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07/07/2022 | FRANCE | N°20/04777

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 07 juillet 2022, 20/04777


ARRET

N° 535





[K]





C/



Société [7]

CPAM DE L'ARTOIS













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 07 JUILLET 2022



*************************************************************



N° RG 20/04777 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H3WR



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D' ARRAS EN DATE DU 14 mai 2020





PARTIES EN CAUSE :





APPELANT


>

Monsieur [M] [K]

[Adresse 4]

[Localité 2]





Représenté et plaidant par Me FINOT, avocat au barreau de PARIS substituant Me Frédéric QUINQUIS de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS







ET :





INTIMES





La Société [7], agissant ...

ARRET

N° 535

[K]

C/

Société [7]

CPAM DE L'ARTOIS

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 07 JUILLET 2022

*************************************************************

N° RG 20/04777 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H3WR

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE D' ARRAS EN DATE DU 14 mai 2020

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [M] [K]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté et plaidant par Me FINOT, avocat au barreau de PARIS substituant Me Frédéric QUINQUIS de la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMES

La Société [7], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée et plaidant par Me Thomas KATZ, avocat au barreau de PARIS

La CPAM DE L'ARTOIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 1]

Représentée et plaidant par Mme [H] [B] dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 24 Mars 2022 devant Mme Elisabeth WABLE, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 Juin 2022.

Le délibéré de la décision initialement prévu au 21 juin 2022 a été prorogé au 07 Juillet 2022.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Estelle CHAPON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Elisabeth WABLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Elisabeth WABLE, Président,

Mme Graziella HAUDUIN, Président,

et Monsieur Renaud DELOFFRE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 07 Juillet 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Elisabeth WABLE, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.

*

* *

DECISION

Vu le jugement rendu le 14 mai 2020 par lequel le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras, statuant dans le litige opposant Monsieur [M] [K] à la société [7], en présence de la CPAM de l'Artois, a

- déclaré Monsieur [M] [K] recevable en son action en reconnaissance de faute inexcusable,

- débouté Monsieur [M] [K] de ses demandes,

- condamné Monsieur [M] [K] aux dépens,

Vu la notification du jugement à Monsieur [M] [K] le 11 septembre 2020 et l'appel de ce jugement relevé par lui le 17 septembre 2020,

Vu les conclusions visées le 24 mars soutenues oralement à l'audience, par lesquelles Monsieur [M] [K], prie la cour de :

- infirmer le jugement déféré,

et statuant à nouveau

- déclarer recevable et bien fondé le recours de Monsieur [M] [K],

- rejeter toutes les exceptions et fins de non recevoir invoquées par la société [7], et et la CPAM,

- dire et juger que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur [M] [K], est due à la faute inexcusable de son ancien employeur, la société [7],

en conséquence,

- fixer au maxium la majoration des indemnités dont bénéficie Monsieur [M] [K], aux termes des dispositions du code de la sécurité sociale,

- dire et juger que la majoration maximum des indemnités suivra l'évolution du taux d'IPP de la victime en cas d'aggravation de son état de santé,

- fixer la réparation des préjudices personnels de Monsieur [M] [K] comme suit:

* préjudice causé par les souffrances physiques: 12000,00 euros,

* préjudice causé par les souffrances morales: 18000,00 euros,

* préjudice d'agrément: 10000,00 euros,

- dire et juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil, l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner en cause d'appel la société [7] au paiement des dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,

Vu les conclusions visées le 24 mars 2022 soutenues oralement à l'audience, par lesquelles la société [7] prie la cour de :

à titre principal,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

- en conséquence, juger que l'exposition de Monsieur [M] [K] au risque lié à l'inhalation de fibres d'amiante n'est aucunement démontrée,

en conséquence,

- débouter Monsieur [M] [K] de l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- constater que Monsieur [M] [K] ne rapporte pas la preuve que la société [7] avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé Monsieur [M] [K] et qu'elle n'aurait pas pris les mesures nécessaires pour préserver sa santé ou sa sécurité,

en conséquence,

- juger que la société [7] n'a pas commis une faute inexcusable à l'égard de Monsieur [M] [K]

- débouter Monsieur [M] [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

à titre infiniment subsidiaire,

- ramener l'indemnisation des souffrances physiques et morales à la somme de 10000 euros,

- débouter Monsieur [M] [K] de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice d'agrément,

- en tout état de cause, débouter Monsieur [M] [K] de sa demande d'indemnité de procédure au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les observations orales à l'audience, par lesquelles la représentante de la CPAM de l'Artois sollicite le bénéfice de son action récursoire dans l'hypothèse où la faute inexcusable de l'employeur serait reconnue,

***

SUR CE LA COUR,

Monsieur [M] [K], ancien salarié de la société [7] en qualité d'opérateur affecté au secteur transformation des gommes du 23 août 1976 au 30 septembre 2009, a effectué une déclaration de maladie professionnelle le 18 juillet 2017 assortie d'un certificat médical initial du 21 avril 2017 , constatant l'existence d' une «' plaque pleurale de la gouttière costovertébrale droite'».

Par courrier en date du 22 septembre 2017, la CPAM de l'Artois a notifié à Monsieur [M] [K] une décision de prise en charge de la maladie déclarée au titre du tableau n°30 des maladies professionnelles': affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante.

Un taux d'incapacité permanente de 5% a été attribué à Monsieur [M] [K].

Monsieur [M] [K] a par la suite saisi la caisse primaire d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de la société [7].

Après échec de la procédure de conciliation, Monsieur [M] [K] a saisi la juridiction de la sécurite sociale de cette demande.

Par jugement dont appel, le pôle social du tribunal judiciaire d'Arras a rejeté l'ensemble des prétentions de Monsieur [M] [K].

Monsieur [M] [K] conclut à l'infirmation de la décision déférée, et à la reconnaissance avec toutes conséquences de la faute inexcusable de la société [7] ,son ancien employeur.

Il indique que la relation de causalité entre la pathologie dont il souffre et son exposition à l'amiante ne peut faire l'objet d'aucune contestation,

Il fait valoir qu'il justifie notamment par les témoignages d'anciens collègues, de ce qu'il a été exposé de manière habituelle au risque amiante dans le cadre de son activité professionnelle au sein de la société contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, et que la preuve d'une manipulation directe d'amiante de la part de la victime n'est pas exigée pour que soit rapportée la preuve de son exposition habituelle.

Il précise avoir été exposé au risque lors de ses déplacements dans l'entreprise, au cours desquels se réalisaient des travaux de maintenance sur des tuyauteries calorifugées avec de l'amiante, ou encore des opérations de désamiantage';

Il ajoute que le rapport de prélèvements et d'analyses établi le 5 octobre 2009 produit par l'employeur ne reflète pas la réalité de son exposition et ne démontre pas que la totalité des calorifugeages sur l'ensemble du site, notamment dans l'atelier, étaient sous coque vissée.

Il indique que le département au sein duquel il a travaillé pendant près de 20 ans comportait des circuits d'eau et d'huile calorifugés à base d'amiante, et que la présente d'amiante au sein de la société ne saurait être utilement contestée au regard du courriel de l'ingénieur de la CARSAT à l'attention de la CPAM, et de l'avis de l'inspection du travail.

Il ajoute que consciente du risque auquel elle a exposé ses salariés pendant de nombreuses années, la société a entrepris de réaliser des opérations de désamiantage tout en maintenant la production et les ouvriers à leur poste de travail, et qu'à l'occasion de ces opérations, il a été massivement exposé aux poussières d'amiante sans que son employeur ne l'avertisse, non plus que ses collègues, des risques résultant d'une telle exposition.

Il soutient par ailleurs qu'il n'a jamais bénéficié au sein de cette société de la moindre protection respiratoire suffisante et efficace, les systèmes d'aspiration étant inadaptés pour éviter les dégagements de poussières.

Monsieur [M] [K] considère que la société [7] avait nécessairement conscience des dangers qu'il encourait, les risques liés à l'amiante étant connus depuis le début du XX ème siècle.

Monsieur [M] [K] sollicite enfin la majoration à son maximum de la rente et l'indemnisation de ses préjudices suivant les montants repris dans ses écritures.

La société [7] conclut à titre principal à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et au rejet des demandes de Monsieur [M] [K], au motif que l'exposition de celui-ci au risque lié àl'inhalation de fibres d'amiante n'est pas démontrée.

Elle conteste que Monsieur [M] [K] ait pu être exposé au risque d'inhalation de fibres d'amiante, que ce soit direcetement ou de manière environnementale.

Elle expose avoir pour activité la fabrication de pneumatiques pour véhicules de tourisme et pour poids lourds, et que cette activité ne porte pas sur la fabrication de matériaux contenant de l'amiante, ni sur la transformation de l'amiante , non plus que son flocage ou son calorifugeage, et qu'elle ne figure pas sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA.

Elle indique que les pièces dont se prévaut Monsieur [M] [K] ne permettent pas de mettre clairement en évidence une exposition de celui-ci aux fibres d'amiante, qu'il ne démontre pas de corrélation entre les prélèvements effectués et l'exercice de son activité professionnelle au sein de la société , la présence d'amiante n'ayant pas été identifiée au sein du département Banburys ( transformation de la gomme) où il travaillait.

Elle ajoute que le courrier de la CRAM indiquant':'» il nous semble qu'une exposition de la victime à l'amiante ne peut être exclue'» aboutit à des conclusions spéculatives quant à la réalité de l'exposition aux fibres d'amiante de Monsieur [M] [K], que le courrier de la CARSAT mentionnant la «'présence d'amiante dans le flocage de certaines salles'''» ne permet pas d'établir plus de certitude, tandis que le courrier de l'inspecteur du travail fait référence à la maladie professionnelle d'un autre salarié de l'entreprise'.

S'agissant de la présence de tuyauteries calorifugées, la société [7] précise que les matériaux servant aux calorifugeages étaient des produits finis, comportant une proportion limitée d'amiante, non friables, que ces matériaux étaient enchâssés dans une gaine et n'étaient pas au contact de l'air libre comme mentionné dans le rapport de prélèvements et d'analyses de matériaux et produits susceptibles de contenir de l'amiante en date du 5 octobre 2009.

Elle souligne que la maintenance de ces conduites était effectuée exclusivement par le service maintenance, lequel intervenanit dans le respect de consignes de sécurité strictes, et que Monsieur [M] [K] n'est jamais interevenu sur les produits calorifugés.

Elle estime ainsi que l'exposition environnementale alléguée n'est pas démontrée, et que les témoignages produits par Monsieur [M] [K] sont imprécis et donc non probants.

A titre subsidiaire, la société [7] soutient que les conditions de la faute inexcusable alléguée ne sont pas réunies , faute de preuve de ce qu'elle avait ou aurait dû avoir conscience d'un quelconque danger auquel aurait été exposé Monsieur [M] [K] , arguant en outre de ce qu'elle avait pris les mesures appropriées pour préserver la santé et la sécurité de celui-ci.

Elle observe qu'elle n'a jamais produit ni transformé d'amiante, que la conscience des dangers de l'amiante n'a été que très progressive, et que compte tenu de son activité, des endroits précis où l'amiante était localisée et des tâches confiées à Monsieur [M] [K] , elle ne pouvait ni ne devait avoir conscience d'un danger encouru par lui.

Elle souligne qu'elle n' a en toute hypothèse pas manqué à son obligation de sécurité, pour avoir constamment veillé depuis la construction de l'usine , à ce que la ventilation soit assurée par un système efficient et énergique, ainsi qu'elle en justifie, et que la présence de larges fenêtres dans les locaux contribuait au renouvellement de l'air ambiant dans l'usine.

A titre infiniment subsidiaire, la société [7] conclut à la réduction de l'indemnisation sollicitée au titre des souffrances physques et morales et au rejet de la demande faite au titre du préjudice d'agrément, qu'elle estime injustifiée.

La CPAM de l'Artois sollicite le bénéfice de son action récursoire dans l'hypothèse où une faute inexcusable serait retenue à l'encontre de la société [7] .

***

SUR CE LA COUR,

* Sur l'action en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur :

Aux termes de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié , l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article précité, lorsque l'employeur avait ou aurait du avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie reconnue d'origine professionnelle, dès lors qu' il suffit qu'elle en soit la cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Il appartient au salarié de rapporter la preuve d'une faute inexcusable imputable à son employeur

L'article L 4121-1 du code du travail dispose en outre que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, et que l'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En vertu de l'article R 4321-4 du même code, l'employeur met à la disposition des travailleurs, en tant que de besoin, les équipements de protection individuelle appropriés et, lorsque le caractère particulièrement insalubre ou salissant des travaux l'exige, les vêtements de travail appropriés; il veille à leur utilisation effective.

Sur l'exposition au risque:

Il ressort de l'enquête administrative effectuée que Monsieur [M] [K] exerçait ses fonctions d'opérateur aux mélanges aux «' Bamburys'».

Monsieur [M] [K] a précisé au cours de l'enquête qu'il pesait des pains de gomme, les découpait, et déposait des sachets d'additifs sur les convoyeurs.

Il a indiqué que tous les circuits d'eau et d'huile étaient calorifugés avec un matériau à base d'amiante, que le département des «' Bamburys'» avait été désiamanté en présence des ouvriers par une équipe spécialisée, que ces travaux avaient été exécutés après mise en place de protections «'sommaires'» ( bâches), et qu'il avait été selon lui exposé à l'inhalation de poussières d'amiante durant sa carrière professionnelle de façon environnementale.

Monsieur [P] [I] , ancien collègue de Monsieur [M] [K], interrogé par l'enquêteur, a indiqué avoir travaillé avec celui-ci aux «Bamburys'» , que les tuyauteries de ces secteurs étaient isolées avec de l'amiante, et que le secteur «' Gomme DIP'» avait été désiamanté dans les années 2015 par une entreprise spécialisée.

Le courrier électronique en date du 3 mai 2012 de l'ingénieur conseil de la CARSAT précise : «'...des prélèvements ont été réalisés par notre laboratoire de chimie et toxicologie. Les résultats sont les suivants : en 1996:mise en évidence d'exposition professionnelle aux fibres d'amiante dans le secteur local «'Crell-room'»( patin de freins des bobinoirs contenant de l'amiante)

en 1995: présence d'amiante dans les isolants de presse, dans les caves presses..presses lignes Cet D et ligne B

en 1994: présence d'amiante dans le flocage de certaines salles..

En conclusion:l'amiante était bien présente dans cet établissement: dans la constitution de certaines machines(patins , presse) et dans l'environnement (flocage)...'»

Le courrier de la CRAM de Picardie , en date du 30 mai 1997 , adressé à la CPAM de Lens mentionne en outre concernant la société en cause :'»...de l'examen du dossier de l'entreprise en notre possession, il ressort incontestablement que le risque potentiel d'affections liées à l'amiante était bien présent dans celle-ci... En effet des analyses de matériaux de revêtements de murs et d'isolation thermique ont mis en évidence la présence d'amiante de divers types...prélèvements de revêtements de murs pour insonorisation...prélèvement de flocage de murs..prélèvement de revêtement mural de l'atelier maintenance ...prélèvement de matériaux d'isolation thermique, prélèvement de flocage, patins de freins...des prélèvements d'atmosphère dans la centrale -salle des compresseurs de l'atelier de maintenance ont mis en évidence la présence de fibres dans l'air. A noter que le talc largement utilisé dans l'atelier de fabrication des chambres à air, selon son origine, peut contenir des quantités variables d'amiante...'»

Le courrier en date du 3 juin 2002 adressé par l'inspecteur du travail à la CPAM précise quant à lui expressément: «' j'ai l'honneur de vous faire savoir que les salariés de l'usine ...de [Localité 5] ont été au contact d'amiante qui a été utilisée pour le calorifugeage sur la plupart des tuyauteries...'».

Monsieur [M] [K] produit par ailleurs plusieurs témoignages d' anciens collègues de travail pour étayer l'exposition aux poussières d'amiante invoquée.

Monsieur [N] [T] atteste ainsi:'»... Ayant travaillé 31 ans avec Monsieur [M] [K] dans des conditions à la limite du tolérable...la poussière volait partout(je dis poussière sans savoir le contenu de cette poussière) mais par la suite on a appris que des entreprises étaient là pour désamianter dans notre secteur de travail. Nous n'avons jamais été prévenus par nos supérieurs de la dangerosité de l'amiante ni même avoir des protections contre ce produit si dangereux pour nous ovriers... on avait un travail...sans protection...'»

Monsieur [F] [X] précise quant à lui:'»... avoir travaillé avec Monsieur [K] dans le même département...nous n'étions pas au courant de l'amiante jusqu'à ce qu'une entreprise venue de l'extérieur a enlevé l'amiante ( eux étaient protégés, nous jamais car ignorants)...nous on était à notre poste de travail sans protection, sans rien...'»

Monsieur [A] [W], atteste également dans le même sens:'»... ayant travaillé 33 ans avec Monsieur [K] dans des conditions parfois à la limite du raisonnable avec ...de la poussière d'amiante...pendant quelques années , il y a eu du désamiantage dans certains points du département où on travaillait et on a appris qu'il y avait beaucoup d'amiante dans l'entreprise...'»

Il résulte des éléments précités que l'amiante étant bien présente dans la société, les témoignages des anciens collègues de Monsieur [M] [K] confirmant que celui-ci a été comme eux exposé aux poussières d'amiante dans leur département de travail, dont ils ont appris par la suite que celui-ci faisait l'ojet d'une opération de désamiantage.

En considération de ces éléments circonstanciés et individualisés, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la preuve de ce que Monsieur [M] [K] a été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante est rapportée.

Sur la conscience du danger par l'employeur et la mise en ouvre de mesures de protection:

Il convient de rappeler que les effets néfastes de la poussière d'amiante sont connus, depuis le début du XXème siècle pour avoir été mis en évidence notamment :

- dès 1906 dans le rapport [J] établi par un inspecteur du travail à la suite du décès consécutif à l'inhalation des poussières d'amante

- dans les débats scientifiques qui ont eu lieu en France à partir de 1930 et qui ont reconnu les risques liés à l'amiante, notamment, dans un article du Docteur [U] publié en 1930 dans la revue "La Médecine du Travail"

- dans un rapport [D] de 1935 puis dans une étude [G] lesquels ont établi une relation entre l'asbestose et l'accroissement du risque du cancer du poumon ;

- dans un rapport de la société de médecine et d'hygiène du travail établi en 1954 et classant l'amiante parmi les dérivés minéraux à l'origine des cancers professionnels ;

- dans un rapport du BIT de 1974 sur l'amiante précisant les risques pour la santé et leur prévention.

Par ailleurs la reconnaissance officielle du risque est intervenue dès l'ordonnance du 3 août 1945 et le décret du 31 décembre 1946 créant le tableau n° 25 des maladies professionnelles relatif à la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières renfermant de la silice libre ou de l'amiante et a été confirmée par les décrets des 31 août 1950 et 3 octobre 1951 qui créent le tableau n° 30 des maladies professionnelles propres à l'asbestose puis par le décret du 5 janvier 1976 incluant le mésothéliome et le cancer broncho-pulmonaire dans ce tableau comme complication de l'asbestose.

Le fait qu'un tableau des affections respiratoires liées à l'amiante ait été créé dès 1945 et qu'il ait été complété à plusieurs reprises a eu pour conséquence que tout entrepreneur était dès cette époque informé ou, à tout le moins, aurait dû être informé de la dangerosité de ce produit et était tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans son usage, peu important qu'il s'agisse d'une entreprise fabriquant des produits à base d'amiante ou utilisant des matériels contenant un tel matériau.

Il résulte de ces éléments que la société [9] devenue [7], de par son importance, sa taille et son organisation, ne pouvait ignorer la dangerosité du matériau officiellement reconnue depuis 1945 et confirmée en 1950 et qu'à tout le moins elle aurait dû avoir conscience de ce danger.

Sur les mesures de protection mises en oeuvre:

S'agissant des mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger d'exposition à l'inhalation d'amiante, les témoignages précités montrent que Monsieur [M] [K] n'a pas bénéficié de mesures de protection respiratoires efficaces, ce que l'apparition de la pathologie en cause confirme.

Le manquement à son obligation de sécurité de la part de l'employeur est ainsi avéré.

Par voie de conséquence et par infirmation dela décision déférée, la cour dira que la société [7] a commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle de Monsieur [M] [K] .

* Sur les conséquences financières de la faute inexcusable:

- sur la majoration de la rente:

En considération des dispositions des articles L 452-2 et L 452-3 du code de la sécurité sociale, il convient de fixer à son maximum la majoration de la rente à verser à Monsieur [M] [K] par la CPAM de l'Artois, cette majoration devant suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente de la victime, en cas d'aggravation de son état de santé,

- sur l'indemnisation des préjudices personnels de Monsieur [M] [K] :

Il résulte de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010 qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à ce dernier la réparation de son préjudice d'agrément si elle justifie de la pratique d'une activité spécifique sportive ou de loisir antérieure à la maladie, de ses souffrances physiques et morales non déjà réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, de son préjudice esthétique, ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités professionnelles, qu'elle peut également être indemnisée d'autres chefs de préjudice à la condition qu'ils ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale tels que notamment le préjudice sexuel, le besoin d'assistance par une tierce personne avant consolidation, le déficit fonctionnel temporaire qui inclut, pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, et les préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents de la victime tel que celui résultant de la nécessité pour la victime d'adapter son logement ou son véhicule à son handicap voire même de la nécessité pour elle de se procurer un nouveau logement ou un nouveau véhicule adaptés à ce handicap.

- Sur les souffrances physiques :

Il est établi que Monsieur [M] [K] est victime de souffrances physiques caractéristiques des pathologies asbestosiques, notamment d'une dyspnée d'effort importante , accompagnée de douleurs thoraciques .

Les pièces médicales produites montrent que Monsieur [M] [K] souffre de douleurs thoraciques à type d'oppressions, lesquelles doivent faire l'objet d'ine indemnisation au titre des souffrances physiques.

En considération des ces éléments, le préjudice résultant des souffrances physiques de Monsieur [M] [K] jusqu'à la date de consolidation sera fixé à hauteur de 8000,00 euros.

- Sur les souffrances morales :

Il n'est pas contestable que la souffrance morale de Monsieur [M] [K] est caractérisée par sa situation de victime d'une pathologie de l'amiante et par la crainte d'une dégradation à tout moment de son état de santé.

Les parents et proches de Monsieur [M] [K] attestent de la dégradation de l'état moral de celui-ci en lien avec sa pathologie.

En considération de ces éléments, le préjudice de Monsieur [M] [K] résultant de ses souffrances morales sera indemnisé à hauteur de 12000,00 euros.

- Sur le préjudice d'agrément :

Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs.

Ce préjudice inclut la limitation d'une telle pratique.

Il réssort des témoignages des parents de Monsieur [M] [K] que celui-ci ne peut faire de promenades comme il le faisait quotidiennement avant l'apparition de sa pathologie.

En considération de ces éléments, le préjudice d'agrément subi par Monsieur [M] [K] sera fixé à hauteur de 5000,00 euros.

En vertu de l'article 1231-7 du code civil, l'ensemble des sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

* Sur l'action récursoire de la CPAM de l'Artois :

Conformément aux dispositions de l'article L 452 -3 dernier alinéa, la CPAM de l'Artois devra verser l'ensemble des indemnités dues à Monsieur [M] [K] et pourra récupérer auprès de l'employeur les sommes mises à sa charge en raison de sa faute inexcusable .

*Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Monsieur [M] [K] l'ensemble des frais irrépétibles exposés en appel.

La société [7] sera condamnée à lui verser une somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Le surplus des demandes faites sur ce fondement sera rejeté.

* Sur les dépens :

Le décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 (article 11) ayant abrogé l'article R.144-10 alinéa 1 du code de la sécurité sociale qui disposait que la procédure était gratuite et sans frais, il y a lieu de mettre les dépens de la procédure d'appel à la charge de la partie perdante , conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,

INFIRME la décision déférée dans toutes ses dispositions,

STATUANT A NOUVEAU et Y AJOUTANT,

DIT que la société [7] a commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle de Monsieur [M] [K] .

FIXE au maximum la majoration de la rente à verser à Monsieur [M] [K] par la CPAM de l'Artois,

DIT que cette majoration devra suivre l'évolution du taux d'incapacité permanente de la victime, en cas d'aggravation de son état de santé,

FIXE la réparation des préjudices personnels de Monsieur [M] [K] comme suit:

préjudice causé par les souffrances physiques: 8000,00 euros,

préjudice causé par les souffrances morales: 12000,00 euros,

préjudice d'agrément: 5000,00 euros,

DIT qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil, l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ,

DIT que la CPAM de l'Artois devra verser l'ensemble des indemnités dues à Monsieur [M] [K] et pourra récupérer auprès de l'employeur les sommes mises à sa charge en raison de sa faute inexcusable .

DEBOUTE la société [7] de ses demandes contraires au présent arrêt,

CONDAMNE la société [7] à payer à Monsieur [M] [K] une somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [7] aux dépens qui seront, le cas échéant, recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 20/04777
Date de la décision : 07/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-07;20.04777 ?
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