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07/12/2022 | FRANCE | N°21/04977

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 07 décembre 2022, 21/04977


ARRET







S.A.S. TEM PLASTICS





C/



[Z]



























































copie exécutoire

le 7/12/2022

à

Me BIBARD

Me MARRAS

LDS/IL/SF



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 07 DECEMBRE 2022



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***************************************

N° RG 21/04977 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IH2G



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ABBEVILLE DU 14 SEPTEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F21/00021)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANTE



S.A.S. TEM PLASTICS

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée et concluant par Me Pascal BIBARD de la SELARL...

ARRET

S.A.S. TEM PLASTICS

C/

[Z]

copie exécutoire

le 7/12/2022

à

Me BIBARD

Me MARRAS

LDS/IL/SF

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 07 DECEMBRE 2022

*************************************************************

N° RG 21/04977 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IH2G

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE D'ABBEVILLE DU 14 SEPTEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F21/00021)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A.S. TEM PLASTICS

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée et concluant par Me Pascal BIBARD de la SELARL CABINETS BIBARD AVOCATS, avocat au barreau D'AMIENS

ET :

INTIMEE

Madame [P] [Z]

née le 19 Avril 1970

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée et concluant par Me Giuseppina MARRAS de la SCP DELARUE VARELA MARRAS, avocat au barreau D'AMIENS

DEBATS :

A l'audience publique du 12 octobre 2022, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame [W] [R] indique que l'arrêt sera prononcé le 07 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame [W] [R] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 07 décembre 2022, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [P] [F] épouse [Z] a été embauchée par la société TEM plastics (la société ou l'employeur) le 26 janvier 2004 d'abord par contrat à durée déterminée puis par contrat à durée indéterminée à compter du 26 janvier 2005, en qualité d'opérateur. Au dernier état de la relation contractuelle elle était responsable logistique expéditions.

Son contrat est régi par la convention collective de la transformation des matières plastiques.

La société emploie moins de 11 salariés. Elle est dirigée par M. [T].

La salariée a été convoquée par la société TEM plastics, à un entretien préalable fixé au 26 février 2020. Par courrier du 4 mars 2020, elle a été licenciée pour faute grave.

Ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail et contestant la légitimité du licenciement, elle a saisi le conseil de prud'hommes d'Abbeville, le 13 juillet 2020.

Ce dernier, par jugement du 14 septembre 2021, a :

- dit que le licenciement de Mme [Z] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société TEM plastics à verser à Mme [Z] les sommes suivantes :

- 8 496,22 euros brut au titre de rappel d'heures supplémentaires ;

- 849,60 euros brut au titre des congés payés sur rappel d'heures supplémentaires ;

- 372, 42 euros brut au titre de rappel de salaire pour taux horaire ne correspondant pas au taux conventionnel du coefficient 810 ;

- 37,24 euros brut au titre des congés payés sur rappel de salaire pour taux horaire ne correspondant pas au taux conventionnel du coefficient 810 ;

- 11 955,53 euros net au titre d'indemnité de licenciement ;

- 5 236 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 523,60 euros brut au titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 266,29 euros brut au titre de rappel de mise à pied à titre conservatoire ;

- 126,62 euros brut au titre de congés payés sur rappel de mise à pied à titre conservatoire ;

- 11 136,48 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- annulé le courrier du 5 février 2020 envoyé en lettre recommandée avec demande d'avis de réception par la société TEM plastics à Mme [Z] ;

- ordonné la remise par la société TEM plastics à Mme [Z] des bulletins de paie rectifiés et d'une attestation Pôle Emploi rectifiée ;

- dit que les rémunérations et indemnités mentionnées au 2e de l'article R 1454-14 du code du travail, dans la limite de neuf mois de salaire, calculées sur la moyenne des trois derniers mois de salaire étaient de droit exécutoires en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élevant à la somme mensuelle brute de 2 618 euros ;

- ordonné l'exécution provisoire pour les condamnations qui ne bénéficiaient pas de l'exécution de droit à hauteur de 9 755,48 euros ;

- débouté Mme [Z] de ses autres demandes ;

- débouté la société TEM plastics de sa demande reconventionnelle ;

- dit que les dépens seraient partagés par moitié entre chaque partie.

Par conclusions remises le 27 septembre 2022, la société TEM plastics, qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de :

- la recevoir en son appel ;

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Abbeville en date du 14 septembre 2021 en ce qu'il :

- a dit et jugé que le licenciement de Mme [Z] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;

- l'a condamnée à lui verser les sommes suivantes :

- 8 496,22 euros brut au titre de rappel heures supplémentaires ;

- 849,60 euros brut au titre des congés payés sur rappel heures supplémentaires ;

- 11 955,53 euros net au titre d'indemnité de licenciement ;

- 5 236 euros brut au titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 523,60 euros brut au titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;

- 1 266,29 euros brut au titre de rappel de mise à pied à titre conservatoire ;

- 126,62 euros brut au titre de congés payés sur rappel de mise à pied à titre conservatoire ;

- 11 136,48 euros net au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- a annulé le courrier du 5 février 2020 envoyé en lettre recommandée avec demande d'avis de réception à Mme [Z] ;

- a ordonné qu'elle remette à Mme [Z] des bulletins de paie rectifiés et d'une attestation Pôle Emploi rectifiée ;

- dit que les rémunérations et indemnités mentionnées au 2e de l'article R 1454-14 du code du travail, dans la limite de neuf mois de salaire, calculées sur la moyenne des trois derniers mois de salaire étaient de droit exécutoires en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élevant à la somme mensuelle brute de 2 618 euros ;

- a ordonné l'exécution provisoire pour les condamnations qui ne bénéficiaient pas de l'exécution de droit à hauteur de 9 755,48 euros ;

- l'a déboutée de sa demande reconventionnelle ;

- a dit que les dépens étaient partagés par moitié entre chaque partie.

Statuant à nouveau,

- débouter Mme [Z] de l'intégralité de ses demandes ;

- la débouter de sa demande nouvelle au titre du travail dissimulé en ce qu'elle est irrecevable, prescrite et plus subsidiairement infondée faute d'élément intentionnel ;

- condamner Mme [Z] à la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 13 septembre 2022, Mme [Z] demande à la cour de :

- déclarer son action bien fondée et y faisant droit ;

- confirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes d'Abbeville le 14 septembre 2021 en ce qu'elle a :

- retenu l'existence d'heures supplémentaires accomplies et non rémunérées par l'employeur ;

- constaté que le taux horaire payé ne correspondait pas au taux conventionnel ;

- procédé à l'annulation de l'avertissement qui lui a été notifié le 5 février 2020 ;

- condamné l'employeur au versement d'une somme de 3 000 euros au titre du préjudice subi du fait de la notification d'un avertissement parfaitement injustifié ;

- constaté l'absence de faute grave ;

- requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

- condamné l'employeur au paiement des sommes suivantes :

- indemnité compensatrice de préavis : 5 336 euros, somme brute, outre congés payés sur préavis : 533,60 euros ;

- indemnité de licenciement : 11 955,53 euros ;

- rappel de salaire au titre du coefficient : 372,42 euros brut outre 37,24 euros de congés payés sur ces rappels de salaire ;

- rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : 8 496,22 euros outre 849,60 euros à titre de congés payés sur ces rappels de salaire ;

- article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros ;

- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau,

- condamner l'employeur au paiement des sommes suivantes :

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 13,5 mois * 2 618 euros = 35 343 euros net ;

- rappel mise à pied conservatoire : 1 920 euros brut outre congés payés sur ces rappels de salaire à hauteur de 192 euros brut ;

- 15 000 euros au titre du préjudice complémentaire subi du fait des conditions particulièrement vexatoires dans lesquelles a été rompu son contrat de travail ;

- indemnité forfaitaire de travail dissimulé : 2 618 par 6 = 15 708 euros ;

- ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes (attestation Pôle Emploi, certificat de travail conforme reçu pour solde de tout compte), le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter du 8ème jour du prononcé de la décision, la juridiction prud'homale se réservant la faculté de liquider l'astreinte ;

- condamner l'employeur au paiement d'une somme de 2 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile, et ce en cause d'appel ;

- dire et juger que les sommes allouées par la juridiction porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud'homale ;

- condamner l'employeur aux entiers dépens, en ce compris les frais liés à l'exécution de la décision.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur l'exécution du contrat de travail :

- Sur la demande au titre des heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, Mme [P] [Z] affirme qu'elle travaillait 40 heures par semaine, soit 5 jours par semaine de 8h à midi et de 14h à 18h et conteste les relevés d'heures versés aux débats par l'employeur en cause d'appel, s'étonnant de leur production tardive et s'interrogeant sur leur provenance et leur auteur.

Elle produit un tableau récapitulatif mois par mois, portant mention des heures figurant sur les bulletins de paie, les heures effectivement accomplies, la différence entre les deux, le taux majoré, le salaire dû avec les congés payés y afférents pour arriver à un total de 11 923,67 euros.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en y apportant les siens.

Ce dernier soutient que la salariée n'a jamais exécuté de prestations au-delà de 17 heures et que les heures supplémentaires accomplies certain samedis matins ont été normalement rémunérées, qu'il existe au sein de l'entreprise un système de contrôle du temps de travail qui était tenu par Mme [Z] elle-même sous forme de relevés d'heures, qu'au vu de ces documents qui ont été produits tardivement, non pas parce qu'ils étaient perdus, mais par ce qu'ils avaient été appréhendés par la salariée, cette dernière a été parfaitement remplie de ses droits.

Il produit des relevés d'heures sous forme de tableaux ou de listes comportant les jours de la semaine et des prénoms avec la mention manuscrite de temps de travail soit sous forme d'horaires soit avec la mention « am » ou « J ». La présentation de ces relevés d'heures permet d'exclure qu'ils aient été rédigés a posteriori pour les besoins de la cause. Ils sont presque tous de la même main.

Dès lors qu'ils sont attribués par l'employeur à la salariée qui le conteste et que la cour ne peut statuer sans en tenir compte, il convient de procéder à une vérification d'écriture.

La cour dispose de plusieurs éléments de comparaison que sont les lettres manuscrites adressées par Mme [Z] à la société les 16 et 17 mars 2020.

L'écriture de cette dernière, mélange de script et de cursive, avec des lettres très rondes et pour certaines très compliquées, est particulière et facilement identifiable. Ainsi, notamment, les A en début de mot sont précédés d'une boucle importante suivie d'une pointe, les L ressemblent à des D, les 1 commencent par une petite demi-boucle suivie d'un long trait descendant presque jusqu'au dessous de la ligne d'écriture pour se terminer par une petite barre droite disproportionnée à l'ensemble. Or, toutes ces caractéristiques se retrouvent sur les feuilles d'heures ce qui permet d'en déduire avec certitude que Mme [Z] est bien l'auteur de la très grande majorité de ces documents même s'ils ont été parfois annotés d'une autre main que la salariée attribue à l'épouse du directeur de la société Mme [T].

Il se déduit de ce qui précède que la salariée n'est pas de bonne foi et que les feuilles d'heures peuvent lui être opposées.

Du rapprochement des fiches de paie et des feuilles d'heures, il résulte, d'une part, qu'en 2017 et 2018 à quelques reprises les heures supplémentaires ont été abusivement réglées sous forme de primes et, d'autre part, que les autres heures supplémentaires accomplies ont été régulièrement payées.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que Mme [Z] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées ouvrant droit à une rémunération totale de 1 270 euros, outre 127 euros de congés payés afférents pour l'ensemble de la période sollicitée.

- Sur la demande au titre du travail dissimulé :

La société soulève l'irrecevabilité de la demande comme nouvelle en appel, la prescription de celle-ci au motif qu'elle est fondée sur des faits, le paiement des heures supplémentaires par le biais de primes, qui se seraient produits plus de deux ans avant la saisine du conseil de prud'hommes.

Cette dernière ne répond pas s'agissant de la recevabilité de sa demande.

Par application de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses, faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Les articles 565 et 566 du même code précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises aux premiers juges même si leur fondement juridique est différent et que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l'espèce, la salariée demande pour la première fois en cause d'appel une indemnité pour travail dissimulé. Cette demande nouvelle au sens de l'article 564 est irrecevable.

- Sur la demande d'annulation de l'avertissement du 5 février 2020 :

Le 5 février 2020, M. [T] a adressé à Mme [Z] le courrier suivant : « Madame, depuis maintenant plusieurs mois vous ne remplissez pas la fonction pour laquelle vous êtes employée, plusieurs clients se plaignent de votre comportement négatif envers la société TEM PLASTIC, ils n'obtiennent aucune réponse à leurs demandes et ils m'ont rapporté que vous leur manquiez de respect. Ceci nuit gravement à la bonne marche de l'entreprise et relève d'une faute lourde, Ces faits sont versés à votre dossier, (...) ».

L'employeur soutient que cette lettre ne constitue pas une sanction disciplinaire et que la salariée ne l'a pas contestée avant la saisine du conseil de prud'hommes car elle sait parfaitement que ces faits sont avérés.

La salariée répond que cette lettre s'analyse en un avertissement qui est survenu après 16 ans de travail sans aucune difficulté au seul motif que M. [T] savait qu'elle allait le quitter et que l'employeur ne rapporte aucune preuve des faits qu'il lui reproche. Elle ajoute que cet avertissement invalide le licenciement survenu peu de temps après en ce qu'il vise les mêmes faits en application de la règle non bis in idem.

En application de l'article L. 1331-1 du code du travail constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

Lorsque le juge annule une sanction disciplinaire, il peut, si cela lui est demandé, accorder des dommages et intérêts au salarié. Pour cela, le salarié doit établir l'existence d'un préjudice distinct qui n'est pas entièrement réparé par l'annulation.

En l'espèce, dans sa lettre, l'employeur émet des griefs à l'encontre de la salariée qu'il qualifie de faute lourde de sorte que cette lettre constitue un avertissement.

Au chapitre de la discussion sur cette demande, il ne présente aucune offre de preuve de la matérialité des agissements reprochés se bornant à invoquer l'absence de réaction de Mme [Z]. Or, le seul fait de ne pas avoir contesté une sanction disciplinaire ne vaut pas reconnaissance des griefs qui la motivent.

Il y a donc lieu d'annuler cette sanction disciplinaire.

La salariée n'invoquant aucun préjudice, sa demande de dommages intérêts sera rejetée, le jugement étant confirmé également de ce chef.

2/ Sur la rupture du contrat de travail :

La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.

En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :

« Madame,

Vous avez été embauchée le 26 juillet 2004, à ce jour vous tenez le poste de Responsable logistique expédition.

Ce poste consiste en : passer les commandes de matières premières et autres ingrédients, les réceptionner, réceptionner les commandes clients, confirmer les délais, gérer les ordres de fabrication, assurer les expéditions, gérer les stocks.

Nous vous avons convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement du fait de :

- votre attitude vis-à-vis de certains de vos collègues de travail

- votre attitude vis-à-vis des clients

- votre attitude vis-à-vis de votre employeur

Concernant le premier point, vos relations difficiles avec vos collègues de travail :

o lors de notre entretien vous n'avez pas nié les faits, vous avez eu pour seule réponse : « Je n'ai jamais eu de lettre concernant ces faits ''.

Nous sommes une entreprise familiale, Monsieur [T] vous a interpellée oralement, à plusieurs reprises, pour vous demander d°adopter avec vos collègues une attitude moins grossière et moins outrancière, mais vous persistez dans votre attitude, votre acrimonie est constante et perturbe le fonctionnement de l'entreprise.

Concernant le deuxième point, depuis ces deux derniers mois, les clients nous interpellent pour le non suivi de leurs commandes et le non-respect des délais de livraison.

Nous avons été interpellés par la société WATOM en ces termes :

« Je viens vous faire part de mon mécontentement concernant la personne qui prend les appels chez vous. Elle me hurle dessus en me disant qu'elle est débordée et que si je ne suis pas contente, je n 'ai qu'à appeler le directeur. »

Vous avez indiqué aux services de la société AUDIS que vous deviez avoir des couronnes quelque part mais où '' et combien ''

Lors de l'entretien, vous n'avez pas contesté ces faits, et vous avez rétorqué : « Ce ne sont pas vraiment des fautes ''.

Cette réponse relève d'une attitude irresponsable et en inadéquation avec vos fonctions.

Concernant le troisième point, votre attitude envers l'employeur : Monsieur [T] est l'objet, depuis ces derniers mois de vos invectives, une plainte a été déposée le 15 février 2020, auprès des services de gendarmerie.

Monsieur [T] a été victime d'un grave accident et vous vous employez à des difficultés tant avec le personnel qu'avec les clients. Vous avez indiqué vouloir faire crouler la boîte et vous vous y employez.

Vos deniers éclats ont été, en criant haut et fort au sein de l'atelier, que vous en faisiez peu, que vous en feriez encore moins et de traiter Monsieur [T] de «sans couille'', « d'incompétent ''.

Les faits ci avant décrits vous sont imputables et constituent un manquement à vos obligations contractuelles. Les faits reprochés, en plus d'être avérés, sont d'une gravité telle que votre maintien dans l'entreprise est impossible.

Le contrat de travail prendra fin à la première présentation des présentes.

Nous vous adresserons par courrier votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte et votre attestation Pôle emploi.

Vous pouvez faire une demande de précision des motifs de licenciement énoncés dans la présente lettre dans les 15 jours suivant sa notification, par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de 15 jours après réception de votre demande par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise contre récépissé.

Nous pourrons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement.

Nous vous prions de croire, Madame, en l'expression de nos salutations distinguées ».

À la demande de Mme [Z], formulée par lettre du 17 mars 2020, l'employeur a précisé les motifs du licenciement dans un courrier du 27 mars suivant, en ces termes : « En réponse à votre courrier daté du 17 mars 2020, nous tenons à faire observer, en avant-propos, que le style utilisé est conforme à l'attitude adoptée au sein de l'entreprise avec nous-mêmes, vos collègues et les clients : - aucune courtoisie- discours pressant, pour ne pas dire autoritaire.

Au vu des articles L 1235-2 et R 1232-13 du code du travail, l'employeur est en droit de préciser la motivation de la lettre de licenciement. Ainsi :

'Concernant votre attitude au sein de l'entreprise

Les salariés appelés à vous côtoyer ont clairement indiqué que, au vu de votre attitude, un sentiment d'inquiétude et de crainte était devenu constant votre présence.

'Concernant votre attitude vis-à-vis des clients

Nous ne pouvons que citer certains de leurs propos à votre endroit :

- le 23 janvier 2020 : « j'ai eu la responsable logistique qui m'a précisé qu'elle doit avoir des couronnes quelque part mais où ' ' ' et combien '''' »... « Pour les chauffe-eau elle ne gère pas »' « pour le moment je n'ai aucun délai de livraison, cela met dans une situation très très compliquée »' « je compte sur vous pour redresser la situation».

- Le 3 février 2020 : « aujourd'hui lorsque je lui dis que je suis lassée de l'appeler et d'avoir toujours la même réponse à savoir « je vais regarder et je vous rappelle », elle me hurle dessus en me disant qu'elle est débordée et que si je ne suis pas contente je n'ai qu'à appeler le directeur etc... ».

Compte tenu de votre intempérance, vous comprendrez que nous n'allons pas évoquer à ce stade le nom des clients.

'Concernant l'agression de Monsieur [M] [T]

une plainte a été déposée auprès des services de gendarmerie le 15 février 2020 ».

L'employeur soutient que la salariée a reconnu les faits de dénigrement et les insultes devant les gendarmes, qu'elle « réinvente l'histoire » quand elle prétend avoir entretenu avec M. [T] une relation adultère et que son licenciement procède de sa part d'une sentiment de jalousie ou de vengeance, que c'est de manière délibérée que Mme [Z] ne remplissait plus les tâches qui lui incombaient provoquant le mécontentement des clients et une perte de chiffre d'affaires, qu'elle se montrait outrancière, offensante, insultante, directive, condescendante et excessive avec ses collègues de travail, exerçant sur eux une pression morale qui a influé négativement sur leur état psychologique, que bien qu'elle ait dit aux gendarmes qu'elle avait trouvé un nouvel emploi, elle n'a pas démissionné mais a créé une mise en scène pour faire l'objet d'un licenciement et obtenir de l'argent.

Mme [Z] répond que l'employeur s'est placé sous un double terrain disciplinaire et tiré de l'insuffisance professionnelle ce qui est interdit de jurisprudence constante. Elle conteste le caractère probant des pièces versées aux débats par la société, affirme qu'elle ne peut être tenue pour responsable des retards de livraison qui étaient dus au mauvais fonctionnement de la société, qu'elle produit de nombreuses pièces démontrant les bonnes relations qu'elle avait avec les partenaires extérieurs et que son licenciement n'est motivé que par la déconvenue amoureuse de M. [T] qui n'a pas supporté qu'elle mette fin à leur relation adultérine de 15 ans après avoir trouvé un compagnon célibataire et sérieux.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, la société reproche à la salariée des faits volontaires, qui s'ils sont avérés, sont constitutifs d'une faute grave et non d'une insuffisance professionnelle. Le moyen de ce chef est donc inopérant.

- Sur l'attitude de Mme [Z] à l'égard des clients :

L'employeur épuise son pouvoir disciplinaire en infligeant une sanction : est dépourvu de cause réelle et sérieuse de licenciement prononcé en raison d'une faute qui a déjà donné lieu à un avertissement.

Or, le 5 février 2020, la société a choisi d'adresser à Mme [Z] un avertissement concernant son attitude à l'égard des clients et elle n'explique pas quel nouveau fait, survenu entre le 5 février et la convocation à un entretien préalable quelques jours plus tard, elle incrimine qui ne serait pas contenu dans le grief invoqué au soutien de la précédente sanction.

Il en résulte que l'employeur ne pouvait pour les mêmes faits sanctionner la salariée d'un licenciement pour faute grave. Ce grief doit être écarté.

- S'agissant de l'attitude de la salariée au sein de l'entreprise :

La cour rappelle que la sincérité du témoignage d'un salarié au profit de son employeur peut être discutée compte tenu de son état de subordination et de dépendance économique mais il ne doit pas être considéré, en soi, comme servile ou mensonger, dès lors qu'aucun élément objectif ne permet de l'affirmer et que le salarié n'apporte pas d'élément permettant de considérer que ces témoignages ont été extorqués à leur auteur ou ont été suscités par la peur.

En l'espèce, l'employeur verse aux débats les attestations, conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, de deux salariées de l'entreprise selon lesquelles Mme [Z] entretenait une ambiance invivable, hurlait et les faisait pleurer et que depuis son départ l'ambiance de travail s'est fortement améliorée. Il produit également l'attestation de M. [X] selon laquelle « il y a quelques années » il a effectué une mission d'intérim au sein de la société au cours de laquelle il a subi des réflexions et injures de la part de Mme [Z] et qu'ayant appris qu'elle ne faisait plus partie du personnel, il a postulé et a été embauché par l'entreprise au sein de laquelle « tout se passe très bien ».

La salariée ne communique pas d'élément permettant de remettre en cause le caractère probant de ces attestations.

Ce grief doit donc être retenu.

- Sur l'attitude de la salariée vis-à-vis de l'employeur :

L'employeur fait référence à une plainte qu'il a déposée à la gendarmerie le 15 février 2020 à l'occasion de laquelle il a déclaré que Mme [P] [Z] l'insultait et menaçait de faire crouler la société, plus précisément que le 14 février, alors qu'il cherchait à avoir une explication avec elle à propos de plaintes de clients, elle l'avait insulté de « sans couilles » et d'incompétent. Les suites de cette plainte ne sont pas connues.

La salariée qui a elle-même déposé une main courante à la même gendarmerie pour dénoncer notamment le fait que son employeur, de par son comportement « l'agaçait un peu » et pouvait « être lourd », a relaté que le 14 février elle s'était permise de lui dire, alors qu'ils se trouvaient en présence de plusieurs personnes, qu'il était incompétent mais qu'il n'y avait pas eu d'insultes réciproques.

Elle reconnaît ainsi avoir, à une reprise, adressé un mot insultant à M. [T] en public ce qui constitue une faute.

Les pièces et documents versés aux débats permettent donc de tenir pour établis les griefs énoncés dans le lettre de notification du licenciement à l'exception du comportement de Mme [Z] à l'égard des clients pour lequel la société avait épuisé son pouvoir disciplinaire.

La salariée, au soutien de ses allégations selon lesquelles son licenciement est en réalité motivé par la déconvenue amoureuse de M. [T], verse aux débats des attestations émanant de son nouveau compagnon et de son fils. Les auteurs de ces attestations ont des liens trop étroits avec Mme [P] [Z] pour que leur témoignage puissent être considérés comme probants au regard du fait que les griefs sont établis, étant observé, au surplus, que le premier ne travaillait pas dans l'entreprise et n'a donc pu personnellement constater aucun fait s'y produisant.

Quant à son ex-mari, M. [Z], il se borne à attester qu'ils sont séparés depuis le 15 avril 2003 à la suite d'infidélités avec M. [T].

La gravité des faits ne permettait pas le maintien de la salariée dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis, ce d'autant que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité à l'égard de ses autres collaborateurs affectés psychologiquement par le comportement de Mme [Z].

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a condamné la société au paiement de diverses sommes de ce chef.

3/ Sur les demandes accessoires :

La société devra remettre à la salariée les documents de fin de contrat rectifiés conformément à la présente décision sans qu'il soit besoin d'assortir cette obligation d'une astreinte.

Chacune des parties qui succombe partiellement, supportera la charge de ses dépens et de ses frais de procédure engagés devant la cour.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société TEM plastics à payer à Mme [Z] les sommes de 372,42 euros brut outre 37,24 euros de congés payés à titre de rappel de salaire pour taux horaire ne correspondant pas au taux conventionnel du coefficient 810, a annulé l'avertissement du 5 février 2020, a rejeté la demande de dommages-intérêt de ce chef et a dit que les dépens étaient partagés par moitié,

l'infirme pour le surplus,

statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

déclare irrecevable la demande de Mme [Z] au titre du travail dissimulé,

condamne la société TEM plastics à payer à Mme [Z], au titre des heures supplémentaires, les sommes de 1 270 euros outre 127 euros de congés payés afférents avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau d'orientation et de conciliation du conseil de prud'hommes,

ordonne la remise à Mme [Z] des documents de fin de contrat (bulletin de paie récapitulatif et attestation Pôle emploi) rectifiés,

déboute Mme [Z] de ses autres demandes,

déboute la société TEM plastics de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/04977
Date de la décision : 07/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-07;21.04977 ?
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