ARRET
N°
S.A.S. SAINT GOBAIN GLASS FRANCE
C/
[I]
copie exécutoire
le 15/03/2023
à
Me ABORDJEL
M. [P]
LDS/IL/BG
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 15 MARS 2023
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N° RG 22/02329 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IOD4
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 15 AVRIL 2022 (référence dossier N° RG F 21/00067)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.S. SAINT GOBAIN GLASS FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant
représentée, concluant et plaidant par Me Sylvie ABORDJEL de la SELAS CABINET ABORDJEL & PELANDA, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Julie MARTIN, avocat au barreau de PARIS
ET :
INTIME
Monsieur [W] [I]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté et concluant par M. Serge LIEGAUX, délégué syndical, dûment mandaté
DEBATS :
A l'audience publique du 18 janvier 2023, devant Madame Laurence de SURIREY, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus l'avocat en ses conclusions et plaidoirie et l'intimé en ses conclusions et observations.
Madame [T] [L] indique que l'arrêt sera prononcé le 15 mars 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame [T] [L] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 15 mars 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.
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DECISION :
M. [I] a été embauché par la société Saint-Gobain vitrage France, aux droits de laquelle vient la société Saint-Gobain Glass France (la société ou l'employeur), le 1er octobre 1999. Au dernier état de la relation contractuelle il occupait le poste d'électromécanicien au coefficient 225, en qualité d'agent posté en régime 5x8.
La société applique la convention collective nationale des industries de la fabrication du verre.
Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes le 22 avril 2021 afin d'obtenir l'attribution de jours de récupération par application de l'article 5 de l'accord de l'aménagement et la réduction du temps de travail signé le 28 avril 2000.
Par jugement du 15 avril 2022, le conseil a :
- dit les demandes de M. [I] recevables et fondées,
- condamné la société à octroyer à ce dernier 37,6 jours de repos au titre de l'article 5 de l'accord d'aménagement et la réduction de travail du 28 avril 2000,
- condamné la société au paiement de la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné à la société d'appliquer l'article 5 sur l'accord de l'aménagement et la réduction du temps de travail signé le 28 avril 2000 à partir de la notification du jugement,
- condamné la société aux dépens y compris les frais d'exécution éventuelle,
- débouté la société de ses demandes reconventionnelles,
- condamné cette dernière aux dépens.
La société, qui est régulièrement appelante de ce jugement, par conclusions remises le 30 décembre 2022, demande à la cour de :
- A titre principal, infirmer le jugement en ce qu'il a jugé les demandes de M. [I] recevables et fondées, en conséquence déclarer irrecevable la demande de ce dernier relative à l'application de l'article 5 de l'accord relatif à l'aménagement et la réduction du temps de travail du 28 avril 2000, comme prescrite,
- À titre subsidiaire, sur le fond, infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à octroyer au salarié 37,6 jours de repos au titre de l'article 5 de l'accord du 28 avril 2000, l'a condamnée à lui payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, lui a ordonné d'appliquer l'article précité à partir de la notification du jugement et l'a condamnée aux dépens,
En conséquence, déclarer le salarié mal fondé en ses demandes,
- A titre subsidiaire au fond, dans le cas où la cour considérerait que l'intégralité des pauses du salarié devaient outre la rémunération donner lieu à compensation, limiter la condamnation à l'octroi de 31,94 jours de récupération,
- En toute hypothèse, condamner le salarié à lui payer la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et 3000 euros, sur le même fondement au titre des frais d'appel ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Me Jérôme Le Roy avocat au barreau d'Amiens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [I], par conclusions remises le 25 juillet 2022, demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner la société aux entiers dépens de première instance et d'appel y compris les frais d'exécution éventuelle.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.
EXPOSE DES MOTIFS,
1/ Sur la recevabilité des demandes :
La société soutient que la demande du salarié est prescrite en ce qu'elle n'a pas été engagée dans le délai de trois ans de l'accord collectif qui a été publié et adopté à la suite de son adoption le 28 avril 2000 au sein de l'usine mais également distribuée au salarié ; qu'au plus tard, le salarié a eu connaissance des dispositions dont il entend se prévaloir lors de la réunion du comité d'entreprise du 17 janvier 2017 au cours de laquelle le sujet de la pause pour les électromécaniciens a été évoqué, dont le compte rendu a également été affiché au sein de l'usine ; que par conséquent le salarié avait jusqu'au 17 janvier 2020 pour introduire son action de sorte qu'ayant été engagée le 12 mars 2021 elle est irrecevable. Elle estime que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a fixé le point de départ du délai de prescription à la date d'un jugement du conseil de prud'hommes de Compiègne du 24 juillet 2020 qui concerne les conducteurs fluides et non les électromécaniciens qui ne sont pas dans la même situation.
M. [I] ne répond pas sur ce point.
En application de l'article L. 1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
En l'espèce, il convient d'ores et déjà de dire que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a jugé que le jugement du 24 janvier 2020 constituait le point de départ du délai de prescription dès lors que M. [I] n'était pas partie à la procédure et que celle-ci ne concernait pas les électromécaniciens.
Il n'est pas contesté que l'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail du 28 avril 2000 selon lequel, s'il est demandé à un salarié de ne pas s'écarter de son poste de travail pendant son temps de pause, celui-ci donnera lieu à récupération, était affiché dans l'entreprise. Il n'est pas non plus contesté que le compte rendu de la réunion du comité social et économique du 17 janvier 2017 à l'occasion duquel l'employeur a déclaré que les électromécaniciens pouvaient vaquer librement à leurs obligations pendant leur demi-heure de pause, a également donné lieu à un affichage dans l'établissement.
Toutefois, ce n'est qu'à réception de ses bulletins de paie que le salarié a eu personnellement connaissance de ce que l'employeur n'entendait pas appliquer l'accord du 28 avril 2000 selon l'interprétation qu'il en avait.
Il en résulte que le salarié est recevable à réclamer l'octroi de congés de compensation pour les deux années précédant la saisine du conseil de prud'hommes, de même que pour l'avenir.
2/ Sur le fond :
La société soutient que M. [I] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu'il ne pouvait vaquer librement à des occupations personnelles durant son temps de pause et que, de ce fait, les 30 minutes quotidiennes de pause constituaient systématiquement du temps de travail qui devait en application de l'article 5 de l'accord d'entreprise, donner lieu à récupération ; que l'appartenance à une équipe de sécurité n'implique pas nécessairement une mise à disposition permanente auprès de l'employeur privant le salarié de la possibilité de vaquer à ses occupations ; que contrairement au conducteur fluide, qui est le seul à détenir sa compétence au sein de son équipe de production, l'électromécanicien compte dans son équipe le technicien de ligne et l'électro-automaticien, qui tous deux sont susceptibles de le remplacer pendant sa pause en cas d'urgence ; que de plus dans le créneau horaire de 7 heures à 15 heures, il bénéficie également du soutien des électromécaniciens de l'équipe OMAT ; que MM [Y] et [Z] détiennent les compétences de l'équipe de sécurité et pourtant ne rencontrent aucune difficulté pour bénéficier de leur pause quotidienne et que pendant son temps d'habillage et de déshabillage, ainsi que pendant le temps de passage de consignes, M. [I] laisse nécessairement la ligne sous la surveillance de collègues de son équipe qui disposent des compétences techniques nécessaires sans que cela pose difficultés. Elle en déduit qu'elle a parfaitement respecté ses obligations issues de l'accord d'entreprise.
M. [I] affirme qu'il ne peut vaquer à des occupations personnelles lors de son temps de pause car il est à la disposition de l'employeur pour la sécurité des équipements ainsi qu'en attestent deux de ses collègues ; que la question de la récupération du temps de pause en application de l'article L. 3121-1 du code du travail et de l'article 5 de l'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail a été évoquée lors des réunions du CHSCT des 25 février et 6 octobre 2008 et du 2 juin 2017 et que deux jugements du conseil de prud'hommes ont fait droit à la demande de deux salariés de bénéficier de congés de récupération au titre des temps de pause.
L'accord sur l'aménagement et la réduction du temps de travail stipule que les agents postés en 5x8 bénéficieront d'une pause quotidienne de 30 minutes minimum au cours de laquelle ils ne sont pas à la disposition de l'employeur et peuvent vaquer librement à leurs occupations personnelles et que lorsqu'il sera demandé à un agent de ne pas s'éloigner de son poste de travail afin de pouvoir intervenir à tout moment sur celui-ci en cas de nécessité, le temps de pause donnera lieu à récupération.
Au soutien de ses allégations selon lesquelles il est dans l'impossibilité de vaquer de ses occupations personnelles pendant sa pause quotidienne, M. [I] verse aux débats une attestation de son supérieur hiérarchique, technicien de ligne, selon laquelle en tant que membre de l'équipe de sécurité, il doit rester en permanence prêt à intervenir pendant toute la durée de son poste.
Ce témoignage est très vague et ne concerne que l'équipe de sécurité dont il n'est pas contesté qu'elle n'est qu'une configuration exceptionnelle du poste de M. [I] et donc pas la configuration normale qui concerne l'intégralité des membres de l'équipe de production.
Il ne permet pas de contredire l'affirmation de l'employeur, fiches de poste et habilitations électriques à l'appui, selon laquelle, même en équipe de sécurité, d'autres agents disposent des compétences et habilitations nécessaires pour intervenir en urgence.
L'autre attestation d'un collègue, électricien, selon laquelle il ne le remplace pas sur son poste pendant ses pauses, ni le reste de l'année, encore plus lapidaire, est également dépourvue de force probante.
Le salarié ne produit aucune consigne ou instruction qu'il aurait reçue de sa hiérarchie de rester à proximité de son poste de travail pendant sa pause.
La cour note que la situation de M. [I] est différente de celle de M. [C], lequel s'est vu reconnaître par le conseil de prud'hommes, par jugement du 24 février 2020, non frappé d'appel, le bénéfice des congés de récupération en application de l'article 5 de l'accord précité puisqu'il n'est pas électromécanicien mais conducteur fluides et que l'employeur avait reconnu qu'il lui était interdit de quitter l'usine pendant sa pause.
Il y a donc lieu, infirmant en cela le jugement, de rejeter les demandes du salarié.
L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
Le salarié, qui perd le procès, doit en supporter les entiers dépens.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
infirme le jugement sauf en ce qu'il a dit la demande de M. [I] recevable au titre des deux années précédant la saisine du conseil de prud'hommes et débouté la société Saint Gobain glass France de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau et y ajoutant,
déclare irrecevable la demande concernant la période antérieure au 22 avril 2019,
rejette l'intégralité des demandes de M. [I],
rejette la demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile par la société Saint-Gobain glass France,
condamne M. [I] aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Le Roy, avocat au barreau d'Amiens
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.