Ch. civile B
ARRET No
du 16 AVRIL 2014
R. G : 13/ 00065 R-MPA
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de BASTIA, décision attaquée en date du 15 Janvier 2013, enregistrée sous le no 11/ 00934
SA LCL
C/
SCP X...-X...SCI SANTA LUCIA
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
SEIZE AVRIL DEUX MILLE QUATORZE
APPELANTE :
SA CREDIT LYONNAIS-LCL prise en la personne de son représentant légal 18 Rue de la République 69002 LYON
assistée de Me Maud SANTINI GIOVANNANGELI de la SCP TOMASI-SANTINI-VACCAREZZA-BRONZINI DE CARAFFA-TABO UREAU, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEES :
SCP X...-X...agissant sur poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège ......20217 SAINT FLORENT
assistée de Me Frédérique GENISSIEUX de la SCP RETALI GENISSIEUX, avocat au barreau de BASTIA, plaidant par Me Alexandra BALESI-ROMANACCE, avocat au barreau de BASTIA
SCI SANTA LUCIA Prise en la personne de son représentant légal demeurant et domicilié ès-qualité au dit siège Le Forum Boulevard du Fango 20200 BASTIA
assistée de Me Antoine ALESSANDRI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 février 2014, devant la Cour composée de :
M. Pierre LAVIGNE, Président de chambre
Mme Marie-Paule ALZEARI, Conseiller Mme Françoise LUCIANI, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Johanna SAUDAN.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 16 avril 2014
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. Pierre LAVIGNE, Président de chambre, et par Mme Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE PRETENTIONS DES PARTIES
Selon acte dressé le 5 février 1996 par Maître Étienne X..., notaire, la SA Crédit Lyonnais-LCL a consenti à la SCI Santa Lucia un prêt de 500 000 francs. aux fins d'acquisition de murs professionnels.
Ce prêt a été consenti pour une durée de 12 années, la dernière échéance devant être remboursée le 5 mars 2008.
Il a été mentionné à l'acte que la date de la dernière échéance était le 5 mars 2003 avec cette précision que, conformément à l'article 2154 du code civil, l'inscription du privilège de prêteur de deniers aurait effet jusqu'à l'expiration du délai de deux années à compter de l'échéance finale du prêt, soit en l'espèce jusqu'au 5 mars 2005.
Il a été également prévu l'intervention d'une caution solidaire pour garantie du remboursement de toutes sommes que la SCI Santa Lucia pourrait devoir au Crédit Lyonnais.
La SCI Santa Lucia n'ayant plus respecté le remboursement des échéances du prêt à compter du mois de mai 2005 et son bien ayant été vendu le 18 mai 2006, la société Crédit Lyonnais a fait assigner, selon acte d'huissier du 17 mai 2011, la SCP X...afin de l'entendre déclarée responsable et condamnée à l'indemniser de son préjudice.
Vu le jugement en date du 15 janvier 2013 par lequel le tribunal de grande instance de Bastia a :
- dit que la SCP X...-X...Y... avait commis une faute en mentionnant sur l'acte du 5 février 1996 que la dernière échéance du prêt était celle du 5 mars 2003,
- condamné la SCP X...-X...Y... à payer à la SA Crédit Lyonnais-LCL la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, en indemnisation de la perte de chance de bénéficier du privilège de prêteur de deniers,
- débouté la SCP X...-X...Y... de ses demandes à l'encontre de la SCI Santa Lucia,
- condamné la SCP X...-X...Y... à payer à la SA Crédit Lyonnais-LCL la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la SCP X...-X...Y... aux dépens.
Vu la déclaration d'appel formalisée par la SA Crédit Lyonnais-LCL le 28 janvier 2013.
Vu les dernières conclusions déposées dans l'intérêt de l'appelante le 4 juillet 2013.
Elle expose que le notaire a commis une faute dans la rédaction de l'acte d'inscription du privilège de prêteur de deniers en fixant la date de dernière échéance du prêt au 5 mars 2003 au lieu du 5 mars 2008 et en limitant la durée de l'inscription du privilège.
Elle estime que cette erreur engage sa responsabilité civile professionnelle et son obligation à réparer son entier préjudice.
Elle réclame le paiement des sommes de 27 805, 42 euros à titre de dommages et intérêts et de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions transmises par la SCI Santa Lucia le 27 juin 2013.
À titre principal, elle indique qu'aucune demande n'est formulée à son encontre et conclut au rejet des demandes de la SCP X...-X...Y... à défaut pour elle d'avoir formé appel incident.
Subsidiairement, elle indique que l'article 1251 alinéa 3 du Code civil n'est pas applicable.
Vu les dernières conclusions de la SCP X...-X...Y... du 27 septembre 2013.
À titre principal, elle conclut à la réformation du jugement entrepris et réclame le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle explique que l'appelante est titulaire d'une créance tant à l'égard de la SCI Santa Lucia que des associés et qu'elle ne justifie pas avoir usé de la faculté qui était la sienne d'exercer ses droits envers ces derniers.
Elle ajoute que la banque n'établit nullement avoir rendu la totalité de sa créance exigible par le prononcé de la déchéance du terme.
Elle précise qu'en sa qualité de professionnel averti, la SA Crédit Lyonnais-LCL avait conscience et connaissance du terme de la garantie convenue et l'avait accepté sans protestations ni réserve.
Subsidiairement, elle prétend à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a estimé que seul le préjudice résultant d'une perte de chance était établi.
En revanche, elle prétend à sa réformation en ce qu'il a jugé qu'elle n'était pas fondée à solliciter la condamnation du débiteur principal à la relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre.
Elle soutient que la subrogation a lieu de plein droit en application des dispositions de l'article 1251 du code civil.
Elle prétend donc à ce que la SCI Santa Lucia soit condamnée à la garantir de la condamnation intervenue à son encontre et réclame le paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 6 novembre 2013 ayant renvoyé l'affaire pour être plaidée à l'audience du 13 février 2014.
MOTIFS
Attendu sur la demande principale que l'appelante fonde ses prétentions sur l'application des dispositions de l'article 1382 du Code civil ; qu'elle expose qu'en retenant comme date de cessation d'effet du privilège de prêteur de deniers le 5 mars 2005, le notaire a commis une faute qui lui a été préjudiciable ;
Attendu en liminaire qu'il doit être constaté que la société civile professionnelle titulaire d'un ...ne conteste pas que l'acte établi par elle est affecté d'une erreur matérielle ; qu'en effet, si la date de la dernière échéance de prêt mentionnée est erronée, il s'évince des autres mentions de l'acte quant à la durée du prêt, au nombre et au montant des échéances, que l'erreur commise est effectivement matérielle ;
Attendu qu'il doit être rappelé qu'en application de l'article 2324 du Code civil, le privilège est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres, même hypothécaires ; que cette sûreté permet donc au créancier d'être prioritaire sur tous les autres mais également sur toutes les autres garanties dans la mesure où elle lui permet d'être désintéressé en priorité ;
Attendu sur la responsabilité du notaire qu'il incombe à ce dernier, dans le cadre de sa mission, de garantir la sécurité juridique des actes qu'il instrumente ; qu'il a donc l'obligation d'établir des actes conformes aux objectifs de ses clients ;
Attendu plus précisément qu'il doit s'assurer de l'efficacité des actes qu'il rédige ; qu'en l'espèce, l'intention de la banque était de garantir sa créance au moyen de l'inscription du privilège de prêteur de deniers ;
Attendu qu'en retenant une date erronée pour la dernière échéance du prêt, le notaire a pris une inscription dont les effets ont cessé trop tôt et n'ont pu couvrir le prêt sur la totalité de sa durée ; que de ce fait, à compter du mois de mars 2005, la banque ne bénéficiait plus de la sûreté du privilège de prêteur de deniers ;
Attendu que cette faute n'a pu être régularisée en raison de la vente du bien concerné qui est intervenue postérieurement à l'expiration du privilège ; que dans cette mesure, la SA Crédit Lyonnais-LCL soutient valablement que le notaire n'a pas veillé à la conservation et à l'efficacité de son privilège ; que la perte du bénéfice du privilège de prêteur de deniers en raison de l'erreur commise par le notaire dans la rédaction de son acte engage donc nécessairement sa responsabilité ;
Attendu sur l'existence d'un dommage certain et actuel que la SCP X...-X...Y... soutient que la SA Crédit Lyonnais-LCL disposait de la possibilité de poursuivre la caution pour recouvrer sa créance et que dans cette mesure, elle ne peut se prévaloir du dommage allégué ;
Attendu toutefois que la faute du notaire, par la perte du bénéfice de la sûreté, a empêché la banque d'obtenir le paiement de sa créance puisque le bien a été vendu ; qu'il doit être rappelé que le rôle de cette sûreté était de désintéresser immédiatement et en priorité la banque sur le prix de vente ; que l'erreur d'inscription du privilège de prêteur de deniers a entraîné l'absence de protection du créancier et la perte de son droit à être payé par priorité ;
Attendu en effet que le dommage s'est réalisé en raison de la vente du bien, la sûreté ayant pour objet de garantir le prêteur de deniers en cas de vente ; que la caution n'a vocation à être actionnée que dans l'hypothèse où le débiteur principal ne peut s'acquitter de sa dette ce qui ne peut être le cas lorsque la vente du bien permet de désintéresser entièrement le créancier ;
Attendu en effet que ce n'est pas l'insolvabilité du débiteur principal qui a privé la banque de sa créance mais exclusivement la faute du notaire qui a permis la vente de l'immeuble sans que la banque puisse se prévaloir de son privilège ; que l'absence d'action dirigée à l'encontre de la caution est donc sans incidence sur le caractère direct et certain du préjudice subi par la SA LCL à raison de la faute du notaire ;
Attendu que la perte de cette garantie résulte de façon certaine et directe de l'erreur d'inscription du privilège commise par le notaire ;
Attendu en outre que la SCP X...-X...Y... explique que la SA Crédit Lyonnais-LCL ne justifie pas avoir rendu la totalité de sa créance exigible par le prononcé de la déchéance du terme ; que toutefois, seul le débiteur principal peut se prévaloir de l'absence de déchéance du terme et en aucun cas le notaire, qui est un tiers au contrat de prêt ;
Attendu enfin qu'elle soutient qu'en sa qualité de professionnel averti, la banque avait conscience et connaissance du terme de la garantie convenue et l'avait accepté sans protestations ni réserve ;
Attendu néanmoins que la qualité de professionnel averti de la SA Crédit Lyonnais-LCL ne peut lui être valablement opposée en l'espèce, dans la mesure ou l'exécution du contrat n'est pas en cause mais où il s'agit d'une faute commise par un tiers au contrat ; que ce moyen ne peut donc utilement prospérer ;
Attendu donc qu'en l'état de ces considérations, la banque est effectivement en droit d'obtenir la réparation de l'intégralité de son préjudice et non au titre de la perte d'une chance, ainsi que l'ont estimé à tort les premiers juges alors, au surplus, que ce moyen avait été soulevé d'office sans que les explications des parties aient été provoquées ;
Attendu qu'après examen du contrat de prêt et du décompte produit, il doit donc être fait droit à la demande en paiement de la SA Crédit Lyonnais-LCL avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, s'agissant d'une demande indemnitaire ;
Attendu qu'a titre subsidiaire, la SCP X...-X...Y... demande à être garantie par la SCI Santa Lucia de la condamnation intervenue à son encontre ; que cette dernière prétend à l'irrecevabilité de cette demande faute d'appel incident formé par le notaire ;
Attendu toutefois que l'appel incident a été valablement formé par voie de conclusions qui ont été régulièrement signifiées ; que cette prétention doit donc être examinée en son bien-fondé ;
Attendu ainsi que la SCP X...-X...Y... invoque les dispositions de l'article 1251- 3o du code civil au soutien de sa prétention à être garantie ; qu'elle rappelle que la subrogation à lieu de plein droit en application de cet article ;
Attendu néanmoins que la demande du notaire, fondée exclusivement sur la disposition précitée ne peut utilement prospérer dans le cadre d'un appel en cause afin d'être relevé et garanti ; que la demande subsidiaire sera donc rejetée ;
Attendu que la SCP X...-X...Y... qui succombe à titre principal et subsidiaire, doit être condamnée aux dépens et déboutée en sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en revanche, aucune raison d'équité ne commande l'application de cet article au profit des autres parties qui en ont fait la demande en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Bastia en date du 15 janvier 2013 en toutes ses dispositions sauf en celle par laquelle il a condamné la SCP X...-X...Y... à payer à la SA Crédit Lyonnais-LCL la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en indemnisation de la perte de chance de bénéficier du privilège de prêteur de deniers,
Statuant à nouveau du chef de la disposition infirmée,
Condamne la SCP X...-X...Y... à payer à la SA Crédit Lyonnais-LCL la somme de VINGT SEPT MILLE HUIT CENT CINQ EUROS ET QUARANTE DEUX CENTIMES (27 805, 42 euros) avec intérêts au taux légal à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par elle pour n'avoir pu bénéficier du privilège de prêteur de deniers,
Y ajoutant,
Condamne la SCP X...-X...Y... aux dépens d'appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT