COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRET No 853 DU 09 DECEMBRE 2019
No RG 18/00967 - VMG/EK
No Portalis DBV7-V-B7C-C7S2
Décision déférée à la Cour : jugement au fond, origine tribunal de grande instance de POINTE-A-PITRE, décision attaquée en date du 09 mars 2018, enregistrée sous le no 16/02270
APPELANT :
Monsieur X... C...
[...]
[...] )
Représenté par Me Pascal NEROME, (TOQUE 82) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/001133 du 09/07/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASSE-TERRE)
INTIMÉE :
Société coopérative Banque Populaire
BRED BANQUE POPULAIRE
Prise en la personne de son représentant légal.
[...]
[...]
Représentée par Me Daniel WERTER, (TOQUE 08) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l'article 779-3 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état, à la demande des parties, a autorisé les avocats à déposer leur dossier au greffe de la chambre civile avant le 07 octobre 2019.
Par avis du 07 octobre 2019, le président a informé les parties que l'affaire était mise en délibéré devant la chambre civile de la cour composée de :
Madame Claudine FOURCADE, présidente de chambre,
Mme Valérie MARIE GABRIELLE, conseillère,
Madame Christine DEFOY, conseillère,
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour le 09 décembre 2019.
GREFFIER
Lors du dépôt des dossiers : Mme Esther KLOCK, greffière.
ARRET :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées. Signé par Madame Claudine FOURCADE, présidente de chambre et par Mme Esther KLOCK, greffière, à laquelle la décision a éé remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
Selon acte sous seing privé en date du 04 mai 2010, la société BRED Banque Populaire (la BRED), a consenti à la SARL Trimax, un prêt professionnel d'un montant de 160 000 euros, au taux effectif global de 7,23% l'an, remboursable en 84 mensualités de 2403,04 euros, destiné à l'achat d'un fond de commerce.
Suivant acte sous seing privé du 20 avril 2010, M. X... C... (tout comme Mme U... R..., gérante de la SARL Trimax) s'est porté caution personnelle et solidaire de ce prêt à hauteur de la somme de 192 000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts, pénalités et intérêts de retard.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 05 février 2016, la BRED a prononcé la déchéance du terme et mis en demeure la SARL Trimax et M. C... de lui payer la somme de 45 021,32 euros.
Suivant jugement du 18 février 2016, la liquidation judiciaire de la SARL Trimax a été prononcée et suivant bordereau du 08 avril 2016, la BRED a déclaré sa créance auprés de Mme T... F..., désignée en qualité de mandataire judiciaire, laquelle établissait le 1er septembre 2016, une attestation d'irrecouvrabilité, aucune perspective d'apurement, même partiel de cette créance n'étant envisageable.
Suite à l'action en paiement introduite à la diligence de la BRED, le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, par jugement réputé contradictoire en date du 09 mars 2018, a :
-constaté que la BRED n'a pas manqué à son obligation d'information de la SARL Trimax au titre des dispositions de l'article 1147 du code civil et de l'article L. 141-7 du code des assurances,
-prononcé la nullité de l'engagement de caution solidaire de Mme R... souscrit le 20 avril 2010 en garantie du prêt de 160 000 euros consenti le 04 mai 2010 par la BRED à la SARL Trimax,
-débouté la BRED de l'ensemble de ses prétentions à l'encontre de Mme R...,
-débouté Mme R... de sa demande de dommages et intérêts,
-fixé la créance de la BRED à l'endroit de M. C... à la somme de 44 873,08 euros,
-condamné M. C... à payer à la BRED la somme de 44 873,08 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2017,
-ordonné la capitalisation annuelle des intérêts sur la somme de 44 873,08 euros,
-condamné M. C... à payer à la BRED la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Me Daniel Werter.
Selon déclaration reçue au greffe de la cour le 24 juillet 2018, M. C... a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance du 18 février 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable l'appel formé par M. C... selon déclaration d'appel du 24 juillet 2018, débouté la BRED de ses demandes, débouté M. C... de son indemnité de procédure et dit que les dépens suivront le sort de l'instance au fond.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 septembre 2019.
PRETENTIONS ET MOYENS
Les dernières conclusions, remises les 08 juillet 2019 par l'appelant, 26 juillet 2019 par l'intimée, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
M. C... demande à la cour de :
-réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamné à payer à la BRED la somme de 44 873,08 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2017 et ordonne la capitalisation annuelle des intérêts sur la somme de 44 873,08 euros,
-constater la disproportion de son engagement au regard de ses capacités financières et de son patrimoine économique,
-en conséquence, prononcer la déchéance du droit de créance de la BRED portant sur la somme de 44 873,08 euros,
-dire et juger que M. C... sera déchargé de la dette de 44 873,08 euros contracté par lui en qualité de caution,
-condamner la BRED au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile dont distraction au profit du cabinet de maître G....
M. C... soutient principalement que :
-son engagement de caution, tout comme celui de Mme R..., est manifestement disproportionné par rapport à ses revenus de l'époque, de l'ordre de 1597 euros par mois alors que l'échéance mensuelle du prêt cautionné s'élevait à la somme de 2497,04 euros, son taux d'endettement étant supérieur au taux de tolérance à hauteur de 33% admis par les établissements bancaires de sorte que sa capacité maximale de remboursement était largement dépassée,
-l'action en déchéance de l'engagement de caution est parfaitement recevable puisque le délai de prescription ne pourrait courir que de la mise en demeure de payer le solde du prêt restant dû soit à compter du 5 février 2016, étant observé que la haute juridiction a jugé qu'en cette matière, le moyen tiré de la disproportion constitue une défense au fond, échappant à la prescription.
La BRED demande à la cour de :
-constater que M. C... ne rapporte pas la preuve de ses allégations quant au caractère disproportionné de l'engagement de caution qu'il a souscrit le 20 avril 2010, -constater que l'action de M. C... est en tout état de cause prescrite,
-déclarer l'appel non fondé,
-débouter M. C... de toutes ses demandes,
-confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
-condamner M. C... à payer à la BRED la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
La BRED soutient principalement que :
-M. C... ne rapporte pas la preuve d'une disproportion manifeste de son engagement de caution, ni au moment de sa conclusion, ni au moment où il a été appelé,
-cette demande est prescrite, M. C... disposant d'un délai de 5 ans à compter de son engagement, soit le 20 avril 2015 pour en demander la nullité conformément à l'article 2224 du code civil, ce qu'il a fait uniquement le 24 octobre 2018, en cause d'appel.
MOTIFS
Sur le caractère disproportionné de l'engagement de caution
A l'énoncé de l'article L. 341-4 du code de la consommation (dans sa version applicable en la cause, devenu L.332-1 du même code), un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
L'exigence de proportionnalité impose au créancier de s'informer sur la situation patrimoniale de la caution, c'est-à-dire l'état de ses ressources, de son endettement, et de son patrimoine, ainsi que de sa situation personnelle et il est admis que le manquement de la banque à son obligation de mise en garde peut être invoqué, s'il existe une disproportion manifeste, pour un professionnel diligent, entre l'engagement pris et les ressources financières de la caution. Ceci nécessite un contrôle des facultés contributives de celle-ci au moment de la souscription de l'engagement, puis au jour de son exécution, étant précisé qu'il appartient à la caution de prouver le caractère disproportionné de son engagement par rapport à ses biens et revenus.
En l'espèce, il ressort des pièces du dossier notamment de la fiche de renseignement établi le 20 avril 2010 c'est à dire au moment de l'engagement de caution de M. C..., que ce dernier alors âgé de 45 ans, était célibataire, locataire de son habitation principale, exerçant la profession d'artisan et disposant de revenus professionnels de l'ordre de 18 840 euros par an outre d'autres revenus -dont la nature n'est pas précisée- à hauteur de 12 000 euros annuels soit au total 30 840 euros par an pour faire face au paiement d'un loyer s'élevant à la somme annuelle de 11 676 euros soit un reste à vivre de 19 164 euros par an.
Cette fiche de renseignements retient d'ailleurs expressément un revenu disponible pour l'intéressé de 1597 euros mensuels (19164/12) et un pourcentage "d'endettement actuel (de) 37,86%".
Il s'en évince qu'en acceptant l'engagement de M. C... en qualité de caution solidaire, sans bénéfice de discussion, à hauteur de 192 000 euros, pour un emprunt de 160 000 euros remboursable par mensualités de 2403,04 euros, la BRED a fait, au regard du montant de l'engagement en cause, une appréciation disproportionnée des capacités financières de celui-ci dont le revenu mensuel moyen connu était de 1597 euros par mois, lequel est inférieur de 906 euros par rapport au montant de l'échéance bancaire mise à la charge du débiteur principal.
C'est à tort que la BRED veut de plus tirer avantage du paiement sans incident pendant 5 ans dudit prêt par la SARL Trimax alors que la caution ne s'engage pas à titre principal à l'égard du créancier, mais en prévision de l'inexécution du débiteur et qu'en l'espèce, au jour de la souscription de son engagement, les revenus et les biens de M. C..., peu important que le banquier est obtenu la garantie de deux personnes physiques, étaient insuffisants pour y faire face.
Par ailleurs, si aucun élément ne fait état de la situation financière et patrimoniale de M. C... au mois d'avril 2016, période de la mise en demeure de payer le solde du prêt accordé à la SARL Trimax, il est rapporté qu'actuellement M. C..., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, est allocataire du revenu social d'activité.
Aussi, en l'espèce, il est de juste appréciation de considérer qu'il est rapporté la preuve de l'existence d'une disproportion manifeste entre le montant de l'engagement de caution pris par M. C... le 20 avril 2010 et ses capacités financières et patrimoniales.
Il convient de rappeler que le bénéfice de la proportionnalité constituant une défense au fond au sens de l'article 71 du code de procédure civile, il échappe à la prescription de sorte que ce moyen est également inopérant.
Il est de jurisprudence assurée que l'appréciation du caractère disproportionné de l'engagement conduit à la déchéance de l'acte, la caution qui a souscrit un cautionnement disproportionné se retrouvant déchargée.
Dés lors, c'est à tort que le premier juge a retenu comme efficient l'engagement de caution de M. C... et condamné celui-ci à payer à la BRED la somme de 44 873,08 euros à ce titre.
En conséquence, vu la disproportion manifeste de l'engagement de caution de M. C..., il y aura lieu de le décharger purement et simplement de toute obligation issue de l'acte de cautionnement signé le 20 avril 2010 en faveur de la BRED.
Le jugement querellé sera donc infirmé de ces chefs.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
M. C..., bénéficiant de l'aide juridictionnelle totale, ne justifie pas de frais particuliers justifiant l'allocation d'une indemnité de procédure. Sa demande faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera donc rejetée.
Succombant, la BRED supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par décision contradictoire, mise à disposition au greffe ;
Infirme le jugement rendu le 09 mars 2018 par le tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre en ce qu'il a fixé la créance de la société BRED Banque Populaire à l'endroit de M. X... C... à la somme de 44 873,08 euros, condamné M. X... C... à payer à la société BRED Banque Populaire la somme de 44 873,08 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2017, ordonné la capitalisation annuelle des intérêts sur la somme de 44 873,08 euros, condamné M. C... à payer à la société BRED Banque Populaire la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Me Daniel Werter ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la déchéance de l'engagement de caution solidaire souscrit le 20 avril 2010 par M. X... C... en garantie du prêt de 160 000 euros consenti le 04 mai 2010 par la société BRED Banque Populaire à la SARL Trimax ;
Dit que M. X... C... est déchargé envers la société BRED Banque Populaire du paiement de la somme de 44 873,08 euros ;
Dit n'y avoir lieu à capitalisation annuelle des intérêts sur cette somme et paiement de la somme de 800 euros en faveur de la BRED au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société BRED Banque Populaire de l'ensemble de ses demandes ;
Rejette les demandes faites en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société BRED Banque Populaire aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Rejette les prétentions plus amples ou contraires des parties ;
Et ont signé le présent arrêt.
La greffière La présidente