COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT No589 DU 04 JUIN 2007
R.G : 06 / 00936
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de POINTE A PITRE, décision attaquée en date du 09 mars 2006, enregistrée sous le n 04 / 2351
APPELANT :
Monsieur Francesco X...
Chez Mme Lydie Y...
...
97122 BAIE-MAHAULT
Représenté par Me Brigitte WINTER-DURENNEL (TOQUE 83), avocat au barreau de GUADELOUPE
INTIMES :
Monsieur Antoine Z...
...
97110 POINTE / A / PITRE
Représenté par Me Gérard PLUMASSEAU (TOQUE 16), avocat au barreau de GUADELOUPE
SARL IMOFUS
dont le siège social est 31 rue de Nozières
97110 POINTE-A-PITRE
Représentée par Me Gérard PLUMASSEAU (TOQUE 16), avocat au barreau de GUADELOUPE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 mars 2007, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Robert PARNEIX, Président de Chambre, Président,
M. Jean-Luc MARTIN, Conseiller,
Mme Anne DESMURE, Conseillère, rapporteure,
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour le 7 mai 2007 puis le délibéré a été prorogé au 04 juin 2007.
GREFFIER :
Lors des débats : Mme Juliette GERAN, Adjointe Administrative, faisant fonction de greffière, serment préalablement prêté.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du NCPC.
Signé par M. Robert PARNEIX, Président de Chambre, Président et par Mme Juliette GERAN, Adjointe Administrative, faisant fonction de greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige :
Le 18 mai 1998, M.X... a cédé à M.Z..., son associé au sein de la société civile immobilière " Bellevue Les Salines " constituée entre eux le 15 juin 1988 et dont M.Z... était le gérant, l'intégralité de ses 60 parts sociales sur un total de 100, moyennant le prix de un franc.
Par acte de cession de parts sociales en date du 7 janvier 2000, M.Z... a cédé 95 parts à l'eurl Imofus.
Faisant grief à M.Z... de s'être rendu coupable de tromperie envers lui, M.X... a, par exploit d'huissier du 11 octobre 2004, saisi le tribunal de grande instance de Pointe à Pitre d'une demande de résiliation de la cession intervenue le 18 mai 1998, ainsi que de la cession par M.Z... à la société Imofus de 55 parts sur 95 parts cédées le 7 janvier 2000, au motif s'agissant de cette dernière demande que M.Z... n'avait pu transférer plus de droits qu'il n'en avait lui-même.
Modifiant ensuite ses prétentions, M.X... a demandé l'indemnisation de son préjudice résultant de la faute commise par M.Z... en association avec la société Imofus, et c'est dans ces circonstances que, par jugement rendu le 9 mars 2006, le tribunal de grande instance de Pointe à Pitre a :
-rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité,
-débouté M.X... de toutes ses demandes,
-condamné M.X... à payer aux défendeurs la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.
Appelant, M.X... demande à la cour, aux termes de ses dernières conclusions déposées le 18 juillet 2006, de le déclarer recevable et fondé en son appel, d'infirmer en conséquence le jugement entrepris sauf en ce qu'il a jugé mal fondées les demandes reconventionnelles et, statuant à nouveau, de condamner solidairement M.Z... et la société Imofus à lui payer une indemnité égale à 60 % de la somme de 1 591 262,80 euros, outre intérêts légaux à compter du 6 avril 2001 ainsi qu'une somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens.
Intimés, M.Z... et la société Imofus requièrent la cour, au dernier état de leurs écritures déposées le 20 novembre 2006 au visa des articles 1304,1844-14,2262 du Code civil,1134 et suivants du Code civil, et 32-1 et 112 du nouveau Code de procédure civile, de :
-dire et juger l'action en nullité initiée par M.X... prescrite et en tout cas mal fondée,
-en conséquence, réformer le jugement de ce chef,
-les recevoir en leur appel incident par application de l'article 548 du nouveau Code de procédure civile,
-condamner en conséquence M.X... à payer tant à M.Z... qu'à la société Imofus la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire et abus du droit d'agir en justice, sur le fondement de l'article 32-1 du nouveau Code de procédure civile,
-condamner le même à une amende civile laissée à l'appréciation de la Cour,
-condamner enfin M.X... à leur payer la somme de 1 500 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre les dépens.
MOTIFS :
Attendu que M.X... a renoncé pendant le cours de l'instance devant les premiers juges à sa demande de résiliation de la cession de ses parts sociales, et circonscrit sa demande à une action en responsabilité pour faute ;
Attendu que la société Imofus, qui s'est vue céder les parts sociales acquises le 18 mai 1998 par M.Z..., doit dés lors être mise hors de cause puisqu'elle est tiers à la cession querellée intervenue le 18 mai 1998 entre M.Z... et M.X... ;
Attendu que M.Z... prétend opposer à M.X... la prescription de son action ; qu'il soutient à cet effet que ce dernier avait cinq ans " à compter de la cession, au plus tard du dépôt du rapport d'expertise ", pour agir en justice, ce qu'il n'a pas fait ;
Mais attendu que la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil concerne les seules actions en nullité d'une convention ; que l'action en responsabilité exercée par la partie qui se prétend victime d'un dol se prescrit par dix ans à compter de la manifestation du dommage en application de l'article 2270-1 du Code civil ; que la cession étant intervenue le 18 mai 1998, l'action de M.X... ne peut être atteinte par la prescription ;
Que la fin de non-recevoir tirée de la prescription sera donc rejetée ;
Attendu sur le fond, que les pièces du débat établissent qu'à la date de la cession, soit le 18 mai 1998, un litige opposait depuis plusieurs années la Sci " Bellevue Les Salines " à son partenaire financier, le Crédit agricole, à l'occasion duquel la Sci, qui reprochait à ce dernier
d'avoir brutalement et fautivement stoppé le financement d'une opération immobilière et de lui avoir ainsi occasionné un préjudice, avait obtenu le 27 juin 1996 la désignation d'un expert judiciaire dont le rapport déposé au greffe le 5 janvier 1998 était favorable à la Sci puisqu'il concluait à une rupture abusive de concours bancaire et évaluait le préjudice subi par la Sci à plus de dix millions de francs ;
Qu'à l'appui de son appel, M.X... fait grief à M.Z... de l'avoir convaincu de lui céder le 18 mai 1998 l'intégralité des parts sociales qu'il détenait dans la Sci moyennant un franc symbolique, en connaissance de cause des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, et sans l'en informer, alors que ces conclusions expertales laissaient entrevoir des perspectives sérieuses de gains importants que les décisions ensuite intervenues ont confirmées puisque le procès s'est achevé le 24 mai 2004 par une condamnation du Crédit agricole à payer à la Sci la somme de 1 591 262,80 euros ; qu'il fait valoir que son appréciation de la valeur de ses parts aurait été sensiblement modifiée s'il avait eu connaissance des conclusions de l'expert judiciaire ;
Que M.Z... et la société Imofus répondent que M.X... avait toute latitude, en tant qu'associé majoritaire, pour solliciter du gérant toutes les informations relatives à la gestion de la société ; que le procès opposant la Sci au Crédit agricole était connu de M.X... qui n'a pu ignorer qu'un rapport d'expertise allait être déposé ; que c'est M.X... qui a proposé la vente de ses parts sociales ; qu'il s'est agi pour M.X... d'éviter que des actions soient engagées contre lui ; que la Sci était en effet alors aux prises avec deux créanciers, M.B... et la société Farmimmo ; que c'est l'action transactionnelle menée par M.Z... qui a évité à la Sci d'être placée en liquidation judiciaire ; que l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la Sci aurait privé M.X... de toute possibilité d'agir ; que l'expert commis dans le procès opposant la Sci au Crédit agricole a adressé son rapport au seul " avocat de M.Z... " ; que c'est à la seule date du 13 août 1999, soit postérieurement à la cession, que ce rapport a été envoyé à M.Z... ; que M.X... ne prouve pas que M.Z... était informé de la teneur de ce rapport avant la cession ; que ce rapport ne consacrait pas l'existence d'une créance ; qu'en définitive, la Sci était débitrice au jour de la cession d'une somme de 987 811,40 euros envers la société Farmimmo ;
Mais attendu que les conclusions de l'expertise déposée le 5 janvier 1998 dans le litige opposant la Sci au Crédit agricole ne pouvaient recevoir une traduction dans les comptes de la Sci ; que l'usage du droit d'information et de communication dont M.X... disposait en tant qu'associé de la Sci ne lui aurait donc pas permis d'être informé de l'évolution contemporaine du procès opposant cette dernière au Crédit agricole ; que les parties sont contraires en fait sur les circonstances dans lesquelles la cession de parts est intervenue ; qu'à supposer, ainsi que l'affirme l'appelant, que l'initiative de la vente soit venue de M.X..., cette circonstance ne dispensait pas M.Z..., bénéficiaire de la cession de droits sociaux et gérant de la Sci, tenu comme tel d'un
devoir de loyauté envers son associé, de l'obligation de fournir à son cocontractant l'ensemble des informations permettant de déterminer le juste prix des parts cédées ; que les pièces versées établissent certes que la Sci était redevable de sommes non négligeables envers M.B... et la société Farmimmo lors de la cession ; que tant les stipulations de l'acte de cession que les termes de l'assemblée générale extraordinaire qui l'a précédé témoignent cependant de ce que l'attention de M.X... a été largement attirée sur ces difficultés ; qu'également, s'il est indéniable que la Sci connaissait de graves difficultés de trésorerie, M.Z... ne rapporte pas la preuve de ce qu'au regard de la situation de son actif et de son passif, la perspective d'une possible condamnation du Crédit agricole au paiement d'une somme de plus de 10 millions de francs n'eût pu suffire à modifier la valorisation des parts sociales en créant un excédent d'actif significatif ; que M.Z..., qui justifie certes que la copie intégrale du rapport d'expertise judiciaire lui a été adressée postérieurement à la cession objet du litige, se garde d'affirmer qu'il ignorait l'évolution récente du procès opposant la Sci au Crédit agricole lorsque son associé lui a cédé ses parts ; qu'il ne saurait d'ailleurs être sérieusement envisagé qu'un avocat destinataire d'un rapport concluant à une créance pour son client de plus de 10 millions de francs, laisse s'écouler plusieurs mois avant de l'en informer ; que l'issue d'un procès n'est jamais certaine ; qu'il ne peut être néanmoins soutenu que les conclusions très favorables pour la Sci du rapport d'expertise déposé le 5 janvier 1998 seraient restées sans influence sur la négociation des parts sociales cédées le 18 mai suivant, étant ici rappelé que M.X... a cédé ses parts à M.Z... pour le franc symbolique ;
Que du tout, il résulte qu'en dissimulant à M.X... les conclusions du rapport d'expertise déposé 3 mois plus tôt, M.Z... a manqué au devoir de loyauté qui s'impose au dirigeant d'une société à l'égard de son associé et s'est rendu coupable d'une réticence dolosive qui a privé M.X... d'une information déterminante pour la négociation et l'évaluation du prix de ses parts sociales ; que cette faute engage sa responsabilité envers M.X... ;
Attendu que M.X... soutient que son préjudice s'élève à 60 % de l'indemnité de 1 591 262,80 euros allouée à la Sci par la décision définitive intervenue le 24 mai 2004 ;
Mais attendu que seul l'examen de la situation comptable de la Sci à la date de la cession peut permettre d'estimer la valorisation des parts sociales cédées par M.X... le 18 mai 1998 ;
Que les débats sont donc réouverts afin que M.Z... verse au débat les comptes sociaux de la Sci au titre des exercices 1997 et 1998 ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau :
Met hors de cause la société Imofus,
Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité engagée par M.X...,
Dit qu'en dissimulant à M.X... les conclusions du rapport d'expertise judiciaire déposé le 5 janvier 1998, M.Z... a failli à son obligation d'information à laquelle il était tenu à l'égard de son associé et commis ainsi une faute qui a privé M.X... de la possibilité de négocier le prix de vente de ses parts sociales à M.Z...,
Avant dire droit sur l'évaluation du préjudice de M.X... :
Ordonne la réouverture des débats et invite M.Z... à produire les bilans et les comptes d'exploitation de la Sci " Bellevue Les Salines " au titre des exercices 1997 et 1998,
Dit que l'affaire sera évoquée à cet effet lors de l'audience de mise en état qui se tiendra le 8 octobre 2007 à 9 heures,
Sursoit à statuer sur les demandes de dommages-intérêts et sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Réserve les dépens.
Et ont signé le Président et la Greffière.