ARRET
N°
[F]
C/
S.E.L.A.R.L. EVOLUTION
Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS - CGEA D'AMIENS
copie exécutoire
le 6/07/2023
à
Me CHEMLA
Me [X]
Me DELVALLEZ
CBO/IL/MR
COUR D'APPEL D'AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE
ARRET DU 06 JUILLET 2023
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N° RG 22/03210 - N° Portalis DBV4-V-B7G-IPWS
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 24 MAI 2022 (référence dossier N° RG 21/00045)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANT
Monsieur [Y] [F]
né le 06 Avril 1965
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 1]
concluant par Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
ET :
INTIMEES
S.E.L.A.R.L. EVOLUTION venant aux droits de la SARL GRAVE [X], prise en la personne de Maître [V] [X] ès qualités de mandataire liquidateur de la Société CMT
[Adresse 2]
[Localité 1]
non comparante, ni représentée
UNEDIC DÉLÉGATION AGS - CGEA D'AMIENS
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée et concluant par Me Dorothée DELVALLEZ de la SCP ANTONINI ET ASSOCIES, avocat au barreau de LAON
DEBATS :
A l'audience publique du 11 mai 2023, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l'affaire a été appelée.
Madame [S] [O] indique que l'arrêt sera prononcé le 06 juillet 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame [S] [O] en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 06 juillet 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.
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DECISION :
M. [Y] [F] a été embauché par contrat à durée indéterminée, le 1er août 1991, par la société CMT, en qualité de responsable des ventes.
Son contrat est régi par la convention collective des articles de sport et des équipements de loisirs.
Le 30 juin 2016, M. [F] a été placé en arrêt de travail jusqu'au 6 juillet 2016, renouvelé le 7 août 2016.
Le 11 juillet 2016, M. [F] a été convoqué à un entretien préalable.
Le 7 juillet 2016 le tribunal de commerce de Soissons a prononcé la liquidation judiciaire de la société CMT et Maître [X] de la Selarl Evolution a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Maître [X], ès qualités, a engagé une procédure de licenciement économique à l'égard de M. [F] le 21 juillet 2016.
Sollicitant la résiliation du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et l'indemnisation de ses préjudices M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Soissons le 18 juillet 2016 qui par jugement du 24 mai 2022 a :
- Débouté le, CGEA d'Amiens de sa demande de péremption d'instance
- Reconnu le préjudice moral de M. [F] lié aux conditions d'exécution du contrat de travail, mais le déboute de sa demande de dommages et intérêts compte tenu de l'absence de justificatifs
- Débouté M. [F] du surplus de ses demandes.
Ce jugement a été notifié à M. [F] qui en a relevé appel le 30 juin 2022 dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
L'Unedic a constitué avocat le 14 octobre 2022.
Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 mars 2023, M. [F] prie la cour de :
- Confirmer le jugement sur le rejet de la fin de non-recevoir liée à la péremption de l'instance,
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Soissons en date du 24 mai 2022 dans ses autres dispositions
- Résilier le contrat de travail aux torts de l'employeur,
- Fixer au passif de la société CMT les sommes de :
* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral lié aux conditions d'exécution du contrat de travail;
* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail aux torts de l'employeur;
- Juger opposable l'arrêt à intervenir aux AGS CGEA d'Amiens.
Par dernières conclusions communiquées par voie électronique le 23 décembre 2022, l'Unedic délégation AGS CGEA d'Amiens prie la cour de :
- dire et juger qu'il est recevable et bien fondé en ses fins, moyens et conclusions,
Y faisant droit,
A titre principal
- Infirmer le jugement de première instance rendu par le conseil de prud'hommes de Soissons le 24 mai 2022,
Statuant de nouveau:
- Constater la péremption d'instance
- Dire et juger M. [F] irrecevable en ses demandes
- L'en débouter purement et simplement
A titre subsidiaire:
- Débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires
- Voir à tout le moins les demandes indemnitaires de M. [F] ramenées à de plus justes proportions ;
- Fixer l'éventuelle créance de M. [F] au passif de la SARL CMT placée en liquidation judiciaire par jugement du 7 juillet 2016 et déterminer les sommes dont elle devra garantir le paiement dans la limite des dispositions et des plafonds légalement imposés
En tout état de cause:
- Rappeler que sa garantie est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, aux plafonds définis à l'article D3253-5 du Code du Travail, lesquels s'entendent de la totalité de la créance salariale en ce compris le précompte effectué en vertu de l'article L242-3 du Code de la sécurité sociale au profit des organismes sociaux
- Rappeler que sa garantie ne s'étend pas aux sommes allouées par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ni à la remise des documents sociaux ni à l'astreinte dont celle-ci est éventuellement assortie
- Employer les dépens de la présente instance en frais privilégiés de procédure collective.
Maître [X] de la Selarl Evolution ès qualités de liquidateur de la société CMT n'ayant pas constitué avocat, le présent arrêt sera réputé contradictoire.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 janvier 2023 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoirie du 11 mai 2023.
MOTIFS
Sur le moyen tiré de la péremption d'instance
L'Unedic délégation AGS CGEA d'Amiens sollicite de la cour qu'elle juge que l'instance est périmée car l'ordonnance rendue par le conseil de prud'hommes du 9 avril 2019 avait radié l'affaire prévoyant une réinscription à la demande de l'une ou l'autre des parties lorsque l'affaire serait en état d'être plaidée.
M. [F] s'y oppose répliquant que l'action a été introduite avant le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale, que l'ancien article R 1452-8 du code du travail doit s'appliquer'; que l'ordonnance de radiation ne prévoyant pas diligence particulière, le délai de péremption n'a pas couru.
Sur ce
Selon l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.
En vertu de l'article R.1452-8 du code du travail dans sa version antérieure au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 applicable à la présente instance introduite le 18 juillet 2016, avant l'entrée en vigueur dudit décret au 1er août 2016, en matière prud'homale, l'instance n'est périmée que lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction.
Pour que la péremption soit acquise dans les conditions de ce texte, il est donc nécessaire qu'il y ait au préalable des diligences ordonnées, que celles-ci soient imposées à l'une des parties ou à toutes, et qu'elles n'aient pas été exécutées dans un délai de deux ans.
L'arrêt de radiation du 9 avril 2019 prévoit en son dispositif que la procédure sera rétablie à la demande de l'une ou de l'autre des parties lorsque l'affaire sera en état d'être plaidée, à moins que la péremption de l'instance ne soit acquise conformément à l'article 386 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 381 du code de procédure civile, cette décision de radiation a été notifiée aux parties par lettre simple le 30 avril 2019.
Contrairement à ce que soutenu par les intimés, le délai de péremption ne court pas à compter de la date de l'arrêt de radiation ou de sa notification mais à compter de la date impartie pour réaliser les diligences mises à la charge des parties.
Le jugement précise que l'affaire a été réinscrite le 30 avril 2021 soit après le délai de deux ans.
Toutefois, l'ordonnance de radiation précitée ne met aucune diligence à la charge des parties ; en effet aucun délai n'est fixé pour régulariser une diligence particulière alors que les parties échangent leurs pièces et se communiquent leurs "éventuelles" conclusions ne constituent pas des diligences à mener à l'égard de la juridiction au sens de l'article R. 1452-8 du code du travail. Il n'a donc en tout état de cause pas fait courir le délai de péremption.
En conséquence, l'instance devant les premiers juges n'est pas périmée et le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté que l'instance n'était pas périmée en rejetant la demande de l'Unedic au titre de la péremption d'instance.
Sur la demande indemnitaire au titre de l'exécution du contrat de travail
M. [F] sollicite l'indemnisation du préjudice subi suite aux conditions dans lesquelles l'employeur l'a contraint à travailler, il expose que l'employeur a manqué à son obligation de loyauté et à son obligation de sécurité, que la société pour le rassurer dans le cadre d'un déménagement l'a amené devant la devanture d'un magasin fermé en lui affirmant que ce serait son lieu de travail à compter de l'été 2016, qu'il a dû, avec ses collègues assurer le déménagement du matériel de l'entreprise occasionnant des blessures pour certains d'entre eux, que l'employeur leur a imposé de prendre des congés payés à compter du 1er juillet 2016.
L'Unedic délégation CGEA d'Amiens s'oppose à cette demande répliquant que la jurisprudence a mis fin à l'automaticité de l'indemnisation du préjudice né de certains manquements de l'employeur, qu'il appartient au salarié d'établir ainsi la réalité du préjudice subi, ce qu'il ne fait pas. A titre éminemment subsidiaire l'Unedic sollicite de la cour qu'elle ramène à plus justes proportions le montant de l'indemnisation.
Elle ajoute qu'en toute hypothèse aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre, la cour ne pouvant que fixer une éventuelle créance au passif de la liquidation de la société CMT et a rappelé que sa garantie est plafonnée par application de l'article D 3253-5 du code du travail.
Sur ce
En application de l'article 1221-1 du code du travail «'le contrat de travail est exécuté de bonne foi.'»
L'article L 4121-1 du code du travail dispose :
« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».
Le salarié produit aux débats la copie d'un courrier rédigé par 4 des 5 salariés de la société envoyé le 29 juin 2016 à M. [Z], gérant, l'interpellant sur l'impossibilité d'emballer pour qu'un transporteur vienne chercher la marchandise avant le 30 juin 2016 (alors que la demande de l'employeur avait été émise le 25 juin 2016), que la charge de travail est irréalisable en un si court laps de temps.
Il est établi par la procédure que l'employeur a sollicité des salariés le déménagement du matériel et des marchandises des locaux en vue d'être transportés ailleurs, que M. [F] a été placé en arrêt de travail le 30 juin 2016 mais contrairement à ses collègues il ne s'agissait pas d'un arrêt pour accident du travail mais pour maladie ordinaire.
Il n'est donc pas établi l'existence d'un manquement à l'obligation de sécurité.
Le salarié invoque le comportement déloyal de l'employeur qui a organisé le déménagement du matériel et de la marchandise, aurait fait visiter des nouveaux locaux qui seraient restés vides, que les dates de congés auraient été modifiées en dernière heure par l'employeur le salarié se plaignant aussi d'avoir été mis en congés du 1er au 31 juillet 2016 en contravention aux règles du code du travail faute d'avoir été informé au moins un mois à l'avance.
S'il est produit une demande de congés le 23 juin envoyée par Mme [U] salariée à l'employeur pour le personnel, celui-ci a répondu qu'il n'y a pas fait droit en invoquant sa situation d'attente de réponse à des interrogations juridiques.
Il n'est justifié que d'un courriel entre M. [Z], gérant et le salarié par lequel, il l'informe le 7 juin 2016 qu'il ne souhaite pas mettre son affaire en liquidation car il perdrait tout et lui aussi, qu'il souhaite le rapatrier chez AD broderies fin juin, début septembre avec possibilité de travailler à partir de son domicile, qu'à défaut d'accord il engagera la procédure de liquidation avec un préavis de 3 mois.
Ainsi l'employeur avait informé le salarié de la situation critique de la société.
Il n'est ainsi pas établi, la réalité d'un manquement de l'employeur à son obligation de loyauté et la cour confirmera le jugement en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande d'indemnisation en réparation du préjudice du salarié consécutif aux manquements de l'employeur à l'obligation de sécurité et de loyauté.
Sur la demande de résiliation judiciaire
M. [F] sollicite de la cour qu'elle prononce la résiliation du contrat de travail arguant du manquement à l'obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels.
L'Unedic s'oppose à cette demande répliquant que l'instance a été introduite quelques jours après l'entretien préalable au licenciement économique, que la demande du salarié n'est autre que financière et qu'il abuse du droit d'agir en justice.
Sur ce
La voie de la résiliation judiciaire n'est ouverte qu'au salarié et à lui seul ; qu'elle produit, lorsqu'elle est accueillie, tous les effets attachés à un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse'.
Lorsque les manquements de l'employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtus une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie, avec effet à la date de la décision la prononçant, lorsqu'à cette date le contrat de travail est toujours en cours'.
Lorsqu'en cours d'instance de résiliation judiciaire le contrat de travail a été rompu, notamment par l'effet d'un licenciement, la date d'effet de la résiliation doit être fixée à la date de rupture effective du contrat, c'est à dire dans l'hypothèse considérée à la date du licenciement.
La cour a jugé précédemment que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de sécurité et de loyauté.
La cour, par confirmation du jugement, déboutera M. [F] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de sa demande d'indemnisation.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
La cour constate que le conseil de prud'hommes n'avait pas statué sur les dépens.
La cour confirme le débouté de la demande de M. [F] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [F] succombant en cause d'appel est condamné aux dépens de l'ensemble de la procédure.
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais qu'elles ont exposés pour la présente procédure. Maître [X] de la Selarl Evolution ès qualités de liquidateur de la société CMT et M. [F] sont déboutés de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, par arrêt mis à disposition au greffe
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Soissons le 24 mai 2022 en toutes ses dispositions
y ajoutant
Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure
Rejette toutes autres demandes plus amples et contraires
Condamne M. [F] aux dépens de l'ensemble de la procédure.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.