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15/03/2023 | FRANCE | N°21/05689

France | France, Cour d'appel d'Amiens, 5eme chambre prud'homale, 15 mars 2023, 21/05689


ARRET







[H] [N]





C/



S.A.S. ES TRANSPORTS



























































copie exécutoire

le 15/03/2023

à

Me GILLES

Me SHEMBO

LDS/IL/SF



COUR D'APPEL D'AMIENS



5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE



ARRET DU 15 MARS 2023



********************

*****************************************

N° RG 21/05689 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IJHU



JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 15 NOVEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F 21/00069)



PARTIES EN CAUSE :



APPELANT



Monsieur [J] [H] [N]

né le 25 Novembre 1982 à Maroc

de nationalité Espagnole

[Adresse 2]

[Localité 3]
...

ARRET

[H] [N]

C/

S.A.S. ES TRANSPORTS

copie exécutoire

le 15/03/2023

à

Me GILLES

Me SHEMBO

LDS/IL/SF

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 15 MARS 2023

*************************************************************

N° RG 21/05689 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IJHU

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 15 NOVEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F 21/00069)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [J] [H] [N]

né le 25 Novembre 1982 à Maroc

de nationalité Espagnole

[Adresse 2]

[Localité 3]

concluant par Me Jean-marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS

ET :

INTIMEE

S.A.S. ES TRANSPORTS

[Adresse 1]

[Localité 3]/FRANCE

concluant par Me Tania SHEMBO, avocat au barreau de SENLIS

Me Guillaume MESTRE, avocat au barreau de SENLIS, avocat postulant

DEBATS :

A l'audience publique du 18 janvier 2023, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.

Madame Laurence de SURIREY indique que l'arrêt sera prononcé le 15 mars 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Laurence de SURIREY en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 15 mars 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [H] [N] a été embauché par la société ES transports (la société ou l'employeur), en qualité de chauffeur routier, par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet signé le 21 septembre 2020.

La société applique la convention collective des transports routiers 3085.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 mars 2021, M. [H] [N] a été mis à pied à titre conservatoire et le 24 mars, convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, fixé au 5 avril 2021. Il ne s'est pas présenté à l'entretien.

Par lettre recommandée du 22 avril 2021, il a été licencié pour faute grave.

Ne s'estimant pas rempli de ses droits au titre de l'exécution du contrat de travail et contestant la légitimité de son licenciement, il a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne le 29 avril 2021.

Par jugement du 15 novembre 2021, le conseil a :

- dit n'y avoir lieu à condamner la société pour travail dissimulé,

- condamné la société à payer la somme de 159,82 euros au titre du rappel de salaire pour les heures supplémentaires ainsi que 15,98 euros au titre des congés payés y afférents,

- dit que la mise à pied en date du 18 mars 2021 avait la nature d'une sanction,

- dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse,

- dit qu'il y avait absence de harcèlement moral,

- condamné la société à payer à M. [H] [N] la somme de 1 894,11 euros au titre du salaire retenu pour la mise à pied conservatoire,

- fixé le salaire de M. [H] [N] à la somme de 1 600 euros,

- condamné la société à payer au salarié la somme de 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire,

- débouté la société de toutes ses demandes.

M. [H] [N], qui est régulièrement appelant de ce jugement, par conclusions récapitulatives déposées le 11 juillet 2022, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le salaire de référence à la somme de 1 600 euros, dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse (si par extraordinaire la cour devait considérer que ce licenciement n'encourt pas la nullité) et dit que la mise à pied du 8 mars 2021 avait la nature d'une sanction,

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à condamner la société pour travail dissimulé, a condamné la société à payer la somme de 159,82 euros au titre du rappel de salaire pour les heures supplémentaires ainsi que 15,98 euros au titre des congés payés y afférents (contestation du quantum), a dit qu'il y avait absence de harcèlement moral, l'a débouté de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de rappel de salaire pour les mois de janvier février et mars 2021 et de sa demande d'établissement des bulletins de salaire conformes sous astreinte,

et statuant à nouveau :

- condamner la société ES transports pour travail dissimulé à la somme de 9 600 euros correspondant à six mois de salaire,

- condamner la société à lui verser la somme de 1 777,72 euros net à titre de rappel de salaire pour les mois de janvier, février et mars 2021,

- condamner la société à lui payer les heures supplémentaires à hauteur de 3 411,25 euros ainsi que les congés payés afférents à hauteur de 341,12 euros,

- juger qu'il a été victime de harcèlement moral au sein de la société et condamner celle-ci à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts de ce chef,

sur le licenciement :

- à titre principal juger que le licenciement prononcé dans un contexte de harcèlement moral est nul et de nul effet et condamner en conséquence la société à lui payer la somme de 1 600 euros à titre de dommages et intérêts de ce chef,

- à titre subsidiaire, juger que la mise à pied infligée le 18 mars 2021 a la nature d'une sanction rendant sans cause réelle et sérieuse tout autre sanction ultérieurement fondée sur les mêmes faits et en conséquence condamner la société à lui payer la somme de 1 600 euros à titre de dommages intérêts,

- ordonner l'établissement par l'employeur des bulletins de salaire afin de faire apparaître le coefficient, l'échelon et l'indice auquel il a droit de par la convention collective, sous astreinte de 150 euros à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- juger que les condamnations prononcées à son profit porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- débouter la société de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner à lui payer la somme de 1 800 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Par conclusions remises le 4 janvier 2023, la société ES transports demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il n'y avait pas lieu de la condamner pour travail dissimulé, l'a condamnée à payer la somme de 159,82 euros au titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires ainsi que celle de 15,98 euros au titre des congés payés y afférents, dit qu'il n'y avait pas de harcèlement moral et l'a condamnée à payer à M. [H] [N] la somme de 1 894,11 euros au titre du salaire retenu pour la mise à pied conservatoire notifiée le 18 mars 2021,

en conséquence,

- débouter M. [H] [N] du surplus de ses demandes,

- infirmer le jugement en ce que :

- il a fixé le salaire de référence à la somme de 1 600 euros et en conséquence le fixer à la somme de 1 143 euros,

- il a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse,

- il a dit que la mise à pied avait la nature d'une sanction,

en tout état de cause,

- condamner le salarié à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

EXPOSE DES MOTIFS :

1/ Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail :

1-1/ Sur le paiement des salaires de janvier, février et mars 2021 :

Le salarié fait valoir que n'ayant jamais sollicité une avance en novembre 2020, la société ne pouvait s'abstenir de payer ses salaires au prétexte du remboursement d'une telle avance qui constituait en réalité le paiement du travail réalisé, déclaré et non-déclaré.

L'employeur affirme que les retenues effectuées en janvier, février et mars sont justifiées car M. [H] [N] a perçu, en plus de son salaire, la somme totale de 2 456,95 euros soit 1 713,41 euros à titre d'avance sur salaire versée le 7 novembre 2020 avec son salaire du mois d'octobre et 743,54 euros correspondant à une erreur comptable de sa part concernant le salaire du mois de décembre 2020 payé en janvier 2021.

Par application combinée des articles 1353 du code civil et L.1221-1 du code du travail, la charge de la preuve du paiement du salaire repose sur l'employeur lorsqu'il est attrait en justice par son salarié sur une demande de paiement de rémunération.

En l'espèce, au vu des bulletins de paie, M. [H] [N] aurait dû percevoir les salaires suivants :

713,41 euros pour le mois de septembre 2020,

2 421,96 euros pour le mois d'octobre 2020,

2 418,57 euros pour le mois de novembre 2020,

1 675,03 euros pour le mois de décembre 2020,

591,91 euros pour le mois de janvier 2021,

776,63 euros pour le mois de février 2021,

409 euros pour le mois de mars 2021.

Il est établi par la production d'un avis d'opération de virement que M. [H] [N] a perçu en novembre 2020 la somme de 4 135,37 euros avec pour motif « salaire + acompte pour septembre salaire d'octobre ».

Selon ses bulletins de paie, il aurait dû percevoir 3 135,37 euros sur la période. Il existe donc un delta de 1 000 euros. Aucune mention d'un acompte ne figure sur les fiches de paie ce qui accrédite les allégations du salarié selon lesquelles la différence constitue le paiement de son salaire pour la partie du mois de septembre non déclarée.

Le 13 janvier 2021, la société a viré sur le compte du salarié la somme de 2 481,57 euros ce qui représente un trop perçu de 743,54 euros pour le salaire de décembre, qu'elle a déduit du salaire de janvier, la mention figurant au bulletin de paye.

La société, qui ne peut se prévaloir d'un acompte, est donc tenue au paiement des salaires de janvier à mars 2021 pour un total de 1 776,63 euros.

Il sera donc fait droit à la demande de ce chef, par infirmation du jugement.

1-2/ Sur la demande au titre du travail dissimulé :

M. [H] [N] déclare qu'ayant commencé à travailler le 2 septembre 2020 alors que son embauche n'a été régularisée que le 21 septembre 2020, la société s'est rendue coupable de travail dissimulé. Il conteste avoir concouru à ce travail clandestin dans les conditions alléguées par l'employeur, et affirme que cela ne permettrait pas à ce dernier de s'exonérer du fait de l'avoir employé sans le déclarer ni avoir établi de bulletins de salaire.

La société répond que le salarié a organisé la dissimulation pendant 16 jours de sa relation de travail avec elle afin de ne pas effectuer son préavis auprès de son ancien employeur, en se plaçant en arrêt de travail dès le jour de sa démission, percevant des prestations sociales en plus du versement de son salaire en espèces. Qu'ayant sciemment été complice de cette situation de travail clandestin, il ne peut obtenir aucun dédommagement par application de la règle selon laquelle nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

L'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

Aux termes de l'article L .8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Le salarié qui, dans son intérêt et dans une intention de fraude, a concouru à l'infraction de travail dissimulé ne peut se prévaloir de celle-ci pour obtenir l'indemnité prévue à l'article L. 8223-1.

En l'espèce, il n'est pas contesté que M. [H] [N] a commencé à travailler avant la signature du contrat de travail et qu'aucun bulletin de paie n'a été établi pour la période concernée. Les pièces produites aux débats (lettre de démission et avis d'arrêt de travail) montrent que pendant la période considérée, il était en cours d'exécution du préavis après avoir démissionné de son précédent emploi et en arrêt de travail pour maladie ce qui confirme les allégations de l'employeur.

Enfin, M. [H] [N] ne conteste pas avoir cumulé à cette occasion son salaire et des indemnités journalières de sécurité sociale.

Ayant activement participé à la fraude, il ne peut en tirer profit de sorte que sa demande de ce chef sera rejetée par confirmation du jugement.

1-3/ Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, le salarié affirme qu'il a fait bien plus d'heures supplémentaires que celles qui lui ont été réglées et que celles qui sont admises par l'employeur dans le cadre de la présente procédure.

Il ne verse pas aux débats de relevé d'heures, se bornant à invoquer sans plus de détail l'exécution de 110 heures supplémentaires à 25% et 120 heures supplémentaires à 50%.

Ces éléments ne sont pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre en y apportant les siens.

Toutefois, conformément à la demande de la société, le jugement sera confirmé de ce chef.

1-4/ Sur la demande au titre du harcèlement moral :

Le salarié fait valoir que le non-paiement du salaire ainsi que des heures supplémentaires et la succession sur une courte période de sanctions infondées, peu important qu'il n'en ait pas demandé l'annulation, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il verse aux débats :

- deux avertissements dont il a fait l'objet les 8 février et 9 mars 2021 pour non-respect du temps de repos,

- une lettre de mise à pied du 18 mars 2021,

- sa convocation à l'entretien préalable du 24 mars 2021,

- trois SMS des 13, 14 et 18 février 2021 aux termes desquels il réclame le paiement de son salaire.

Il a déjà été dit que l'existence d'heures supplémentaires au-delà de la somme minime reconnue par l'employeur qui sollicite la confirmation de ce chef, n'était pas établie.

Les éléments ainsi présentés (sanctions rapprochées et défaut répété de paiement du salaire), pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

L'employeur répond que M. [H] [N] a été rempli de ses droits s'agissant du paiement du salaire et que les avertissements étaient parfaitement justifiés compte tenu de l'obligation de sécurité à laquelle il est astreint et de la persistance du comportement fautif.

Les avertissements ont été prononcés pour non respect des temps de conduite et de repos. Il importe peu que le salarié n'en ai pas demandé l'annulation.

La mise à pied, qualifiée de conservatoire, est motivée par :

- les deux avertissements précités,

- le 10 mars 2021 : refus du salarié de vider son camion et le fait qu'il ait claqué trois fois la remorque en disant à l'employeur qu'en cas de dégâts, l'assurance paierait,

- le 12 mars 2021 : le fait que le salarié ait emprunté l'autoroute malgré le refus de l'employeur.

Lorsque l'employeur ne notifie pas au salarié une mise à pied concomitamment à l'engagement de la procédure du licenciement sans justifier d'aucun motif à ce délai, la mise à pied présente un caractère disciplinaire, nonobstant sa qualification de mise à pied conservatoire, et l'employeur ne peut sanctionner une nouvelle fois le salarié pour les mêmes faits en prononçant ultérieurement son licenciement.

En l'espèce, la procédure ayant été engagée postérieurement au prononcé de la mise à pied qualifiée de conservatoire, celle-ci revêt en réalité un caractère disciplinaire.

La société a joint un tableau pour justifier les infractions au temps de repos et de conduite s'agissant du premier avertissement mais n'apporte pas d'élément établissant le bien fondé des autres sanctions qui ont été prononcées en l'espace de quelques semaines après plusieurs mois sans difficulté. De plus, telle qu'est rédigée la lettre de mise à pied, l'employeur sanctionne deux fois M. [H] [N] pour les mêmes griefs.

Le défaut répété de paiement du salaire est avéré.

Ainsi, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que la présomption de harcèlement n'est pas utilement renversée par l'employeur qui ne verse aux débats aucun élément propre à établir que les faits et agissements qui lui sont imputés sont étrangers à toute forme de harcèlement et procèdent d'un exercice normal de ses prérogatives.

Le harcèlement moral est donc établi.

La somme de 800 euros est de nature à assurer la réparation intégrale du préjudice causé par le harcèlement moral subi par le salarié.

2/ Sur la rupture du contrat de travail :

2-1/ Sur la nullité du licenciement :

Aux termes de l'article L 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L 1152-3 dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

M. [H] [N] se borne à soutenir qu'ayant été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, son licenciement est entaché de nullité sans caractériser, ni même invoquer de lien de causalité entre les deux.

S'il a été précédemment jugé que le salarié a été victime de harcèlement moral, il ne ressort pas des éléments produits que son licenciement soit en lien avec cette situation de harcèlement.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté cette demande.

2-2/ Sur la cause réelle et sérieuse de licenciement :

M. [H] [N] fait valoir que la mise à pied étant intervenue en dehors de toute procédure de licenciement, constitue en elle-même une sanction disciplinaire ce qui prive de cause réelle et sérieuse le licenciement.

La société s'en rapporte à la décision de la cour sur ce point.

Ainsi qu'il a été dit précédemment, la procédure de licenciement ayant été engagée postérieurement au prononcé de la mise à pied, celle-ci revêt en un caractère disciplinaire nonobstant sa qualification de conservatoire ce qui interdisait le prononcé ultérieur du licenciement du salarié.

Il y a donc lieu de dire, par confirmation du jugement, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le licenciement étant injustifié, le salarié peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture mais également à des dommages et intérêts à raison de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.

L'entreprise occupant habituellement moins de onze salariés, M. [H] [N] peut prétendre à une indemnisation de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, d'un montant compris entre zéro et un mois de salaire. Contrairement à ce qu'a dit le conseil de prud'hommes, cet article n'exclue pas toute indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse dans cette hypothèse.

M. [H] [N] soutient à tort que le barème d'indemnisation institué par l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 n'est pas conforme aux textes internationaux et notamment aux dispositions de la convention N°158 de l'OIT et à l'article 24 de la Charte sociale européenne de sorte qu'il ne lui pas opposable.

En effet, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut, dès lors, pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Par ailleurs, d'une part, les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

D'autre part, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

Il y a donc lieu de rejeter ce moyen et d'appliquer le barème institué par l'article L.1235-3.

A défaut de justification, ni même d'invocation d'un préjudice distinct de la seule perte injustifiée de son emploi, retenant, au vu des bulletins de paie, un salaire de base de 1 600 euros, il y a lieu de limiter l'indemnisation de M. [H] [N] à 1 000 euros, le jugement étant infirmé de ce chef.

3/ Sur la mention du coefficient sur les bulletins de paie :

M. [H] [N] fait valoir que, conduisant des camions de 40 tonnes, il peut prétendre à la classification groupe 7 coefficient 150 M en application de la nomenclature et définition des emplois de l'accord du 16 juin 1961 relatif aux ouvriers et que le défaut de mention de sa classification sur ses bulletins de paie lui fait naturellement grief.

La société répond, à juste titre, qu'il ne justifie pas du nombre de points nécessaires (au moins égal à 55) pour prétendre à cette classification, ni du grief allégué.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement qui a rejeté cette demande.

4/ Sur les demandes accessoires :

La société, qui succombe partiellement en appel, sera condamnée aux dépens.

Il serait inéquitable de laisser à M. [H] [N] la charge des frais engagés devant la cour. Il sera fait droit à sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'il sera dit au dispositif.

La société sera déboutée de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a dit que M. [H] [N] n'avait pas été victime de harcèlement moral et a rejeté sa demande de rappel de salaire et ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que M. [H] [N] a été victime de harcèlement moral,

Condamne la société ES Transports à payer à M. [H] [N] les sommes de :

- 1 776,63 euros à titre de rappel de salaire,

- 800 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que les condamnations de nature salariale portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les condamnations de nature indemnitaire à compter de la décision les prononçant,

Condamne la société ES Transports aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Amiens
Formation : 5eme chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/05689
Date de la décision : 15/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-15;21.05689 ?
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