ARRET
N° 909
CPAM DES BOUCHES DU RHONE
C/
S.A.S.U. [7]
COUR D'APPEL D'AMIENS
2EME PROTECTION SOCIALE
ARRET DU 15 NOVEMBRE 2022
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N° RG 21/01992 et N° RG 21/01994 - N° Portalis DBV4-V-B7F-ICCQ - N° registre 1ère instance : 19/03560
JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (Pôle Social) EN DATE DU 01 mars 2021
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
La CPAM DES BOUCHES DU RHÔNE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Secteur Juridictions
[Adresse 4]
[Localité 12]
Représenté et plaidant par Me Maxime DESEURE de la SELARL LELEU DEMONT HARENG DESEURE, avocat au barreau de BETHUNE, vestiaire : 19
ET :
INTIMEE
La société [7] ( SASU), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
MP : Monsieur [F] [O]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 11]
Représentée et plaidant par Me François-Xavier CARON substituant Me Olivia COLMET DAAGE de la SELEURL OLIVIA COLMET DAAGE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS
DEBATS :
A l'audience publique du 16 Mai 2022 devant Mme Chantal MANTION, Président, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 15 Novembre 2022.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Mélanie MAUCLERE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Chantal MANTION en a rendu compte à la Cour composée en outre de:
Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,
Mme Chantal MANTION, Président,
et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
PRONONCE :
Le 15 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.
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DECISION
[F] [O], né le 12 mars 1947, employé par la société [6] en qualité de soudeur, tuyauteur et chaudronnier jusqu'au mois de septembre de l'année 2017, est décédé le 2 novembre 2018 des suites d'un mésothéliome pleural.
Le 17 décembre 2018, Mme [Z] [O], sa veuve, établissait une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n°30D, documentée par un certificat médical initial du Docteur [I] [U], en date du 6 novembre 2018 faisant état d'un « mésothéliome pleural. »
Les 5 et 6 juin 2019, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Bouches du Rhône a notifié à Mme [Z] [O], ainsi qu'à la société [7] dont le siège social est situé à [Localité 11], son accord de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie professionnelle et du décès de [F] [O].
Par courrier du 31 juillet 2019, la SASU [7] venant aux droits de la société [6] a saisi la commission de recours amiable afin de contester les décisions de prise en charge de la maladie déclarée le 17 décembre 2018 et du décès de [F] [O] en date du 2 novembre 2018.
Réunie le 23 octobre 2019, la commission de recours amiable a rejeté les demandes de la société [7].
Saisi des recours formés par la société [7], contre la décision de la commission de recours amiable de la CPAM des Bouches du Rhône, le tribunal judiciaire de Lille, par jugement en date du 1er mars 2021, a :
- déclaré la décision de prise en charge de la CPAM des Bouches du Rhône du 6 juin 2019 au titre du décès du 2 novembre 2018 de [F] [O] inopposable la SASU [7] pour violation du principe du contradictoire ;
- déclaré la décision de prise en charge de la CPAM des Bouches du Rhône de la pathologie du 2 novembre 2018 de [F] [O] inopposable la SASU [7] pour absence de preuve de l'exposition au risque ;
- condamné la CPAM des Bouches du Rhône aux dépens.
La CPAM des Bouches du Rhône a formé appel devant la cour d'appel d'Amiens par deux courriers envoyés le 19 avril 2021, enregistrés sous les numéros RG 21/01992 et 21/01994.
Aux termes de ses conclusions visées par le greffe le jour de l'audience le 16 mai 2022 et soutenues oralement, la CPAM des Bouches du Rhône prie la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lille rendu le 1er mars 2021 ;
- déclarer opposable à la société [7] la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de [F] [O] du 18 septembre 2018 ;
- déclarer opposable à la société [7], la décision de prise en charge du décès de [F] [O], le 6 juin 2019 ;
- rejeter toutes les demandes de la société [7].
Au soutien de son appel, la caisse soutient avoir transmis à la société [7], à l'instar de l'instruction de la maladie professionnelle, l'avis de clôture de l'instruction portant sur le décès de [F] [O] et de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier. Elle précise que cet envoi a été effectué sous la forme d'une lettre recommandée avec accusé de réception datée du 17 mai 2019, laquelle a été réceptionnée par la société le 22 mai 2019.
Elle fait valoir que les éléments issus de l'instruction menée par ses services permettent de caractériser que [F] [O] exerçait au cours de sa période d'emploi auprès des clients de la société [6] des fonctions de soudeur, tuyauteur et chaudronnier, lesquelles ont eu pour conséquence de l'exposer à l'inhalation de poussières d'amiante. Elle appuie son argumentation en se basant sur une étude réalisée par l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) publiée sur son site et retenant que les fonctions qu'exerçait notamment [F] [O] faisaient partie des principales professions exposées à l'inhalation aux poussières d'amiante.
Elle retient enfin que la société [7], venant aux droits de la société [6], ne saurait voir sa responsabilité exonérée au motif que l'exposition du salarié aux risques d'inhalation de poussières d'amiante était antérieure au rachat de la société [6] par celle-ci. Elle fait valoir au contraire que la société [6] était détenue à 100% par la société [7], avant de fusionner avec la société [7], de sorte que ses actifs et passifs lui ont été transférés.
Par conclusions visées par le greffe le jour de l'audience le 16 mai 2022 et soutenues oralement, la société [7] prie la cour de:
- déclarer la société [7] recevable en son recours ;
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 1er mars 2021 en ce qu'il a déclaré inopposable à l'employeur la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du 2 novembre 2018 pour absence de preuve de l'exposition au risque ;
A titre principal:
- dire que la condition tenant à l'exposition au risque n'étant pas démontrée par la caisse primaire, il doit être considéré que l'un des critères de prise en charge fait défaut ;
En conséquence,
- dire et juger, que la décision de prise en charge de la maladie du 2 novembre 2018, ainsi que la décision de prise en charge du décès de [F] [O] sont inopposables à la société [7];
A titre subsidiaire,
- constater que l'exposition au risque de [F] [O], dans les conditions prévues par le tableau n° 30 des maladies professionnelles, a pris fin antérieurement à la reprise de la société [6] par la société [7],
En conséquence,
- dire et juger que la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du 2 novembre 2018 déclarée par [F] [O] est inopposable à la société [7].
A titre liminaire, la société s'en rapporte à justice en ce que la caisse justifie au stade de l'appel de l'accusé réception de l'avis de clôture de l'instruction du 17 mai 2019 portant sur le décès de [F] [O] et de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier.
A l'appui de ses prétentions, elle fait grief à la caisse d'avoir pris en charge la pathologie et le décès de [F] [O], sans toutefois justifier d'éléments démontrant le respect des conditions telles que reprises au tableau 30D des maladies professionnelles s'agissant particulièrement de la condition relative à l'exposition du salarié au risque. Elle précise que la simple éventualité d'une exposition ne saurait suffire pour permettre la prise en charge de la maladie déclarée.
A titre subsidiaire, elle retient que la société [7] a racheté la société [6] au cours de l'année 2018, soit postérieurement au départ à la retraite de [F] [O] de telle sorte que l'exposition ayant pris fin antérieurement à la reprise de la société, la maladie et le décès subséquent ne sauraient lui être déclarés opposables.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties.
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MOTIFS
Sur la jonction
Conformément à l'article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.
Il apparaît que la CPAM des Bouches du Rhône a formé appel devant la présente cour par deux courriers envoyés le 19 avril 2021 du même jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Lille en date du 1er mars 2021 prononçant l'inopposabilité à l'égard de la société [7] des décisions de prise en charge du 5 juin 2019 de la maladie professionnelle de [F] [O] et du 6 juin 2019 au titre de son décès.
Une bonne administration de la justice commande ainsi de joindre les affaires référencées sous les numéros RG 21/01992 et RG21/01994.
Sur le respect du contradictoire lors de l'instruction du décès
La CPAM des Bouches du Rhône fait grief au jugement déféré d'avoir constaté la violation du principe du contradictoire par la caisse, lors de l'instruction menée par ses services relativement au décès de [F] [O], et ainsi d'avoir prononcé, à l'égard de la société [7], l'inopposabilité de la décision de prise en charge du 6 juin 2019.
Pour motiver cette décision, les premiers juges ont retenu, au regard des pièces versées aux débats, que la caisse ne justifiait pas avoir informé la société [7] de la clôture de l'instruction relative au décès du salarié et de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier susceptibles de lui faire grief.
Toutefois, dans le cadre de l'appel, la CPAM verse aux débats le courrier d'information à l'employeur daté du 17 mai 2019 et son accusé réception daté du 22 mai 2019.
La société s'en rapporte à justice le jour de l'audience s'agissant de ce moyen.
Il convient dès lors d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré inopposable à la société [7] la décision du 6 juin 2019 de prise en charge du décès de [F] [O] au titre de la législation sur les risques professionnels.
Sur l'exposition aux risques énumérés au tableau 30D des maladies professionnelles
Selon les dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau des maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Complétant l'article L.461-1, l'article L.461-2 du code de la sécurité sociale précise que pour pouvoir bénéficier de la législation sur la prévention et la réparation des maladies professionnelles, il faut être atteint dans un délai déterminé d'une affection visée par l'un des tableaux annexés au code de la sécurité sociale, après avoir été exposé à un risque professionnel prévu au même tableau dans le cadre d'une liste limitative.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime. Dans ce cas, la caisse de sécurité sociale reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Enfin, comme l'ont justement rappelé les premiers juges, il incombe à la caisse subrogée dans les droits de l'assuré, de rapporter la preuve que ce dernier remplissait les conditions de prise en charge énumérées audit tableau des maladies professionnelles, et notamment des conditions tenant à la liste limitative des travaux, afin de bénéficier de l'application de la présomption d'imputabilité au travail de la maladie déclarée.
En l'espèce, la pathologie déclarée par Mme [Z] [O], au nom et pour le compte de [F] [O], le 17 décembre 2018, a été instruite par la caisse au titre du tableau 30D des maladies professionnelles.
Au jour de la déclaration de cette maladie professionnelle, ce tableau prévoit les conditions cumulatives suivantes :
Une désignation de la maladie suivante : « Mésothéliome malin primitif de la plèvre, du péritoine, du péricarde ».
Un délai de prise en charge de la maladie de « 40 ans ».
Une liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies : «Travaux exposant à l'inhalation de poussières d'amiante, notamment :
- extraction, manipulation et traitement de minerais et roches amiantifères.
Manipulation et utilisation de l'amiante brut dans les opérations de fabrication suivantes :
- amiante-ciment ; amiante-plastique ; amiante-textile ; amiante-caoutchouc ; carton, papier et feutre d'amiante enduit ; feuilles et joints en amiante ; garnitures de friction contenant de l'amiante ; produits moulés ou en matériaux à base d'amiante et isolants ;
Travaux de cardage, filage, tissage d'amiante et confection de produits contenant de l'amiante.
Application, destruction et élimination de produits à base d'amiante :
- amiante projeté ; calorifugeage au moyen de produits contenant de l'amiante ; démolition d'appareils et de matériaux contenant de l'amiante, déflocage.
Travaux de pose et de dépose de calorifugeage contenant de l'amiante.
Travaux d'équipement, d'entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux à base d'amiante.
Conduite de four.
Travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l'amiante. »
Il ressort des écritures des parties que la désignation de la pathologie déclarée dans ce tableau, ainsi que le respect du délai de prise en charge ne sont pas contestés, étant rappelé que la pathologie à l'origine du décès de [F] [O] est essentiellement causée par l'exposition à l'amiante.
Par ailleurs, [F] [O] a successivement exercé des fonctions de soudeur, tuyauteur et chaudronnier au sein de la société [6] jusqu'en septembre 2017, date de son départ à la retraite, dans le cadre de missions d'intérim qui ont commencé dès l'année 2000, ainsi qu'il ressort des certificats de travail établis par l'agence [6] située à [Localité 2], laquelle était détenue à 100% par la société [7] qui a fusionné avec la société [7], intervenant dans le domaine du travail temporaire .
Dans le cadre de la demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle souscrite par Mme [Z] [O] le 17 décembre 2018, la caisse a diligenté une enquête administrative se présentant sous la forme de questionnaires adressés aux ayants droits de [F] [O], ainsi qu'à la société [7].
La caisse fait à ce titre état des éléments repris par le questionnaire complété par la société [7], ainsi qu'il suit:
« Au cours de ses différentes missions. M. [O] exerçait les postes de soudeur, de tuyauteur et de chaudronnier.
II effectuait différentes tâches en atelier ou sur chantier. Il était amené à effectuer des soudures sur tuyauterie inox et carbone, sur des supports en acier carbone, et réaliser des soudures tige ou à l'arc.
II intervenait également sur la maintenance et la mise en service des pompes et des vannes. Il réalisait l'assemblage de pièces en atelier pour les souder ensuite sur le chantier. Il effectuait des meulages avec une perceuse magnétique. »
La caisse fait en outre état d'une étude de l'INRS indiquant que les fonctions exercées par [F] [O] faisaient parties des principales fonctions sujettes à une exposition à l'amiante, ce qui n'est pas sérieusement contesté par la société [7] alors qu'il ressort de l'attestation à l'entête de l'agence d'emploi [7] que [F] [O] a travaillé essentiellement dans la construction ou l'industrie et notamment sur le site de l'usine [5] de [Localité 10] (73), d'[3] à [Localité 8] (13) et sur chantier à [Adresse 9] à [Localité 12] (13), la présence d'amiante sur les lieux d'affectation de [F] [O] ne faisant pas de doute.
Ainsi, les conditions du tableau 30D des maladies professionnelles sont suffisamment démontrées, le jugement ayant lieu d'être réformé en toutes ses dispositions.
Pour échapper aux conséquences de la reconnaissance de la maladie professionnelle et du décès de [F] [O] des suites du mésothéliome pleural dont il était atteint, la société [7] fait valoir à titre subsidiaire qu'elle a racheté la société [6] au cours de l'année 2018 soit à une date postérieure au départ en retraite de [F] [O] en 2017.
Or, l'acte de fusion entre la société [7] et la société [7] versé aux débats prévoit la disparition de la première et la transmission universelle de son patrimoine , l'ensemble du passif de la société [7] devant être entièrement transmis sans qu'il y ait lieu à sa liquidation, d'où il se déduit que le passif a été transmis à la société [7] subrogée dans les droits et obligations de la société absorbée, notamment vis à vis du personnel.
Ainsi, le moyen est inopérant, la cour déclarant la prise en charge de la maladie professionnelle et du décès de [F] [O] opposable à la société [7].
Sur les dépens
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
La société [7] qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement par décision rendue contradictoirement en dernier ressort par mise à disposition au greffe,
Ordonne la jonction des affaires référencées sous les numéros RG 21/01992 et RG21/01994 sous le numéro RG 21/01992,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Déclare la prise en charge de la maladie professionnelle et du décès de [F] [O] opposable à la société [7],
Condamne la société [7] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,