ARRÊT N°
AC/CB
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 10 JUILLET 2018
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Contradictoire
Audience publique
du 05 juin 2018
N° de rôle : N° RG 17/01227
S/appel d'une décision
du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BESANCON
en date du 02 mai 2017 [RG N° 16/00026]
Code affaire : 53D
Autres demandes relatives au prêt
CAISSE DE CREDIT MUTUEL VILLERS LE LAC C/ D... X..., C... Y... épouse X...
PARTIES EN CAUSE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL VILLERS LE LAC Société Coopérative de Crédit à Capital Variable,
Inscrite au RCS de Besançon sous le n°778 318 857, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés pour ce audit siège ayant son siège social, [...]
APPELANTE
Représentée par Me Caroline Z..., avocat au barreau de BESANCON
ET :
Monsieur D... X...
né le [...] à BESANCON (25000)
demeurant [...]
Madame C... Y... épouse X...
née le [...] à PONTARLIER ((25))
demeurant [...]
INTIMÉS
Représentés par Me Franck A..., avocat au barreau de BESANCON
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.
ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER et A. CHIARADIA, (magistrat rapporteur), Conseillers.
GREFFIER : Madame C. BILLOT, Adjoint Administratif faisant fonction de Greffier.
lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre
ASSESSEURS : Mesdames B. UGUEN LAITHIER, et A. CHIARADIA, Conseillers.
L'affaire, plaidée à l'audience du 05 juin 2018 a été mise en délibéré au 10 juillet 2018. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
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Faits et prétentions des parties
M. Gérard X... et son épouse, Mme C... Y..., (les époux X...) ont souscrit deux prêts immobiliers auprès de la Caisse de crédit mutuel de Villers-le-Lac, (la caisse) le premier le 7 octobre 2004, d'un montant de 170.000 CHF au taux de 2,15'% l'an, stipulé variable en fonction de l'évolution du LIBOR 3 mois, l'augmentation ne pouvant excéder de deux points le taux initial, le second le 4 juin 2010, d'un montant de 1.202.100 CHF au taux de 1,80'% l'an, stipulé variable en fonction de l'évolution du LIBOR 3 mois, cette variation du taux d'intérêt étant encadrée pendant les vingt premières années d'amortissement du prêt par un plafond à 3,60'% et un plancher à 0,00'%, les valeurs LIBOR 3 mois étant, à la souscription des prêts, respectivement de 0,66'% et 0,25'%.
Le 6 mars 2015, la caisse a notifié aux époux X... la nouvelle valeur des taux applicables aux deux prêts, après révision tenant compte de la baisse du LIBOR 3 mois. Elle a, toutefois, limité la révision à la baisse en portant les taux d'intérêt respectivement à 1,49'% et 1,55'% correspondant à sa marge qu'elle calcule en déduisant du taux d'intérêt initial de chaque contrat la valeur du LIBOR 3 mois à sa souscription.
Les époux X... ont contesté ce calcul considérant que la caisse aurait dû prendre en compte la nouvelle valeur du LIBOR 3 mois dans son calcul, même si elle était devenue négative.
Cette dernière ayant refusé de faire droit à leur demande, ils ont saisi le tribunal de grande instance de Besançon du litige.
Celui-ci, par jugement mixte du 2 mai 2017, a:
- dit que la caisse de crédit mutuel de Villers-le-Lac devait appliquer aux prêts litigieux un taux d'intérêt indexé au taux LIBOR 3 mois à sa valeur réelle, y compris si cet index est négatif,
- condamné la caisse de crédit mutuel de Villers-le-Lac à payer aux époux X... 1.500 € de dommages et intérêts pour indexation contractuelle de mauvaise foi,
- débouté la caisse de l'ensemble de ses demandes,
- sursis à statuer sur les autres demandes et notamment au sujet de la réparation du préjudice économique dans l'attente des résultats de l'expertise,
- avant dire droit, ordonné, aux frais avancés des époux X..., une expertise confiée à M.Rémi B..., avec pour mission essentielle de recalculer l'intégralité des taux d'intérêt des deux prêts depuis la date de signature des contrats et liquider les montants susceptibles d'être dus aux demandeurs,
- laissé de façon provisoire la charge de leurs dépens à chacune des parties.
La Caisse de Crédit Mutuel de Villers-le-Lac a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 2 juin 2017 et, aux termes de ses dernières conclusions transmises le 9 février 2018 (ses conclusions déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture ayant été écartées par ordonnance du conseiller de la mise en état du 30 mai 2018 rejetant la demande de révocation de l'ordonnance de clôture), elle sollicitel'infirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, le débouté des époux X... de l'intégralité de leurs fins et conclusions et leur condamnation aux dépens de première instance et d'appel.
Selon écritures déposées le 11 décembre 2017, les époux X... sollicitent la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a limité à 1.500 € les dommages et intérêts alloués pour résistance abusive et inexécution contractuelle de mauvaise foi et demandent à la Cour de débouter la caisse de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner à leur payer 5.000 € de dommages et intérêts pour résistance abusive et inexécution contractuelle de mauvaise foi, 3.000€ pour appel abusif et une somme identique sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère à leurs dernières conclusions ci-dessus rappelées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 mai 2018.
Motifs de la décision
* Sur les conséquences de l'indexation sur la valeur du LIBOR 3,
Au soutien du calcul des intérêts qu'elle entend opposer aux époux X..., la caisse argue de ce que les clauses des contrats permettant de calculer le taux d'intérêt applicable en fonction de la valeur du LIBOR 3 mois intégraient, de manière implicite mais claire, une décomposition du taux d'intérêt dû par les emprunteurs entre le taux de refinancement de la banque (LIBOR 3 mois) et la marge bancaire couvrant les frais et le bénéfice de la banque.
Il s'avère que, comme le fait valoir la caisse, le code civil prévoit que le prêt d'argent est soit à titre gratuit, auquel cas le prêteur ne perçoit aucune rémunération, soit à titre onéreux, auquel cas le prêteur est rémunéré par l'emprunteur, et le code monétaire et financier dispose en son article L 313-1 que: «constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne [...]».
La doctrine, quant à elle, analyse, notamment, que: «Il ne peut y avoir d'intérêts négatifs sur un prêt. En effet, l'objet d'un prêt c'est la mise à disposition de fonds par le prêteur à l'emprunteur contre remboursement et éventuellement rémunération. Ainsi l'intérêt représente le loyer de l'argent prêté et le risque ['] et le prêteur ne peut pas lui-même payer un intérêt.»
Et encore: «pendant toute la durée du prêt consenti, l'emprunteur doit verser au prêteur une somme d'argent fixée en pourcentage du capital mis à sa disposition et correspondant au taux d'intérêt».
Or, en l'espèce, le taux des intérêts étant indexé sur le LIBOR 3 mois, le passage de celui-ci en zone négative conduit, selon la stricte lettre des contrats litigieux, à un taux d'intérêt négatif, soit un loyer de l'argent mis à la charge non plus de l'emprunteur mais du prêteur, ce qui est contraire au prêt d'argent tel que défini par le droit positif.
Compte tenu de la situation inédite (bien qu'inscrite dans un contexte économique global de déflation et de croissance atone depuis plusieurs années) créée par l'évolution à la baisse du LIBOR 3, les contrats de prêts litigieux qui ne prévoyaient pas les modalités d'application d'une valeur négative du LIBOR 3, doivent être révisés sur le terrain de la théorie de l'imprévisibilité et interprétés pour dégager la volonté des parties lors de leur formation.
Les deux prêts étant stipulés à un taux d'intérêt initial, l'un, de 2,15'% et, l'autre, de 1,80'% l'an, variables à la hausse comme à la baisse, les parties se sont accordées pour que ces intérêts soient à la charge de l'emprunteur et non du prêteur.
Pour autant, aucune stipulation ne fait référence à une marge de la banque telle que la revendique actuellement la caisse qui, en réalité, viderait de tout sens la clause d'indexation du taux d'intérêt sur le LIBOR 3.
En fait, la caisse en proposant cette variation et les emprunteurs en y souscrivant, ont accepté le risque inhérent à ladite variation.
Dès lors, le respect des contrats litigieux impose que, pour les deux prêts, soit appliqué un taux d'intérêt suivant l'évolution du taux LIBOR 3 à sa valeur réelle pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs à condition, toutefois, que sur l'ensemble du remboursement de chaque prêt les intérêts dus au prêteur ne soient pas inférieurs à 0,00'%.
Le jugement déféré sera réformé dans ce sens, étant, au demeurant observé qu'ayant sans doute constaté la tendance baissière de l'évolution du LIBOR 3, la caisse, en ce qui concerne le second prêt accordé le 4 juin 2010 au taux de 1,80'% l'an stipulé variable en fonction de l'évolution du LIBOR 3, avait prévu l'encadrement de sa variation pendant les vingt premières années d'amortissement du prêt par un plafond de 3,60'% et un plancher de 0,00'%.
* Sur la demande des époux X... en dommages et intérêts pour inexécution contractuelle de mauvaise foi
Eu égard à ce qui précède et à la nécessaire interprétation des contrats litigieux, la mauvaise foi alléguée de la caisse ne peut être retenue. En conséquence, la demande en dommages et intérêts des époux X... pour inexécution contractuelle de mauvaise foi ne peut qu'être rejetée et le jugement entrepris, infirmé de ce chef.
* Sur la mesure d'expertise,
Bien que le principe de détermination des taux d'intérêt soit modifié, la mission d'expertise ordonnée avant dire droit par le premier juge garde sa pertinence en vue de recalculer l'intégralité des taux d'intérêt des deux prêts depuis la date de signature des contrats et de liquider les montants susceptibles d'être dus aux emprunteurs, de sorte qu'il convient de confirmer le jugement attaqué sur ce point et de renvoyer l'affaire devant le tribunal de grande instance de Besançon afin de lui permettre de vider sa saisine.
* Sur la demande des époux X... en dommages et intérêts pour procédure abusive,
Les époux X... ne rapportent pas la preuve de ce que la caisse ait interjeté appel dans l'intention de leur nuire ou par une légèreté blâmable assimilable au dol. Leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive sera donc rejetée.
* Sur les demandes accessoires,
Aucune considération tirée de l'équité ne justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
Succombant pour l'essentiel, les époux X... seront condamnés aux dépens d'appel, les dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance étant, par ailleurs, confirmées.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Besançon en date du 2 mai 2017, en ce qu'il a dit que la Caisse de Crédit Mutuel de Villers-le-Lac devait appliquer aux prêts litigieux un taux d'intérêt indexé au taux LIBOR 3 mois à sa valeur réelle, y compris si cet index est négatif et condamné celle-ci à payer aux époux X... 1.500 € de dommages et intérêts pour indexation contractuelle de mauvaise foi.
Statuant à nouveau sur ces points,
Dit que la Caisse de Crédit Mutuel de Villers-le-Lac doit appliquer aux prêts litigieux un taux d'intérêt indexé au taux LIBOR 3 mois à sa valeur réelle, y compris si cet index est négatif mensuellement, mais dans la limite de 0,00'% sur l'ensemble du remboursement des-dits prêts.
Déboute les époux X... de leur demande en dommages et intérêts pour inexécution contractuelle de mauvaise foi.
Confirme le jugement déféré pour le surplus et y ajoutant,
Déboute les époux X... de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Déboute les parties de leurs prétentions respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne les époux X... aux dépens d'appel.
Renvoie l'affaire devant le tribunal de grande instance de Besançon.
Ledit arrêt a été signé par Monsieur Edouard Mazarin, Président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Madame Dominique Borowski, Greffier.
Le Greffier, Le Président de chambre