1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT No DU 20 NOVEMBRE 2006
R. G : 05 / 00707
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal d'Instance de POINTE-A-PITRE, décision attaquée en date du 17 Décembre 2004, enregistrée sous le n 04 / 000119
APPELANTE :
SA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE (SISB), anciennement PRIMISTÈRES REYNOIRD dont le siège social est 40, rue de la Boétie 75008 PARIS Représentée par la SCP WINTER DURENNEL, avocat postulant au barreau de GUADELOUPE et plaidant par Me Richard MILCHIOR, avocat au barreau de PARIS,
INTIMÉE :
L'ADMINISTRATION DES DOUANES ET DES DROITS INDIRECTS représentée par son Directeur Général 23 bis rue de l'Université à PARIS 7ème agissant par M. Le Directeur Régional de Guadeloupe, Chemin du Stade Félix Eboué 97100 BASSE-TERRE Représentée par la SCP URBINO-SOULIER, CHARLEMAGNE et associés, avocats au barreau de PARIS.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 Septembre 2006, en audience publique, devant la Cour composée de : M. Robert PARNEIX, Président de Chambre, Président, Rédacteur, M. Patrick DESMURE, Président de Chambre, M. Jean-Luc MARTIN, Conseiller, qui en ont délibéré. Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour le 20 NOVEMBRE 2006.
GREFFIER,
Lors des débats : Mme Juliette GERAN, Adjointe Administrative, faisant fonction de greffière, serment préalablement prêté.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du NCPC, signé par M. Robert PARNEIX, Président de Chambre, Président et par Mme Juliette GERAN, Adjointe Administrative, faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par acte du 4 mai 2000, la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE a assigné la direction générale des douanes, représentée par son directeur général (ci-après l'administration des douanes), en remboursement de la somme de 4 129 392, 93 euros, acquittée au titre de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle à celui-ci entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 1997, au motif principal que ces prélèvements seraient contraires au droit communautaire.
Par jugement du 17 décembre 2004, le tribunal d'instance de Pointe-à-Pitre a :
- déclaré irrecevable comme prescrite la demande relative à la période comprise entre le 1er janvier et le 3 mai 1997,- déclaré recevable mais mal fondée la demande relative à la période comprise entre le 4 mai et le 31 décembre 1997,- débouté en conséquence la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE de sa demande,- condamné la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE à verser à l'administration des douanes une somme de 2000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe du tribunal d'instance le 29 avril 2005, la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE a interjeté appel de cette décision.
A l'appui de son appel, la demanderesse fait valoir :
- que, contrairement à ce qu'a décidé le premier juge, sa demande de restitution n'est pas prescrite pour la période antérieure au 4 mai 1997 ;
- qu'en effet, en vertu de l'article 352 ter du code des douanes, le point de départ de la prescription est l'arrêt X...- Y..., en date du 19 février 1998, ou l'arrêt Sodiprem-Z..., en date du 30 avril 1998, qui ont instauré une validité conditionnelle et, par voie de conséquence, révélé la non-conformité du régime de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle issu de la loi no92-676 du 17 juillet 1992 ;
- qu'au surplus, la prescription retenue par le premier juge l'empêche d'exercer " son droit né d'une révélation conditionnelle du nouveau régime de l'octroi de mer " et la prive de son droit à un procès équitable au sens de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
Sur le fond, la demanderesse soutient :
- que l'arrêt X...- Y... de la Cour de Justice des Communautés Européennes (ci-après la CJCE) du 19 février 1998 n'a pas validé de manière inconditionnelle le nouveau régime de l'octroi de mer mis en place par la loi no 92-676 du 17 juillet 1992 ; qu'au contraire, les exonérations de la taxe accordées en faveur des productions locales " doivent contribuer à la promotion ou au maintien d'une activité économique dans les départements d'outre-mer et s'insérer dans la
stratégie de développement économique et social de chaque département d'outre-mer, compte tenu de son cadre communautaire d'appui, sans être pour autant de nature à altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun " ;
- que l'arrêt Sodiprem-Z... de la même Cour du 30 avril 1998 a précisé que le juge national, dans son appréciation de la compatibilité de la loi du 17 juillet 1992 avec le droit communautaire, doit déterminer si les exonérations ou allégements de taux prévus par ce texte ne rompent pas l'égalité de traitement entre les entreprises locales et étrangères et n'ont pas, dans l'affirmative, un effet discriminatoire contraire à l'article 95 du traité CE ; que précisément, en l'espèce, l'ampleur des exonérations accordées aux productions locales équivaut à une exonération générale et systématique contraire au droit communautaire.
Elle soutient également :
- que la validité des dérogations mises en place par la loi du 17 juillet 1992 est subordonnée au " contrôle strict " de la Commission qui doit vérifier la nécessité et la proportionnalité de telles mesures dès lors qu'elles portent atteinte à la libre circulation des marchandises ; qu'en l'espèce ce contrôle n'a pas été exercé, les délibérations notifiées les 24 juin 1993 et 29 septembre 1993 n'ayant pas été approuvées collégialement par la Commission et le rapport du 24 novembre 1999 ne concernant pas la période litigieuse ;
- que l'exonération de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle accordée à certaines entreprises constitue une aide indirecte de l'Etat incompatible avec les anciens articles 92 et 93 du traité CE qui aurait dû être notifiée à la Commission et autorisée par celle-ci ; qu'en conséquence, la restitution des sommes versées doit être ordonnée, sauf à poser préalablement une question préjudicielle à la CJCE sur la nature de ces prélèvements et sur leur compatibilité avec le traité CE ;
- que les obligations procédurales imposées par la loi française n'ont pas été davantage respectées, notamment la publication du rapport annuel prévu par l'article 18 de la loi du 17 juillet 1992 sur les critères objectifs de répartition des aides et sur leur utilisation par le Fonds régional pour le développement et l'emploi, privant ainsi le juge national et la Commission de la possibilité de contrôler la conformité du régime de l'octroi de mer avec le droit communautaire.
Elle observe par ailleurs :
- que le régime de l'octroi de mer appliqué en Guadeloupe viole l'article 95 du traité CE dans la mesure où il comporte une exonération générale et systématique des produits locaux et une surtaxation des marchandises importées, ce qui constitue une discrimination et une entrave à la libre circulation des biens ;
- qu'en effet la loi du 17 juillet 1992, en assujettissant à l'octroi de mer les seules entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 3, 5 MF (533 571, 56 euros), exonère de la taxation la quasi totalité des entreprises locales ;
- que la décision adoptée le 10 février 2004 par le Conseil de l'Union Européenne qui autorise des exonérations plus limitées et instaure des contrôles plus stricts reconnaît implicitement que le système antérieur issu de la loi du 17 juillet 1992 n'était pas conforme à l'article 95 précité.
Elle sollicite en conséquence la désignation d'un expert afin d'" examiner les conséquences au regard des principes dégagés par la CJCE sur l'économie locale des taux des taxes d'octroi de mer et de taxe additionnelle et des exonérations accordées par le conseil régional tant au titre de l'octroi de mer interne que de l'octroi de mer externe. "
S'agissant de la restitution des sommes versées, la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE conteste l'argumentation de l'administration des douanes qui entend faire application de l'article 352 du code des douanes, selon lequel une personne ayant acquitté des droits ne peut en obtenir le remboursement si ces droits ont été répercutés sur l'acheteur, ce qui serait le cas en l'espèce. Elle soutient que l'administration des douanes n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de la répercussion sur le consommateur des sommes payées au titre de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle et, par voie de conséquence, de l'enrichissement sans cause de la requérante.
Elle sollicite, à titre subsidiaire, que soit posée une seconde question préjudicielle à la CJCE afin de déterminer si la répétition peut être refusée lorsque le payeur final, en l'espèce le consommateur, est dans l'incapacité d'obtenir le remboursement de la taxe illicitement perçue.
Plus subsidiairement, au cas où la cour d'appel estimerait ne pas devoir faire droit à sa demande de remboursement, la société demanderesse sollicite la réparation de son préjudice qu'elle évalue à la somme de 4 129 392, 93 euros ou à celle de 412 939, 26 euros, représentant le seul coût des contrôles et formalités auxquels elle a été soumise.
Elle réclame enfin une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Elle demande en conséquence à la cour :
- d'infirmer le jugement du tribunal d'instance,
- de déclarer recevable sa demande de remboursement des sommes acquittées au titre de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 1997,
- de condamner le directeur général des douanes à lui rembourser la somme de 4 129 392, 93 euros,
- de déclarer à tout le moins recevable et bien fondée sa demande en remboursement des sommes perçues au titre de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle à l'octroi de mer sur les marchandises importées d'origine intra-communautaire,
- en conséquence, de condamner le directeur général des douanes à lui rembourser la somme de 4 129 392, 93 euros au titre de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle à l'octroi de mer perçus sur les marchandises importées d'origine intra-communautaire,
- de désigner un expert chargé d'examiner, au regard des principes dégagés par la CJCE, les conséquences sur l'économie locale des taux des taxes d'octroi de mer et de taxe additionnelle à l'octroi de mer.
A titre subsidiaire, elle demande à la cour :
- de condamner le directeur général des douanes à lui rembourser la somme de 206 469, 64 euros correspondant aux 5 % encaissés par l'administration des douanes,
- d'ordonner, à tout le moins, le remboursement des sommes versées au titre de la taxe additionnelle et correspondant à une taxation à hauteur de 1 % et / ou le remboursement du solde payé si elle juge discriminatoire la taxation eu sus de 1 %,
- de dire et juger que cette somme produira intérêts à compter de sa perception,
- de dire et juger que les intérêts sur les sommes réclamées seront capitalisés,
- de condamner l'administration des douanes à lui payer la somme de 4 129 392, 93 euros à titre de dommages-intérêts.
A titre très subsidiaire, elle demande à la cour :
- de condamner l'administration des douanes à lui payer la somme de 412 939, 26 euros à titre de dommages-intérêts représentant le coût des contrôles et formalités administratives,
- de poser à la Cour de Justice des Communautés Européennes, en application de l'article 234 du traité CE les questions préjudicielles suivantes :
" L'article 87 (ex. article 92) du traité doit-il être interprété comme déclarant incompatibles avec le Marché commun les aides indirectes accordées par les Etats membres, compte tenu de l'invalidation d'une décision du Conseil déclarant ces mesures incompatibles avec l'article 25 (ex. articles 12 et suivants) dudit traité ? "
" L'article 88 (ex. article 93 § 3) doit-il être interprété comme imposant aux Etats membres la notification des aides en cause ? "
- de condamner l'administration des douanes à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
L'administration des douanes et des droits indirects conclut à la confirmation du jugement entrepris et au rejet pur et simple des prétentions de la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE.
S'agissant de la prescription, elle fait valoir que l'article 352 ter du code des douanes est sans application en l'espèce, aucune décision révélant le défaut de validité de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle n'étant intervenue.
Sur le fond, elle soutient principalement :
- que l'octroi de mer et la taxe additionnelle ont été perçus en application de la décision 89 / 688 du Conseil du 22 décembre 1989 et de la loi française du 17 juillet 1992 dont la validité a été reconnue par la CJCE ;
- que les délibérations fixant les exonérations sur le territoire de la Guadeloupe ont bien été notifiées à la Commission qui les a approuvées ;
- qu'au surplus, l'absence d'une notification établissant une exonération ne peut avoir pour effet d'invalider l'ensemble du régime de l'octroi de mer mais seulement de remettre en cause ladite exonération ;
- que la Commission a régulièrement exercé son contrôle, comme en atteste un rapport adressé au Conseil le 24 novembre 1999 ;
- que le rapport prévu par la loi du 17 juillet 1992 à la charge du conseil régional n'est pas prévu à peine de nullité du régime autorisé par la décision 89 / 688 du Conseil du 22 décembre 1989 ;
- que les exonérations accordées par la même loi ne constituent pas une taxe d'effet équivalent à un droit de douane et n'ont pas de caractère discriminatoire ;
- que la taxe additionnelle obéit aux mêmes règles que l'octroi de mer dont elle constitue une simple majoration et ne peut donc pas davantage s'analyser comme une taxe d'effet équivalent à un droit de douane ;
- que la reconduction en 2004 du régime de l'octroi de mer sur des bases nouvelles pour une durée de dix ans n'entraîne pas une invalidation rétroactive du dispositif mis en place par la décision du Conseil du 22 décembre 1989 ;
- que les articles 92 et suivants du traité CE ne s'appliquent qu'aux aides accordées par les Etats et non aux mesures autorisées par les organes communautaires.
Subsidiairement, l'administration des douanes oppose l'application de l'article 352 du code des douanes à la demande de remboursement formée par la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE, au motif que les taxes prétendument perçues à tort ont été répercutées sur le consommateur. Elle sollicite, en cas de besoin, l'instauration d'une mesure d'expertise.
Enfin, l'administration des douanes estime qu'elle n'a pu engager sa responsabilité en percevant une taxe dont la validité a été admise par la CJCE et que la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE ne rapporte pas la preuve de l'existence du préjudice qu'elle allègue, qui ne saurait, en tout état de cause, être équivalent au montant des sommes versées.
Elle demande en conséquence à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de débouter la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE de l'ensemble de ses demandes,
- subsidiairement, d'ordonner une mesure d'expertise à l'effet de rechercher si les taxes d'octroi de mer et de droit additionnel acquittées par la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE ont été répercutées sur les acheteurs,
- de condamner la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE à lui payer une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
MOTIFS
Attendu que la déclaration d'appel de la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE a été enrôlée sous deux numéros distincts, à savoir les numéros 05 / 00707 et 05 / 01072, ce dernier étant devenu le numéro 06 / 1560 après radiation et rétablissement du dossier ; qu'il y a lieu de joindre ces deux procédures et de statuer par une seule décision ;
1) Sur la recevabilité de l'action pour la période comprise entre le 1er janvier et le 3 mai 1997
Attendu qu'aux termes de l'article 352 du code des douanes : " Aucune personne n'est recevable à former contre l'administration des douanes, des demandes en restitution de droits et de marchandises et paiements de loyers, trois ans après l'époque que les réclamateurs donnent aux paiements des droits, dépôts des marchandises et échéances des loyers " ; que, selon l'article 352 ter du même code : " Lorsque le défaut de validité d'un texte fondant la perception d'une taxe recouvrée par les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects a été révélé par une décision juridictionnelle, l'action en restitution mentionnée à l'article 352 ne peut porter, sans préjudice des dispositions de l'article 352 bis, que sur la période postérieure au premier janvier de la troisième année précédant celle au cours de laquelle cette décision est intervenue. "
Attendu que les arrêts X...- Y... et Sodiprem-Z... de la CJCE n'ont pas invalidé le régime de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle résultant de la décision 89 / 688 du Conseil du 22 décembre 1989 et de la loi française du 17 juillet 1992 et que les réserves exprimées par ces arrêts, relativement au contrôle nécessaire du juge national et de la Commission, ne peuvent s'analyser comme révélant la non conformité de ce régime au doit communautaire ;
Attendu, dès lors, que seul l'article 352 du code des douanes est applicable à la réclamation de la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE, de sorte que les droits acquittés plus de trois années avant l'assignation du 4 mai 2000 sont prescrits et que le premier juge a, à juste titre, déclaré irrecevable la demande relative à
la période comprise entre le 1er janvier et le 3 mai 1997 ; que, par ailleurs, les dispositions visant à limiter à trois ans le délai de réclamation des redevables ne privent pas la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE de son droit à un procès équitable ;
Attendu qu'il y a lieu de confirmer sur ce point la décision entreprise ;
2) Sur la conformité du régime de l'octroi de mer avec le droit communautaire
Attendu que la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE fonde sa demande de restitution d'une part sur le caractère discriminatoire de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle au sens de l'article 95 du traité CE, d'autre part sur le fait que les exonérations autorisées au profit des produits locaux constituent des aides indirectes illégales faute d'avoir été notifiées à la Commission et autorisées par celle-ci ;
Attendu que le régime de l'octroi de mer et de la taxe additionnelle à l'octroi de mer applicable en 1997 a été autorisé par les décisions du Conseil no 89 / 687 et 89 / 688 CEE du 22 décembre 1989 ;
Que la première décision, s'appuyant sur l'article 227 paragraphe 2 du traité et considérant que les départements français d'outre-mer (ci-après les DOM) subissaient un retard structurel important, a estimé nécessaire d'adapter, notamment sur le plan fiscal, la réglementation communautaire visant à l'achèvement du marché intérieur, afin de favoriser le développement économique et social de ces régions ;
Que la seconde décision, considérant, d'une part, que l'octroi de mer constituait un élément de soutien aux productions locales des DOM soumises aux difficultés de l'éloignement et de l'insularité ainsi qu'un instrument essentiel d'autonomie et de démocratie locale, d'autre part, qu'il était nécessaire, à terme, d'intégrer pleinement les DOM dans le processus d'achèvement du marché intérieur, a invité les autorités françaises à prendre, avant le 31 décembre 1992, les mesures nécessaires pour que le régime de l'octroi de mer soit applicable indistinctement aux produits introduits et aux produits obtenus dans ces régions ; que cette même décision, compte tenu des contraintes particulières des DOM, a autorisé des exonérations de la taxe, partielles ou totales selon les besoins économiques, en faveur des productions locales pour une période ne dépassant pas dix ans ; qu'elle a enfin prévu que les régimes d'exonération ainsi que tout projet d'extension de la liste des produits soumis à l'octroi de mer ou d'augmentation de ses taux soient notifiés à la Commission ;
Attendu que la loi no92-676 du 17 juillet 1992, portant mise en œ uvre de la décision 89 / 688 du Conseil, a instauré une taxe s'appliquant notamment à l'introduction des marchandises dans les DOM et aux livraisons à titre onéreux par des entreprises qui y accomplissent des activités de production et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 3, 5 millions de francs ; que ce texte prévoit que les conseils régionaux peuvent accorder des exonérations, totales ou partielles, au profit de certains produits locaux, à condition que ces exonérations soient soumises à l'examen de la Commission ;
Attendu que la validité de ce dispositif au regard du droit communautaire a été soumise à deux reprises à titre préjudiciel à l'examen de la CJCE ; que par arrêt du 19 février 1998 X...- Y..., la cour, se fondant sur les articles 226 et 227 paragraphe 2 du traité autorisant un régime transitoire et dérogatoire au profit des DOM, a dit pour droit que : " L'examen de la décision 89 / 688 / CEE du Conseil, du 22 décembre 1989, relative au régime de l'octroi de mer dans les départements français d'outre-mer, en ce qu'elle autorise un système d'exonération de la taxe dénommée " octroi de mer " assorti de conditions strictes qu'elle prévoit n'a fait apparaître aucun élément de nature à affecter sa validité. " ; que, par une seconde décision du 30 avril 1998 Sodiprem-Z..., la Cour a précisé que la décision du Conseil devait être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à des exonérations qui sont d'ordre général ou systématiques susceptibles d'aboutir à la réintroduction d'une taxe équivalant à un droit de douane mais autorise des exonérations qui sont nécessaires, proportionnelles, précisément déterminées et strictement contrôlées ;
Attendu qu'il résulte de ces décisions, d'une part que, s'appliquant à l'ensemble des produits introduits et obtenus à l'intérieur des DOM, l'octroi de mer ne s'analyse pas comme une taxe d'effet équivalent à un droit de douane, d'autre part que les exonérations autorisées par la loi du 17 juillet 1992 en faveur de certains produits locaux ont pour objet de favoriser le développement des DOM en stimulant l'activité économique locale et ne constituent pas des mesures discriminatoires, dès lors qu'elles sont limitées et ne sont pas de nature à altérer les échanges communautaires dans une mesure contraire à l'intérêt commun ;
Attendu en l'espèce que, contrairement à ce que soutient la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE, les exonérations sont limitées dès lors qu'elles visent les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 3, 5 millions de francs, ce qui constitue une limite objective aisément vérifiable non liée à l'origine géographique des produits et permet de soutenir le développement des entreprises locales qui sont souvent de taille très réduite, ainsi qu'en atteste un tableau INSSE communiqué par l'appelante, selon lequel en 1998 22 entreprises assujetties ont réalisé un chiffre d'affaires de 4 285 millions de francs alors que 3 211 entreprises n'employant aucun salarié totalisaient un chiffre d'affaires de 1 242 millions de francs ; que, par ailleurs, il résulte des délibérations du conseil régional et des tableaux qui y sont annexés que les exonérations sont sélectives et ne concernent qu'une quantité limitée de produits locaux ; qu'enfin, selon le rapport de la Commission du 24 novembre 1999, ces exonérations sont ciblées et permettent, notamment dans les domaines agricole, agro-alimentaire et industriel, de restaurer des conditions de concurrence plus équilibrées face aux produits importés de pays tiers dont les coûts de production sont très bas et les stratégies commerciales plus agressives ;
Attendu en conséquence que le régime de l'octroi de mer résultant de la loi du 17 juillet 1992, applicable à la réclamation formée par la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE, répond aux exigences des arrêts de la CJCE et de la décision 89 / 688 du Conseil en n'autorisant que des exonérations de taxe limitées, proportionnelles et
nécessaires et en assurant un équilibre entre l'objectif de protéger le développement économique des DOM et celui de ne pas altérer les conditions de la concurrence dans une mesure contraire à l'intérêt commun ; que, dès lors, aucun des arguments de la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE n'est de nature à remettre en question la validité du régime de l'octroi de mer au regard de l'article 95 du traité CE ;
Attendu, s'agissant des anciens articles 92 et 93 du traité CE, qu'il convient de souligner que la CJCE, à l'occasion des deux arrêts précités, n'a soulevé d'office aucune objection quant à la validité du régime de l'octroi de mer fondée sur le fait que les exonérations autorisées par la décision du Conseil no 89 / 688 et mises en œ uvre par la loi du 17 juillet 1992 constitueraient des aides d'Etat illicites ; que, par ailleurs, les dispositions de ces textes régissent les aides spécifiques accordées par les Etats en faveur des entreprises et non, comme en l'espèce, les aides réglementaires décidées par le Conseil, sur proposition de la Commission, au profit de régions qui connaissent un retard structurel de développement ; qu'enfin, ces articles organisent une procédure appropriée qui n'est pas ouverte aux particuliers et qui n'a pas été mise en œ uvre en l'espèce ; qu'il convient, en conséquence, d'écarter l'argumentation de la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE sur ce point, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la procédure de la question préjudicielle ;
3) Sur le respect de la procédure et du contrôle prévus par la décision 89 / 688 du Conseil du 22 décembre 1989
Attendu que la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE prétend que les exonérations n'ont pas été notifiées à la Commission qui n'a donc pas été en mesure d'exercer son contrôle ;
Attendu que, selon l'article 2 paragraphe 3 de la décision 89 / 688 du Conseil du 22 décembre 1989, les régimes d'exonération retenus par les autorités compétentes de chaque DOM sont notifiés à la Commission qui en informe les Etats membres et prend position dans un délai de deux mois ; qu'il résulte des pièces versées aux débats que les délibérations du conseil régional de la Guadeloupe no 93-079 du 24 juin 1993 et 93-172 du 29 septembre 1993, fixant le régime des exonérations, en application de la décision précitée et de la loi du 17 juillet 1992, ont bien été notifiées à la Commission ; que ces délibérations ont été approuvées par la Commission, comme l'attestent deux lettres des 22 décembre 1992 et 23 décembre 1993 signées par l'un des ses membres dont rien ne permet d'affirmer qu'il ait outrepassé ses prérogatives ; que cette approbation est encore confirmée par le rapport déposé par la Commission le 24 novembre 1999 dressant le bilan de l'application du régime de l'octroi de mer ; que, dans ces conditions, rien ne démontre que cette autorité n'ait pas statué collégialement ;
Attendu, par ailleurs, que la Commission a bien été en mesure d'exercer son contrôle, ainsi qu'en atteste le rapport très détaillé déjà
cité, aux termes duquel elle conclut à l'efficacité des exonérations accordées aux productions locales et à la conformité de l'affectation des ressources d'octroi de mer aux exigences fixées par la décision du Conseil 89 / 688 et par les arrêts de la CJCE ; que, contrairement à ce que soutient la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE, ce rapport concerne bien le régime en vigueur lors de la perception des sommes contestées ;
Attendu que le dépôt du rapport annuel prévu par l'article 18 de la loi du 17 juillet 1992 n'est pas prévu à peine de sanction ; que son absence n'a pas pour effet d'invalider le régime de l'octroi de mer ni de le rendre incompatible avec le droit communautaire et n'a pas empêché la Commission d'assurer son contrôle sur sa mise en œ uvre ;
Attendu, enfin, que le nouveau régime de l'octroi de mer, tel qu'il résulte de la décision du Conseil du 10 février 2004, n'est pas applicable à la période en cause et, même s'il n'autorise que des exonérations plus limitées et instaure un contrôle plus étroit, n'a pas pour effet de remettre rétroactivement en question les prélèvements opérés dans le cadre de l'ancien dispositif ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence de rejeter l'argumentation soulevée sur ces différents points par la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE ;
Attendu qu'il n'y pas lieu davantage de faire droit à la demande d'expertise aux fins de déterminer les conséquences sur l'économie locale des taux des taxes d'octroi de mer et de taxe additionnelle à l'octroi de mer ; qu'en effet cette étude a été faite par la Commission dans son rapport de 1999 et une mesure d'expertise s'avère inutile à la solution du présent litige ;
Attendu en conséquence qu'il y a lieu, par ces motifs et par ceux non contraires du premier juge, de confirmer la décision entreprise qui a rejeté la demande de restitution formée par la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE ;
4) Sur la demande relative à la taxe additionnelle à l'octroi de mer
Attendu que subsidiairement, la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE limite sa demande, sans la chiffrer, à la restitution de la taxe additionnelle à l'octroi de mer ;
Attendu, cependant, que la taxe additionnelle n'est qu'une simple majoration de l'octroi de mer qui obéit aux mêmes règles que l'octroi de mer lui-même ; que, dès lors, la décision du Conseil no 89 / 688 qui a validé, sous les conditions déjà rappelées, le régime de l'octroi de mer applicable dans les DOM a autorisé simultanément le droit additionnel à cette taxe ;
Attendu, en conséquence, que la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE qui présente pour le remboursement de ce droit additionnel les mêmes arguments que ceux développés pour la restitution de l'octroi de mer sera déboutée de sa demande par les mêmes motifs ;
5) Sur la demande formée par la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE en réparation de son préjudice
Attendu qu'en assurant la perception d'un octroi de mer et d'un droit additionnel qui n'ont jamais été déclarés contraires au droit communautaire, l'administration des douanes n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité ; qu'en conséquence la demande formée de ce chef contre elle par la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE sera rejetée ;
Attendu qu'il en sera de même de la demande de remboursement d'une somme de 5 % correspondant au montant encaissé par l'administration des douanes, cette demande étant également fondée sur le caractère illicite des prélèvements intervenus ;
6) Sur les demandes formées en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
Attendu qu'il y lieu de rejeter la demande formée à ce titre par la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE mais qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'administration des douanes le montant des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer en cause d'appel ; qu'une indemnité de 2000 euros, en plus de celle déjà allouée en première instance, lui sera accordée de ce chef ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
Joint les appels enrôlés sous les numéros 05700707 et 05 / 01072 devenu 06 / 1560 ;
Déclare l'appel recevable ;
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions et déboute la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE du surplus de ses prétentions présentées en cause d'appel ;
Y ajoutant,
Condamne la société IMMOBILIÈRE ET DE SERVICES BOÉTIE à payer à l'administration des douanes et des droits indirects la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens ;
Et ont signé le président et le greffier.