ARRET
N°
[L]
C/
[P]
CD/SGS
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU DIX NOVEMBRE
DEUX MILLE VINGT DEUX
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 20/04606 - N° Portalis DBV4-V-B7E-H3NB
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE SAINT-QUENTIN DU SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [W] [L]
né le 06 Octobre 1968 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me PONCHON substituant Me Francis SONCIN, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
APPELANT
ET
Madame [G] [P]
née le 28 Mai 1977 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Me Pierre LOMBARD de l'ASSOCIATION DONNETTE-LOMBARD, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN
Plaidant par Me YVOZ-M'BELLA, avocat au barreau de LILLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/010320 du 19/11/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AMIENS)
INTIMEE
DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :
L'affaire est venue à l'audience publique du 08 septembre 2022 devant la cour composée de Madame Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre, Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.
A l'audience, la cour était assistée de Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
Sur le rapport de Madame Christina DIAS DA SILVA et à l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 10 novembre 2022, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
PRONONCÉ :
Le 10 novembre 2022, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Madame Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre, et Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
*
* *
DECISION :
M. [W] [L] et Mme [G] [P] ont vécu en concubinage de l'année 2011 à mars 2019. Ils ont eu un enfant, [F], né le 5 août 2013.
Par acte sous seing privé du 7 juin 2013, Mme [P] a acquis un bien immobilier situé au [Adresse 3] au prix de 160.500 euros, financé notamment par un crédit immobilier qu'elle a souscrit auprès de la Caisse d'Epargne de Picardie pour un montant de 120.000 euros.
Ce bien immobilier est devenu le domicile du couple.
À la suite de leur séparation, M. [L] a mis en demeure Mme [P] de lui verser la somme de 163.552 euros invoquant sa participation à l'acquisition de l'immeuble et à différents travaux dans ce dernier.
Suivant exploit délivré le 12 novembre 2019 M. [L] a fait assigner son ancienne compagne aux fins de voir constater son enrichissement sans cause et obtenir sa condamnation à lui verser la somme principale de 162.449,89 euros.
Par jugement du 7 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Saint Quentin a :
- débouté M. [L] de sa demande formulée au titre de l'enrichissement sans cause,
- débouté Mme [P] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- rejeté la demande des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [L] aux dépens
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 14 septembre 2020, M. [L] a interjeté appel de cette décision.
La cour a proposé aux parties une médiation qui a été refusée.
Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 25 avril 2022, M. [L] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a été débouté de ses demandes,
- constater l'enrichissement sans cause de Mme [P] à son détriment,
- condamner Mme [P] à lui payer la somme de 163.552 euros,
- débouter Mme [P] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [P] à lui payer la somme de 5.013 euros TTC sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le constat d'huissier.
Il fait valoir à l'appui de ses prétentions qu'il a participé durant sa vie commune avec Mme [P] au financement de l'immeuble acquis par cette dernière à hauteur de la somme de 40.500 euros et qu'il a financé d'importants travaux d'amélioration et de rénovation de ce bien qui constituait leur domicile familial outre de nombreux meubles et éléments d'électroménager, réglant également les taxes foncières y afférentes pour les années 2013 à 2018.
Il considère au visa de l'article 1303 du code civil qu'il a exposé des frais exceptionnels excédant très largement la simple contribution aux charges de la vie commune et que Mme [P] s'est enrichie sans cause à son détriment.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 15 octobre 2021, Mme [P] demande à la cour de :
- vu les articles 2224, 1315 et 1303 du code civil,
- constater que l'absence de communication du compromis de vente et de l'acte de vente notarié reçus par Me [S] , bien qu'ayant un lien avec la procédure, n'est pas démontré par l'appelant que ces pièces sont nécessaires à la solution du litige,
- en conséquence écarter ces pièces des débats comme n'étant pas nécessaires à la solution du litige,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts et dit que la somme de 1.443,80 euros représentant le paiement de la taxe foncière de Mme [P] en 2013 n'était pas une somme d'une importance exceptionnelle,
- statuant à nouveau,
- rejeter toutes les prétentions de M. [L],
- constater que la somme de 1.443,80 euros ayant été réglée en 2013 par M. [L] en paiement de la taxe foncière de Mme [P] est une créance éteinte par l'effet de la prescription,
- constater que le premier juge reconnaît le préjudice moral de Mme [P] en raison de la violation de son domicile par M. [L] en 2019,
- allouer à Mme [P] la somme de 3.000 euros en raison de ce préjudice,
- condamner M. [L] à payer à Mme [P] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, laquelle sera recouvrée comme en matière d'aide juridictionnelle,
- condamner M. [L] aux entiers dépens d'instance.
Elle fait valoir que M. [L] ne prouve pas son appauvrissement à son profit ; qu'en l'absence de production des comptes de résultat de l'activité professionnelle de l'appelant il est impossible d'apprécier le bien fondé de ses demandes et la cour confirmera l'existence d'une confusion entre les actifs professionnels et personnels de M. [L].
Elle ajoute que les 14 factures dont se prévaut M. [L] pour réclamer le remboursement de sa créance sont éteintes par l'effet de la prescription et doivent être écartées des débats et qu'il en est de même de la somme de 40.500 euros qu'il dit avoir versée en participation du prix d'achat de l'immeuble ; qu'il n'apporte pas la preuve des aménagements effectués dans le logement alors qu'il n'appartient pas à l'intimée de suppléer la carence de l'appelant dans l'administration de la preuve des faits qu'il allègue dont le paiement des taxes foncières alors qu'il a été hébergé gratuitement pendant environ 6 ans sans aucune participation aux charges de la vie courante.
En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 juin 2022 et l'affaire a été renvoyée pour être plaidée à l'audience du 8 septembre suivant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de ses dernières conclusions Mme [P] demande d'écarter des débats le compromis de vente et l'acte authentique de vente de son immeuble. Cependant dès lors que ces pièces n'ont pas été communiquées aux débats il ne peut être fait droit à cette demande qui est sans objet.
- sur la prescription
L'action de M. [L] est fondée sur les articles 1303 et suivant du code civil relatifs à l'enrichissement injustifié.
En application de l'article 2224 du code civil, l'action fondée sur l'enrichissement sans cause constitue une action mobilière soumise à la prescription de droit commun et le délai de prescription la concernant commence à courir à compter de la date à laquelle l'auteur de l'action
a connu les faits lui permettant d'exercer son action.
En application des dispositions ci dessus rappelées Mme [P] ne peut valablement soutenir que l'action de M. [L] est prescrite, les éléments produits aux débats permettant de constater que ce dernier n'a pu connaître les faits lui permettant d'exercer son action qu'après la séparation du couple intervenue en mars 2019. Le moyen tiré de la prescription doit donc être rejeté.
- sur le bien fondé de l'action fondée sur l'enrichissement injustifié
L'article 1303 du code civil dispose qu' 'En dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.'
Il incombe à la partie qui invoque l'enrichissement sans cause d'établir que l'appauvrissement par elle subi et l'enrichissement corrélatif du défendeur ont eu lieu sans cause.
Il convient encore de préciser qu'aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune, de sorte que chacun d'eux doit, en l'absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a engagées. Toutefois dans la mesure où la participation de l'un d'eux excède la part normale que chacun des concubins doit aux dépenses de la vie commune, l'enrichissement sans cause peut être admis s'il est établi que la contribution litigieuse ne peut être considérée, compte tenu de son importance, comme une contrepartie d'avantages reçus pendant le concubinage.
En l'espèce M. [L] et Mme [P] indiquent tous deux qu'ils ont vécu en concubinage pendant un peu plus de 7 ans.
Il convient de rechercher si les sommes engagées par M. [L] durant leur vie commune a excédé la part normale que chacun doit aux dépenses de la vie commune.
M. [L] indique qu'il a participé à l'acquisition du bien immobilier de Mme [P] à hauteur de la somme de 40.500 euros ; qu'il a effectué d'importants travaux dans ce bien, financé de très nombreux meubles et appareils électroménagers et réglé la taxe foncière afférente audit bien. Il chiffre l'enrichissement sans cause de Mme [P] à la somme de 163.552 euros.
Il est constant que le bien immobilier acquis par Mme [P] a constitué le domicile du couple.
M. [L] indique avoir réglé les taxes foncières afférentes à ce bien immobilier de l'année 2013 à l'année 2018 soit durant leur vie commune. Il est justifié du paiement de ladite taxe pour l'année 2013 d'un montant de 1.443,89 euros ainsi que du paiement des sommes suivantes au Trésor public :
-2.592 euros le 26 novembre 2015,
- 2.628 euros le 26 octobre 2017,
- 2.657 euros le 26 octobre 2018.
Les pièces produites aux débats permettent encore d'établir que M. [L] a procédé à un virement bancaire au profit de Mme [P] de 20.000 euros le 6 avril 2013 et un autre de 12.000 euros le 5 juin 2013 puis à un certain nombre de virements entre le 15 juin 2017 et le 4 avril 2019 pour un montant total de 13.500 euros, chacun des virements étant de 1.000 euros excepté celui du 15 juin 2017 d'un montant de 1.500 euros et celui du 4 avril 2019 d'un montant de 500 euros. Aucune pièce n'est produite permettant de prouver que ces sommes étaient destinées à participer au financement de l'immeuble acquis par Mme [P], certaines ayant été versés plusieurs années après l'achat.
Il en résulte que sur la période comprise entre le 6 avril 2013 et le 4 avril 2019 soit durant 6 ans M. [L] a versé à sa compagne Mme [P] la somme totale de 45.500 euros (20.000 + 12.000+13.500 ) soit une moyenne annuelle de 7583,33 euros ( ce qui correspond à une moyenne mensuelle de 631,94 euros).
M. [L] produit par ailleurs de nombreuses factures d'achat de matériaux et d'appareils électroménagers et soutient que celles-ci sont la preuve qu'il a procédé à l'amélioration et à l'aménagement de l'immeuble de Mme [P]. Cependant ainsi que l'indique à juste titre le premier juge, M. [L] exerçait une activité de menuisier ébéniste et d'exploitant de meubles dans le cadre d'une entreprise en son nom personnel, la plupart de ces factures étant d'ailleurs adressées à l' 'entreprise [L]' ou 'Menuiseries [L]' ou encore 'Meubles [L]'.
L'appelant ne justifie dès lors pas que ces factures concernaient des achats au profit du bien immobilier de Mme [P], indiquant lui même dans ses conclusions en page 11 qu'il avait une activité d'achat pour revente par le biais de contrats de dépôt vente même s'il y est précisé qu'il s'agissait d'une activité résiduelle.
Les photographies de la maison versées aux débats ne peuvent, quant à elles, permettre d'établir que les changements opérés ont été intégralement pris en charge financièrement par M. [L] alors que chacun des membres composant le couple disposait d'un emploi et d'un revenu et que M. [L] ne soutient pas avoir versé une quelconque somme au titre de son hébergement.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments qu'au cours de sa vie commune avec Mme [P], M. [L] justifie avoir versé à sa compagne la somme mensuelle moyenne de 631,94 euros et qu'il a réglé pour le compte de cette dernière la taxe foncière afférente au bien immobilier qui constituait leur domicile commun.
Dès lors Mme [P] est fondée à soutenir qu'une telle participation financière de la part de M. [L] aux dépenses de la vie courante du couple n'excède nullement la part normale que chacun des concubins doit aux dépenses de la vie commune. Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de sa demande en paiement au titre de l'enrichissement injustifié.
-sur les demandes reconventionnelles de Mme [P]
L'article 1240 du code civil prévoit que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce Mme [P] réclame la condamnation de M. [L] à lui verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral subi du fait des démarches d'intimidation de l'appelant et de la violation de domicile dont il s'est rendu coupable.
Force est cependant de constater que pas plus à hauteur de cour qu'en première instance Mme [P] ne rapporte la preuve d'une faute commise par M. [L] ni celle de l'existence d'un préjudice subi du fait d'un quelconque comportement fautif de son adversaire, les soupçons de vandalisme du portail de sa maison ne pouvant à l'évidence suffire à rapporter une telle preuve.
Le jugement doit donc également être confirmé en ce qu'il a débouté Mme [P] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts.
- sur les frais irrépétibles et les dépens
M. [L] qui succombe en son recours doit être condamné aux dépens d'appel et à verser à Mme [P] la somme de 2.000 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure pour les frais exposés en appel. Le jugement doit enfin être confirmé s'agissant des dispositions relatives aux frais de procédure et aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Dit sans objet la demande de Mme [P] tendant à écarter des pièces des débats ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne M. [W] [L] à payer à Mme [G] [P] la somme de 2.000 euros au titre des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [W] [L] aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE