ARRET
N°
G.A.E.C. GAEC [U] FRERES
C/
[D]
[D] NÉE [S]
[D]
PM/SGS
COUR D'APPEL D'AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU TREIZE AVRIL
DEUX MILLE VINGT TROIS
Numéro d'inscription de l'affaire au répertoire général de la cour : N° RG 20/01636 - N° Portalis DBV4-V-B7E-HV5T
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE COMPIEGNE DU VINGT SIX JUILLET DEUX MILLE DIX NEUF
PARTIES EN CAUSE :
G.A.E.C. GAEC [U] FRERES
[Adresse 7]
[Localité 8]
Représentée par Me Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau D'AMIENS
APPELANTE
ET
Monsieur [F] [D]
né le [Date naissance 6] 1970 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 8] / FRANCE
Madame [B] [D] NÉE [S] épouse [D]
née le [Date naissance 5] 1970 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 8] / FRANCE
Mademoiselle [V] [D]
née le [Date naissance 1] 1996 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 8] / FRANCE
Représentés par Me Sophie LANCKRIET, avocat au barreau de COMPIEGNE
INTIMES
DEBATS :
A l'audience publique du 09 février 2023, l'affaire est venue devant Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, M. Pascal MAIMONE, Conseiller, avocats en vertu de l'article 786 du Code de procédure civile. Le Président a avisé les parties à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.
La Cour était assistée lors des débats de Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière, assistée de Mme FRANCOIS Edwige, greffière stagiaire.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Les magistrats rapporteurs en ont rendu compte à la Cour composée de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE DE L'ARRET :
Le 13 avril 2023, l'arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre et Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
*
* *
DECISION :
Par acte authentique en date du 29 mars 1996, M. [F] [D] et Mme [B] [S] épouse [D] ont acquis un ensemble immobilier constitué d'un terrain sis [Adresse 3] (Oise), cadastré section AB n°[Cadastre 2] et [Cadastre 4], sur lequel est édifiée une maison à usage d'habitation .
A proximité, le groupement agricole d'exploitation en commun [U] Frères (ci-après : le GAEC [U]) exploite depuis le 30 septembre 1997 un élevage de vaches laitières. L'importance de cet élevage s'est accru en 2012 en raison du rapprochement de deux sites d'exploitation détenus par le GAEC.
A la suite de plaintes du voisinage concernant des odeurs ainsi que des rejets d'effluents sur la voie publique, plusieurs procédures ont été menées: une procédure administrative, une procédure pénale et une procédure judiciaire.
Une procédure administrative:
Un inspecteur de la direction départemental de la protection des populations a effectué un contrôle le 20 juillet 2012 et enjoint au GAEC [U] de prévoir l'absorption des jus de sa cour dans la poche destinée à recevoir les effluents pour limiter le déversement dans la rue.
Par arrêté du 26 juin 2013, le préfet de l'Oise a mis en demeure le GAEC [U] de respecter les prescriptions techniques liées à son activité dans un délai de deux mois, de cesser tout déversement d'effluents sur la route communale, de respecter les périodes d'interdiction d'épandage et de séparer les eaux de ruissellement des toitures des effluents d'élevage à la date du 15 octobre 2013. Et par arrêté du 8 août 2013, le maire de [Localité 8] a accordé au GAEC [U] un permis de construire deux bâtiments agricoles, pour une surface totale de plancher de 2 351 m².
Le 15 octobre 2013, un protocole d'accord a été signé entre le GAEC, la commune de [Localité 8], le Syndicat d'Epuration du Nord Noyonnais (SENN), la ville de [Localité 11] et la société Lyonnaise des Eaux prévoyant un raccordement temporaire, du 15 octobre 2013 au 28 février 2014, du trop plein de la cuve de stockage de lisier au réseau public d'assainissement des eaux usées, en complément des vidanges régulières effectuées par l'exploitant et sous diverses conditions.
Mais ce protocole n'a pas été respecté: par procès-verbal de délibération du 28 janvier 2014, le conseil syndicat de la SENN, en considération du constat du non-respect des plafonds de normes de rejet lors d'une visite sur le terrain. a préconisé qu'il y soit mis fin Et le 21 février 2014, la société Lyonnaise des Eaux a obturé le branchement du corps de ferme, en raison notamment des mesures effectuées par un analyseur d'hydrogène sulfuré dans le branchement des bâtiments du GAEC du 13 au 20 février 2014.
Par décision du 18 octobre 2018, la cour administrative d'appel de Douai a annulé à compter du 1er mai 2019 l'arrêté du 12 novembre 2013 du préfet de l'Oise autorisant le GAEC [U] à exploiter un bâtiment d'élevage bovin sur la commune de [Localité 8], pour une capacité maximale de 245 animaux avec dérogation de la distance minimale de 100 mètres de distance entre l'exploitation et les habitations, sous condition de réalisation de différentes mesures compensatoires et de respect de prescriptions notamment relatives à l'épandage, au stockage et à la clôture des installations recueillant les effluents d'élevage a été annulé.
Une procédure pénale:
Le 8 mars 2013, une plainte a été déposée à la gendarmerie par M. [Y] [R], habitant de [Localité 8], pour des faits qualifiés de pollution, consistant en des rejets illicites d'effluents par le GAEC [U] sur la voie publique et dans les champs environnants. Ensuite de cette plainte, la direction départementale de la protection des populations a diligenté une nouvelle inspection le 31 mai 2013.
Par jugement du 9 juin 2015, le tribunal correctionnel de Compiègne a déclaré M. [H] et M. [W] [U], gérants du GAEC [U], coupables de :
- déversement sans autorisation d'eaux usées non domestiques dans un réseau public de collecte d'eaux usées, entre le 15 octobre 2013 et le 21 février 2014 ;
- épandage irrégulier d'effluents agricole entre le 1er juin 2012 et le l5 octobre 2013 ;
- non respect des mesures du programme d'action national dans une zone vulnérable aux pollutions par les nitrates entre le 1er juin 2012 et le 15 octobre 2013 ;
- déversement direct d'effluents agricole dans les eaux superficielles, souterrains ou de la mer, entre le 1er juin 2012 et le 15 octobre 2013.
Les prévenus ont été relaxés des faits de mise en danger d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence, d'exploitation d'une installation classée autorisée sans respect des règles générales et prescriptions techniques, exploitation d'une installation classée sans respecter les mesures prescrites par arrêté pour la protection de l'environnement, exploitation d'une installation classée déclarée sans satisfaire aux prescriptions générales ou particulières.
Les constitutions de parties civiles de plusieurs riverains dont celles des époux [D], de Mme [V] [D], de M. [Y] [R] et de Mme [I] [K] ont été déclaré irrecevables. Par arrêt du 6 juin 2016, la chambre correctionnelle de la Cour d'appel d'Amiens les a déclaré irrecevables en leurs appels.
Une procédure devant la juridiction civile
Par acte d'huissier délivré le 5 août 2014, les époux [D] agissant en leur nom et en qualité de représentant de leurs enfants mineurs [C] et [L] ainsi que Mme [V] [D] ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Compiègne le GAEC [U] en paiement de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices moraux, financiers et de jouissance.
Par ordonnance du 5 janvier 2016, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Compiègne a ordonné une expertise médicale de Mme [V] [D].
Par jugement du 6 février 2018, le tribunal de grande instance de Compiègne a, avant dire droit, ordonné une mesure d'instruction consistant en un transport sur les lieux du président de la juridiction pour prendre connaissance des faits litigieux.
Par jugement du 26 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Compiègne a :
- dit être incompétent pour statuer sur la demande de suspension de l'activité du GAEC et renvoyé les époux [D] à mieux se pourvoir ;
- condamné le GAEC [U] à payer aux époux [D] la somme de 39 500 euros en réparation de leur préjudice financier, celle de 6042,82 euros en réparation de leur préjudice financier ;
- condamné le GAEC [U] à payer à chacun des époux [D] la somme de 2 500 euros en réparation de leur préjudice moral ;
- condamné le GAEC [U] à payer à Mme [V] [D] la somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice moral ;
- condamné le GAEC [U] à payer à payer à chacun des époux [D] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné le GAEC [U] aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 3 avril 2020, le GAEC [U] a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions transmises par la voie électronique le 6 décembre 2022, il demande à la cour de :
1/ Sur l'appel formé par le GAEC [U] :
- Dire le GAEC [U] recevable et bien fondé en son appel et en l'ensemble de ses prétentions,
- Confirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de suspension de son activité et a renvoyé les époux [D] à mieux se pouvoir.
Pour le surplus,
- Infirmer le jugement entrepris en ses dispositions suivantes :
'- Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] FRERES à payer à Monsieur [F] [D] et Madame [B] [S] épouse [D] la somme de 39 500 € en réparation de leur préjudice financier,
- Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] FRERES à payer à Monsieur [F] [D] et Madame [B] [S] épouse [D] la somme de 6 042,82 € en réparation de leur préjudice de jouissance,
- Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] FRERES à payer à Madame [B] [S] épouse [D] la somme de 2 500 € en réparation de son préjudice moral,
- Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] FRERES à payer à Monsieur [F] [D] la somme de 2 500 € en réparation de son préjudice moral,
- Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] FRERES à payer à Madame [V] [D] la somme de 1 500 € en réparation de son préjudice moral,
- Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] FRERES à payer à Madame [B] [S] épouse [D] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] FRERES à payer à Monsieur [F] [D] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] FRERES aux dépens de l'instance, avec distraction au profit de Maître Sophie LANKRIET, Avocat au barreau de COMPIEGNE,
- Ordonne l'exécution provisoire.'
-Ecarter des débats la pièce adverse n°209 ayant pour objet les « observations sur les conclusions déposées par le conseil du GAEC [U] émanant de Mme [X] [Z] chef du service environnement, inspecteur de l'environnement en charge des installations classées en date du 3 août 2021 qui constitue un procédé manifestement contraire au principe de l'égalité des armes posé par l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme (droit au procès équitable ) au regard de l'implication partiale dans le procès de ce fonctionnaire qui était en charge de la mise aux normes du GAEC, de son contrôle et de son inspection et soumis aux principes de stricte neutralité et d'indépendance, d'impartialité mais aussi de réserve et, de l'absence du bénéfice d'un débat contradictoire.
-Dire les consorts [D] prescrits, irrecevables et subsidiairement mal fondés en leurs demandes,
Les en débouter,
-Subsidiairement, si la cour considère que des troubles anormaux de voisinage ont été subis par les consorts [D], réduire à de plus justes proportions les montants alloués par les premiers juges en considérant des améliorations significatives découlant des investissements réalisés par le GAEC permettant la mise aux normes des installations en vue de mettre fin aux nuisances et en limitant la période de préjudice de jouissance du jardin au regard de la saisonnalité annuelle d'occupation du jardin excluant la prise en compte des périodes froides et des périodes pluvieuses.
Si la cour s'estime compétente pour statuer sur la demande d'arrêt ou de suspension d'exploitation du GAEC, débouter les consorts [D] comme non fondé, la mise aux normes finalisée ayant permis de prévenir toutes éventuelles nuisances.
2/ Sur l'appel incident formé par les consorts [D] :
- Dire les consorts [D] mal fondés en leur appel incident qui vise à obtenir la réparation de préjudices purement hypothétiques et les en débouter.
- Condamner in solidum les consorts [D] à payer une somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
-Condamner in solidum les consorts [D] aux entiers dépens d'appel et de première
instance dont distraction au profit de la SELARL Delahousse et Associés.
Par conclusions transmises par la voie électronique le 27 août 2022, les consorts [D] demandent à la cour de :
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a caractérisé la durée des troubles anormaux du voisinage subi par eux à compter de l'année 2012 et jusqu'au 18 octobre 2018.
- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité le préjudice de jouissance, le préjudice financier et le préjudice moral qu'ils ont subi.
- Confirmer le jugement entrepris pour le surplus.
En conséquence,
- Dire et juger qu'ils ont subi des troubles anormaux du voisinage causés par l'exploitation du GAEC [U] du mois de juin 2012 au 28 novembre 2019.
En conséquence,
- Condamner le GAEC [U] à payer aux époux [D] chacun, la somme de 5 000 € en réparation de leur préjudice moral.
- Condamner le GAEC [U] à payer à Mme [V] [D] la somme de 2 000 € en réparation de son préjudice moral.
- Condamner le GAEC [U] à payer aux époux [D] la somme de 41 500 € au titre de leur préjudice financier.
- Condamner le GAEC [U] à payer aux époux [D] à la somme de 15 130, 80 € en réparation de leur préjudice de jouissance.
- Débouter le GAEC de l'ensemble de ses demandes.
- Condamner le GAEC à payer aux époux [D] la somme de 4 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner solidairement le GAEC aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Sophie Lanckriet.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties, visées ci-dessus, pour l'exposé de leurs prétentions et moyens.
Par ordonnance du 18 janvier 2023, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture et renvoyé l'affaire pour plaidoiries à l'audience du 9 février 2023.
CECI EXPOSE, LA COUR,
Sur la prescription des demandes relatives aux préjudices découlant des nuisances olfactives :
L'article 2224 du code civil dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
L'action en responsabilité et en indemnisation résultant de troubles anormaux de voisinage est une action en responsabilité extra-contractuelle et non une action en responsabilité contractuelle, soumise à la prescription quinquennale applicable aux actions personnelles et dont le point de départ est la première manifestation des troubles.
Le point de départ de cette action, lorsqu'il est question de troubles évolutifs causés par une activité, est le jour où cette activité a évolué significativement.
En l'espèce les consorts [D] situent le début des troubles olfactifs anormaux de voisinage en 2012.
Ils ont acquis leur habitation en 1996. A cette date, une exploitation agricole était déjà implantée à proximité de leur habitation et il se produisait déjà des écoulements vers les caniveaux générant des odeurs ainsi qu'en atteste un témoin M. [T]. Cependant aucun élément ne démontre qu'à cette époque les nuisances olfactives générées par cette exploitation excédaient les inconvénients normaux de voisinage.
A compter des années 1997 et 1998, le GAEC, rapprochant ses deux exploitations, a rapatrié sur le site de [Localité 8] des bovins provenant de son exploitation située sur la commune de [Localité 10]. Il indique que son cheptel à [Localité 8] n'a pas évolué sensiblement entre 1998 et 2012, ce qui est établi par ses déclarations d'activité de 1998 à 2008.
Cependant, il ne fournit pas les déclarations d'activité du site de [Localité 10] alors que les deux sites coexistaient encore à cette époque et que seule une comparaison entre l'évolution du cheptel de [Localité 8] et celui de [Localité 10] aurait permis de d'établir la quantité de bovins réellement transférée de [Localité 10] vers [Localité 8] et de déterminer le nombre de bovins effectivement présents sur le site de [Localité 8].
Le GAEC [U] ne produit pas non plus ses déclarations d'activités pour l'année 2012, année de la fusion des deux sites et d'apparition, selon les époux [D] des troubles anormaux de voisinage.
En tout état de cause, même en se basant sur les pièces incomplètes fournies par le GAEC [U], il apparaît que le cheptel est passé de 156 à 201 bovins ce qui n'a pu que générer une augmentation significative des effluents à l'origine des odeurs dont se plaignent les époux [D].
C'est également à compter du début de l'année 2012 que le voisinage du GAEC a commencé à se plaindre des odeurs nauséabondes justifiant l'intervention le 20 juillet 2012 d'un inspecteur de la direction départemental de la protection des populations qui a effectué un contrôle et enjoint au GAEC [U] de prévoir l'absorption des jus de sa cour dans la poche destinée à recevoir les effluents pour limiter le déversement dans la rue.
Les troubles de voisinage dont se plaignent les consorts [D] étant, à leurs sens, devenus anormaux en 2012, le point de départ de la prescription de leur action engagée sur ce fondement doit donc être situé en janvier 2012 de sorte qu'introduite le 5 août 2014 elle ne saurait être déclarée irrecevable comme étant prescrite.
Sur la demande tendant à ce que la pièce 209 des époux [D] soit écartée des débats :
En application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen, chacun a droit à un procès équitable et le juge doit veiller à ce que chacun dispose d'arme équitable.
La pièce litigieuse est une lettre émanant de Mme [X] [Z] chef du service environnement, inspecteur de l'environnement en charge des installations classées en date du 3 août 2021, contenant des,observations sur les conclusions déposées par le conseil du GAEC [U].
Même si cette pièce a pu être débattue contradictoirement par les parties dans le cadre de la présente procédure, il n'en demeure pas moins qu'elle constitue un élément pouvant être considéré comme une prise de position par un fonctionnaire en charge d'effectuer une mission de contrôle après accomplissement de sa mission.
Or, ce fonctionnaire se devait de rester neutre et indépendant et n'avait manifestement pas à soutenir l'action judiciaire d'une des parties.
Il convient donc d'écarter des débats la pièce 209 produite par les consorts [D].
Sur les troubles de voisinage invoqués :
L'article 544 du code civil dispose que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
En application de ces dispositions, nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, troublant la jouissance de son bien. A défaut, la responsabilité de l'auteur du trouble est engagée, sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve d'une faute de sa part. La responsabilité de l'auteur du trouble est engagée dès lors qu'il génère un trouble anormal.
Enfin la caractérisation d'un trouble anormal est indépendante tant de la justification du respect des normes et réglementations administratives que de leur éventuelle violation.
Sur les nuisances olfactives :
Ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges par des motifs pertinents que la cour entend adopter, il ressort des éléments de la cause que ces nuisances sont établies par les documents suivants :
- des attestations datées du début de l'année 2012 à la fin de l'année 2016 émanant de riverains qui par leur nombre, plusieurs dizaines, et leur caractère concordant, leur confèrent une crédibilité indéniable: toutes relatent que le village de [Localité 8] en raison des effluents émanant du GAEC [U] subit de très fortes et fréquentes odeurs de purin causant des maux de têtes et des nausées empêchant les riverains de jouir des espaces extérieurs tels que terrasses et jardin étant précisé que si certaines de ses attestations peuvent, comme le souligne le GAEC [Localité 8], être considérées comme imprécises quant à l'origine de l'odeur, un nombre suffisant d'entre elles met directement en cause le GAEC [U] ;
- des lettres de voisins et courrier de réclamations de riverains qui vont dans le même sens ;
- des constats d'huissier des 13 février 2014 et 26 mars 2015 qui relèvent dans la rue où est exploité le GAEC [U] des odeurs telles qu'il est impossible de respirer ;
- des inspections et lettres de la DDPP des 30 juillet 2012, 31 mai 2013, 27 février 2015 et 30 mai 2017 qui confirment l'existence de ces effluents mal odorants et leur imputabilité au GAEC [U] ;
- des mesures d'odeurs et de dégagement gazeux qui ont été réalisés du 13 février 2014 au 20 février 2014 et du 5 avril 2016 qui confirme l'existence d'odeurs hors normes émanant du GAEC [U] ;
- de l'inspection effectuée le 15 février 2018 auprès d'un GAEC [G], voisin, qui n'a relevé aucune anomalie olfactive émanant des installations, ce qu'ont confirmé les deux constats d'huissier dressés le 28 septembre 2016 qui établissent la présence d'une odeur nauséabonde au niveau du GAEC [U] alors qu'au niveau du GAEC [G], la fosse à lisier n'exhale pas d'effluves comparables ;
- de la reconnaissance par les exploitants du GAEC [U] de ces nuisances olfactives qui se sont régulièrement engagés auprès des autorités administratives à remédier aux nuisances olfactives de leur installation ;
-de l'arrêt de la cour administrative de Douai du 18 octobre 2018 qui retient que le GAEC n'a jamais justifié avoir remédié de manière suffisante et pérenne aux troubles olfactifs qui lui étaient reprochés.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que le GAEC était responsable de troubles olfactifs anormaux de voisinage envers les consorts [D] à compter de l'année 2012 et jusqu'au 18 octobre 2018.
Sur les nuisances sonores :
Ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, par des motifs pertinents que la cour entend adopter, il ressort des éléments de la cause que ces nuisances sont établies par les documents suivants :
- l'inspection de l'installation réalisée le 27 février 2015 qui révèle que le bâtiment construit par le GAEC suite à l'agrandissement de son exploitation en 2012 génère des nuisances sonores importantes liées à l'emploi d'une pailleuse, d'un mixeur et des avertisseurs de recul des engins agricole perceptibles depuis les habitations environnantes ;
- un constat d'huissier du 28 septembre 2016 qui relève un fort bruit sourd de type moteur qui s'arrête par moments ;
- une étude d'impact sonore réalisée par le cabinet [J] les 8 et 9 février 2017 qui relève tant de jour que de nuit un dépassement du niveau de décibels autorisé ;
- l'arrêt de la cour administrative de Douai du 18 octobre 2018, qui après avoir relevé que des mesures avait été mis en oeuvre par le GAEC [U] pour remédier aux nuisances sonores mais que le GAEC ne justifiait pas avoir pris de mesures destinées à remédier aux nuisances générées par les meuglements de ses animaux.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que le GAEC était responsable de troubles anormaux de voisinage sonores envers les consorts [D] à compter de février 2015 et jusqu'au 18 octobre 2018.
Sur les nuisances affectant le cadre de vie :
La dépréciation d'un immeuble du fait de la construction d'un immeuble voisin ne constitue pas en soit un trouble anormal de voisinage dès lors qu'il résulte d'une application des règles d'urbanisme permettant à chaque propriétaire de jouir de son fonds et de son droit de construire dans le respect des règles d'intérêt général.
Par ailleurs, pour constituer un trouble anormal de voisinage, la privation d'ensoleillement ou de vue résultant de l'édification d'une construction doit entraîner une privation d'ensoleillement excédant celle à laquelle peut s'attendre tout propriétaire en raison de l'implantation d'une construction sur le terrain voisin.
Les premiers juges ont estimé que ces nuisances sont établies par les documents suivants :
-la reconnaissance par le GAEC du déversement d'affluents d'élevage dans les caniveaux lors de l'élaboration du projet de mise aux normes de leur installation et leur condamnation par le tribunal correctionnel de Compiègne pour de tels déversements entre le 1er juin 2012 et le 15 octobre 2013 ;
-le rapport de la DDPP du 31 mai 2013 qui fait état de ce déversement ;
-les témoignages produits par les consorts [D] qui font état de l'état sale et boueux de la [Adresse 3] aux abords du GAEC [U], rendant la chaussée glissante et dangereuse ;
- l'attestation du 3 novembre 2016 établi par M. [A] [E] qui établit la construction par le GAEC [U] d'un bâtiment agricole à la fin de l'année 2014 d'une hauteur de 11,70 m à 54,75 mètres de l'angle de la maison des époux [D] ;
- les photographies versées aux débats qui établirait que l'ensoleillement de l'immeuble des époux [D] est compromis.
Cependant, s'il n'est pas douteux que la présence derrière leur habitation d'un hangar agricole de 11,70 m à 54,75 mètres de l'angle de leur habitation est peu esthétique, il convient de relever que ce hangar a été édifié dans le respect des règles d'urbanisme et ne constitue pas en soi un trouble anormal de voisinage.
Par ailleurs, en cause d'appel, le GAEC produit une étude d'ensoleillement réalisée en février 2020 qui révèle qu'à partir de 10 heures du matin durant toute l'année l'immeuble des époux [D] ne subit pas l'ombre portée du bâtiment du GAEC et qu'en hiver, suivant les mois, la parcelle arrière de cette maison est légèrement ombragée par le nouveau bâtiment.
Si cette étude technique qui n'a pas valeur d'expertise et n'est corroborée par aucun autre élément du dossier, il est néanmoins constant que les époux [D] auxquels incombe la charge de la preuve, ne démontrent pas subir de troubles anormaux de voisinage du fait de la construction litigieuse.
En effet, le seul procès verbal de transport sur les lieux réalisé dans le cadre de la procédure de première instance qui précise que le jour du déplacement du tribunal, le ciel était couvert est insuffisant à établir la perte d'ensoleillement alléguée. Il n'y est question que d'une obstruction complète par le bâtiment litigieux de la vue coté gauche du jardin vers les bois.
Or, le fait de devoir supporter, lorsque l'on habite à coté d'une exploitation agricole ou autre, la présence d'un hangar agricole peu esthétique qui obstrue une partie de la vue dégagée que l'on disposait auparavant de son jardin sur la campagne est un inconvénient qui ne peut être qualifié d'anormal au regard des règles d'urbanisme qui, dans l'intérêt général, s'efforcent de concilier les intérêts des exploitants agricoles et celui des riverains.
L'existence d'un trouble anormal esthétique et lié à une perte d'ensoleillement en raison de la construction d'un bâtiment agricole donnant sur le jardin des époux [D] n'est donc pas établie.
Il en résulte que si c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu l'existence du trouble anormal du cadre de vie des époux [D] en raison du déversement d'effluents sur la voie publique à proximité immédiate de leur habitation, c'est à tort qu'ils ont retenu l'existence d'un trouble anormal de voisinage esthétique et lié à un amoindrissement de l'ensoleillement de leur habitation.
Sur le préjudice financier des époux [D] lié à la dépréciation de leur immeuble :
La dépréciation de leur immeuble en raison de la présence d'un hangar agricole n'étant que la conséquence de l'application des règles d'urbanisme, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné le GAEC [U] à payer aux époux [D] la somme de 39 500 euros en réparation de leur préjudice économique et il convient de débouter les époux [D] de leur demande de ce chef.
Sur le préjudice de jouissance :
Compte tenu de leur durée et de leur particulière gravité, les troubles anormaux de voisinage subis par les époux [D], qui ont été privés d'une jouissance normale de leur habitation durant plusieurs années, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il leur a alloué à ce titre la somme de 6 042,82 euros et leur préjudice sera justement indemnisé par l'allocation de la somme de 15 000 euros, le GAEC [U] étant condamné à leur verser cette somme.
Sur le préjudice moral :
Il est incontestable que le fait de devoir vivre durant plusieurs années en supportant la présence à proximité de leur habitation des effluents des animaux de leur voisins, des odeurs particulièrement nauséabondes et des nuisances sonores tant diurnes que nocturnes a causé aux consorts [D] un important préjudice moral, distinct du préjudice de jouissance.
Il convient donc d'infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à chacun des époux [D] à ce titre la somme de 2 500 euros ainsi que 1 500 euros à leur fille [V] [D] et de condamner le GAEC [U] à payer à chacun des époux [D] la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral et à Mme [V] [D] la somme de 2 000 euros.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Le GAEC [U] succombant, il convient :
- de le condamner aux dépens d'appel ;
- de le débouter de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure d'appel ;
- de confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné aux dépens de première instance ;
- de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance.
L'équité commandant de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des consorts [D], il convient de leur allouer de ce chef la somme de 3 000 euros chacun pour la procédure d'appel et il convient de confirmer le jugement en ce qu'il leur a accordé à ce titre à chacun la somme de 2 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
Ecarte des débats la pièce n°209 communiquée par M. [F] [D], Mme [B] [S] épouse [D] et Mme [V] [D];
Déclare recevables les demandes de M. [F] [D], de Mme [B] [S] épouse [D] et de Mme [V] [D] au titre d'un trouble anormal de voisinage pour nuisances olfactives ;
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de suspension de l'activité du groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] Frères, en ce qu'il a renvoyé sur cette question M. [F] [D] et Mme [B] [S] épouse [D] à mieux se pourvoir et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Déboute M. [F] [D] et Mme [B] [S] épouse [D] de leur demande en réparation d'un préjudice financier ;
Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] Frères à payer à M. [F] [D] et Mme [B] [S] épouse [D] la somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance ;
Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] Frères à payer à M. [F] [D] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] Frères à payer à Mme [B] [S] épouse [D] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] Frères à payer à Mme [V] [D] la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] Frères à payer à M. [F] [D] la somme de 3 000 euros par application en application en appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] Frères à payer à Mme [B] [S] épouse [D] la somme de 3 000 euros par application en application en appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties de leurs plus amples demandes ;
Condamne le groupement agricole d'exploitation en commun GAEC [U] Frères aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Sophie Lanckriet, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE