Ch. civile A
ARRET No
du 25 JANVIER 2017
R. G : 12/ 00070 FR-R
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Tribunal de Grande Instance de BASTIA, décision attaquée en date du 17 Janvier 2012, enregistrée sous le no 09/ 01788
X...
C/
Y...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
VINGT CINQ JANVIER DEUX MILLE DIX SEPT
APPELANTE :
Mme Antoinette X... née le 10 Mai 1944 à GALERIA ...20224 ...
ayant pour avocat Me Antoine ALESSANDRI, avocat au barreau de BASTIA
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/ 547 du 23/ 02/ 2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASTIA)
INTIME :
M. Jean-Claude Y... né le 18 Mai 1939 ......20290 BORGO
ayant pour avocat Me Pierre Paul MUSCATELLI, avocat au barreau de BASTIA, substitué par Me Emmanuelle FABREGAT, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 novembre 2016, devant la Cour composée de :
M. François RACHOU, Premier président Mme Micheline BENJAMIN, Conseiller Mme Emmanuelle BESSONE, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Cécile BORCKHOLZ.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2017, prorogée par le magistrat par mention au plumitif au 25 janvier 2017.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. François RACHOU, Premier président, et par Mme Cécile BORCKHOLZ, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par acte d'huissier en date du 17 janvier 2012, M. Jean Claude Y..., propriétaire de la parcelle D623 au lieu dit Martinella, commune de Lozzi, Haute Corse, a assigné, devant le tribunal de grande instance de Bastia, Mme Antoinette X... aux fins de voir constater la situation d'enclave de sa parcelle D623, de voir dire que l'accès à cette parcelle s'est effectuée durant plus de 30 ans par le chemin matérialisé sur le plan cadastral à partir de la route départementale et traversant les parcelles cadastrées D 888, 889 et 624, de voir condamner sous astreinte Mme Antoinette X... à démolir les portions de mur édifiées sur ce chemin et à remettre en état celui-ci afin de permettre son utilisation, de voir condamner Mme Antoinette X... à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance et la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par jugement en date du 17 janvier 2012 le tribunal de grande instance de Bastia a :
- constaté l'enclave de la parcelle D623,
- constaté que l'accès s'est effectué pendant plus de 30 ans par le chemin de terre matérialisé sur le plan cadastral à partir de la route départementale et traversant notamment la parcelle D624 sur une longueur de 26 mètres et une largeur de quatre mètres en limite ouest de cette parcelle,
- dit que la présente action est irrecevable concernant les parcelles D888 et D889,
- condamné Mme Antoinette X... à démolir les portions de mur édifiées sur le chemin et à le remettre en état de façon à permettre son utilisation dans le délai de deux mois à compter de la signification du jugement sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
- condamné Mme Antoinette X... à payer à M. Jean Claude Y... la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,
- ordonné l'éxécution provisoire,
- condamné Mme Antoinette X... à payer à M. Jean Claude Y... la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamné Mme Antoinette X... aux dépens.
Mme Antoinette X... a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe enregistrée le 23 janvier 2012.
Selon ses écritures communiquées par voie électronique le 29 février 2016, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, Mme Antoinette X... demande à la cour de :
- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré,
- homologuer le rapport de M. Raymond Z..., expert,
- dire que M. Y... ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu'il a ou que ses auteurs ont accédé à la parcelle D623 pendant plus de trente ans par un chemin en terre battue,
- débouter M. Jean Claude Y... de sa demande de désenclavement,
- condamner M. Jean Claude Y... à payer à Mme Antoinette X... la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'existence du chemin est contestée par sept attestations ; qu'en 1985 pour construire sur la parcelle 622, il y a moins de trente ans, certains véhicules ont coupé à travers champs ; que la piste n'a aucune existence juridique et a d'ailleurs été supprimée du plan cadastral ; que M. Jean Claude Y... a seulement utilisé une voie de desserte au travers de la D622 qui, elle, dispose d'un accès à la voie publique ; que M. Jean Claude Y... ne peut revendiquer un usage plus que trentenaire alors qu'il n'a acheté le terrain qu'en 1995 et assigné en 2009.
Selon ses écritures communiquées par voie électronique le 29 février 2016, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé complet de ses moyens et prétentions, M. Jean Claude Y... demande à la cour, au visa des articles 682, 685 et 1382 du code civil, de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
constaté l'état d'enclave de la parcelle de M. Jean Claude Y..., constaté que l'accès à la parcelle D 623 s'est effectué depuis plus de 30 ans par le chemin en terre battue matérialisé sur le plan cadastral à partir de la route départementale et traversant notamment la parcelle cadastrée section D 624 sur une longueur de 26 mètres environ sur une largeur de 4 mètres en limite ouest de la parcelle,
- condamné Mme Antoinette X... à démolir les portions de mur édifiées sur le chemin et à le remettre en état de façon à permettre son utilisation dans le délai de deux mois à compter de la signification du jugement,
Y ajoutant,
- condamner Mme Antoinette X... à remettre en état l'aire de battage " Marusella " délibérément endommagée par elle,
- porter l'astreinte à 500 euros de retard,
- condamner Mme Antoinette X... à payer à M. Jean Claude Y... la somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,
- condamner Mme Antoinette X... à payer à M. Jean Claude Y... la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient que les " indications cadastrales " représentent une voie de communication et plus précisément " un chemin ne formant pas parcelle ", et en l'espèce une voie de communication à partir du nord de la parcelle D88 (pour traverser) les parcelles D 889, 624 et 623 pour s'arrêter à la limite nord est de la parcelle 622 et que le cadastre a, dès le mois de juin 2010, tracé à nouveau cette voie qui avait été supprimée en mars 2010.
Il ajoute qu'il n'importe que la voie de circulation ne soit ni un chemin vicinal ni un chemin rural ; qu'il suffit que le rapport de l'expert souligne qu'il existe incontestablement des traces de passage correspondant à la piste dessinée sur le cadastre qui sont corroborées par les témoignages produits et les photos aériennes de l'IGN prises de 1951 à 2002, que ces traces suffisent à prescrire l'assiette du passage et que l'article 2265 du code civil permet de joindre à sa possession celle de son auteur.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2016 et l'affaire renvoyée pour être plaidée le 7 novembre 2016.
SUR QUOI LA COUR
Il est constant que la parcelle D624 est enclavée. M. Jean Claude Y... est donc fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de son fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasioner, conformément à l'article 682 du code civil.
En application de l'article 683 du code civil le passage doit être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique et dans l'endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé.
Cependant, en dérogation aux disposition de l'article 683, il est permis aux termes de l'article 685 à celui qui réclame un passage au titre de l'article 682 d'invoquer trente ans d'usage continu de l'endroit où s'est exercé le passage. Le demandeur est en droit d'ajouter à son usage celui de ses auteurs pour parvenir à la durée de trente ans.
En l'espèce, M. Jean Claude Y... ayant assigné son adversaire le 17 janvier 2012 doit rapporter la preuve de son usage et/ ou de celui de ses auteurs depuis le 17 janvier1982.
Tout au long de la procédure, le débat a porté sur la question de savoir si un chemin vicinal ou autre donnant accès de la route départementale à la parcelle D 623 a existé depuis cette date. Or la véritable question était de savoir non quelle était la nature de ce chemin mais si M. Jean Claude Y... ou ses auteurs étaient passés à tel endroit sur la parcelle D 624 de façon continue au moins à compter du 17 janvier 1982. Force est de constater que le seul témoin ayant donné quelques précisions sur l'usage de ce passage est Mme Jeanne A...qui atteste : " Il était bien nécessaire de l'emprunter [le chemin] dans sa partie en terre battue pour accéder à l'aire de battage (parcelles D624 et D623) ainsi qu'au parc à bestiaux communal (parcelle D622) ; comme tous les enfants du village, ses cousins et ses frères compris, Jean Claude Y... était toujours du lot, qu'il s'agisse de jeux sur l'aire de battage ou de manoeuvres guerrières autour de la citadelle de l'aghja Marusella ; dans son adolescence il était fier comme Artaban chaque fois qu'on lui confiait la longe pour faire tourner les boeufs et battre le blé, avoine ou orge, pieds nus dans la paille, au centre de l'aire, fouet en main ".
Ce témoignage rapporte des faits qui ont eu lieu à la fin des années quarante ou au début des années cinquante, à une époque où M. Jean Claude Y... n'était pas propriétaire de la parcelle 623, et n'établit pas non plus un usage continu depuis cette époque. L'usage décrit peut en effet procéder d'une simple tolérance ponctuelle. M. Jean Claude Y... ne donne par ailleurs aucune précision sur l'usage qu'ont fait de la parcelle 624 ses auteurs et lui-même qui pourrait impliquer nécessairement un usage continu du passage.
Le fait que, comme le soutiennent plusieurs témoins et l'intimée, le chemin ou le passage ait servi à desservir la parcelle 622 pour la construction en 1985 de bâtisses agricoles n'établit en rien l'usage de M. Jean Claude Y....
C'est donc à tort que les premiers juges ont énoncé que M. Jean Claude Y... et ses auteurs ont nécessairement usé du chemin litigieux pour accéder à leur fonds, alors que celui-ci n'est actuellement ni construit ni cultivé ni utilisé pour l'élevage et qu'il est parfaitement possible qu'il ait été laissé à l'abandon pendant des décennies.
En conséquence le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il constate l'état d'enclave et dit que la présente action est irrecevable concernant les parcelles D 888 et D 889.
Il sera infirmé pour le surplus et M. Jean Claude Y... sera débouté de l'ensemble de ses demandes.
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile. Mme Antoinette X... sera déboutée de ce chef de demande.
M. Jean Claude Y... qui succombe en appel sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a constaté l'état d'enclave et dit que la présente action est irrecevable concernant les parcelles D 888 et D 889,
Infirme le jugement déféré pour le surplus,
Déboute M. Jean Claude Y... de l'ensemble de ses demandes,
Déboute Mme Antoinette X... de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. Jean Claude Y... qui succombe en appel aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT