Ch. civile B
ARRET No
du 04 AVRIL 2012
R. G : 11/ 00199 C-PL
Décision déférée à la Cour : jugement du 15 février 2011 Tribunal de Grande Instance de BASTIA R. G : 08/ 444
X...
C/
Compagnie d'assurances MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS Y...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
QUATRE AVRIL DEUX MILLE DOUZE
APPELANT :
Monsieur Pierre X... né le 17 Avril 1936 à BASTIA (20200)... 20200 BASTIA
assisté de la SCP RIBAUT BATTAGLINI, avocats au barreau de BASTIA et de la SCP TOMASI-SANTINI-VACCAREZZA-BRONZINI DE CARAFFA, avocats au barreau de BASTIA
INTIMES :
Compagnie d'assurances MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS Prise en la personne de son représentant légal en exercice 9 Rue Hamelin 75783 PARIS CEDEX
ayant pour avocat la SCP René JOBIN Philippe JOBIN, avocats au barreau de BASTIA et la SCP MORELLI MAUREL ET ASSOCIES, avocats au barreau d'AJACCIO
Monsieur Pierre Antoine Y......... 20600 BASTIA
ayant pour avocat la SCP René JOBIN Philippe JOBIN, avocats au barreau de BASTIA, la SCP MORELLI MAUREL ET ASSOCIES, avocats au barreau d'AJACCIO
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 février 2012, devant Monsieur Pierre LAVIGNE, Président de chambre, et Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller, l'un de ces magistrats ayant été chargé du rapport, sans opposition des avocats.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Pierre LAVIGNE, Président de chambre Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Marie-Jeanne ORSINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 04 avril 2012
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Pierre LAVIGNE, Président de chambre, et par Madame Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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* *ORIGINE DU LITIGE
A la suite de fortes intempéries survenues dans la nuit du 20 au 21 octobre 1999, de la boue et des gravats provenant de la route départementale 31 se sont engouffrés au rez-de-chaussée et au premier étage de la résidence A SULANA édifiée en contrebas.
Monsieur Pierre X..., propriétaire d'un appartement endommagé situé au premier étage de l'immeuble, a d'abord saisi le juge administratif pour obtenir réparation de son préjudice.
La cour administrative d'appel de MARSEILLE, statuant par un arrêt en date du 6 avril 2007 devenu définitif, a jugé que l'absence d'ouvrage d'évacuation des eaux pluviales sur la route départementale 31 ainsi que la qualité des remblais avaient concouru à la survenance des dommages du demandeur dans une proportion évaluée à 25 %, qu'aucune responsabilité n'était encourue par les communes de BASTIA et VILLE DI PIETRABUGNO, et a condamné le département de la Haute Corse à indemniser Monsieur X... du quart des préjudices subis en lui payant la somme de 7 055, 34 euros.
Parallèlement, Monsieur X... et le syndicat des copropriétaires de la résidence A SULANA, ont saisi le tribunal de grande instance de BASTIA d'une action dirigée contre la SCI A SULANA, constructeur de l'immeuble endommagé, Monsieur Pierre Y..., qui avait assuré la maîtrise d'oeuvre de la construction, son assureur la Mutuelle des Architectes Français (la MAF), la SOCOTEC et la compagnie AGF devenue ALLIANZ.
Par jugement contradictoire en date du 15 février 2011, le tribunal a :
- constaté le désistement d'instance du syndicat des copropriétaires de la résidence A SULANA et de Monsieur X... à l'encontre de la SCI A SULANA,
- débouté le syndicat des copropriétaires de la résidence A SULANA et Monsieur X... de l'ensemble de leurs demandes,
- débouté la compagnie ALLIANZ de sa demande de remboursement des indemnités versées au syndicat des copropriétaires de la résidence A SULANA,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné le syndicat des copropriétaires de la résidence A SULANA et Monsieur X... aux dépens.
Par déclaration remise au greffe le 11 mars 2011, Monsieur X... a relevé appel de cette décision en intimant Monsieur Y... et la MAF.
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ETAT DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Dans ses dernières conclusions déposées le 10 octobre 2011 et régulièrement notifiées, l'appelant demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- dire que le creusement d'une falaise et l'absence d'un mur de protection assurant la stabilité de la falaise et l'empêchement vers les appartements du bas de la résidence des eaux s'écoulant sur le CD 31, alors que cet écoulement préexistait à la construction de cette résidence, sont la cause des dommages qu'il a subis et que cela porte atteinte à la solidité de l'ouvrage ou le rend impropre à sa destination et qu'en application de l'article 1792 du code civil la responsabilité de l'architecte doit être retenue,
- en conséquence, condamner conjointement et solidairement les intimés à lui payer la somme de 28 221, 37 euros, montant de son préjudice, outre les intérêts de droit à compter du 30 avril 2005,
- les condamner en outre au paiement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs ultimes conclusions déposées le 30 septembre 2011 et régulièrement notifiées, les intimés demandent à la cour de :
- déclarer l'appelant irrecevable et infondé en son appel,
- déclarer irrecevable et prescrite la procédure initiée contre les intimés,
- dans tous les cas, sur le fond, constatant l'absence de toute expertise contradictoire, confirmer le jugement déféré et condamner l'appelant au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 décembre 2011 ; l'affaire a été plaidée le 16 février 2012 et mise en délibéré au 4 avril 2012, les parties régulièrement avisées.
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SUR QUOI, LA COUR
La cour se réfère à la décision entreprise et aux conclusions récapitulatives susdites pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties.
Il convient de relever à titre liminaire que la cour est saisie d'un appel limité qui n'est dirigé que contre les dispositions du jugement déboutant Monsieur X... de ses demandes formées contre Monsieur Y... et son assureur la MAF.
Les intimés contestent, dans un premier moyen, le droit d'agir de l'appelant sur le fondement des dispositions de l'article 1792 du code civil en faisant valoir que seul le syndicat des copropriétaires peut se prévaloir du régime de responsabilité édicté par ce texte.
Mais c'est à bon droit que l'appelant soutient en réplique que l'obligation de garantie décennale sur laquelle il fonde effectivement son action constitue une protection légale attachée à la propriété de l'immeuble et peut être invoquée par tous ceux qui succèdent au maître de l'ouvrage, en tant qu'ayants cause, même à titre particulier, dans cette propriété.
Par suite, l'appelant bénéficie sur le terrain de la garantie légale prévue par l'article 1792 d'une action directe à l'encontre des constructeurs de l'ouvrage pour obtenir réparation du préjudice subi dans la jouissance des parties privatives de son lot.
Les intimés invoquent, dans un second moyen d'irrecevabilité, la prescription de l'action.
Toutefois, c'est à juste titre que le tribunal a constaté que la prescription, qui a commencé de courir le 31 juillet 1991, date de la réception des travaux, a été valablement interrompue le 28 décembre 2000, date de l'assignation en référé délivrée par Monsieur X... à l'encontre des locateurs d'ouvrage dont Monsieur Y... et son assureur. La prescription n'était donc pas acquise au 17 mars 2003, date à laquelle l'assignation au fond a été délivrée.
Les fins de non-recevoir soulevées par les intimés doivent dès lors être rejetées.
Pour statuer sur la cause du sinistre, les responsabilités encourues et, le cas échéant, la réparation du préjudice, la cour s'appuiera, à l'instar du tribunal, sur l'ensemble des pièces versées aux débats qui ont été régulièrement communiquées aux parties et sur lesquelles celles-ci ont été dés lors en mesure de présenter des observations.
Il en est ainsi notamment du rapport de Madame A..., expert désigné par le tribunal administratif, de celui déposé le 29 avril 2003 par Monsieur Z..., expert désigné dans le cadre d'une instance engagée par d'autres copropriétaires et à laquelle étaient parties notamment Monsieur Y... et son assureur la MAF. Des éléments d'appréciation peuvent être également puisés dans l'arrêt devenu définitif de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 6 avril 2007.
Il est constant que les très fortes précipitations qui se sont abattues sur la région bastiaise dans la nuit du 20 au 21 octobre 1999 ont entraîné, suite à la rupture d'un garde-corps et de l'effondrement du talus de la route départementale 31, le déferlement d'eaux de ruissellement et de boues dans l'appartement dont est propriétaire Monsieur X... au premier étage de la copropriété A SULANA ; que ces dommages ont rendu l'appartement impropre à sa destination puisqu'un arrêté du maire de Bastia en a interdit l'habitation, pour des raisons de sécurité, du 21 octobre 1999 au 2 mai 2005.
Il résulte des deux rapports d'expertise précités que le sinistre, malgré sa grande force, ne présentait pas un caractère exceptionnel dans la zone concernée où des écoulement d'eau torrentielle d'une même puissance avaient déjà été recensés à plusieurs reprises depuis 1950. Les dommages subis par Monsieur X... ne relèvent donc pas d'un cas de force majeure d'ailleurs non invoqué par les intimés. Il est même permis de considérer qu'à l'opposé, ces dommages étaient dans une large mesure prévisibles, compte de l'implantation de la résidence sur un terrain qui, comme l'ont relevé les deux experts, recevait naturellement les eaux collectés par le CD 31 ainsi que celles du fonds supérieur.
Cette situation ne pouvait être ignorée par Monsieur Y..., architecte, qui avait reçu une mission complète de maîtrise d'oeuvre pour la construction de l'ensemble immobilier A SALUNA. Il lui appartenait dès lors, comme le soutient à bon droit l'appelant, de vérifier les conditions d'implantation de l'immeuble quant au risque d'inondation, ce qu'il n'a pas fait.
Il ressort des éléments d'appréciation produits que l'immeuble a été implanté en équerre par rapport à l'axe principal du trajet des eaux créant ainsi un obstacle à cet écoulement ; que les appartements du premier étage comportaient des ouvertures sur l'arrière situées immédiatement sous le niveau de la route et ainsi particulièrement exposées aux pénétrations de boue et de gravats charriés par les pluies torrentielles telles que celles survenues dans la nuit du 20 au 21 octobre 2009.
Ces situations ont incontestablement directement concouru à la production des dommages dont Monsieur X... demande réparation. La responsabilité du maître d'oeuvre est, par suite, incontestablement engagée sur le fondement des dispositions de l'article 1792 du code civil, la cause étrangère n'étant pas prouvée ni même invoquée.
Monsieur X... est en conséquence fondée dans sa demande en réparation dirigée contre Monsieur Y... et son assureur la MAF qui ne conteste pas sa garantie.
Toutefois, il ressort du dossier, en particulier de l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de MARSEILLE, que les dommages trouvaient leur cause secondaire dans la faiblesse des infrastructures de la route départementale 31, dont le département de la Haute-Corse était le gestionnaire et qui ne comportait pas d'ouvrage d'art approprié ; que cette situation a concouru à la production des dommages dans une proportion pouvant être évaluée à 25 %.
Dans ces conditions, Monsieur X... est donc seulement fondé à demander la condamnation de l'architecte et de son assureur à l'indemniser à hauteur de 75 % des préjudices qu'il a subis.
Il ressort des justificatifs produits qu'en raison de l'interdiction d'occuper les logements situés au premier étage de la résidence A SULANA ordonnée par le maire de BASTIA entre le 21 octobre 1999 et le mois de mai 2005, Monsieur X... qui tirait un revenu de la location de son appartement et répercutait sur son locataire les charges locatives qu'il acquittait auprès de la copropriété, a subi pendant la période considérée, des pertes de loyers dont le montant, assorti des charges locatives qu'il a dû supporter, s'élève à 28 221, 37 euros. Les intimés doivent en conséquence être condamnés à lui verser les trois quarts de cette somme soit 21 166 euros.
La somme allouée ne peut produire intérêt au taux légal qu'à compter de la présente décision puisqu'il s'agit d'une créance indemnitaire qui n'avait pas été jusqu'ici constatée dans son principe et déterminée dans son montant.
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge des intimés qui devront en outre payer à l'appelant la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
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PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette les fins de non-recevoir soulevées par Monsieur Pierre Y..., et la Mutuelle des Architectes Français,
Infirme le jugement déféré mais seulement en ce qu'il a débouté Monsieur Pierre X... de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il a condamné celui-ci aux dépens,
Statuant à nouveau de ces seuls chefs,
Déclare Monsieur Pierre Y... responsable à concurrence de 75 %, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, des dommages subis par Monsieur Pierre X...,
Condamne Monsieur Pierre Y... et son assureur la Mutuelle des Architectes Français à payer, in solidum, à Monsieur Pierre X... la somme de VINGT ET UN MILLE CENT SOIXANTE SIX EUROS (21 166 euros) outre intérêt au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
Condamne Monsieur Pierre Y... et son assureur la Mutuelle des Architectes Français à payer, in solidum, à Monsieur Pierre X... la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1 500 euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne, sous la même solidarité, aux entiers dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de la SCP RIBAUT-BATTAGLINI.
LE GREFFIER LE PRESIDENT