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07/12/2022 | FRANCE | N°21/04826

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 07 décembre 2022, 21/04826


ARRET







S.A. VIQUEL





C/



[L]



























































copie exécutoire

le 7/12/2022

à

Me TOUATI SITBON

SCP ACG

LDS/IL/BG



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 07 DECEMBRE 2022



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************************************

N° RG 21/04826 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IHPJ



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 09 SEPTEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F 20/00024)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A. VIQUEL agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège...

ARRET

S.A. VIQUEL

C/

[L]

copie exécutoire

le 7/12/2022

à

Me TOUATI SITBON

SCP ACG

LDS/IL/BG

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 07 DECEMBRE 2022

*************************************************************

N° RG 21/04826 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IHPJ

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 09 SEPTEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F 20/00024)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A. VIQUEL agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée, concluant et plaidant par Me Nathalie TOUATI SITBON, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

ET :

INTIME

Monsieur [C] [L]

[Adresse 3]

[Localité 1]

concluant par Me Gérald CHALON de la SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

Me Jehan BASILIEN de la SCP BASILIEN BODIN ASSOCIES, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 12 octobre 2022, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

- Madame [P] [N] en son rapport,

- l'avocat en ses conclusions et plaidoirie

Madame [P] [N] indique que l'arrêt sera prononcé le 07 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame [P] [N] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 07 décembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [L], né le 2 janvier 1961, a été embauché par la société Viquel (la société ou l'employeur) à compter du 18 octobre 1999 par contrat à durée indéterminée, en qualité de conducteur de machines.

Son contrat est régi par la convention collective nationale de transformation des matières plastiques.

La société emploie 105 salariés.

Le 8 janvier 2018, le salarié a été victime d'un accident de travail et a été arrêté jusqu'au 16 février 2019 sans discontinuité.

Le 19 février 2019, à l'occasion d'une visite de reprise, le médecin du travail a établi un avis d'inaptitude rédigé en ces termes : « Peut occuper un poste respectant les indications suivantes : pas de port de charge avec la main droite, pas de mouvement du membre supérieur droit en abduction et/ou antépulsion de plus de 60 degré. Peut effectuer toute formation dans le respect des indications énoncées précédemment ».

A la suite à cet avis d'inaptitude, se sont suivis des échanges téléphoniques et des messages électroniques entre la société Viquel et le médecin du travail à propos du reclassement du salarié.

Au cours d'une réunion qui s'est tenue le 12 mars 2019, le CSE a émis un avis favorable à la proposition de reclassement du salarié sur un poste de magasinier / cariste polyvalent au filmage, chargement de camions et conducteur de chariot tridirectionnel.

Le 13 mars 2019, l'employeur a proposé ce poste au salarié qui l'a refusé par courrier motivé du 19 mars 2019.

M. [L] a été convoqué par la société Viquel, à un entretien préalable fixé au 9 avril 2019.

Par courrier du 12 avril 2019, il a été licencié pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement.

Contestant la légitimité de son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons le 23 mars 2020.

Ce dernier, par jugement du 9 septembre 2021, a :

- dit que le licenciement de M. [L] reposait sur une cause réelle et sérieuse pour inaptitude professionnelle médicalement constatée par le médecin du travail avec impossibilité de reclassement ;

- condamné la société Viquel, prise en la personne de son représentant légal, à verser à M. [L] les sommes suivantes :

- 9 293,63 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 3 598,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 359,83 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 860,35 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires ;

- 186,03 euros au titre des congés payés y afférents ;

- débouté M. [L] du surplus de ses demandes ;

- condamné la société Viquel à verser à M. [L] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure ;

- débouté la société Viquel de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 ;

- condamné cette dernière aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions remises le 22 septembre 2022, la société Viquel, qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;

- fixer le salaire brut moyen de M. [L] à la somme de 1 774,93 euros sur la base des 3 derniers mois de salaire avant son dernier jour de travail ;

- infirmer les dispositions du jugement de la section industrie du conseil de prud'hommes de Soissons du 9 septembre 2021 en ce qu'il l'a :

- condamnée à régler à M. [L] les sommes suivantes :

- 9 293,63 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 3 598,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 359,83 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 860,35 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires ;

- 186,03 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 ;

- condamnée aux entiers dépens de l'instance ;

- confirmer les dispositions du jugement en ce qu'il a :

- dit que le licenciement de M. [L] reposait sur une cause réelle et sérieuse pour inaptitude professionnelle médicalement constatée par le médecin du travail avec impossibilité de reclassement ;

- débouté M. [L] du surplus de ses demandes ;

- débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner ce dernier à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions remises le 22 mars 2022, M. [L] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes ;

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Soissons, en date du 9 septembre 2021, en ce qu'il a :

- condamné la société Viquel à lui verser les sommes suivantes :

- 9 293,63 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 3 598,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 359,83 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 860,35 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires ;

- 186,03 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il :

- a dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse pour inaptitude professionnelle médicalement constatée par le médecin du travail, avec impossibilité de reclassement ;

- l'a débouté du surplus de ses demandes ;

Statuant de nouveau,

- condamner la société Viquel au paiement des sommes de :

- 26 987,55 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 2 507,04 euros à titre de rappel de prime d'ancienneté sur les années 2018 et 2019 ;

- 250,70 euros au titre des congés payés y afférents ;

- condamner la société Viquel au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais exposés à hauteur d'appel, ainsi qu'aux éventuels frais d'exécution ;

- condamner la société Viquel aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur le licenciement :

La société fait valoir qu'elle a parfaitement rempli ses obligations en matière de reclassement dans le respect des préconisations du médecin du travail qu'elle a pris la précaution d'interroger afin de mieux cerner les gestes compatibles avec la pathologie du salarié, après consultation des représentants du personnel ; que le message électronique du médecin du travail du 28 février 2019, évoquant la possibilité d'un test du poste par le salarié, ne s'analyse pas en de nouvelles réserves qu'elle n'aurait pas levées ; que c'est le refus ferme et définitif de l'offre de reclassement par le salarié qui a évidemment empêché le test du poste ; qu'aucun autre poste compatible avec les réserves du médecin du travail n'était disponible dans l'entreprise et que, par conséquent, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a jugé que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse. Elle considère que le refus par le salarié de l'offre de reclassement qui lui était faite est abusif.

M. [L] soutient que le médecin du travail a émis des réserves quant à la proposition de reclassement que lui a faite l'employeur, la soumettant à la réalisation d'un essai ; que le médecin, par courrier du 23 mai 2019, lui a confirmé que son acceptation de la proposition était avec réserves ; qu'à aucun moment l'employeur ne lui a fait tester le poste, ni n'a saisi l'équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail ni même la SAMETH, se contentant de lui proposer sèchement le poste en violation des préconisations émises par le médecin du travail ; que dans l'hypothèse inverse sa position aurait pu être tout à fait différente ; que dans ces conditions la recherche de reclassement est manifestement déloyale et que de ce chef, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En application de l'article L.1226-10 du code du travail, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail, consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.

Par suite l'employeur doit adapter le poste aux capacités du salarié au vu des conclusions du médecin du travail émises au cours de la dernière visite de reprise et seules les recherches de reclassement compatibles avec ces conclusions peuvent être prises en considération pour apprécier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement.

La recherche de possibilités de reclassement du salarié doit s'apprécier à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné parmi les entreprises situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Aux termes de l'article L 1226-12 du code du travail, lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.

L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail.

En l'espèce, l'employeur, à la suite de l'avis d'inaptitude, a écrit au Dr [K], le 21 février 2019, pour avoir son avis sur la possibilité de proposer au salarié le poste de « filmeur, travailler au chargement des camions avec un transpalette électrique, cariste sur un chariot tri directionnel (nécessité de passer le CACES 5) », lui proposant de se déplacer sur le site pour que lui soient présentés les postes envisagés par sa technicienne hygiène sécurité environnement.

Le Dr [M], qui a pris le relais du Dr [K], a répondu : «  la conduite du chariot me paraît difficile à cause des gestes répétitifs impliquant les 2 bras et que le filmage pouvait être pénible s'il est manuel. Il faudrait voir s'il peut en faire ainsi que du chargement de camion avec un transpalette électrique en n'utilisant principalement que son bras gauche. Je ne sais pas si M. [L] souhaitera faire un essai ».

Par message électronique du lendemain, l'employeur a apporté des précisions sur le poste, lui demandant de valider la faisabilité ou non de sa proposition de reclassement.

Le même jour, le médecin a répondu « je prends bonne note que le filmage et automatique. Si la hauteur de l'escabeau est suffisante de façon à limiter l'élévation du bras droit comme demandé je n'y vois pas d'objection. Merci aussi pour les précisions que vous me donnez sur les commandes du chariot. Je suppose que le joystick se manipule de la main droite et je pense que l'épaule droite sera moins sollicitée que la gauche, la main gauche manipulant le volant à boule dans ce cas. Il est vrai que nous n'avons pas précisé la capacité de rétropulsion du bras droit. Compte tenu de sa pathologie celle-ci sera limitée et sûrement inférieure à celle d'une personne valide. C'est pourquoi je m'interrogeais sur la possibilité d'utiliser principalement voire quasi exclusivement le bras gauche.

Au total il sera difficile d'être affirmatif totalement, mais votre proposition n'est pas à exclure. Tester le poste si M. [L] donne suite me paraît souhaitable. Notre équipe disciplinaire (IRP...) ainsi que le SAMETH sont à votre disposition, n'hésitez pas à solliciter pour une étude approfondie ».

Il ne peut se déduire de ce message que le médecin du travail a validé l'offre de reclassement en ce qu'il n'est pas affirmatif et renvoie de nouveau à un essai du poste par M. [L].

Ce dernier a refusé l'offre de reclassement, non pas de manière arbitraire, mais après avoir fait valoir que son handicap ne lui permettait pas de lever le bras à plus de 60° en abduction et en antépulsion, mouvement nécessaire pour l'utilisation du transpalette, que pour installer la coiffe sur les palettes, les deux bras étaient nécessaires et qu'il ne pouvait passer le CACES 5 car il avait le vertige.

Or, la société n'a pas proposé au salarié de faire un essai qui seul aurait éventuellement permis à celui-ci de revenir sur sa prévention quant au poste proposé, étant observé que cette prévention se nourrit d'une précédente expérience dont la société fait état dans son courrier électronique du 28 février 2019. Elle ne peut donc affirmer que le salarié a refusé catégoriquement le test.

La société ne s'est pas non plus emparée de la proposition qui lui était faite d'une étude approfondie du poste qui aurait pourtant été nécessaire au regard des dernières réserves exprimées par le médecin du travail.

C'est en vain qu'elle soutient que c'est le refus du salarié qui a empêché tant le test qu'une étude approfondie du poste alors qu'il lui incombait de procéder à ces investigations avant de tirer des conséquences définitives du refus de celui-ci.

Il apparaît ainsi que la société n'a pas conduit jusqu'au bout ses recherches de reclassement, manquant ainsi à l'obligation qui lui était faite par les textes précités.

Il en résulte que le refus de l'offre de reclassement par le salarié n'est pas abusif, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et que M. [L] est en droit de prétendre, outre aux indemnités prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail, à des dommages-intérêts en application de l'article L. 1226-15 du même code.

Aux termes de L. 1226-14, la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.

À ce titre, il y a lieu de confirmer le jugement quant aux sommes allouées non spécifiquement contestées dans leurs montants.

En application de l'article L.1226-15 du code du travail, lorsqu'un licenciement est prononcé en méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte prévues aux articles L. 1226-10 à L.1226-12, en cas de refus de réintégration par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie une indemnité au salarié dont le montant est fixé conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3-1 soit six mois de salaire.

Elle se cumule avec l'indemnité compensatrice et, le cas échéant, l'indemnité spéciale de licenciement, prévues à l'article L.1226-14.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation, à son expérience professionnelle et à son handicap tel qu'il a été reconnu par la MDPH et de son ancienneté dans l'entreprise (plus de 19 ans), la cour fixe à 21 000 euros les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2/ Sur l'exécution du contrat de travail :

- Sur le rappel de prime d'ancienneté :

La société soutient que M. [L] a bénéficié de la prime d'ancienneté pendant toute la période au cours de laquelle il a pu prétendre à un maintien de salaire net en application de l'article 14-2 de la convention collective de la plasturgie soit jusqu'au 23 mai 2018 et qu'elle n'était plus tenue à paiement pour la période postérieure.

Le salarié fait valoir que l'employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du versement de la prime d'ancienneté à laquelle il avait droit en application de la convention collective, qui n'est pas soumis à la condition de présence dans l'entreprise.

L'article 14.2 de la convention collective applicable prévoit que les collaborateurs bénéficient d'une prime d'ancienneté calculée sur un pourcentage à hauteur de 0,80 % du salaire de base par année d'ancienneté incluant le différentiel RTT s'il existe et ce en fonction des pas de progression pluriannuelle visée à l'article 14-3.

Par ailleurs, en application de l'article 13 de la convention collective, les absences pour maladie et accident sont indemnisées dans la limite de 105 jours calendaires à la fois par arrêt de travail et par année civile, cette double limitation étant portée à 135 jours calendaires lorsque l'intéressé a plus de cinq ans d'ancienneté dans l'entreprise. L'indemnisation globale est calculée lorsque l'intéressé a cinq ans d'ancienneté dans l'entreprise sur les taux suivants : 100 % de la rémunération pour les 60 premiers jours et 75 % de la rémunération pour les 75 jours suivants. De l'indemnisation globale est notamment déduit le montant des indemnités journalières versées par la sécurité sociale.

Au regard de son ancienneté, M. [L] avait donc droit à son salaire intégral du 9 janvier au 9 mars 2018 puis à 75 % de son salaire du 10 mars au 23 mai 2018. Pendant ces 135 jours, son salaire devait intégrer à due proportion la prime d'ancienneté laquelle n'est pas subordonnée à la présence du salarié dans l'entreprise.

La prime d'ancienneté figure sur les bulletins de paie de toute la période considérée toutefois cela n'a pas forcément conduit au versement de sommes par l'employeur du fait de la déduction des indemnités journalières de sécurité sociale et de la retenue de garantie sur le net auquel l'employeur est tenue.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de M. [L] de ce chef.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le salarié soutient que l'accord d'entreprise sur l'annualisation du temps de travail a été déclaré illégal par l'inspection du travail en ce qu'il ne prévoit pas en son sein le programme indicatif concernant la mise en 'uvre de la modulation, la société s'étant contentée de renvoyer à un affichage ; que cet accord lui est par conséquent inopposable ; qu'il est dès lors fondé à solliciter un rappel d'heures supplémentaires sur l'année 2017 calculé sur la base des heures réellement effectuées hebdomadairement.

Il verse aux débats un tableau portant mention du numéro de la semaine et du nombre d'heures supplémentaires qu'il revendique en regard. Il invoque également le récapitulatif des heures effectuées produit par la société.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en y apportant les siens.

Ce dernier se prévaut de l'accord d'entreprise du 23 décembre 1998 relatif à l'annualisation du temps de travail ; conteste qu'il ait été déclaré illégal par l'inspecteur du travail ; affirme qu'au vu du récapitulatif des horaires effectués par le salarié en 2017, la modulation du temps de travail a été respectée avec des semaines de 24 heures compensées par des semaines de 45 heures ; que les premiers juges, pour le condamner, ont fait une appréciation erronée des documents versés de part et d'autres, en ne réalisant pas que les 1782 heures mentionnées pour l'année 2018 sont des heures théoriques incluant 25 jours de congés payés habituellement accordés au salarié pour respecter la modulation et que ni en 2017, ni en 2018 le salarié n'a travaillé 1782 heures.

Il n'est pas contesté que l'accord d'établissement sur la réduction du temps de travail signé le 23 décembre 1998 prévoit une modulation du temps de travail, sur la base de 1607 heures consistant à faire varier la durée hebdomadaire du travail selon une limite maximum de 45 heures par semaine en période haute et une limite minimale de 24 heures en période basse.

La cour rappelle que depuis le 10 août 2016, les accords de modulation conclus avant cette date qui ne comporteraient pas la mention sur la détermination d'un programme indicatif ne peuvent plus être remis en cause. En effet, l'article 12, IV de la loi travail du 8 août 2016 a prévu que les dispositions relatives à la détermination d'un programme indicatif préalablement exigées par les lois du 19 janvier 2000, du 20 décembre 1993 et du 19 juin 1987 cessaient d'être applicables aux accords collectifs. En conséquence, le salarié était bien soumis à la modulation du temps de travail et c'est en vain que, pour fonder sa demande de paiement d'heures supplémentaires, il invoque le moyen tiré de l'illégalité de l'accord d'entreprise, étant observé que celui-ci n'a pas été déclaré illégal par l'inspecteur du travail,

Dès lors que le salarié, qui ne conteste pas le récapitulatif des heures effectuées en 2017 produit par la société, sur lequel il se base, indique qu'il a calculé le nombre d'heures supplémentaires sans tenir compte de l'annualisation du temps de travail, il aboutit nécessairement à un résultat erroné.

A la lecture du récapitulatif précité, il apparaît que M. [L] n'a pas accompli d'heures de travail excédent 1607 heures.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que M. [L] n'a pas effectué les heures supplémentaires dont il se prévaut.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande.

3/ Sur les demandes accessoires :

La société, tenue aux dépens d'appel, sera condamnée à verser au salarié la somme supplémentaire indiquée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et sera déboutée de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

infirme le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement était justifié par une cause réelle et sérieuse, a débouté M. [L] de sa demande de dommages-intérêts de ce chef, a fait droit aux demandes de M. [L] au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents,

le confirme pour le surplus,

statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

dit que le licenciement de M. [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

condamne la société Viquel à payer à M. [L] la somme de 21 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

déboute M. [L] de ses autres demandes,

condamne la société Viquel à payer à M. [L] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés à hauteur de cour,

la condamne aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/04826
Date de la décision : 07/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-07;21.04826 ?
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