ARRET
N°
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C/
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CD/SGS
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU TRENTE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/00822 - N° Portalis DBV4-V-B7F-H74O
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D'AMIENS DU TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT ET UN
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [L] [D]
né le 28 Janvier 1969 à [Localité 13]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 12]
Monsieur [S] [D]
né le 31 Octobre 1935 à [Localité 16] (80)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 17]
Représentés par Me Jean-michel LECLERCQ-LEROY de la SELARL LOUETTE-LECLERCQ ET ASSOCIES, avocat au barreau D'AMIENS
APPELANTS
ET
Monsieur [I] [P]
né le 28 Novembre 1926 à [Localité 15] (80)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 17]
Monsieur [F] [P]
né le 10 Juillet 1966 à [Localité 13] (80)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 17]
Représentés par Me Laetitia RICBOURG de la SCP FRISON ET ASSOCIÉS, avocat au barreau D'AMIENS
INTIMES
DEBATS :
A l'audience publique du 05 mai 2022, l'affaire est venue devant Madame Christina DIAS DA SILVA, magistrat chargé du rapport siégeant sans opposition des avocats en vertu de l'article 805 du Code de procédure civile. Ce magistrat a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 juin 2022.
La Cour était assistée lors des débats de Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Le magistrat chargé du rapport en a rendu compte à la Cour composée de Madame Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre, Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L'ARRET :
Le 30 juin 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Madame Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
*
* *
DECISION :
Par acte notarié du 20 juin 2006 M. [S] [D] et Mme [Z] [C] épouse [D] ont donné à bail à leur fils M. [L] [D] deux parcelles cadastrées section ZH [Cadastre 5] et ZH [Cadastre 8] lieudit '[Adresse 14]' sur la commune de [Localité 17] jouxtant les parcelles ZH [Cadastre 7] et ZH [Cadastre 10] dont M. [I] [P] était usufruitier et son fils M. [F] [P] nu propriétaire.
Suivant exploit délivré le 7 février 2017 MM. [S] et [L] [D] ont fait assigner MM. [I] et [F] [P] aux fins de les voir condamner à mettre fin à l'empiétement sur leur parcelle, supprimer la borne implantée entre les parcelles ZH [Cadastre 5] et [Cadastre 7] et les indemniser de leur préjudice subi.
Par ordonnance du 17 janvier 2019 le juge de la mise en état a ordonné une mesure d'expertise judiciaire et a désigné M. [E] [G] pour y procéder. Ce dernier a déposé son rapport le 23 janvier 2020.
Par jugement du 13 janvier 2021, le tribunal judiciaire d'Amiens a :
- rejeté les demandes d'annulation du rapport d'expertise du 23 janvier 2020 et de nouvelle expertise formée par MM. [D],
- ordonné le bornage des parcelles ZH [Cadastre 5] et ZH [Cadastre 8] appartenant à M. [S] [D] avec les parcelles ZH [Cadastre 7] et [Cadastre 10] appartenant à MM. [P] selon la limite passant par les bornes immatriculées B 2, B 5 et B 9 telles que définies par le rapport d'expertise de M. [G],
- ordonné l'implantation des bornes par les soins de l'expert sur la ligne séparative ainsi fixée, aux frais partagés entre MM. [D] et MM. [P],
- ordonné à MM. [D] de respecter les limites ainsi fixées et de mettre fin à tout empiétement sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard dans les quinze jours de la signification de la décision pendant trois mois,
- dit que le tribunal judiciaire se réserve la liquidation de l'astreinte,
- condamne MM. [D] à verser à MM. [P] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens comprenant les frais de l'expertise judiciaire et de l'incident,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration du 11 février 2021, MM. [D] ont interjeté appel de cette décision.
Aux termes de leurs conclusions communiquées par voie électronique le 11 mai 2021, ils demandent à la cour de :
- à titre principal :
- les dire et juger recevable et bien fondés en l'ensemble de leurs demandes,
- infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande d'annulation de l'expertise en date du 23 janvier 2020,
- faire droit à la nouvelle demande d'expertise qu'ils formulent et nommer tel expert qu'il plaira à la cour à l'exception de M. [G] avec pour mission de :
' Se rendre sur place,
' Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,
' Visiter les lieux,
' Constater et établir l'existence des empiétements,
' Rechercher dans quelles circonstances et à quelle date ceux-ci ont été réalisés,
' Préconiser les conditions de remise en état,
' Fournir tous les éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction saisie de déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices subis ;
- dire que l'expert aura également pour mission de procéder aux opérations de bornage des parcelles ZH n°[Cadastre 5] et ZH n°[Cadastre 8] avec la parcelle ZH n°[Cadastre 7] et ZH [Cadastre 10],
- condamner MM. [P] au paiement de la consignation,
- renvoyer la cause des parties à une nouvelle date d'audience et réserver les dépens,
- à titre subsidiaire :
- infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande d'ordonner de mettre fin à l'empiétement sur la parcelle cadastrée ZH n°[Cadastre 8] sous astreinte de 50 euros par jour de retard après un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- constater l'acquisition de la prescription sur les parcelles ZH n°[Cadastre 5] et ZH n°[Cadastre 8],
- condamner M. [F] [P] à payer à M. [L] [D] la somme de '135.60" euros au titre de l'indemnisation de son préjudice,
- condamner M. [F] [P] à payer à M. [L] [D] la somme de 1.000 euros à titre de dommages intérêts,
- débouter MM. [P] de l'ensemble de leurs demandes,
- condamner MM. [P] à leur payer la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 4 août 2021, MM. [P] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- rejeté les demandes d'annulation du rapport d'expertise du 23 janvier 2020 et de nouvelle expertise formée par MM. [D],
- ordonné le bornage des parcelles ZH [Cadastre 5] et ZH [Cadastre 8] appartenant à M. [S] [D] avec les parcelles ZH [Cadastre 7] et [Cadastre 10] appartenant à MM. [P] selon la limite passant par les bornes immatriculées B 2, B 5 et B 9 telles que définies par le rapport d'expertise de M. [G],
- ordonné l'implantation des bornes par les soins de l'expert sur la ligne séparative ainsi fixée, aux frais partagés entre MM. [D] et MM. [P],
- ordonné à MM. [D] de respecter les limites ainsi fixées et de mettre fin à tout empiétement sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard dans les quinze jours de la signification de la décision pendant trois mois,
- dit que le tribunal judiciaire se réserve la liquidation de l'astreinte,
- condamne MM. [D] à verser à MM. [P] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens comprenant les frais de l'expertise judiciaire et de l'incident, et ordonné son exécution provisoire,
- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :
- condamner solidairement MM. [S] [L] [D] à payer à M. [F] [P] la somme de 648 euros au titre du préjudice subi pour l'empiétement depuis 2016,
- y ajoutant :
- ordonner à MM. [D] le respect des limites ainsi fixées, et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard prenant effet à compter de la signification de la décision à intervenir,
- condamner solidairement MM. [D] à payer la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures de l'appelante pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de ses prétentions.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 avril 2022 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 5 mai suivant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur les demandes de nullité du rapport d'expertise et de nouvelle expertise
Les consorts [D] soutiennent que l'expert judiciaire n'a pas respecté le principe du contradictoire ni les exigences d'impartialité. Ils expliquent que M. [G] s'était rendu sur les lieux lors d'une première visite en compagnie des seuls consorts [P] et que dès les premières minutes de la réunion d'expertise il leur a affirmé avoir déjà une idée bien précise du dossier.
Les consorts [P] répondent que l'expert judiciaire n'a pas failli à la mission qui lui a été confiée qu'il a menée dans le respect du contradictoire et contestent s'être rendus sur les lieux avec l'expert sans la présence de leurs voisins.
En application de l'article 237 du code de procédure civile l'expert judiciaire doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité. Il doit également respecter le principe du contradictoire.
Force est de constater, ainsi que l'a pertinemment indiqué le premier juge, que M. [G], expert judiciaire, a rempli sa mission conformément aux dispositions ci-dessus rappelées. Il ne peut lui être reproché de s'être rendu sur les lieux sans les parties, cette visite lui permettant de prendre connaissance des éléments objectifs de l'affaire notamment au regard de la configuration des lieux et celui-ci ayant par la suite rapporté le résultat de ses premières investigations aux parties lors des réunions qu'il a organisé.
Les consorts [D] procèdent par simple affirmation lorsqu'ils soutiennent que l'expert judiciaire s'est rendu sur les lieux de l'expertise en la seule présence des consorts [P] et qu'il est entaché de partialité alors qu'aucun élément n'est produit permettant d'établir la réalité des reproches faits à l'expert.
Le rapport d'expertise rédigé par M. [G] a été précédé d'un pré-rapport permettant aux parties de lui adresser des dires auxquels il a d'ailleurs répondu et il ne peut lui être reproché de ne pas avoir répondu au dire formé hors délai par les consorts [D], l'expert ayant appliqué les dispositions prévues par l'article 276 du code de procédure civile. Il est parfaitement circonstancié et motivé au regard des éléments matériels qui lui ont été fournis et présente toutes les garanties d'impartialité requises.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation du rapport d'expertise et celle de nouvelle expertise, la juridiction disposant des éléments suffisants lui permettant de trancher le litige qui lui est soumis.
- sur le fond
Les consorts [D] poursuivent l'infirmation du jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande tendant à condamner les consorts [P] à mettre fin à l'empiétement sur la parcelle cadastrée ZH [Cadastre 8] sous astreinte. Ils font valoir que l'empiétement des consorts [P] est établi par les pièces versées aux débats et qu'ils sont fondés à se prévaloir de la prescription acquisitive puisqu'à l'origine les parcelles formaient une seule pâture clôturée.
Les consorts [P] plaident que le rapport d'expertise démontre l'existence d'un empiétement sur leur parcelle et que l'argumentation des appelants est contradictoire en invoquant à la fois l'existence d'un empiétement sur leur parcelles mais également une prescription acquisitive.
L'article 646 du code civil dispose que tout propriétaire peut obliger son voisin au bornage de leurs propriétés contiguës, le bornage se faisant à frais communs.
L'article 545 du même code dispose que nul ne peut être contraint de céder sa propriété ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité.
Aux termes de l'article 2272 dudit code 'Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.
Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.'
En l'espèce les pièces produites aux débats et notamment le rapport d'expertise permettent d'établir que l'expert judiciaire a procédé au bornage des parcelles contiguës appartenant aux parties en tenant compte de l'ensemble des éléments examinés lors de sa mission dont notamment le plan de remembrement, l'extrait cadastral et l'emplacement des bornes existant sur place.
À juste titre le premier juge indique d'une part que l'expert n'a pas outrepassé sa mission en se conformant au plan de remembrement et a fort justement retenu que la borne 11 ne pouvait pas être authentique et d'autre part que les pièces produites par les consorts [D] n'étaient pas de nature à critiquer utilement le travail minutieux et circonstancié de l'expert judiciaire.
Les appelants ne peuvent valablement remettre en cause l'authenticité de la borne 1 au motif que les mesures avec une borne potentielle à l'angle de la parcelle ZH [Cadastre 3] n'auraient pas été effectuées alors que les distances entre cette borne et la borne 2 ont été vérifiées par l'expert et qu'il est constant que la borne retrouvée correspond à celle figurant sur le plan minute de remembrement.
Les consorts [D] ne prouvent pas plus à hauteur de cour que lors de la première instance qu'ils exploitent depuis trente ans et de manière continue dans les limites d'une ancienne pâture clôturée qui correspondrait actuellement aux parcelles ZH [Cadastre 8], [Cadastre 9] et [Cadastre 11].
Au demeurant la cour ne peut que relever, tout comme l'ont fait les consorts [P] que leur argumentaire est contradictoire puisqu'ils invoquent à la fois l'existence d'une prescription acquisitive à leur profit sur les parcelles litigieuses pour expliquer l'empiétement sur les parcelles de leurs voisins tout en soutenant que ce sont ces derniers qui sont les responsables d'un empiétement.
Dès lors que l'expert judiciaire a constaté l'existence d'un empiétement par les consorts [D] et non d'un quelconque empiétement par les consorts [P], c'est à bon droit que le premier juge les a condamnés à cesser cet empiétement sous astreinte et qu'il a ordonné le bornage des parcelles selon les limites définies par le rapport d'expertise. Le jugement doit donc être confirmé de ces chefs. L'astreinte prononcée par le premier juge est suffisante de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'y ajouter une nouvelle astreinte.
En revanche dès lors que les consorts [P] ont été victime d'un empiétement sur leur bien ils doivent être indemnisés de leur préjudice subi. L'expert indique que cet empiétement a été constaté dès la campagne 2016 de sorte qu'il a duré quatre ans mais précise que cette occupation n'a été que saisonnière. Il convient, infirmant le jugement sur ce point, de condamner les consorts [D] à payer à M. [F] [P] la somme de 648 euros en réparation de son préjudice subi du fait de l'empiétement depuis l'année 2016.
Les consorts [D] qui succombent en leur recours doivent être condamnés aux dépens d'appel et ne peuvent prétendre à une indemnité de procédure. L'équité commande de les condamner in solidum à payer au consorts [P] la somme de 2.500 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile.
Les dispositions du jugement relatives aux frais de procédure et aux dépens doivent quant à elles être confirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation des consorts [P] au titre de leur préjudice subi du fait de l'empiétement ;
Statuant à nouveau de ce seul chef et y ajoutant ;
Condamne in solidum MM. [S] et [L] [D] à payer à M. [F] [P] la somme de 648 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'empiétement sur les parcelles qu'il exploite ;
Condamne in solidum MM. [S] et [L] [D] à payer à MM. [I] et [F] [P] la somme de 2.500 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes des parties ;
Condamne in solidum MM. [S] et [L] [D] aux dépens d'appel.
LA GREFFIERELA PRESIDENTE