COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
Ch. civile A
ARRET du 15 DECEMBRE 2010
R. G : 08/ 00082 R-CGA
Décision déférée à la Cour : jugement du 22 janvier 2008 Tribunal de Grande Instance de BASTIA R. G : 06/ 261
X...A...
C/
CONSORTS Y...COMMUNE DE CALACUCCIA
APPELANTS :
Monsieur Mathieu X...né le 02 Juin 1956 à CALACUCCIA (20224) ...20224 CALACUCCIA
représenté par Me Antoine-Paul ALBERTINI, avoué à la Cour
ayant pour avocat Me Cynthia SIGRIST, avocat au barreau de BASTIA
Madame Stella A...épouse X...née le 17 Novembre 1961 à BASTIA (20200) ...20224 CALACUCCIA
représentée par Me Antoine-Paul ALBERTINI, avoué à la Cour
ayant pour avocat Me Cynthia SIGRIST, avocat au barreau de BASTIA
INTIMES :
Monsieur Jean-Paul Y...né le 27 Novembre 1936 à SOUSSE (TUNISIE) ... 20224 CALACUCCIA
représenté par la SCP Antoine CANARELLI-Jean-Jacques CANARELLI, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Marc Antoine LUCA, avocat au barreau de BASTIA
Monsieur Victor Marie Y...né le 15 Septembre 1939 à CORTE (20250) ...20200 VILLE DI PIETRABUGNO
Intervenant volontaire
représenté par la SCP Antoine CANARELLI-Jean-Jacques CANARELLI, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Marc Antoine LUCA, avocat au barreau de BASTIA
COMMUNE DE CALACUCCIA Prise en la personne de son maire en exercice Hôtel de Ville 20224 CALACUCCIA
représentée par la SCP RIBAUT-BATTAGLINI, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Pierre-Paul MUSCATELLI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 octobre 2010, devant la Cour composée de :
Madame Julie GAY, Président de chambre Madame Catherine GIRARD-ALEXANDRE, Conseiller Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Sophie DUVAL.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 15 avril 2009, prorogée par le magistrat par mention au plumitif au 15 décembre 2010.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Julie GAY, Président de chambre, et par Madame Sophie DUVAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* * EXPOSE DU LITIGE :
Jean-Paul Y...et Victor Y...ont acquis par acte notarié du 17 octobre 2000, sur le territoire de la Commune de CALACUCCIA, la parcelle cadastrée section D no 600 anciennement D 379.
Soutenant que des ouvertures et balcons avaient été réalisés par Mathieu X...et Stella A...épouse X..., propriétaires du fonds cadastré section D no 599, anciennement D 377, sur la façade Est de leur maison en empiétant sur sa propriété, alors que celle-ci avait été reconnue par un jugement définitif du Tribunal de Grande Instance de BASTIA en date du 11 janvier 2005, ainsi qu'au mépris des règles de distance légales, Jean-Paul Y...a fait assigner les époux X...devant le Tribunal de Grande instance de BASTIA pour voir ordonner la démolition de ces ouvrages aux frais de leurs auteurs et obtenir la remise en état des lieux sous astreinte, ainsi que des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Mathieu X...et Stella A...épouse X...ont, par conclusions déposées le 31 mai 2006, formé tierce opposition incidente au jugement du Tribunal de Grande Instance de BASTIA du 11 janvier 2005 rendu entre Jean-Paul Y...et la Commune de CALACUCCIA, selon eux en fraude de leurs droits, demandant en conséquence de dire que la bande de terrain non cadastrée séparant les parcelles D 599 et D 600, et supportant actuellement un chemin, est une copropriété indivise entre les propriétaires des fonds D 598, D 599 et D 600, d'ordonner en conséquence la modification du cadastre, et de débouter Jean-Paul Y...de toutes ses demandes.
Par jugement en date du 22 janvier 2008, le Tribunal de Grande instance de BASTIA a :
- déclaré recevable la tierce opposition formée par les époux X...,
- au fond, dit n'y avoir lieu à réformation du jugement,
- constaté que la propriété de Jean-Paul Y...s'entend sur la parcelle D 600 comme précisé audit jugement s'agissant de la bande de terrain litigieuse,
- dit, en tant que de besoin, que le trottoir bétonné se trouve inclus dans sa totalité dans la parcelle D 599 (propriété des époux X...) et que la limite de cet ouvrage constitue la limite du fonds D 599,
- dit que les ouvrages réalisés courant 2000 par les époux X..., savoir l'aménagement de deux portes-fenêtres et de deux balcon en façade Est de leur immeuble, ne respectent pas les règles de distance légales,
- ordonné aux époux X...de procéder ou faire procéder à leurs frais à la remise des lieux en leur état initial, savoir leur état avant travaux, dans un délai de 10 mois à compter de la signification du présent jugement, et passé ce délai sous astreinte de 100 euros par jour de retard et pendant trois mois, après quoi, l'astreinte pourra être liquidée et le cas échéant reconduite ou modifiée,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes, y compris celles au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Mathieu X...et Stella A...épouse X...ont interjeté appel de cette décision le 29 janvier 2008.
Suivant arrêt avant dire droit du 15 avril 2009, la Cour a invité Jean-Paul Y...à assigner en intervention forcée la Commune de CALACUCCIA, et à fournir toutes explications utiles sur les raisons de l'absence à l'instance de Victor Y..., coacquéreur de la parcelle D 600, et le cas échéant à provoquer son intervention à l'instance.
Victor Y...est intervenu volontairement à l'instance par conclusions du 24 juin 2009, en indiquant adhérer aux écritures de son frère, Jean-Paul Y....
Par arrêt avant dire droit du 28 octobre 2009, la Cour, constatant que Jean-Paul Y...n'avait pas procédé à la mise en cause de la Commune de CALACUCCIA malgré l'invitation faite par la précédente décision, et que les époux X...se proposaient d'y procéder, a invité ces derniers à assigner en intervention forcée la Commune.
Suivant acte d'huissier en date du 20 novembre 2009, les époux X...ont assigné en intervention forcée devant la Cour la Commune de CALACUCCIA.
Les deux instances ont été jointes par ordonnance du 9 décembre 2009.
*
* *
En leurs dernières conclusions en date du 7 décembre 2009 auxquelles il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, Mathieu X...et Stella A...épouse X...concluent à la confirmation de la décision en ce qu'elle a jugé recevable leur tierce opposition et dit que le trottoir bétonné se trouve inclus sans sa totalité dans leur parcelle D 599, et à son infirmation sur le surplus.
Ils concluent en conséquence au rejet de toutes les demandes de Jean-Paul Y...en faisant valoir :
- à titre principal, que la bande de terrain de 10 centiares séparant leurs fonds respectifs n'appartient nullement à Jean-Paul Y..., au regard des mentions figurant en son acte d'acquisition, des indications cadastrales résultant tant de l'ancien cadastre que du nouveau, et des titres de propriété respectifs, de sorte que les balcons litigieux qui se trouvent au droit du trottoir bétonné dont il a été reconnu qu'il était inclus dans leur propre parcelle, ne peuvent empiéter sur la D 600, et que les deux fonds n'étant pas contigus, l'article 678 du code civil sur le fondement duquel la suppression des vues a été ordonnée, ne trouve pas à s'appliquer,
- subsidiairement, que la bande de terrain non numérotée litigieuse est une copropriété indivise entre les propriétaires actuels des fonds cadastrés D 598, 599 et 600, et de dire qu'il conviendra de modifier le cadastre en attribuant un numéro à cette parcelle, et de publier le jugement à la Conservation des Hypothèques.
A cet égard, ils font observer que, à supposer que la qualification de chemin public soit écartée car abandonnée par la Commune de CALACUCCIA, il n'en demeure pas moins que depuis temps immémorial, ledit chemin a en fait été utilisé de façon commune, courante et égalitaire par les propriétaires de la partie de la placette sise à gauche dudit chemin, l'actuelle D 599 et la D 598.
En toute hypothèse, ils demandent la condamnation de Jean-Paul Y...au paiement de 5. 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, et de 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par leurs dernières conclusions du 3 juin 2010 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions, Jean-Paul et Victor Y...concluent à la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la tierce opposition, et demande d'ordonner sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, la démolition et l'enlèvement aux frais des époux X...des ouvrages et la remise des lieux en l'état initial, savoir avant les travaux effectués dans le courant de l'année 2000.
Ils sollicitent par ailleurs leur condamnation au paiement de la somme de 15. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 3. 000 euros par application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Ils soutiennent que la tierce opposition est irrecevable dès lors que les époux X...n'ont pas assigné la Commune de CALACUCCIA en première instance, et ne s'y sont résolus qu'après qu'eux-mêmes s'y soient opposés malgré la demande de la Cour.
Sur le fond, ils font valoir essentiellement qu'il résulte incontestablement du rapport d'expertise de Monsieur F...établi dans le cadre de l'instance ayant abouti au jugement du 11 juin 2005, que la partie de parcelle objet du litige a été soustraite, lors de la révision du cadastre, à l'ancienne parcelle D 379 actuellement D 600 vendue pourtant pour la totalité de sa surface par les frères G....
Par conclusions déposées le 8 avril 2010, la Commune de CALACUCCIA conclut au rejet des prétentions des consorts Y...et à l'infirmation du jugement déféré, en faisant valoir essentiellement que le droit de propriété de ces derniers sur la bande de terrain litigieuse n'est nullement démontré.
Elle demande en outre la condamnation de Jean-Paul Y...au paiement de la somme de 2. 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance du 9 septembre 2010.
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* *
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur l'intervention volontaire de Victor Y...:
Il convient de décerner acte à Victor Y...de son intervention « volontaire », quoi que sollicitée par la Cour au regard de sa qualité d'acquéreur indivis avec son frère de la parcelle D 600, objet du présent litige.
Sur la recevabilité de la tierce opposition incidente formée par les époux X...à l'encontre du jugement du tribunal de grande instance de BASTIA en date du 11 janvier 2005 :
Par application de l'article 583 du code de procédure civile, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée.
En l'espèce, il est certain que les époux X..., qui n'étaient ni parties ni représentés dans le cadre de l'instance ayant opposé Jean-Paul Y...et la Commune de CALACUCCIA, ont intérêt à former tierce opposition à l'encontre du jugement du 11 janvier 2005 dès lors que celui-ci a déclaré Jean-Paul Y...propriétaire de la bande de terrain séparant la parcelle D 600 appartenant à ce dernier de la parcelle D 599, propriété des époux X..., et que c'est sur la base de ce jugement que Jean-Paul Y...invoque les dispositions de l'article 678 du code civil réglementant les vues droites entre deux fonds contigus, ainsi qu'un prétendu empiétement sur son fonds, pour solliciter la suppression desdites vues et la démolition des balcons.
En outre, il ne saurait être sérieusement soutenu qu'il était justifié de ne pas appeler en cause les époux X...dans le cadre de l'instance en revendication à l'encontre de la Commune, alors que cette action au fond faisait suite à une procédure en référé à l'encontre des époux X...aux fins de voir ordonner la suspension des travaux de construction d'ouvrages par ceux-ci, dans le cadre de laquelle le juge des référés s'était déclaré incompétent en raison d'une contestation sérieuse sur la nature exacte de la bande de terrain litigieuse (propriété de Jean-Paul Y...par inclusion dans la parcelle D 600 ou chemin communal).
Et il aurait été d'autant plus nécessaire que les époux X...soient appelés à cette instance au fond que la mission d'expertise qui était sollicitée par Jean-Paul Y...consistait, non seulement à rechercher la nature de la parcelle non numérotée séparant les parcelles D 599 et D 600, mais également à déterminer la contenance respective des parcelles D 599 et D 600, et ce dans le seul but de
permettre ensuite à Jean-Paul Y...d'engager à l'encontre des époux X..., l'action en démolition d'empiétement et en suppression de vues.
Par ailleurs, en application des dispositions de l'article 584 du code de procédure civile, la tierce opposition n'est recevable, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, que si toutes ces parties sont appelées à l'instance.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Cour a dû, par deux fois, invité les parties à appeler en cause la Commune de CALACUCCIA, alors pourtant que Jean-Paul Y..., alors seul demandeur, n'avait nullement soulevé l'irrecevabilité de la tierce opposition formée par les époux X...en raison de l'absence de la Commune.
Par ailleurs, en application des dispositions de l'article 588 du même code, la tierce opposition incidente à une contestation dont est saisie une juridiction est tranchée par cette dernière si elle est de degré supérieur à celle qui a rendu le jugement ou si, étant d'égal degré, aucune règle de compétence d'ordre public n'y fait obstacle, et elle est alors formée de la même manière que les demandes incidentes.
Aux termes des dispositions de l'article 68 dudit code, les demandes incidentes sont faites à l'encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance. En appel, elles le sont par voie d'assignation.
Enfin, il résulte de l'article 126 du code de procédure civile que, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
De plus, aucune disposition légale n'interdit de régulariser en cause d'appel la fin de non-recevoir susceptible d'être opposée à la personne qui forme tierce opposition en raison de l'absence d'une ou plusieurs parties au jugement attaqué.
Il s'ensuit que la tierce opposition incidente formée par les époux X...suivant conclusions du 31 mai 2006 et assignation du 20 novembre 2009 à l'encontre du jugement du 11 janvier 2005 est recevable.
Il n'est pas inutile de souligner qu'en toute hypothèse, seule la Commune de CALACUCCIA aurait eu qualité pour soulever l'irrecevabilité de la tierce opposition en raison du caractère tardif de son
appel en cause, et en aucun cas Jean-Paul Y...qui s'est en outre abstenu tant en première instance qu'en cause d'appel de soulever les dispositions de l'article 584 sur lesquelles la Cour s'est fondée pour solliciter des parties qu'elles provoquent l'intervention de la Commune.
Sur la nécessité de la présence à l'instance sur tierce opposition de la Commune de CALACUCCIA au regard des effets de la tierce opposition si celle-ci est accueillie :
Les consorts Y..., soutenant que la mise en cause de la Commune ne se justifiait pas au regard de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement d'origine entre les parties initiales, ont refusé de déférer à l'invitation faite par la Cour en son premier arrêt avant-dire droit du 15 avril 2009, la contraignant ainsi par un second arrêt du 28 octobre 2009, à formuler la même demande à l'égard des époux X....
Reprenant la même argumentation en leurs dernières écritures, ils prétendent en outre en tirer la conséquence que les demandes de la Commune, qui n'en formule cependant aucune si ce n'est au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et se contente de conclure à l'absence de preuve par les consorts Y...de leur droit de propriété, sont irrecevables, et que la question du droit de propriété sur la bande de terrain litigieuse ayant été définitivement tranchée entre Jean-Paul Y...et la Commune, elle ne peut être remise en cause en application de l'article 591 du code de procédure civile.
Toutefois, il importe de souligner que, certes, en application des dispositions des articles 582 et 591 alinéa 1er du code de procédure civile, la tierce opposition n'a pour objet que de remettre en question relativement à son auteur les points jugés qu'il critique, de sorte que le jugement attaqué n'est rétracté ou réformé que sur les chefs préjudiciables au tiers opposant et lui est alors seulement inopposable, mais conserve tous ses effets entre les parties même sur les chefs annulés.
Mais cette indifférence de la solution rendue sur tierce opposition au regard des parties d'origine a ses limites, précisément en cas d'indivisibilité comme le prévoit l'alinéa 2 de l'article 591 précité, lequel dispose que « la chose jugée sur tierce opposition l'est à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance en application de l'article 584 ».
Or, comme cela a été souligné en l'arrêt avant dire droit du 15 avril 2009, l'indivisibilité résulte de l'impossibilité d'exécuter en même temps la décision faisant droit à la tierce opposition et le jugement attaqué.
Et en l'espèce, le caractère absolu et exclusif du droit de propriété s'oppose à ce que le jugement primitif puisse, à la fois, continuer à
produire ses effets quant au droit de propriété de Jean-Paul Y...entre celui-ci et la Commune, et être réformé relativement à ce même droit de propriété à l'égard des époux X...seulement.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Cour, estimant que l'indivisibilité du litige devait conduire à ce que la décision à intervenir sur la tierce opposition doive produire effet à l'égard de toutes les parties concernées par la question de la propriété de la bande de terrain litigieuse, a jugé nécessaire que la Commune de CALACUCCIA, partie au jugement attaqué, soit partie à la présente instance sur tierce opposition.
Il résulte de ce qui précède que non seulement les « demandes » présentées par la Commune de CALACUCCIA ne se heurtent nullement à l'autorité de la chose jugée par le jugement objet de la tierce opposition, mais que la décision à intervenir sur la tierce opposition, et partant sur la question du doit de propriété de la bande de terrain litigieuse, aura autorité de la chose jugée à l'égard de toutes les parties à la présente instance, et anéantira nécessairement le jugement primitif sur cette question.
* Sur le fond de la tierce opposition :
Par jugement du 11 janvier 2005 dont il est fait tierce opposition, le tribunal de grande instance de BASTIA a :
- homologué le rapport d'expertise déposé le 20 avril 2004 par Monsieur F...,
- dit que les fonds cadastrés D 599 (ancienne D 377 et non 379 comme indiqué de manière erronée au jugement), et D 600 (ancienne D 379 et non 377), sont contigus et qu'il n'existe aucune chemin communal les séparant,
- dit que la bande de terrain séparant les deux fonds et correspondant à une superficie de 10 centiares est rattachée à la parcelle D 600 dont elle constitue une servitude de passage au profit du fonds cadastré D 598,
- dit que Monsieur Jean-Paul Y...est propriétaire de la parcelle D 600 (ancienne D 379) en ce compris la bande de terrain litigieuse,
- dit qu'il convient de procéder à la rectification du cadastre en attribuant un nouveau numéro à cette parcelle de terrain issue de l'ancienne D 379,
- dit qu'un acte notarié devra être établi pour régulariser la vente intervenue le 17 octobre 2000 entre les consorts G...et Y...,
- condamné la Commune de CALACUCCIA à verser à Monsieur Y...la somme de 2. 000 euros de dommages et intérêts pour résistance abusive, et celle de 1500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il importe de rappeler que le tiers opposant est dans une situation semblable à celle où il se serait trouvé s'il était intervenu à l'instance pour résister à l'action, et que pour motiver sa décision, le juge doit se déterminer d'après les circonstances particulières du procès et non par voie de référence au jugement dont il est fait tierce opposition auquel les tiers opposants n'étaient pas parties.
Il s'ensuit que, comme dans toute action en revendication, la charge de la preuve incombe au demandeur, soit en l'espèce, les consorts Y..., revendiquants à l'encontre de la Commune, lesquels sont donc tenus de rapporter une preuve directe et positive du droit de propriété dont ils se prévalent.
Dès lors, le tribunal de grande instance de BASTIA en estimant que les époux X...n'apportaient pas d'éléments conduisant à écarter le droit de propriété de Jean-Paul Y...ou à le limiter, alors que ce droit de propriété résultait précisément et uniquement du jugement dont il était formé tierce opposition et sur lequel le tribunal ne pouvait en conséquence s'appuyer pour tenir ledit droit comme démontré, ont inversé la charge de la preuve, laquelle incombe aux consorts Y..., demandeurs initiaux à l'action.
Par ailleurs, les modes de preuve de la propriété immobilière sont libres, le juge devant rechercher quel est le droit le meilleur et le plus probable au regard des faits, et des preuves produites, lesquelles peuvent être la possession, les indices et les titres de propriété, et apprécier la portée des preuves soumises à lui lorsqu'elles entrent en contradiction.
Les consorts Y...invoquent à l'appui de leur action en revendication de la bande de terrain litigieuse de 10 m ² les conclusions du rapport d'expertise déposé le 20 avril 2004 par Monsieur F..., qui peuvent être synthétisées comme suit :
- la superposition de l'ancien et du nouveau cadastre montre que la parcelle D 600, d'une superficie de 21 centiares, correspond à l'ancienne parcelle D 379 d'une contenance de 31 centiares, de laquelle a été soustrait à la rénovation du cadastre un chemin de 5, 5 mètres de long sur 1, 8 mètre de large, non numéroté, et qui sépare la parcelle D 600 de la parcelle D 599, ancienne D 377,
- au moment de la vente (entre les consorts G...et les consorts Y...), la diminution de superficie a été remarquée et signalée dans l'acte, mais non corrigée ; pour pouvoir corriger le nouveau
plan cadastral, il aurait fallu que le propriétaire fasse une déclaration au moment de la publication du nouveau plan, dans un délai d'un an, ce qui n'a pas été le cas,
- il existe bien une parcelle non numérotée qui sépare les parcelles D 600 et D 599, qui présente les caractéristiques d'un chemin communal, et qui sert d'accès aux propriétaires de la parcelle D 598,
- l'expert indique qu'à son avis, le nouveau cadastre a créé à tort un chemin communal qui a réduit la parcelle D 379 de 10 m ² en la transformant en D 600, mais sans qu'aucune cession amiable ou procédure d'expropriation n'aient eu lieu,
- un nouveau numéro devrait être donné à ce chemin et la nouvelle parcelle attribuée aux vendeurs des consorts Y....
Les conclusions du rapport d'expertise établissent donc incontestablement que l'ancienne parcelle D 379 avait une contenance de 31 m ², et que lors de la rénovation du cadastre en 1938, une bande de terrain de 10 m ² a été soustraite, sans qu'un quelconque acte translatif fonde cette diminution de surface, et la parcelle D 600 créée pour une surface de 21 m ².
Toutefois, il n'en demeure pas moins que cela est insuffisant pour démontrer que les consorts Y...sont effectivement devenus propriétaires des 31 m ² de l'ancienne parcelle D 379 et non pas seulement des 21 m ² de la nouvelle parcelle D 600.
En effet, l'examen du relevé cadastral d'Antoine François G..., auteur initial dont se prévalent les consorts Y..., fait état depuis au moins 1938, date de la rénovation du cadastre, d'une contenance de 21 centiares, étant en outre précisé qu'aucune contestation n'a été émise lors de la rénovation du cadastre concernant la modification de contenance.
Mais plus encore, il sera rappelé que les consorts Y...tiennent leurs droits sur la parcelle D 600 de Joseph et Marc Marie G...suivant acte authentique de vente du 17 octobre 2000, lequel précise expressément que la parcelle vendue est d'une contenance de 21 centiares.
Cet acte précise également que l'origine de propriété des vendeurs réside dans un acte dressé par Maître H...le 1er novembre 1996, qui consiste en une attestation immobilière après décès, dressée à la demande des consorts G...dans laquelle ces derniers exposent expressément que la parcelle D 600 relevant de la succession a une contenance de 21 centiares et qu'elle provient d'un premier acte de partage de 1924.
Il s'ensuit que les consorts G..., vendeurs de Victor et Jean-Paul Y..., se sont eux-mêmes fait titrer dans l'attestation immobilière susvisée sur une parcelle d'une superficie de 21 m ² et non 31 m ², ce qui doit s'analyser comme une reconnaissance de leur absence de droit de propriété sur les 10 m ² consistant en la parcelle non numérotée litigieuse, et une renonciation implicite mais suffisante, à revendiquer la surface ayant été soustraite de la D 379 lors de la rénovation du cadastre. En conséquence, les consorts Y..., qui ne peuvent détenir plus de droits que leurs vendeurs, ne peuvent pas revendiquer la propriété de la bande de terrain litigieuse à laquelle leurs auteurs avaient renoncé, et ne sont donc propriétaires que de la surface dont leurs vendeurs se sont expressément reconnus eux-mêmes propriétaires.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les consorts Y...ne démontrent pas leur droit de propriété sur la parcelle non numérotée d'une superficie de 10 centiares, séparant la parcelle D 600, de 21 centiares, de la parcelle D 599 appartenant aux époux X..., de sorte qu'il convient d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de BASTIA du 22 janvier 2008 en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à réformation du jugement du tribunal de grande instance de BASTIA en date du 11 janvier 2005, et statuant de nouveau, de réformer le jugement du 11 janvier 2005 en toutes ses dispositions, et de débouter les consorts Y...de leurs demandes tendant à se voir déclarer propriétaires de la bande de terrain séparant ces deux parcelles par inclusion dans la D 600, avec toutes conséquences quant à la rectification du cadastre et de l'acte de vente du 17 octobre 2000.
Sur les demandes en démolition d'ouvrages et en suppression des vues droites sur la parcelle D 600 :
La demande en démolition des terrasses de la maison des époux ACQUAVIVA et en fermeture des ouvertures donnant des vues droites sur le fonds des consorts Y..., repose d'une part sur les dispositions de l'article 544 du code civil prohibant les empiétements, y compris en surplomb, sur la propriété d'autrui, et d'autre part sur celles de l'article 678 du code civil duquel il résulte qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.
Concernant la demande de démolition des balcons, elle ne pourra qu'être rejetée dès lors qu'il est établi que ces constructions s'arrêtent au droit du trottoir dont le rapport d'expertise précité a précisé qu'il était en totalité inclus dans la parcelle D 599 appartenant aux époux X....
A supposer que ces constructions aient empiété sur la bande de terrain non numérotée séparant les parcelles D 600 et D 599, la démolition n'aurait en toute hypothèse pu être ordonnée dès lors que cette bande de terrain n'est pas la propriété des consorts Y....
Par ailleurs, l'article 678 ne saurait trouver application en l'espèce dans la mesure où, de par l'absence de droit de propriété des consorts Y...sur la bande de terrain de 10 m ² litigieuse, les parcelles D 600 et D 599 ne sont pas contiguës.
Il s'ensuit que le jugement déféré doit être également infirmé en ce qu'il a constaté que la propriété de Jean-Paul Y...s'entend sur la parcelle D 600 comme précisé audit jugement s'agissant de la bande de terrain litigieuse, dit que les ouvrages réalisés courant 2000 par les époux X..., savoir l'aménagement de deux portes-fenêtres et de deux balcon en façade Est de leur immeuble, ne respectent pas les règles de distance légales, et ordonné aux époux X...de procéder ou faire procéder à leurs frais à la remise des lieux en leur état initial, savoir leur état avant travaux, dans un délai de 10 mois à compter de la signification du présent jugement, et passé ce délai sous astreinte de 100 euros par jour de retard et pendant trois mois, après quoi, l'astreinte pourra être liquidée et le cas échéant reconduite ou modifiée, et les consorts Y...débouté de toutes leurs demandes aux mêmes fins.
Sur la demande en dommages et intérêts des époux X...pour procédure abusive :
Il résulte des écritures des parties et des pièces justificatives produites que les consorts Y...ont acquis en 2000 la parcelle D 600 alors que les travaux de rénovation de leur maison par les époux X...étaient en cours de réalisation, et qu'ils n'ont eu de cesse d'entraver la réalisation de ces travaux en prétendant qu'ils réalisaient des vues droites sur une parcelle dont ils ont pourtant reconnu et admis qu'elle supportait une servitude de passage au profit de propriétaires riverains, soit ceux de la parcelle D 598.
Par ailleurs, la configuration des lieux telle qu'elle ressort du rapport d'expertise, met en évidence l'absence de construction sur le fonds des consorts Y...et l'absence de préjudice réel consécutif aux vues litigieuses.
Enfin, le comportement procédural de Jean-Paul Y...apparaît également constitutif d'une faute caractérisant un abus du droit d'agir en justice, celui-ci s'étant volontairement abstenu d'appeler en cause les époux X...dans le cadre de l'instance en revendication de la bande de terrain litigieuse, alors que celle-ci avait pour seul objectif de voir statuer sur le droit de propriété sur ladite bande
de terrain aux fins de pouvoir ensuite obtenir la démolition des balcons de la maison des époux ACQUAVIVA.
Cet abus du droit d'agir en justice a incontestablement causé aux époux X...un préjudice qu'il convient de réparer par l'allocation d'une somme de 5. 000 euros de dommages et intérêts.
Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile :
Il serait inéquitable en l'espèce de laisser à la charge des époux X...l'intégralité des sommes par eux exposées à l'occasion de la présente instance et non comprises dans les dépens qui seront mis à la charge des consorts Y..., ce qui justifie la condamnation de ces derniers au paiement de la somme de 3. 000 euros au titre des frais non taxables.
En revanche, l'équité ne commande pas de faire application de ces dispositions au profit de la Commune de CALACUCCIA. *
* *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Donne acte à Victor Y...de son intervention volontaire aux débats,
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de BASTIA en date du 22 janvier 2008 en ce qu'il a déclaré recevable la tierce opposition incidente formée par Mathieu X...et Stella A...épouse X...et dit en tant que de besoin que le trottoir bétonné se trouve inclus dans sa totalité dans la parcelle D 599 et que la limite de cet ouvrage constitue la limite du fonds D 599,
L'infirme en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à réformation du jugement du tribunal de grande instance de BASTIA en date du 11 janvier 2005, constaté que la propriété de Jean-Paul Y...s'entend sur la parcelle D 600 comme précisé audit jugement s'agissant de la bande de terrain litigieuse, dit que les ouvrages réalisés courant 2000 par les époux X..., savoir l'aménagement de deux portes-fenêtres et de deux balcon en façade Est de leur immeuble, ne respectent pas les règles de distance légales, et ordonné aux époux X...de procéder ou faire procéder à leurs frais à la remise des lieux en leur état initial, savoir leur état avant travaux, dans un délai de 10 mois à compter de la signification du présent jugement, et passé ce délai sous astreinte de 100 euros par jour de retard et pendant trois mois, après quoi, l'astreinte pourra être liquidée et le cas échéant reconduite ou modifiée,
Statuant de nouveau du chef des dispositions infirmées,
Réforme le jugement du tribunal de grande instance de BASTIA en date du 11 janvier 2005 en toutes ses dispositions,
Dit que Victor et Jean-Paul Y...ne rapportent pas la preuve de leur droit de propriété sur la bande de terrain non numérotée au cadastre séparant les parcelles situées sur le territoire de la Commune de CALACUCCIA, cadastrées section D no600 et no599,
Déboute Victor et Jean-Paul Y...de leurs demandes tendant à se voir déclarer propriétaires de ladite bande de terrain, avec toutes conséquences quant à la rectification du cadastre et de l'acte de vente du 17 octobre 2000,
Déboute Victor et Jean-Paul Y...de leurs demandes en démolition des ouvrages réalisés courant 2000 par les époux X..., savoir l'aménagement de deux portes-fenêtres et de deux balcons en façade est de leur immeuble, et en suppression de vues sur leurs fonds,
Y ajoutant,
Rejette la fin de non recevoir soulevée en cause d'appel par les consorts Y...tirée de l'absence en première instance de la Commune de CALACUCCIA,
Condamne Victor et Jean-Paul Y...à payer à Mathieu X...et Stella A...épouse X...:
- la somme de CINQ MILLE EUROS (5. 000 euros) de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- la somme de TROIS MILLE EUROS (3. 000 euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Rejette la demande de la Commune de CALACUCCIA au titre des frais non taxables,
Condamne Victor et Jean-Paul Y...aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER LE PRESIDENT