aux compagnies d'assurance SMABTP et AREAS,
- ordonné l'éxécution provisoire du jugement à l'exception des dispositions relatives à l'action récursoire de la CPAM de l'Artois à l'encontre de la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS
- débouté la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS , l'EURL STTF, et la SAS ANGELO MECCOLI de leurs demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé la demande de Monsieur [N] [O], au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réservé les dépens,
- dit que l'affaire sera rappelée à une audience ultérieure,
Vu l'appel de ce jugement relevé par la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS le 6 février 2020,
Vu les conclusions visées le 4 janvier 2022, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS prie la cour de:
à titre principal,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a laissé dans la cause les sociétés PRESENTS, MECCOLI,STTF, et SECURAIL, afin de leur déclarer commune et opposable la décision à intervenir
- infirmer le jugement déféré en toutes ses autres dispositions,
statuant de nouveau,
- juger que Monsieur [N] [O] ne démontre pas l'existence de la faute inexcusable qu'il invoque,
- juger que la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS n'a commis aucune faute inexcusable,
en conséquence,
- débouter purement et simplement Monsieur [N] [O] de son recours en reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de la société WATTEZ
à titre subsidiaire,
- renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire d'Arras pour qu'il soit statué sur la liquidation des préjudices de Monsieur [N] [O]
- juger que seul le taux d'incapacté de 18% fixé initialement par la caisse est opposable à la société WATTEZ et qu'en conséquence, l'action récursoire de la caisse prmaire à l'encontre de la société WATTEZ ne pourra s'exercer que dans la limite du taux de 18%
- dire et juger qu'il appartiendra à la CPAM de l'Artois de faire l'avance des sommes allouées aà Monsieur [N] [O] en réparation de l'intégralité de ses préjudices
Vu les conclusions visées le 4 janvier 2022 , soutenues oralement à l'audience, par lesquelles Monsieur [N] [O] prie la cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- débouter les sociétés ENTREPRISE WATTEZ DENIS, SECURAIL, STTF, SMABTP, AREAS,, PRESENTS, MECCOLI, LOCMAFER, LEADER INTERIM de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
- débouter les sociétés SECURAIL, STTF, SMABTP et MECCOLI de leur demande de sursis à statuer
et statuant à nouveau,
- condamner la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS à payer à Monsieur [N] [O] la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
Vu les conclusions visées le 28mai 2021, soutenues oralement à l'audience , par lesquelles la société PRESENTS prie la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il n'a pas reconnu de faute inexcusable de la société PRESENTS,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le jugement commun et opposable à la société PRESENTS,
statuant à nouveau,
à titre principal,
- constater que la société PRESENTS n'a pas la qualité d'employeur,
- la mettre hors de cause,
à titre subsidiaire,
- constater que la juridiction pénale a expressément et définitivement jugé l'absence de faute commise par la société PRESENTS dans la survenue de cet accident,
- constater de plus fort l'absence de faute inexcusable de la société PRESENTS
- débouter la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS et toute autre partie de toute demande qui serait , le cas échéant, formulée à l'encontre de la société PRESENTS ,
à titre infiniment subsidiaire,
- ramener à de plus justes proportions les demandes indemnitaires formées
Vu les conclusions visées le 4 janvier 2022 , soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société ANGELO MECCOLI ET CIE prie la cour de:
- infirmer dans son intégralité le jugement déféré,
- à titre principal, ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue définitive de la procédure pénale,
à titre subsidiaire,
- prononcer la mise hors de cause de la société ANGELO MECCOLI ET CIE - condamner la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS à verser à la société ANGELO MECCOLI et CIE la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS aux éventuels dépens,
Vu les conclusions visées le 4 janvier 2022 , soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société SECURAIL prie la cour de:
à titre principal,
- infirmer le jugement déféré et ordonner un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale en cours,
à titre subsidiaire,
- infirmer le jugement déféré et prononcer la mise hors de cause de la société SECURAIL,
à titre très subsidiaire,
- condamner les société SMABTP, STTF, ANGELO MECCOLI et CIE, PRESENTS, AREAS, à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre,
en tout état de cause,
- les débouter de toutes leurs demandes, fins et prétentions,
- infirmer le jugement déféré et condamner la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS à verser à la société SECURAIL la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- réserver les dépens,
Vu les conclusions visées le 4 janvier 2022, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles l'EURL STTF, société de Terrassement et Travaux Ferroviaires prie la cour de :
in limine litis,
- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale,
et en conséquence,
- infirmer le jugement déféré,
à titre subsidiaire, au fond,
- infirmer le jugement déféré,
- mettre hors de cause la société STTF,
- débouter la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS de l'ensemble de ses demandes formulées à l'encontre de la société STTF,
en toute hypothèse,
- déclarer commune et opposable la décision à intervenir à la SMABTP en sa qualité d'assureur responsabilité civile professionnelle de la société STTF,
- condamner la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS à payer à la société STTF, la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les conclusions visées le 4 janvier 2022, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la SMABTP prie la cour de :
- infirmer dans son intégralité le jugement déféré,
à titre principal,
- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue définitive de la procédure pénale,
à titre subsidiaire,
- prononcer la mise hors de cause de la SMABTP,
à titre infiniment subsidiaire,
- réduire à de plus justes proportions les demandes indemnitaires des ayants droit de Monsieur [O]
Vu les conclusions transmises le 20 décembre 2021, soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société AREAS prie la cour de:
- in limine litis, de l'incompétence de la chambre de la protection sociale de la cour pour se prononcer sur la mobilisation des garanties de l'assureur et de la portée de la mise en cause de l'assureur devant le tribunal des affaires de sécurité sociale,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé qu'aucune condamnation ne saurait être prononcée à l'encontre de la compagnie AREAS dont l'intervention volontaire devant la juridiction des affaires de sécurité sociale ne peut tendre qu'à la seule déclaration de jugement/arrêt opposable,
- dire et juger en conséquence que seule une demande de déclaration d'arrêt opposable pourrait être accueillie à son encontre,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a été déclaré commun à la société AREAS,
- condamner la société ENTREPRISE DENIS WATTEZ à payer à la CIE AREAS la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,
Vu les observations orales à l'audience, par lesquelles la représentante de la CPAM de l'Artois indique à la cour s'en rapporter à l'appréciation de la cour sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, et dans l'affirmative sollicite la confirmation du jugement ayant octroyé le bénéfice de l'action récursoire à la CPAM pour les sommes par elle avancées à l'encontre de la société WATTEZ et à défaut son assureur,
Vu la non représentation à l'audience de la société LOCMAFER , bien que régulièrement convoquée à l'audience par courrier en date du 3 juin 2021,
***
SUR CE LA COUR,
Le 11 septembre 2012, un grave accident s'est produit sur un chantier de rénovation ferroviaire en cours d'exécution dans la région d'Aurillac, faisant deux morts et un blessé grave.
Un wagon plat attelé à une pelleteuse rail-route s'est en effet détaché, et, entraîné par son poids et la déclivité, a percuté le chariot de manutention situé à 1,7 kms en aval sur la même voie , sur lequel se trouvaient Messieurs [V] [S], [H] [W] et [N] [O] , salariés de la société Wattez, ainsi que [G] [Y], salarié intérimaire mis à disposition de celle-ci.
Messieurs [V] [S] et [G] [Y], respectivement âgés de 35 et 20 ans, sont décédés, tandis que Monsieur [N] [O] a été gravement blessé.
Monsieur [H] [W] , qui a pu sauter avant l'impact, est sorti indemne de l'accident.
Les salariés précités étaient affectés à la réfection des traverses de la voie par réagréage en béton, travaux confiés à la société WATTEZ , intervenant comme sous traitant de la société MECCOLI, attributaire du marché dont le maître d'ouvrage était Réseau Ferré de France.
La société PRESENTS était attributaire du marché en qualité de coordonnateur sécurité et protection de la santé, tandis que deux autres sous-traitants de la société MECCOLI intervenaient sur le chantier, à savoir la société SFFT, chargée de travaux de mise en place de drains le long des voies, propriétaire de la pelleteuse et locataire et utilisatrice du wagon plat appartenant à la société LOCMAFER, qui s'est détaché, et la société SECURAIL, chargée de la mise en oeuvre des mesures de sécurité spécifiques aux chantiers ferroviaires.
Le wagon plat responsable de l'impact a continué sa route et a percuté en aval un autre engin de chantier également présent sur la voie ferrée sans faire d'autre victime.
Les accidents subis par les salariés ont été pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.
L'état de santé de Monsieur [N] [O], gravement blessé, a été déclaré consolidé le 10 août 2014 avec un taux d'incapacité initialement fixé à 18%, porté à 25% par jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité, puis augmenté à 35% sur aggravation du 30 janvier 2017.
La CPAM de l'Artois a par la suite été saisie d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par Monsieur [N] [O], et un procès verbal de non conciliation a été dressé le 20 juin 2014.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Arras, alors compétent, a été saisi le 17 juin 2016.
Plusieurs des sociétés intervenantes sur le chantier ont été appelées en la cause.
Par jugement dont appel, le tribunal judiciaire d'Arras, devenu compétent pour connaître du litige, a statué comme indiqué précédemment.
La société ENTREPRISE WATTEZ DENIS conclut à l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a reconnu à son encontre l'existence d'une faute inexcusable à l'origine de l'accident dont a été victime Monsieur [N] [O], et à ce que la cour dise qu'aucune faute inexcusable ne lui est imputable.
Elle expose que le jour de l'accident, trois entreprises travaillaient concomitamment sur un tronçon défini par l'entreprise INEXIA, maître d'oeuvre, que la société STTF, travaillait en amont, en partie haute et était chargée de réaliser un curage des bas côtés avec une pelleteuse dite rail /route MECALAC, devant laquelle était attelé un lorry d'environ 6 tonnes, que l'équipe de l'entreprise WATTEZ travaillait sur le tronçon central au réagréages des voies sur une distance d'un kilomètre, et que l'entreprise GTS était affectée au tronçon inférieur, travaillant avec une pelleteuse sur roues d'un poids de 19 tonnes en appui sur ses patins stabilisateurs , située à une distance de 20 à 30 mètres de la sortie du tunnel dans le sens de la pente des voies.
Elle précise que l'équipe de la société WATTEZ a terminé sa journée de travail vers 16h15, a mis son matériel sur le lorry léger et commençait à descendre.
Elle précise encore que les bas -côtés extérieurs de la voie ferrée étant peu adaptés à la circulation piétonne du fait de l'inclinaison de la pente, les quatre ouvriers se sont assis aux quatre coins du lorry pour redescendre jusqu'au passage à niveau en se laissant glisser dans la pente naturelle de la voie, et que c'est avant d'arriver au passage à niveau que l'équipe de la société WATTEZ a été violemment percutée par le lorry lourd d'un poids de 6 tonnes utilisé par la société STTF, celui-ci s'étant détaché de la pelle située en amont, au niveau de la gare de Boisset, que ce lorry lourd a parcouru environ 2,5 kms en prenant de la vitesse pour venir heurter le lorry léger de l'équipe de l'entreprise WATTEZ et finir sa course en venant heurter la pelleeuse de l'entreprise GTS située à la sortie du tunnel, et que c'est dans ces circonstances que Monsieur [N] [O] a été grièvement blessé .
Elle précise que Monsieur [N] [O] s'est vu attribuer par décision du 17 octobre 2014 par la CPAM de l'Artois une rente suivant un taux d'incapacité de 18% à compter du 11 août 2014, date de sa consolidation, pour les séquelles suivantes: « impotence fonctionnelle des membres inférieurs et supérieurs avec limitation des amplitudes articulaires et amyotrophie du membre inférieur gauche suite à fractures multiples du bassin, cervicale C7 et humérus », que Monsieur [N] [O] a contesté ce taux devant le tribunal du contentieux de l'incapacité , et qu'elle ignore l'état d'avancement de la procédure.
La société ENTREPRISE WATTEZ DENIS indique qu'à la suite de l'accident, une enquête pénale a été réalisée, qu'une information judiciaire a été ouverte le 7 novembre 2012 des chefs notamment d'homicides et blessures involontaires, et que dans le cadre de cette information, divers rapports et expertises ont été établis.
Elle fait valoir que l'instruction et les différents rapports établis ont montré notamment que les entreprises sous-traitantes n'avaient pas été convoquées aux réunions de chantier la veille des jours d'intervention sur site, et que le lorry lourd utilisé par la société STTF n'était pas équipé d'un frein de service en liaison avec la pelle d'intervention sur site, que l'axe le reliant à la pelle était dépourvu de goupille de sécurité ou chaîne de sécurité, qu'il était attelé devant la pelleteuse dans le sens de la pente naturelle des voies alors qu'il aurait dû se situer à l'arrière du véhicule tracteur, et que ni le lorry, ni la pelle MECALAC sur laquelle il était attelé n'étaient conformes à la réglementation en vigueur.
Elle ajoute que les pétards sonores qui auraient dû être posés par chaque entreprise dans sa zone de chantier ne se sont pas déclenchés, qu'il s'est avéré que la société STTF n'avait pas installé ces pétards sonores, que le système radio posé par l'un des sous traitants de la société MECCOLI, l'entreprise RADIO SERVICE, installé précisément pour pallier les difficultés de communication en zone isolée, ne couvrait pas la zone concernée, qu'aucune information n'a été transmise à l'équipe de la société WATTEZ lorsque le lorry s'est désaccouplé de la pelle, et qu'aucune radio ne leur a par ailleurs été fournie alors qu'elles auraient dû leur être mises à disposition par la société SECURAIL.
Elle soutient que l'ensemble de ces dysfonctionnements ne peut lui être imputable , alors qu'elle n'était pas en charge de la gestion de la pelle MECALAC ni du lorry lourd utilisés par la société STTF intervenant en amont.
Elle ajoute qu'elle n'avait pas à installer des pétards aux lieu et place de la société STTF, sur l'ensemble du chantier, qu'elle n'était pas responsable de la couverture radio sur la ZONE de chantier , et que l'ensemble de ces obligations incombaient en réalité aux autres intervenants , chacun ayant sa part de responsabilité dans la survenance de l'accident, que ce soit en tant qu'auteur direct ou indirect.
Elle observe que des manquements bien plus manifestes que ceux lui étant reprochés ont été mis en évidence comme étant des causes directes de l'accident du 11 septembre 2012, et que la mise en cause des autres sociétés parties à l'instance demeure nécessaire.
Elle indique qu'elle ignorait que ses salariés ne portaient pas leur casque, que l'obligation de port du casque à ce stade sur un chantier fermé à la circulation ne justifiait pas le port du casque , que la configuration des lieux ne leur permettaient pas de circuler sur le bas -côté des voies , ce pourquoi ils s'étaient assis aux quatre coins du lorry léger.
Elle précise avoir été relaxée de l'ensemble des infractions qui lui étaient reprochées par jugement du Tribunal correctionnel d'Aurillac rendu le 3 décembre 2020 , alors que les autres personnes morales poursuivies ont été condamnées à l'exception des sociétés LOCMAFER et PRESENTS, mais que ce jugement a fait l'objet d'un appel, de sorte que la procédure pénale est toujours en cours.
Elle conclut au débouté de la demande en reconnaissance de faute inexcusable, au motif que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il n'a pas été démontré l'existence d'un lien de causalité entre l'absence de pétard dans la zone d'activité de la société WATTEZ et la survenance de l'accident.
Elle souligne qu'elle ne pouvait avoir conscience d'un quelconque danger lié au risque d'écrasement de ses salariés par le lorry de la société STTF, dès lors qu'elle n'avait pas été informée des conditions d'intervention de cette société travaillant quelques kilomètres en amont , et que l'accident de Monsieur [O] trouve son origine dans des manquements d'autres intervenants du chantier comme l'imprudence des salariés de la société STTF ainsi que les manquements de celle-ci.
Elle estime qu'elle n'avait pas à s'inquieter de la présence ou non de pétards, qui ne s'imposait pas à elle, car il s'agissait d'un chantier élémentaire fixe, que ces pétards ne lui avaient pas été remis par la société SECURAIL qui devait s'assurer du respect des mesures de sécurité, etqu'en toute hypothèse ces pétards n'auraient probablement pas permis d'éviter l'accident dès lors qu'il est impossible de considérer que le bruit entendu par l'un aurait été entendu par tous.
Elle ajoute que seuls les SAM, de type fanions et drapeaux devaient être mis en place pour délimiter les zones de bornage,que ce protocole a été suivi par le chef de chantier de la société WATTEZ, et qu'elle ne pouvait avoir conscience d'un quelconque danger.
La société ENTREPRISE WATTEZ DENIS souligne par ailleurs qu'elle avait pris l'ensemble des mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés, ayant notamment rédigé un Plan Particulier de Sécurité et de Protection de la Santé ( PPSPS) pour le chantier en cause, dispensé des formations à la sécurité à Monsieur [N] [O] sur les « risques spécifiques du chantier », et lui ayant remis des équipements de protection, notamment un casque de protection.
A titre subsidiaire et dans l'hypothèse où une faute inexcusable serait retenue à son encontre, la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS demande à la cour de dire que l'indemnisation complémentaire allouée sur le fondement de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale devra nécessairement être plafonnée à l'égard de l'employeur au seul taux qui lui est opposable , soit 18%.
Monsieur [N] [O] conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et au rejet des des prétentions adverses.
Il estime que la demande de sursis à statuer formée par les sociétés SECURAIL, STTF, SMABTP et MECCOLI est dilatoire et doit être rejetée.
S'agissant de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur , il soutient que la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS avait connaissance du danger auquel il était exposé et qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il fait valoir que l'accident dont il a été victime a été causé par une multitude de manquements imputables à la société Wattez ainsi qu'aux autres sociétés intervenues sur le chantier en matière de santé et sécurité au travail.
Il indique à cet effet que les victimes n'avaient pas reçu la formation à la sécurité sur les chantiers que devait leur prodiguer la société Wattez, que la société Wattez n'a pas fourni à ses salariés de dispositifs de talkie-walkie, ni ne s'est assurée qu'ils en disposaient, de sorte qu'ils ne pouvaient être prévenus du décrochage et de la course folle du wagon à l'origine de l'accident, alors que la couverture téléphonique était nulle voire très aléatoire à certains endroits, que le chantier n'était pas muni des pétards d'alarme pourtant indispensables à l'avertissement des salariés en cas d'incident, aucun dispositif de signal à main relié à un pétard n'ayant été trouvé par les services de police sur la zone de l'accident, et la société Wattez ayant argué de ce qu'ils ne lui avaient pas été fournis, que le PPSPS établi par la société Wattez présente de graves faiblesses, que la pelle MECALAC et le lorry lourd présentaient des anomalies de conformité et n'étaient pas adaptés au chantier en cause au vu de l'expertise effectuée par Monsieur [U], que la société Wattez ne s'est pas assurée que ses salariés portaient les équipements de sécurité indispensables, que des préconisations formulées à la suite d'audits antérieurs n'ont pas été suivies d'effet, et que la société Wattez a ainsi laissé ses salariés travailler sur un chantier sans en avoir vérifié les conditions de sécurité.
S'agissant de l'indemnisation de ses préjudices, Monsieur [N] [O] expose que cet accident dramatique lui a causé de graves séquelles résultant de ce qu'il a été écrasé par un wagonnet qui dévalait la voie à pleine vitesse, qu'il a été plongé dans un coma profond durant plusieurs semaines, a subi plusieurs périodes d'hospitalisation, et que ce n'est qu'un an après l'accident qu'il a pu recommencer à marcher avec des béquilles, et qu'à ce jour il est dans l'incapacité de se déplacer plus de 15 minutes sans canne alors qu'il n'est âgé que de 43 ans.
Il ajoute que plus de neuf ans après son accident , il souffre encore de très lourdes séquelles, dont le docteur [F] confirme l'importance dans son rapport.
Il précise que la juridiction de première instance n'a pas à ce jour statué sur la liquidation de ses préjudices dans l'attente de la décision de la cour d'appel à intervenir.
S'agissant du taux d'incapacité de 18% lui ayant été attribué avec versement d'une rente à compter du 11 août 2014, il précise avoir contesté ce taux, que par jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité de Lille du 13 septembre 2016, ce taux a été porté à 25% .
Il précise encore que suite à un certificat d'aggravation du 30 janvier 2017, et par décision de la caisse du 12 avril 2017, son taux d'IPP a été porté à 35% à compter du 30 janvier 2017, décision ayant fait l'objet d'un recours devant la CNITAAT, qui a confirmé le taux de 25% pour la période antérieure au 30 janvier 2017.
La société PRESENTS conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il n'a pas retenu de faute inexcusable à son encontre, et à son infirmation en ce qu'il lui a déclaré le jugement commun et opposable.
Elle fait valoir qu'elle était coordonnateur de sécurité sur le chantier, qu'elle n'a pas la qualité d'employeur et qu'elle doit en conséquence être mise hors de cause.
Elle précise qu'elle a été définitivement relaxée par jugement correctionnel du 3 décembre 2020 des faits reprochés, que seule la personne qui a la qualité d'employeur peut voir sa responsabilité engagée sur le terrain de la faute inexcusable, et que l'action en reconnaissance de faute inexcusable n'a pas été introduite à son encontre .
Elle ajoute que tout ce qui avait trait à la sécurité ferroviaire était de la responsabilité exclusive de la société SECURAIL, que l'expert n'a identifié aucune défaillance liée à la sécurité générale de coordination du chantier, et qu'elle n'a manqué à aucune de ses obligations.
A titre subsidiaire, la société PRESENTS conclut à la réduction des demandes indemnitaires formées.
La société ANGELO MECCOLI conclut à l'infirmation du jugement déféré et à titre principal à ce que la cour ordonne le sursis à statuer dans l'attente de l'issue définitive de la procédure pénale en cours.
Elle indique que si le Tribunal correctionnel d'Aurillac, par jugement du 3 décembre 2020 l'a condamnée avec d'autres sociétés pour homicide volontaire par personne morale avec incapacité supérieure à 3 mois dans le cadre du travail, appel a été interjeté de ce jugement , que le sursis à statuer est indispensable dès lors qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice que l'issue pénale soit définitivement connue pour que les responsabilités civiles soient établies, et que sa relaxe attendue aura nécessairement une incidence sur le litige en cours.
A titre subsidiaire, la société ANGELO MECCOLI sollicite sa mise hors de cause au motif qu'elle n'etait pas l'employeur de Monsieur [O] , et qu'elle avait en outre sous traité l'intégralité du marché relatif à la sécurite du chantier.
A titre infiniment subsidiaire, elle conclut à la réduction à de plus justes proportions des sommes réclamées par la victime.
La société SECURAIL conclut à titre principal à l'infirmation du jugement déféré et à ce que la cour ordonne un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale en cours.
Elle fait valoir qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice que l'issue pénale soit définitivement connue pour que les responsabilités civiles soient établies.
A titre subsidiaire, la société SECURAIL conclut à sa mise hors de cause, au motif que seule la société Wattez était l'employeur de Monsieur [O].
Elle conteste par ailleurs toute responsabilité au regard des limites de sa mission de sécurité ferroviaire conclue avec la société MECCOLI.
A titre très subsidiaire, elle demande à la cour de condamner les sociétés SMABTP, STTF, MECCOLI ET CIE , PRESENTS, AREAS à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
L'EURL STTF- Société de Terrassement et Travaux Ferroviaire- conclut à l'infirmation du jugement déféré et à ce que la cour ordonne un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale.
Elle observe que la procédure pénale doit déterminer les responsabilités éventuelles respectives des différents intervenants au chantier dans la survenance de l'accident et qu'il convient d'éviter toute contrariété de décisions.
A titre subsidiaire, la société STTF conclut à sa mise hors de cause au motif qu'elle n'avait pas la qualité d'employeur de Monsieur [O] , qu'elle ne saurait de ce fait être concernée par le présent litige, et qu'il ne peut lui être reproché un quelconque manquement dans la sécurité du matériel.
Elle sollicite par ailleurs que la décision à intervenir soit déclarée commune et opposable à son assureur responsabilité civile professionnelle.
La société SMABTP conclut à l'infirmation du jugement déféré et à ce que la cour ordonne un sursis à statuer dans l'attente de l'issue définitive de la procédure pénale.
Elle indique que compte tenu de la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel à l'égard de la société Wattez , il est nécessaire de sursoir à statuer, l'issue de l'instance pénale impactant nécessairement la décision à intervenir.
A titre subsidiaire, la SMABTP conclut à sa mise hors de cause, au motif qu'elle n'a pas la qualité d'employeur de la victime et que la présente juridiction ne peut connaître que du litige opposant le salarié et l'employeur.
Subsidiairement, elle conclut à la réduction à de plus justes proportions des indemnisations réclamées par Monsieur [O].
La société AREAS, assureur de la société LOCMAFER, conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a dit qu'aucune condamnation ne saurait être prononcée à son encontre et que son intervention ne pouvait tendre qu'à la seule déclaration d'opposabilité de la décision.
Elle conclut également à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il lui a été déclaré commun.
Elle indique s'en rapporter à justice sur le mérite de la demande de sursis à statuer.
La CPAM de l'Artois s'en rapporte à l'appréciation de la cour s'agissant de la faute inexcusable invoquée, et en cas de reconnaissance de cette faute, sollicite le bénéfice de son action récursoire.
***
*Sur le sursis à statuer:
Aux termes de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps et jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
Hors les cas prévus par la loi, le juge du fond apprécie de manière discrétionnaire l'opportunité du sursis à statuer dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
En l'espèce, si le jugement du tribunal correctionnel d'Aurillac rendu le 18 septembre 2020 faisant suite au seul et même accident survenu le 11 septembre 2012 n'est pas définitif à l'égard de certaines parties au litige, il n'en demeure pas moins que les questions soumises à la présente juridiction et au juge pénal sont totalement distinctes pour reposer sur des fondements juridiques différents.
Ainsi, l'absence de reconnaissance par le juge répressif d'une faute pénale non intentionnelle ne fait pas pour autant obstacle à la reconnaissance d'une faute inexcusable par le juge civil.
Les éléments constitutifs des infractions reprochées aux sociétés intervenantes étant sans rapport avec les éléments à rechercher dans le cadre d'une action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur, il n'y a dès lors pas lieu de sursoir à statuer.
La décision déférée sera confirmée de ce chef.
* Sur l'action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur:
Aux termes de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié , l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article précité, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie reconnue d'origine professionnelle, dès lors qu' il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
Il appartient au salarié de rapporter la preuve d'une faute inexcusable imputable à son employeur
L'article L 4121-1 du code du travail dispose en outre que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, et que l'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Il est établi en l'espèce qu'au moment de l'accident , trois entreprises travaillaient concomitamment sur le chantier,à savoir la société STTF en amont en partie haute, la société Wattez, occupée au réagréage des voies sur un kilomètre, et la société GTS en contrebas.
Le règlement temporaire d'exploitation et de sécurité (RTES), établi par la société SECURAIL à la demande de la société MECCOLI, attributaire du marché, définit la zone de travaux comme la partie du secteur chantier où sont réalisées des interventions sur ou à proximité de l'infrastructure, et expose au point 4;3 les mesures à mettre en oeuvre pour la sécuriser.
Il est précisé dans ce document : »...le responsable d'activité protège son chantier (activité) au moyen d'un signal d'arrêt à main(SAM)(lumineux obligatoire de nuit) ou drapeau rouge dans les deux cas, appuyé d'un pétard, de préférence identifié.La mise en place de la protection devra être confirmée à l'organisateur entreprise...Après avoir confirmé la protection de son activité à l'organisateur..., le responsable d'activité peut accorder le début du travail.
Pour la clôture de l'activite, le responsable d'activité doit s'assurer :
que tous les personnels et matériels affectés à son activité sont hors zone dangereuse avant de retirer ses dispositifs de sécurité.. »
Le document précité précise que le responsable d'activité est « l'agent de l'entreprise, quelles que soient par ailleurs ses autres attributions, désigné pour l'exécution des procédures de demande et d'exploitation d'une zone d'activité en application des dispositions du RTES et désigné nominativemnt comme tel au programme journalier. Il est responsable de la mise en place du dispositif de sécurité concernant les protections de sécurité, d'effectuer les demandes préalables auprès de l'organisateur sécurité d'ouverture d'activité et de la sécurité des trains-travaux et du personnel sur son activité ».
Ainsi que retenu par les premiers juges , ce document a été porté à la connaissance de l'ensemble des entreprises intervenant sur le chantier, chaque responsable de chantier devant le protéger par la pose d'un SAM appuyé d'un pétard clipsé sur le rail à chaque extrémité de sa zone d'activité, le chantier ne pouvant être ouvert que sur confirmation de la pose de ce dispositif.
Or, il résulte des investigations effectuées dans le cadre de la procédure pénale que les pétards en cause n'avaient pas été posés lors de l'accident, le responsable d'activité de la société Wattez ayant déclaré que la société MECCOLI ne leur en avait pas fourni, et prétendant que sa zone de travaux n'avait pas à en être équipée, alors pourtant que ce dipositif d'avertisseur sonore concernait toute activité et visait à informer les employés du chantier de toute dérive éventuelle d'engins sur la même voie en déclivité.
La société Wattez, responsable de son tronçon d'intervention, ne pouvait ignorer que ses ouvriers se trouvaient en aval d'une zone dangereuse dont ils n'étaient pas sortis au moment de l'accident, mais ne s'est pas assurée de la mise en place des mesures d'alerte sonore de circulation nécessaires à parer au risque de dérive des engins de chantier.
Or, la société Wattez, en sa qualité d'employeur, avait l'obligation de s'assurer que ces mesures de sécurité étaient mises en place de manière optimale et de prendre les mesures indispensables à la préservation de la sécurité de ses salariés.
Contrairement à ce qu'elle prétend, ce manquement a constitué une cause nécessaire de l'accident , alors même que d'autres fautes auraient pu concourir au dommage, dès lors qu'elle -même a contribué à rendre impossible le signalement du risque en s'abstenant de de fournir à ses salariés les équipement de signalisation et communication indispensables .
Par voie de conséquence, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle retenu la faute inexcusable de la société WATTEZ comme étant à l'origine de l'accident dont a été victime Monsieur [N] [O].
* Sur les conséquences indemnitaires de la faute inexcusable de l'employeur:
- sur la majoration de rente:
Aux termes de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale, dans le cas mentionné à l'article précédent, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre.
En conséquence, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a majoré au taux légal maximum la rente servie à Monsieur [O] par la CPAM de l'Artois et dit que cette majoration en faveur de la victime suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente reconnu à celle-ci.
- sur l'expertise et la provision :
Il résulte de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à ce dernier la réparation de son préjudice d'agrément si elle justifie de la pratique d'une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie, de ses souffrances physiques et morales non déjà réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, de son préjudice esthétique, ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités professionnelles, qu'elle peut également être indemnisée d'autres chefs de préjudice à la condition qu'ils ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale tels que notamment le préjudice sexuel, le besoin d'assistance par une tierce personne avant consolidation, le déficit fonctionnel temporaire qui inclut, pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, et les préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents de la victime tel que celui résultant de la nécessité pour la victime d'adapter son logement ou son véhicule à son handicap voire même de la nécessité pour elle de se procurer un nouveau logement ou un nouveau véhicule adaptés à ce handicap.
En l'espèce , au vu des pièces médicales versées au dossier, la décision sera confirmée en ce qu'elle a ordonné une expertise avant avant dire droit sur la liquidation des préjudices de Monsieur [N] [O], et alloué à celui-ci une indemnité provisionnelle de 15000,00 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.
Elle sera également confirmée en ce qu'elle a dit que la CPAM de l'Artois fera l'avance au profit de Monsieur [N] [O] de cette provision et des des indemnisations à venir après expertise par application de l'article L 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale.
*Sur l'action récursoire de la CPAM de l'Artois;
En vertu des dispositions de l'article L 452-3 alinéa 3 du code de la sécurité sociale,la réparation des préjudices visés à l'alinéa 1 est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.
L'action en remboursement des majorations pour faute inexcusable contre l'employeur par la caisse ne peut s'exercer que dans les limites de l'application du taux d'incapacité permanente partielle de la victime opposable à l'employeur, tel qu'il a été fixé par une décision de justice passée en force de chose jugée.
En conséquence, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a dit que la CPAM de l'Artois pourra recouvrer à l'encontre de la SARL ENTREPRISE WATTEZ DENIS le montant des indemnisations à venir, le montant de la provision allouée à Monsieur [N] [O] et celui de la majoration de la rente dans la limite du taux d'incapacité permanente de 18% opposable à l'employeur, ceci, en application du principe d'indépendance des rapports caisse-employeur et caisse -victime.
*Sur les demandes de mise hors de cause:
Aux termes de l'article 331 code de procédure civile, un tiers peut être mis en cause par la partie qui y a intérêt, afin de lui rendre le jugement commun.
En l'espèce, compte tenu de la procédure pénale en cours, la société WATTEZ a intérêt à ce que la présente décision soit commune aux sociétés mises en cause, cette mise en cause ayant pour seul effet de leur rendre la chose jugée opposable sans que la décision rendue constitue à leur encontre un titre exécutoire.
La décision déférée sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a rejeté les demandes de mises hors de cause formés par les sociétés SECURAIL, STTF, ANGELO MECCOLI PRESENTS et SMABTP.
* Sur l'article 700 du code de procédure civile:
Les premiers juges ont fait une juste appréciation de l'équité.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [N] [O] l'ensemble des frais irrépétibles exposés en appel.
La société ENTREPRISE WATTEZ DENIS sera condamnée à lui verser la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
Le surplus des demandes faites sur ce fondement sera rejeté.
* Sur les dépens:
Le décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 (article 11) ayant abrogé l'article R.144-10 alinéa 1 du code de la sécurité sociale qui disposait que la procédure était gratuite et sans frais, il y a lieu de mettre les dépens de la procédure d'appel à la charge de la partie perdante , conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME la décision déférée dans toutes ses dispositions,
Y AJOUTANT,
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes contraires au présent arrêt,
DIT le présent arrêt commun aux sociétés STTF, SAS ANGELO MECCOLI, SAS SECURAIL, SA PRESENTS, EURL LOCFAMER, et aux compagnies d'assurance SMABTP et AREAS,
CONDAMNE la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS aux dépens
CONDAMNE la société ENTREPRISE WATTEZ DENIS à payer à Monsieur [N] [O] une somme de 2000 au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
Le Greffier, Le Président,