Ch. civile B
ARRET du 09 MARS 2011
R. G : 09/ 00925 C-PH
Décision déférée à la Cour : jugement du 10 septembre 2009 Tribunal de Grande Instance de BASTIA R. G : 08/ 806
X...
C/
SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU NEUF MARS DEUX MILLE ONZE
APPELANT :
Monsieur Gilbert X...né le 24 Décembre 1938 à TUNIS ...... 20200 BASTIA
représenté par Me Antoine-Paul ALBERTINI, avoué à la Cour
assisté de Me Olivier PELLEGRI, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE Prise en la personne de son représentant légal Plaine de LUCCIANA 20290 BORGO
représentée par la SCP Antoine CANARELLI-Jean-Jacques CANARELLI, avoués à la Cour
assistée de la SCP TOMASI-SANTINI-GIOVANNANGELI-VACCAREZZA-BRONZINI DE CARAFFA, avocats au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 janvier 2011, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean BRUNET, Président de Chambre Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Marie-Jeanne ORSINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 09 mars 2011.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Jean BRUNET, Président de Chambre, et par Madame Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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* * Vu le jugement du Tribunal de grande instance de BASTIA du 10 septembre 2009 qui a :
constaté la nullité de l'emprunt contracté par Monsieur Gilbert X...envers la société à responsabilité limitée SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE par le biais d'un compte courant d'associé débiteur,
condamné Monsieur Gilbert X...à restituer les sommes inscrites au débit de son compte courant d'associé et à payer la somme de 171. 093, 25 euros à la société à responsabilité limitée SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE,
dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2007, date de l'assignation introductive d'instance,
condamné Monsieur X...à payer à la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE la somme de 2. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
débouté la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE de sa demande de dommages et intérêts,
débouté Monsieur X...de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
rejeté la demande d'exécution provisoire de la décision,
condamné Monsieur X...aux dépens.
Vu la déclaration d'appel déposée le 27 octobre 2009 pour Monsieur Gilbert X....
Vu les dernières conclusions de la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE du 27 avril 2010 aux fins de voir confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Monsieur X...au paiement de la somme de 171. 093, 25 euros en remboursement de son compte courant et, y ajoutant, de le voir condamner au paiement de la somme de 20. 000 euros au titre de dommages et intérêts, de celle de 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de Monsieur X...du 8 septembre 2010 aux fins de voir infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de voir juger que les sommes figurant sur son compte courant d'associé débiteur proviennent d'une distribution de dividendes fictifs et non des avances en comptes courants, que l'opération d'ouverture du compte courant d'associé débiteur sans assemblée générale et sans autorisation des associés est nulle, que l'action en répétition intentée par la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE est prescrite, et en conséquence de la débouter de ses prétentions, de la condamner à lui verser la somme de 15. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, celle de 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens distraits au profit de son avoué.
Vu l'ordonnance de clôture du 3 novembre 2010.
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EXPOSE DU LITIGE :
Le 12 mars 1993, Messieurs Michel A...et Gilbert X...ont créé la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE dont ils possèdent chacun la moitié des parts sociales.
Par ordonnance du Président du Tribunal de commerce de BASTIA du 22 août 1997, Monsieur Alain B...a été désigné administrateur provisoire de la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE à la suite d'une mésentente entre associés. Il a été conduit à dénoncer au Ministère Public des faits délictueux et, par jugement du 7 mars 2000, le Tribunal correctionnel de BASTIA a condamné Monsieur A...en qualité de gérant et Monsieur X..., en qualité de gérant de fait de la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE, du chef d'abus de biens sociaux et faux en écritures. Monsieur X...était également condamné pour recel d'abus de biens sociaux.
Par lettre recommandée du 8 mars 2000, Monsieur A...informait Monsieur X...de ce qu'à la demande de l'administrateur provisoire une réintégration comptable et fiscale des prélèvements avait été effectuée et sommation lui était faite de régulariser la situation de son compte courant d'associé débiteur de 709. 200 francs.
Par acte d'huissier du 15 mars 2007, en l'absence de remboursement de ce compte courant débiteur, la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE a assigné Monsieur X...sur le fondement de l'article 1304 du code civil afin d'obtenir la restitution de la somme de 171. 093, 25 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, ainsi que celle de 20. 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 3. 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Tribunal de grande instance de BASTIA a retenu qu'avant la nomination de l'administrateur provisoire, les associés, qui avaient encaissé des chèques de clients sans les inscrire en comptabilité, ont décidé afin de masquer leurs abus de biens sociaux d'inscrire ces sommes au débit de leur compte courant d'associé. Il a réfuté l'analyse proposée par Monsieur X...qui y voyait la distribution de dividendes fictifs, constaté qu'en application des dispositions de l'article L 223-1 alinéa premier du code de commerce, l'opération portant sur le compte courant de Monsieur X...était nulle mais considéré que cette nullité ne faisait pas obstacle à l'obligation pour lui de restituer les sommes mises au débit de ce compte.
Devant la Cour, Monsieur X...fait valoir que le Tribunal correctionnel ne l'a pas condamné à rembourser les sommes réparties par les associés de manière occulte qui constituent des dividendes fictifs. Il invoque le troisième alinéa de l'article L 232-12 du code de commerce et l'article III du code général des impôts.
Il soutient que tout dividende distribué en violation des règles prévues à l'article L 232-12 du code de commerce est un dividende fictif, que l'opération visant à inscrire les dividendes distribués de manière fictive sur les comptes courants d'associés est nulle en application des dispositions de l'article L 223-21 du code de commerce, que la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE n'avait d'autre choix que d'agir en répétition de ces sommes mais que cette action se prescrit par trois ans en application des dispositions de l'article L 223-40 du code de commerce.
Il considère que la prescription est en l'espèce acquise et que l'intimée ne peut lui réclamer un quelconque remboursement et doit être condamnée pour procédure abusive et sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE réplique en indiquant que Monsieur X...a fait inscrire dans son compte courant d'associé 402. 500 francs le 31 janvier 1997 et la même somme le 31 janvier 1998, que son compte présente actuellement un solde débiteur de 171. 093, 25 euros et qu'elle est fondée à agir en remboursement de cette somme.
Elle souligne que le montant du solde débiteur n'a pas été contesté lors des assemblées générales auxquelles Monsieur X...a participé.
Elle invoque l'autorité de la chose jugée au pénal pour contester la thèse de la distribution de dividendes fictifs et relève que l'article III du code général des impôts constitue une disposition de nature purement fiscale qui n'est pas applicable au litige.
Elle soutient que la nullité de la convention ayant procédé à l'inscription en compte courant ne fait pas obstacle au remboursement de celui-ci et invoque les dispositions de l'article 1147 du code civil pour justifier sa demande de dommages et intérêts en faisant valoir que Monsieur X...a laissé volontairement son compte d'associé débiteur sans chercher à remédier à cette situation.
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MOTIFS DE LA DECISION :
Les relevés du compte CCP, les extraits du Grand Livre de la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE et la liasse fiscale 2006 versés aux débats par l'intimée démontrent que le solde du compte courant d'associé de l'appelant est débiteur de la somme de 171. 093, 25 euros.
Ce montant n'est d'ailleurs pas contesté et si Monsieur X...a voté contre la résolution prévoyant d'autoriser le gérant à recouvrer ce compte courant lors de l'assemblée générale ordinaire du 27juin 2008, il n'invoque pas le caractère inexact du solde réclamé.
Le jugement du Tribunal correctionnel de BASTIA du 7 mars 2000 a condamné Monsieur X...du chef d'abus de biens sociaux et recel d'abus de biens sociaux et non du chef de distribution de dividendes fictifs. Cette décision est définitive et bénéficie de l'autorité de la chose jugée.
Le mode opératoire décrit dans le jugement correctionnel démontre d'ailleurs que la société a été privée de sommes qui auraient dû lui revenir et qui ont été encaissées par les associés sans entrer en comptabilité et pouvoir être distribuées au titre de dividendes.
L'appelant n'établit pas l'existence de décisions prises par la société susceptibles de constituer une distribution de dividendes fictifs au sens de l'article L 232-12 du code de commerce.
Il a été condamné pénalement en application des dispositions de l'article L 241-3, 5o du code de commerce et non du chef de l'article L 241-3, 2o du même code et il ne peut utilement se prévaloir de la prescription triennale de l'article L 223-40 du code de commerce.
La nullité de la convention visant à porter au compte courant d'associé de Monsieur X...le montant de ses dettes envers la société résulte de l'article L 223-21 du code de commerce n'est pas discutée par les parties.
Cette nullité emporte effacement rétroactif du contrat et Monsieur X...ne peut se prévaloir de cette nullité pour se soustraire à son obligation de restitution des sommes indûment perçues.
La prescription de droit commun s'appliquant à la mise en oeuvre de cette action en remboursement et le jugement correctionnel du 7 mars 2000, la mise en demeure adressée à Monsieur X...le 8 mars 2000 et l'assignation délivrée le 15 mars 2007, ayant interrompu cette prescription, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté la nullité de la convention d'inscription en compte courant de la dette de Monsieur X...et l'a condamné au paiement de la somme de 171. 093, 25 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2007.
L'appelant sera en conséquence débouté de l'ensemble de ses prétentions.
L'intimée n'ayant pas démontré l'existence d'un préjudice distinct de celui réparé par les intérêts moratoires ni établi que l'appelant était en mesure de remédier à la situation créée par son compte courant débiteur, le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts.
L'équité commande de mettre à la charge de l'appelant une somme de 1. 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile s'ajoutant à celle octroyée en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelant qui succombe supportera les entiers dépens de l'instance. *
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PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de BASTIA du 10 septembre 2009,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur Gilbert X...à verser à la SOCIETE NOUVELLE DE DEMENAGEMENT LAFARGE la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1. 500 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Le condamne aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER LE PRESIDENT