ARRÊT N°
AC/DB
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 10 JUILLET 2018
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 05 juin 2018
N° de rôle : N° RG 17/00851
S/appel d'une décision
du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE VESOUL
en date du 07 mars 2017 [RG N° 16/00152]
Code affaire : 58A
Demande en nullité du contrat d'assurance, et/ou en remboursement des indemnités pour fausse déclaration intentionnelle ou réticence de la part de l'assuré formée par l'assureur
ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD C/ Nadia X..., C... D... B... ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES
PARTIES EN CAUSE :
ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD
ayant son siège social, [...]
APPELANTE
Représentée par Me Sandrine Y... de la Z... - LEXAVOUE BESANCON, avocat au barreau de BESANCON et par Me A..., avocat au barreau de LYON
ET :
Madame Nadia X...
demeurant [...]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2017/004427 du 12/10/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BESANCON)
INTIMEE
Représentée par Me Laurence E..., avocat au barreau de HAUTE-SAONE
C... D... B... ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
ayant son siège social, demeurant [...]
INTIMÉ
Représentée par Me Catherine F... de la SCP HENNEMANN-BRETON-BEN DAOUD, avocat au barreau de BESANCON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.
ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER et A. CHIARADIA (magistrat rapporteur), Conseillers.
GREFFIER : Madame C.BILLOT, F.F. Greffier.
lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre
ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER, et A. CHIARADIA, Conseillers.
L'affaire, plaidée à l'audience du 05 juin 2018 a été mise en délibéré au 10 juillet 2018. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Faits et prétentions des parties
Mme Nadia X... a souscrit le 6 juillet 2011 auprès de la SA Assurances du Crédit mutuel un contrat d'assurance pour son véhicule automobile.
Le 19 juillet 2014, circulant en état d'ébriété, elle a provoqué un accident en abandonnant son véhicule sur une voie ferrée où il a été percuté par un train générant des dommages matériels importants.
Entre temps, elle avait été condamnée le 22 mai 2013 pour conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, à une amende et à une suspension du permis de conduire pendant six mois sans procéder à une déclaration de ces faits auprès de son assureur dans le délai de quinze jours prévu au contrat.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 avril 2015, la SA Assurances du Crédit mutuel a prononcé la nullité du contrat d'assurance pour défaut de déclaration d'un élément de nature à changer l'opinion du risque par l'assureur en cours de contrat.
Selon exploit d'huissier délivré le 25 janvier 2016, la SA Assurances du Crédit mutuel a fait assigner Mme Nadia X... devant le tribunal de grande instance de Vesoul pour la voir principalement condamnée à lui payer la somme de 1.425.203,32 €, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation, et déclarer le jugement opposable au C... de garantie des assurances obligatoires de dommages (le C... de garantie) lequel est intervenu volontairement à l'instance et s'est opposé à ses prétentions.
Suivant jugement rendu le 7 mars 2017, le tribunal de grande instance de Vesoul adébouté la SA Assurances du Crédit mutuel de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, avec distraction au profit de la SCP ALL Conseils, avocat aux offres de droit et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.
La SA Assurances du Crédit mutuel a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 10 avril 2017 et, aux termes de ses conclusions déposées le 13 janvier 2018, elle demande à la Cour de':
- dire que le tribunal a violé le principe du contradictoire en statuant sur un moyen non soumis à la discussion des parties,
- dire que Mme Nadia X... aurait dû lui déclarer la suspension judiciaire de son permis de conduire dont elle a fait l'objet en cours de contrat,
- constater que Mme Nadia X... a répondu à un questionnaire et n'a pas déclaré en cours de contrat la suspension de son permis de conduire,
en conséquence,
- reformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
- dire que c'est à bon droit qu'elle a prononcé la nullité du contrat,
- condamner Mme Nadia X... à lui payer 1.425.203,32 € outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- dire que la décision à intervenir sera opposable au C... de garantie,
- ordonner la capitalisation des intérêts par année entière,
- condamner Mme Nadia X... à lui payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, avec distraction au profit de Me Sandrine Y... conformément aux dispositions de l'article 699 de code de procédure civile,
- dire «qu'en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, les sommes relevant du droit proportionnel prévu par l'article A 444-32 du code de commerce seront mises à la charge de la défenderesse et s'ajouteront aux condamnations prononcées».
Selon écritures déposées le 10 avril 2018, le C... de garantie sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et sa mise hors de cause «son intervention étant sans objet dès lors qu'en toutes hypothèses la nullité du contrat d'assurance lui serait inopposable» et la condamnation de la SA Assurances du Crédit mutuel aux dépens, dont distraction au profit de Me Catherine F..., avocat, sur son affirmation de droit.
Suivant conclusions transmises le 12 décembre 2017, Mme Nadia X... demande à la Cour de confirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions et de condamner la SA Assurances du Crédit mutuel à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 mai 2018.
Le 16 mai 2018, le C... de garantie a déposé des conclusions de procédure tendant à voir prononcer l'irrecevabilité des dernières conclusions de la SA Assurances du Crédit mutuel transmises par RPVA le 14 mai 2018 aux termes desquelles, celle-ci a, notamment, soutenu que le C... de garantie n'est pas fondé à invoquer l'arrêt du 20 juillet 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne et à voir écarter les pièces communiquées corrélativement à ces conclusions.
La SA Assurances du Crédit mutuel y a répondu par conclusions de procédure déposées le 22 mai 2018 tendant à voir le cas échéant, ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture et le renvoi du dossier à la mise en état.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions ci-dessus rappelées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
* Sur la procédure d'appel,
Par avis en date du 29 novembre 2017, les parties ont été informées de ce que l'audience de plaidoirie avait été fixée au 5 juin 2018 et que l'instruction serait clôturée le 15 mai 2018.
Dès lors, les conclusions n°4 de la SA Assurances du Crédit mutuel et ses pièces n°15 et 16, transmises par RPVA le 14 mai 2018 (soit la veille de la clôture) alors que les conclusions du C... de garantie auxquelles elles prétendent répondre avaient été déposées plus d'un mois plus tôt (le 10 avril 2018), n'ont pas été communiquées en temps utile au sens des articles 15 et 135 du code de procédure civile, de sorte qu'elles seront écartées des débats.
* Sur la procédure de première instance,
La SA Assurances du Crédit mutuel reproche au tribunal de n'avoir pas tenu compte du questionnaire qui avait été soumis à Mme Nadia X... sur ses antécédents au motif qu'il n'aurait comporté aucune formule d'adhésion ou de déclaration ou d'attestation de sincérité de sa part, sans appeler les observations des avocats de la cause sur ce moyen alors qu'il n'avait été soutenu ni par Mme Nadia X..., ni par le C... de garantie.
Cependant, ce faisant le premier juge n'a fait qu'apprécier le document contractuel présenté par la SA Assurances du Crédit mutuel au soutien de ses prétentions sans soulever d'office un quelconque moyen.
La demande de l'appelante tendant à voir dire que le tribunal a violé le principe du contradictoire ne peut, en conséquence, prospérer quand bien même l'analyse faite par le premier juge des conditions particulières du contrat serait contestable.
* Sur le fond,
Le premier juge a rejeté les prétentions de la SA Assurances du Crédit mutuel au motif que le document constituant la page 3 du contrat intitulé «déclaration du souscripteur» portant les indications pré-remplies suivantes:
«Depuis le 6 juillet 2006, le conducteur désigné:
- a fait l'objet d'un procès-verbal délit de fuite et/ou alcoolémie et/ou usage de stupéfiants' NON
- ou a-t-il été sous le coup d'une annulation ou d'une suspension du permis de conduire de deux mois ou plus' NON»
n'est pas signé de Mme Nadia X... et ne contient aucune formule d'adhésion ou de déclaration ou d'attestation de sincérité de la part de l'assurée.
Le premier juge a ainsi considéré qu'une telle déclaration était insuffisante pour rapporter la preuve de l'existence d'un questionnaire soumis au souscripteur et ne satisfaisait pas à l'exigence d'une question précise posée à l'assurée.
Mme Nadia X... ne pouvant être considérée comme ayant répondu par la négative aux deux questions susmentionnées, le tribunal a retenu que le défaut de déclaration de la condamnation s'y rapportant ne peut être reproché à Mme Nadia X....
Néanmoins, au vu des pièces produites, il apparaît que si Mme Nadia X... n'a pas signé la page 3 du contrat, elle a paraphé cette page comme toutes les autres pages des conditions particulières à l'exception de la dernière (page 5/5) qu'elle a signée, et ce sous la mention suivante: «Le souscripteur certifie l'exactitude des renseignements ci-dessus (pages 1 à 5) et reconnaît avoir été informé des conséquences qui pourraient résulter d'une omission ou d'une fausse déclaration (art. L113-8 et L 113-9 du code des assurances)».
Par ailleurs, en page 4 des conditions particulières figure, dans un unique encadré, le paragraphe suivant: « Les questions auxquelles vous avez répondu nous permettent d'apprécier le risque que nous prenons en charge et de tarifer», ce qui ne pouvait qu'attirer l'attention du souscripteur sur l'importance des questions précitées qui lui étaient posées et dont les termes étaient clairs et précis.
Enfin, en page 5 des conditions particulières, Mme Nadia X... a reconnu avoir reçu le jour de la souscription un exemplaire des conditions générales du contrat lesquelles précisent en page 43, en gras, les conséquences d'une fausse déclaration et détaillent les modalités selon lesquelles devaient être déclarées en cours de contrat «les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux, et qui rendent inexactes ou caduques les réponses que vous nous avez faites à la conclusion du contrat et qui sont consignées aux conditions particulières».
Dès lors, Mme Nadia X... ne pouvait ignorer l'obligation pesant sur elle de déclarer à son assureur la suspension pendant six mois de son permis de conduire résultant de la condamnation dont elle avait fait l'objet le 22 mai 2013 pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique.
Compte tenu de l'évidence et de l'importance de l'aggravation du risque induit pour l'assureur par un conducteur ayant fait l'objet d'une suspension du permis de conduire, et ce plus particulièrement pour des faits de conduite sous l'empire d'un état alcoolique, la SA Assurances du Crédit mutuel est bien fondée, en application des articles L.113-2 et L.113-8 du code des assurances, à se prévaloir de la nullité du contrat d'assurance la liant à Mme Nadia X... et à réclamer le remboursement des sommes versées à la victime en indemnisation du préjudice résultant de l'accident du 19 juillet 2014 dont Mme Nadia X... ne conteste pas être responsable.
Il ne peut, en conséquence, ensuite de l'anéantissement rétroactif du contrat d'assurance résultant de sa nullité prononcée par lettre recommandée avec avis de réception du 20 avril 2015, qu'être fait droit à la demande de la SA Assurances du Crédit mutuel tendant à la condamnation de Mme Nadia X... à lui payer la somme de 1.425.203,32 € outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 25 janvier 2016, avec anatocisme conformément aux dispositions de l'article 1343-2 (art. 1154 ancien) du code civil.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la SA Assurances du Crédit mutuel de ses demandes.
* Sur l'intervention du C... de garantie,
Aux termes de ses dernières écritures déposées le 10 avril 2018, le C... de garantie se prévaut d'un arrêt du 20 juillet 2017 de la cour de justice de l'Union européenne, saisie d'une question préjudicielle, qui a retenu que: «les nullités d'un contrat d'assurance en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle à la souscription, ou en cas de non déclaration en cours de contrat, sont inopposables aux tiers victimes, de sorte que l'assureur doit prendre en charge les préjudices subis par les tiers victimes et exercer son recours à l'encontre de l'auteur responsable et ce sans intervention du C... de garantie des assurances obligatoires de dommage».
En l'occurrence, la SA Assurances du Crédit mutuel n'a pas opposé la nullité du contrat d'assurance à la victime, la SNCF, qu'elle a indemnisée. Son action est une action récursoire à l'encontre de son assuré (Mme Nadia X...) qui ne peut être confondue avec l'action de l'assureur du tiers victime subrogé dans les droits de son propre assuré.
Dès lors, le C... de garantie qui n'a pas vocation à intervenir dans le cadre d'une action récursoire doit, en l'espèce, être mis hors de cause.
* Sur les demandes accessoires,
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour, d'une part eu égard à la disparité des situations économiques de la SA Assurances du Crédit mutuel et de Mme Nadia X..., d'autre part dans la mesure où le C... de garantie est, initialement, intervenu volontairement à la procédure.
Succombant, Mme Nadia X... sera condamnée aux dépens d'appel, les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles étant, par ailleurs, confirmées, celles concernant les dépens étant, en revanche, infirmées.
Enfin, aucun article du code de commerce n'apparaissant applicable en l'espèce, la SA Assurances du Crédit mutuel sera déboutée de sa demande tendant à ce «qu'en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, les sommes relevant du droit proportionnel prévu par l'article A 444-32 du code de commerce s[oient] mises à la charge de la défenderesse et s'ajoute[nt] aux condamnations prononcées».
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Ecarte des débats les conclusions n° 4 de la SA Assurances du Crédit mutuel et ses pièces n°15 et 16.
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Vesoul en date du 7 mars 2017, sauf en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que la SA Assurances du Crédit mutuel a, à bon droit, prononcé la nullité du contrat d'assurance la liant à Mme Nadia X....
Condamne Mme Nadia X... à payer à la Sa Assurances du Crédit mutuel la somme de un million quatre cent vingt-cinq mille deux cent trois euros trente-deux centimes (1.425.203,32 €), outre intérêts au taux légal à compter du 25 janvier 2016.
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
Déboute la SA Assurances du Crédit mutuel du surplus de ses demandes.
Met le C... de garantie hors de cause.
Rejette toutes les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme Nadia X... aux dépens de première instance et d'appel, avec possibilité pour Me Sandrine Y... et Me Catherine F..., avocats, de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Monsieur Edouard Mazarin, Président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Madame Dominique Borowski, Greffier.
Le Greffier,Le Président de chambre