Ch. civile A
ARRET No
du 23 MARS 2016
R. G : 14/ 00172 FL-R
Décision déférée à la Cour : Ordonnance Référé, origine Président du TGI de BASTIA, décision attaquée en date du 24 Décembre 2013, enregistrée sous le no 13/ 01969
X...
C/
SCI MARION
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
VINGT TROIS MARS DEUX MILLE SEIZE
APPELANTE :
Mme Michèle X... née le 01 Mai 1946 à Paris... 1237 AVULLY
assistée de Me Jean Jacques CANARELLI, avocat au barreau de BASTIA, et de Me Patrice VAILLANT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE :
SCI MARION 46, route du bord de mer 20260 LUMIO
assistée de Me Livia CECCALDI VOLPEI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 janvier 2016, devant la Cour composée de :
Mme Françoise LUCIANI, Conseiller, magistrat du siège présent le plus ancien dans l'ordre des nominations à la Cour, faisant fonction de président de chambre, Mme Judith DELTOUR, Conseiller Mme Emmanuelle BESSONE, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Martine COMBET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 23 mars 2016
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Françoise LUCIANI, Conseiller, et par Mme Martine COMBET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La SCI Marion est propriétaire de la parcelle cadastrée B529 au lotissement " Y... " commune de Lumio. Michèle X... est propriétaire de la parcelle voisine cadastrée B527. La SCI Marion a fait assigner Michèle X... devant le président du tribunal de grande instance de Bastia statuant en référé pour obtenir le rétablissement, à la charge de Mme X..., de la servitude de passage due à la parcelle B529.
Suivant ordonnance contradictoire du 24 décembre 2013, le juge des référés a :
- ordonné à Mme X... de rétablir dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'ordonnance le libre accès à l'assiette de la servitude de canalisation instaurée par l'autorité administrative au profit de la parcelle B529 passant le long de la limite des lots B et C du lotissement " Y... ",
- dit que passé ce délai Mme X... est condamnée à payer à la SCI Marion une astreinte de 200 euros par jour de retard pendant une période de trois mois au terme de laquelle il sera à nouveau statué,
- condamné Mme X... à payer à la SCI Marion la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme X... aux dépens.
Mme X... a formé appel de cette décision le 24 février 2014.
Dans ses dernières conclusions déposées le 18 mai 2015 elle demande à la cour de réformer l'ordonnance et de dire n'y avoir lieu à référé, aux motifs précisés dans les écritures, de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, en tous les cas devant le juge du pétitoire, de rejeter toutes les demandes reconventionnelles de la SCI Marion et de condamner cette dernière à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées le 17 février 2015 la SCI Marion sollicite la confirmation de l'ordonnance en toutes ses dispositions et le rejet de toutes les demandes de Mme X... ; elle lui demande de donner acte à Mme X... du rétablissement le 23 janvier 2014 du libre accès aux servitudes dues à la parcelle B 529 appartenant à la SCI Marion ; de condamner Mme X... à payer à la SCI Marion la somme de 2 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi par la modification des lieux outre 4 000 euros à titre de provision à valoir sur le préjudice subi pour procédure manifestement abusive.
Subsidiairement elle demande à la cour d'ordonner la remise en son état initial par Mme X... de la servitude dans le mois de la signification de la décision à intervenir et passé ce délai d'assortir celle-ci d'une mesure astreinte de 250 euros par jour de retard.
En tout état de cause elle sollicite la condamnation de Mme X... au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er juillet 2015.
SUR CE :
Il ressort des pièces versées aux débats que M. Y..., propriétaire de la parcelle numéro 506 sur le territoire de la commune de Lumio, a été autorisé à lotir et à diviser ladite parcelle suivant arrêté préfectoral du 26 avril 1994. De la division de cette parcelle sont issues : la parcelle B 529 (lot A) acquise par la SCI Marion le 17 novembre 1994, la parcelle B527 (lot B) acquise par Mme X... le 12 mai 1995, et la parcelle B526 acquise par M. Z....
Par arrêté du 4 novembre 1994 le préfet de la Haute-Corse avait autorisé à procéder à la vente ou la location des lots suite à l'achèvement des travaux autorisés par l'arrêté de lotir du 26 avril 1994. Cet arrêté comporte en son article 1 la mention suivante : « le programme des travaux figurant au 4 du dossier « pièces écrites » annexé au présent arrêté est substitué au programme des travaux initial. Les plans « alimentations en eau potable », « assainissement », « alimentation électrique », « alimentation PTT », annexés au présent arrêté sont substitués aux plans initiaux ».
L'annexe intitulée : 4- programme des travaux exécutés en juillet 1994, indique :
- d'une part, que la parcelle A sera desservie par le haut de la parcelle 507-528, propriété de la SCI Aledaur, qui accorde un droit de passage. Une attestation des représentants de cette société, datée du 9 novembre 1993, confirme cette autorisation, qui est donnée le long du mur Est de cette propriété sur une largeur de 6 m pour accéder au lot A.
- d'autre part, que le lot A est branché sur la canalisation bordant le lot C à l'intérieur de la servitude de passage et récupérant les E. V et E. U de la parcelle 507 + 528 ; qu'il est desservi en eau potable par une canalisation enfouie dans la servitude de passage de 2 mètres entre les lots C et B ; qu'il est desservi en électricité et pour ce qui concerne les PTT depuis la route communale par la servitude de passage située entre les lots C et B. Le plan des lots, sur lequel figure la servitude de passage en question, est également annexé à l'arrêté préfectoral.
Il existe donc, à la lecture de l'arrêté préfectoral et de ses annexes, au profit du lot de la SCI Marion une servitude de passage d'origine conventionnelle consentie par la SCI Aledaur, et une servitude pour l'alimentation et l'entretien des différents réseaux sur la parcelle de Mme X....
Pour contester le caractère légal de la servitude tel qu'il a été constaté par le juge des référés, Mme X... soutient que le document préfectoral n'a pas été publié, que rien n'indique que les documents sus-cités étaient annexés à l'arrêté, qu'aucune servitude de tréfonds n'est mentionnée dans les actes de cession ou dans un acte valablement publié, qu'en toute hypothèse l'appréciation de l'existence d'une servitude ne relève pas de la compétence du juge des référés, qu'en application de la loi Alur la servitude serait caduque ; qu'enfin, tout au plus, il s'agirait d'une simple tolérance, d'un simple droit d'accès pour l'entretien et la réparation des canalisations ; cependant, les actes authentiques d'achat de Mme X... et de la SCI Marion comportent à la rubrique « formalités du lotissement » la mention des arrêtés préfectoraux et notamment de celui du 4 novembre 1994, ils comportent également l'indication que l'acquéreur s'oblige à exécuter les charges et conditions ordinaires, notamment celle de supporter les servitudes passives de toute nature, notamment celles qui résultent de la situation naturelle des lieux, de l'urbanisme, de la loi et du cahier des charges. Or, l'arrêté préfectoral instaure une servitude légale, en visant précisément le programme des travaux qui en précise l'assiette. Les deux arrêtés préfectoraux tels qu'ils sont produits et tels qu'ils sont repris dans les actes notariés présentent toutes les apparences de régularité, ils n'ont d'ailleurs pas été contestés et ont été appliqués jusqu'à l'introduction de la procédure devant le juge des référés ; il reviendra éventuellement au juge du fond, s'il est saisi de se prononcer sur la validité de l'arrêté du 4 novembre 2004 et sur l'incidence de la loi Alur, ainsi que sur l'assiette et le mode d'exercice de la servitude ;
Pour l'heure, et en matière de référé, force est de constater que l'existence d'un passage, utilisé dès l'acquisition des parcelles B 529 et 527, n'est pas sérieusement contestable ; la pose par Mme X... d'un portillon sur la clôture de sa parcelle, précisément à l'emplacement de ce passage, ainsi que cela ressort du procès-verbal de constat du 4 octobre 2013, constitue d'ailleurs la reconnaissance par celle-ci qu'un accès doit être laissé, au moins de façon intermittente, pour permettre à la SCI Marion de rejoindre ses canalisations et gaines. Le fait par Mme X... d'avoir apposé ce portillon, par lequel l'accès n'est pas possible sans clé, ou sans autorisation de la propriétaire, constitue un trouble et une modification apportés à l'exercice de la servitude. Ce trouble est manifestement illicite puisqu'il se heurte d'une part, à l'existence d'une servitude instituée par arrêté préfectoral, d'autre part à une pratique antérieure confirmant celle-ci.
C'est donc à juste titre que le premier juge a ordonné à Mme X... de rétablir la servitude sous astreinte.
C'est également à juste titre qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme X..., en l'absence de préjudice avéré résultant de l'introduction de la procédure.
La SCI Marion demande à la cour de donner acte à Mme X... du rétablissement le 23 janvier 2014 du libre accès aux servitudes dues à la parcelle B 529 ; il en sera tenu compte au stade de la liquidation de l'astreinte.
En cause d'appel la SCI Marion demande la condamnation de Mme X... à lui verser la somme de 2 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi par la modification des lieux et à titre subsidiaire sa condamnation sous astreinte à la remise en état des servitudes en leur état initial, en faisant valoir que Mme X... a fait procéder à des remblaiements importants sur son terrain, y compris sur l'assiette du droit de passage, qui risquent d'endommager les réseaux enfouis.
La réalité de ces travaux ressort des photos versées aux débats, ils ne sont d'ailleurs pas contestés par l'appelante. Cependant le dommage invoqué par la SCI Marion n'est qu'éventuel et sa demande de provision se heurte donc à une contestation sérieuse.
En revanche, la demande subsidiaire de remise en état apparaît fondée au vu de l'article 701 du code civil. Cette obligation sera assortie d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du mois suivant la signification de la présente décision.
Enfin, la SCI Marion sollicite le versement d'une somme de 4 000 euros à titre de provision à valoir sur ses indemnisations du préjudice subi pour procédure manifestement abusive.
Mais faute pour la SCI Marion de démontrer et la réalité incontestable, et le montant de ce préjudice, qui découlerait directement de l'intention de nuire de Mme X..., la demande sera rejetée.
Les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de Mme X.... L'équité conduit à faire application de l'article 700 du code de procédure civile en confirmant l'ordonnance de référé sur ce point et en mettant à la charge de Mme X... une somme de 3 000 euros en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette la demande en paiement d'une somme de 2 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi du fait de la modification des lieux,
Ordonne la remise en son état initial par Mme X... de la servitude dans le mois de la signification du présent arrêt, et passé ce délai sous astreinte de DEUX CENTS EUROS (200 euros) par jour de retard,
Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la SCI Marion,
Condamne Mme X... à payer à la SCI Marion la somme de TROIS MILLE EUROS (3 000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme X... aux dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT