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12/12/2022 | FRANCE | N°21/03469

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 2eme protection sociale, 12 décembre 2022, 21/03469


ARRET

N° 1067





S.A.S. [6]





C/



[I]

CPAM LILLE DOUAI













COUR D'APPEL D'AMIENS



2EME PROTECTION SOCIALE





ARRET DU 12 DECEMBRE 2022



*************************************************************



N° RG 21/03469 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IE4S - N° registre 1ère instance : 18/02263



JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (Pôle Social) EN DATE DU 10 juin 2021





PARTIES

EN CAUSE :





APPELANTE





La société. [6] (SAS), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 3] / FRANCE





Représentée et plaidant par Me Christophe S...

ARRET

N° 1067

S.A.S. [6]

C/

[I]

CPAM LILLE DOUAI

COUR D'APPEL D'AMIENS

2EME PROTECTION SOCIALE

ARRET DU 12 DECEMBRE 2022

*************************************************************

N° RG 21/03469 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IE4S - N° registre 1ère instance : 18/02263

JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE (Pôle Social) EN DATE DU 10 juin 2021

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

La société. [6] (SAS), agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Localité 3] / FRANCE

Représentée et plaidant par Me Christophe SORY de la SELARL CORNU-LOMBARD-SORY, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0166

ET :

INTIMES

Monsieur [D] [I]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Coralie FLORES, avocat au barreau de LILLE substituant Me Julie BABELAERE, avocat au barreau de LILLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/012001 du 13/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle d' AMIENS)

La CPAM LILLE DOUAI, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée et plaidant par Mme [H] [U] dûment mandatée

DEBATS :

A l'audience publique du 05 Septembre 2022 devant Mme Véronique CORNILLE, Conseiller, siégeant seul, sans opposition des avocats, en vertu des articles 786 et 945-1 du Code de procédure civile qui a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 12 Décembre 2022.

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme Marie-Estelle CHAPON

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Véronique CORNILLE en a rendu compte à la Cour composée en outre de:

Mme Jocelyne RUBANTEL, Président,

Mme Chantal MANTION, Président,

et Mme Véronique CORNILLE, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

PRONONCE :

Le 12 Décembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2e alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, Mme Jocelyne RUBANTEL, Président a signé la minute avec Mme Marie-Estelle CHAPON, Greffier.

*

* *

DECISION

M. [D] [I], salarié de la société [6] en qualité de mécanicien tourneur depuis juin 2016 a, le 17 octobre 2016, été victime d'un accident du travail qui a fait l'objet d'une prise en charge au titre de législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie de Lille Douai (ci-après la CPAM) le 31 octobre 2016.

La consolidation de l'état de santé de M. [D] [I] a été fixée au 18 janvier 2018 avec un taux d'incapacité permanente de 7% pour des 'séquelles d'un traumatisme de la main droite chez un assuré droitier travailleur manuel : écrasement de la dernière phalange de l'index ayant abouti en une amputation partielle du doigt (phalange unguéale). S'y associent des troubles cutanés à type d'hyperesthésie'.

Saisi par M. [D] [I] d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, le tribunal judiciaire de Lille, pôle social, a, par jugement du 10 juin 2021 :

- dit que l'accident du travail de M. [I] en date du 18 octobre 2016 est imputable à la faute inexcusable de la société [6],

- fixé au maximum la majoration du capital versé à M. [I],

- dit que l'avance en sera faite par la CPAM, la société [6] devant ensuite rembourser à la CPAM la majoration du capital,

- ordonné avant dire droit sur les demandes d'indemnisation des préjudices de M. [I], une expertise médicale judiciaire,

- commis pour y procéder le docteur [T] [J] (...) avec mission de convoquer les parties et d'évaluer le (les) :

- déficit fonctionnel temporaire :

indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles, préciser la durée des périodes d'incapacité totale ou partielle et le taux ou la classe (de 1à 4) de celle-ci,

- préjudice de tierce personne :

dire si avant consolidation il y a eu nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne et si oui s'il s'est agi d'une assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) ou si ,elle a été nécessaire pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne en indiquant la nature et la durée quotidienne,

- souffrances endurées :

décrire les souffrances physiques, psychiques et/ou morales découlant des blessures subies avant consolidation et les évaluer dans une échelle de 1 à 7 ; en cas de souffrances morales spécifiques, l'expert pourra procéder à une évaluation séparée des souffrances morales et physiques ;

préciser la quantification du poste à la date de consolidation (la quantification première étant constituée d'une moyenne sur l'intégralité de la période ante consolidation),

- préjudice esthétique :

donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant éventuellement 1e préjudice temporaire et le préjudice définitif. Évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7 1es préjudices temporaires et définitifs,

- préjudice d'agrément :

donner tous éléments médicaux permettant d'apprécier la réalité et l'étendue du préjudice d'agrément résultant de l impossibilité pour la victime, du fait des séquelles, de pratiquer régulièrement une ou plusieurs activités spécifiques sportives ou de loisirs, antérieures à la maladie ou à l'accident,

- faire toutes observations utiles,

- établir un récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission,

- dit que dans le cadre de sa mission, l'expert désigné pourra s'entourer, à sa demande, d'un à cinq sapiteurs de son choix,

- dit que l'expert devra donner connaissance de ses premières conclusions aux parties et répondre à toutes observations écrites de leur part dans le délai qui leur aura été imparti avant d'établir son rapport définitif,

- dit que le suivi de la mesure d'instruction et les décisions sur les éventuels incidents seront assurés par le magistrat ayant ordonné la mesure,

- dit que l'expert devra adresser son rapport en quatre exemplaires au greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Lille,

- dit que le rapport d'expertise dès réception sera adressé aux parties par le greffe du pôle social du tribunal judiciaire de Lille par lettre simple,

- dit que les frais d'expertise seront avancés par la caisse primaire d'assurance maladie qui pourra en récupérer le montant auprès de la société [6] au titre des dépens,

- sursoit à statuer sur la liquidation des préjudices dans l'attente de l'expertise,

- condamne la société [6] aux entiers dépens de l'instance,

- déboute M. [I] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société [6] a, le 28 juin 2021, interjeté appel de cette décision.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 5 septembre 2022.

Par conclusions réceptionnées par le greffe le 24 septembre 2021 soutenues oralement, la société [6] demande à la cour de :

Réformant le jugement entrepris,

- constater qu'elle a mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés,

- constater que la preuve contraire n'est pas rapportée par M. [I],

Vu les circonstances de l'accident,

- dire que l'employeur ne pouvait avoir conscience du danger,

- constater que M. [I] ne rapporte pas le preuve de l'existence d'un lien entre la faute et le dommage, de la conscience du danger par l'employeur et d el'absence de mesures de prévention prises par l'employeur,

Sur l'affichage :

- constater que le moyen est soulevé d'office par le tribunal tandis que M. [I] n'a apporté aucune contestation aux prétentions de l'employeur,

- constater s'il y a lieu que la preuve de la carence de l'employeur n'est pas rapportée,

- constater s'il y a lieu que le lien de causalité entre l'absence alléguée et l'accident n'est pas rapportée,

Sur les gants :

- constater que la fonction des gants n'était pas de protéger l'opérateur du contact des doigts avec la fraiseuse,

Par conséquent,

- dire que les gants, quelle que soit leur taille, ne peuvent représenter un élément constitutif du manquement de l'employeur,

Au surplus :

- constater qu'il n'est pas démontré que le choix de M. [I] de porter des gants trop grands procède d'un manquement de l'employeur,

- dire qu'en l'état des constatations, la faute en revient exclusivement à M. [I],

- constater au surplus que l'état dépressif dont se prévaut M. [I] est contredit par le propre rapport du praticien conseil qu'il produit,

En conséquence,

- dire et juger la faute inexcusable de l'employeur non établie,

- débouter M. [I] de ses demandes, fins et prétentions,

- le condamner à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour entend entrer en voie de condamnation :

- prononcer le sursis à statuer dans l'attente du résultat de l'expertise diligentée en première instance nonobstant tout moyen de recours.

La société [6] fait valoir en premier lieu que la fraiseuse était conforme aux normes de sécurité et pourvue d'un carter de protection et de deux pictogrammes collés à hauteur de vue face à l'opérateur sur le carter comportant dans un triangle jaune la figure d'une main broyée dans un engrenage avec inscrite au dessous la mention 'Ne pas mettre la main dans la machine pendant qu'elle est en marche'. Elle explique que pour que la machine puisse tourner, le système de sécurité nécessite que le carter soit abaissé et qu'il ne peut être relevé sans arrêter la machine ; que la difficulté vient du fait que le carter ne peut descendre plus bas que l'épaisseur de la pièce en usinage sur laquelle il repose ; que ce dispositif est inhérent au fonctionnement de la machine ; que M. [I] qui dispose d'une expérience de 40 ans au poste d'usineur s'est livré à une manoeuvre contraire à toutes les règles de sécurité en passant le doigt sur la pièce en cours d'usinage après avoir glissé la main sous le carter de sécurité sans le relever pour stopper la machine. La société [6] soutient qu'elle ne pouvait prévoir cette manoeuvre interdite contraire à toutes les règles de sécurité au-delà des mesures en vigueur ; que l'accident procède de la faute exclusive de M. [I] qui a du se pencher sous le niveau du carter, passer le bras le long du guide et aller palper la tranche de la pièce en cours de fraisage avec la main.

La société [6] reproche au tribunal d'avoir retenu qu'elle ne rapportait pas la preuve que le pictogramme figurant en photographie en page 10 de ses conclusions était en place lors de l'accident et que l'arbre des causes établi au sein de la société visant dans les actions correctrices 'affichage du risque' faisait présumer qu'il n'existait pas.

Elle observe que M. [I] n'a jamais évoqué un défaut d'affichage ; que la machine a été achetée avec les pictogrammes collés sur le carter et aucun manquement sur ce point n'a été signalé lors des audits pour la certification MASE (certifie la système de management sécurité santé environnement de la société) ; que le tribunal met à sa charge une preuve impossible à rapporter.

En second lieu, elle reproche au tribunal d'avoir considéré que M. [I] ne disposait pas de gant à sa taille ce qui a participé à l'accident, après avoir constaté que M. [I] n'avait aucune raison de prendre un gant inadapté à sa taille si un autre gant à sa taille se trouvait à sa disposition. Elle invoque un renversement de la charge de la preuve.

Elle développe qu'elle avait mis à disposition des gants à la bonne taille ainsi qu'en justifient les factures et l'attestation de M. [E] ; que M. [I] n'a au surplus pas demandé des gants à sa taille s'il ne les voyait pas, ni signalé une quelconque carence, ni exercé son droit de retrait s'il estimait que son équipement n'était pas conforme. Elle ajoute que la question de la taille du gant est sans lien de causalité avec l'accident, le gant n'ayant pas pour fonction de protéger les doigts de l'opérateur contre l'entaille d'une fraise en mouvement mais de protéger l'opérateur contre les coupures, échardes ou écrasements pouvant être occasionnés par la manipulation de pièces.

Par conclusions réceptionnées le 24 août 2022, M. [I] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en tous ses points,

- constater que le docteur [T] commis pour procéder à l'expertise a rendu son rapport le 21 septembre 2021,

- à titre subsidiaire et pour le cas où la cour n'ordonnerait pas d'expertise, fixer les préjudices comme suit :

- souffrances physiques endurées : 10 000 euros

- souffrances morales endurées : 10 000 euros

- préjudice d'agrément : 15 000 euros

- préjudice lié au déficit fonctionnel temporaire : 15 000 euros,

- condamner la société [6] à lui payer la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient que le carter de protection était insuffisant puisque l'ouvrier qui travaille sur une pièce peut y accéder sans le soulever ; que les gants qu'il portait était trop grands ; qu'il a demandé le jour des faits à M. [E] des gants à sa taille et ce dernier lui a répondu qu'il n'y en avait plus ; que le gant trop lâche a été happé par la machine ; que la société ne prouve pas l'affichage du risque lors de l'accident mentionné au titre des actions correctives dans l'arbre des causes. Il ajoute qu'il a été déconcentré et interrompu à trois reprises alors qu'il effectuait une opération dangereuse.

Par conclusions réceptionnées le 22 août 2022, la CPAM prie la cour de :

- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande de faute inexcusable,

- dans tous les cas, condamner l'employeur, la société [6], à lui rembourser la majoration du capital,

- confirmer le jugement en ce qu'il décide qu'elle pourra récuperer le montant des frais d'expertise qu'elle aura avancés auprès de la société [6],

- en tout état de cause, lui accorder le bénéfice de son action récursoire à l'encontre de l'employeur pour toutes les sommes dont elle aura fait l'avance.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé plus ample des moyens.

MOTIFS

Sur la faute inexcusable

Aux termes de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur, ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants-droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les

mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident. Il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concourru à la survenance du dommage.

La charge de la preuve de la faute inexcusable incombe au salarié.

En l'espèce, il ressort du rapport du responsable d'atelier que le 17 octobre 2016, M. [I] travaillait sur une fraiseuse aux fins de réduction de l'épaisseur d'une plaque d'ertalon (matière plastique renforcée) ; qu'alors que la fraise venait de passer sur la pièce, il a, souhaitant vérifier la planéité de la pièce, passé son doigt sur le surfaçage ; que son gant s'est pris dans la fraise entraînant le doigt qui a été sectionné au niveau d'une phalange. La déclaration d'accident du travail fait état d'une coupure du bout de l'index droit.

S'agissant de la conscience du danger, la cour relève comme les premiers juges, que l'utilisation d'une fraiseuse est nécessairement dangereuse et comporte des risques que la société [6] ne pouvait ignorer, ce qu'elle ne conteste pas. Ce type de machine est d'autant plus dangereuse lorsque comme en l'espèce, le carter de protection, même en position la plus basse, n'empêche pas de passer la main en dessous rendant ainsi possible un happement par les pièces mobiles.

S'agissant des mesures de prévention et de protection du risque, M. [I] fait état d'un carter de protection insuffisant, d'une protection individuelle inadaptée (gant trop grand ), d'une mauvaise organisation du travail puisqu'il a été interrompu 3 fois alors qu'il effectuait une opération dangereuse, et du fait que la société [6] ne prouve pas que le pictogramme 'interdiction de mettre la main dans la machine en marche' était affiché lors de l'accident.

A l'appui de ses allégations, il produit l'arbre des causes de l'accident établi au sein de la société qui vise dans les actions correctrices : 'augmentation de la hauteur de protection de la fraiseuse','affichage du risque', 'ordres de travaux planifiés par la hiérarchie'.

Il est constant que le carter de protection ne peut pas isoler totalement la fraiseuse en ce qu'il ne peut descendre plus bas que l'épaisseur de la pièce en usinage sur laquelle il repose. Demeure alors la nécessité de prévenir le danger de passer sa main sous le carter de protection dans la machine en marche.

C'est sans renverser la charge de la preuve que le tribunal a retenu que l'affichage du risque au moment de l'accident n'était pas démontré par la société [6]. M. [I] produit l'arbre des causes mentionnant cet affichage comme action correctrice tandis que la société n'établit pas que la machine était livrée avec les pictogrammes allégués, la photographie figurant en page 10 de ses conclusions d'une machine comportant un pictogramme collé sur le carter de protection sous la forme d'un triangle jaune représentant la figure d'une main broyée dans un engrenage avec inscrite au dessous la mention 'Ne pas mettre la main dans la machine pendant qu'elle est en marche' ne permettant pas de le démontrer.

Il est par ailleurs établi que M. [I] portait des gants de taille 11 soit d'une taille supérieure à la sienne et qu'il venait de changer de gant lorsque l'accident s'est produit.

La société [6] qui soutient que des gants de la bonne taille étaient à la disposition de M. [I] verse au dossier les attestations de M. [E], responsable atelier, dont il résulte que 'des gants de différentes tailles et adaptés au poste de travail sont à disposition du personnel ; ces derniers choisissent la taille qui leur convient.' et que des gants de taille 10 étaient disponibles le jour de l'accident'. La société produit des factures de gants de protection contre les risques mécaniques en plusieurs tailles dont celle de M. [I] (taille 10) en date des 31 mars 2015 et 31 août 2015, et il n'est pas contesté que la prohibition des vêtements larges figurait dans les consignes du poste.

Au vu des éléments du dossier, c'est à tort que le tribunal a considéré que M. [I] ne disposait pas de gants à sa taille. M. [I], qui ne prétend pas avoir signalé l'absence de gants dans sa taille au responsable d'atelier, a pu changer de gant lors de l'opération d'usinage sans s'assurer qu'il prenait des gants de la bonne taille.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu la faute inexcusable de la société [6] pour le premier motif tenant à l'absence d'affichage du danger de passer sa main sous le carter de protection.

Il sera ajouté que la faute de la victime, à la supposer établie, n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable. Seule une faute inexcusable de la victime, au sens de l'article L.453-1, soit une faute volontaire d'une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience, peut permettre de réduire la majoration de sa rente.

Or, le fait que M. [I] soit expérimenté ne permet pas de qualifier son action comme une faute volontaire.

Sur les conséquences de la faute inexcusable

M. [I], né en 1962, s'est vu attribuer un taux d'IPP de 7%.

La faute inexcusable de l'employeur ayant été confirmée, le jugement déféré le sera également en ce qu'il a ordonné la majoration maximale du capital en application de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale.

Le jugement a ordonné une expertise avant dire droit sur les demandes d'indemnisation des préjudices.

L'article 568 du code de procédure civile limite la faculté d'évocation, lorsque le jugement frappé d'appel a ordonné une mesure d'instruction, à la seule hypothèse de l'infirmation ou annulation de ce jugement.

Il en résulte que la cour qui confirme le jugement reconnaissant la faute inexcusable de l'employeur ne peut, s'agissant de la liquidation du préjudice, faire usage de son pouvoir d'évocation.

Il s'ensuit que les parties seront renvoyées devant les premiers juges pour qu'il soit statué sur l'indemnisation des préjudices.

Sur l'action récursoire de la CPAM

Il convient de faire droit à la demande de la CPAM, s'agissant de son action récursoire, en application des dispositions des articles L. 452-3 et L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société [6], partie succombante, sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, M. [I] étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, il convient de rejeter sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile, à défaut de demande au bénéfice de l'avocat sur le fondement de l'article 37 de la loi de 1991.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement du 10 juin 2021 du tribunal judiciaire de Lille, pôle social,

Y ajoutant,

Dit que la CPAM de Lille-Douai pourra recouvrer à l'encontre de la Société [6], le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à M. [I] dont elle aura fait l'avance,

Dit n'y avoir lieu à évocation des demandes relatives à l'indemnisation des préjudices de M. [I] et renvoie la cause et les parties devant les premiers juges pour qu'il soit statué sur les points non jugés,

Rejette les demandes des parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société [6] aux dépens d'appel,

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 2eme protection sociale
Numéro d'arrêt : 21/03469
Date de la décision : 12/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-12;21.03469 ?
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