ARRÊT N°
BM/FA
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 23 MARS 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Contradictoire
Audience publique
du 26 Janvier 2023
N° de rôle : N° RG 22/01123 - N° Portalis DBVG-V-B7G-EQ7L
S/appel d'une décision
du Président du TJ de LONS-LE-SAUNIER
en date du 29 juin 2022 [RG N° 22/00015]
Code affaire : 70Z
Autres demandes relatives à la propriété ou à la possession d'un immeuble ou relevant de la compétence du juge de l'expropriation
[C], [D] [J], E.A.R.L. LA MURA C/ G.F.A. GROUPEMENT DES MONDERANS
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur [C] [D] [J],
né le 03 Novembre 1960 à [Localité 20] (39), de nationalité française, exerçant la profession d'agriculteur
demeurant à « [Adresse 18]
Représenté par Me Quentin DODANE de la SELARL FAVOULET - BILLAUDEL DODANE, avocat au barreau de JURA, substitué à l'audience par Me LOMBARDOT, avocat au barreau du Jura
EARL LA MURA,
Exploiation Agricole à Responsabilité Limitée au capital de 7622,45 euros, inscrite au registre du commerce et des sociétés sous la référence Lons Le Saunier D 323.389.312,
dont le siège social est sis à, [Adresse 18], prise en la personne de son représentant légal actuellement en exercice Monsieur [C] [D] [J], demeurant en sa qualité audit siège.
Représenté par Me Quentin DODANE de la SELARL FAVOULET - BILLAUDEL DODANE, avocat au barreau de JURA, substitué à l'audience par Me LOMBARDOT, avocat au barreau du Jura
APPELANTS
ET :
G.F.A. GROUPEMENT DES MONDERANS
Sise [Adresse 4]
Représentée par Me Jean-Marie LETONDOR de la SCP LETONDOR - GOY LETONDOR - MAIROT, avocat au barreau de JURA, avocat postulant
Représentée par Me Bénédicte FLECHELLES-DELAFOSSE, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant
INTIMÉE
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
MAGISTRAT RAPPORTEUR : Madame B. MANTEAUX, Conseiller, conformément aux dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, avec l'accord des Conseils des parties.
GREFFIER : Madame Fabienne ARNOUX, Greffier.
Lors du délibéré :
Madame B. MANTEAUX, conseiller, a rendu compte conformément à l'article 786 du Code de Procédure Civile aux autres magistrats :
Monsieur M. WACHTER, Président et Monsieur J.F. LEVEQUE, conseiller
L'affaire, plaidée à l'audience du 26 janvier 2023 a été mise en délibéré au 23 mars 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
Exposé des faits et de la procédure
Selon acte notarié du 28 janvier 1981, M. [C] [J] est propriétaire de diverses parcelles d'un seul tenant de nature forestière et pâtures situées sur la commune de [Localité 19], cadastrées C [Cadastre 5] à [Cadastre 6] et C[Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], exploitées par l'EARL La Mura dont il est le gérant.
Pour les exploiter, M. [J] emprunte un chemin situé sur les parcelles cadastrées C [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 11] et [Cadastre 12], propriété du GFA Groupement des Mondérans (le GFA) constitué de membres de la famille [P] mais dont M. [C] [P] est devenu l'unique associé depuis l'acte de partage de la succession [P] du 25 juin 2021.
M. [C] [P] et M. [J] sont en conflit sur le droit de ce dernier d'emprunter le chemin.
Saisi par assignation délivrée par M. [J] et l'EARL La Mura en date du 17 janvier 2022, le juge des référés de Lons-le-Saunier a, par ordonnance rendue le 29 juin 2022 :
- débouté M. [J] et l'EARL La Mura de toutes leurs demandes ;
- débouté le GFA de sa demande reconventionnelle ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- laissé les dépens à la charge de chaque partie.
Pour parvenir à cette décision, le premier juge a considéré que M. [J] et l'EARL La Mura ne rapportaient pas la preuve d'un trouble manifestement illicite imputable au GFA, la voie de fait ne pouvant être caractérisée sans la preuve d'une servitude conventionnelle présente dans un acte authentique, le différend sur l'état d'enclave ne pouvant être tranché par le juge des référés et le juge des référés n'ayant pas compétence pour se prononcer sur la prescription acquisitive.
Par déclaration parvenue au greffe le 8 juillet 2022, M. [J] et l'EARL La Mura ont régulièrement interjeté appel de cette ordonnance. Par conclusions transmises le 22 août 2022, le GFA a formé appel incident.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 janvier 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 26 janvier 2023 et mise en délibéré au 23 mars 2023.
Exposé des prétentions et moyens des parties
Selon conclusions transmises le 1er août 2022, M. [J] et l'EARL La Mura demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions sauf en celle ayant rejeté les demandes reconventionnelles du GFA et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés, de :
- condamner le GFA, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à leur laisser un libre accès aux parcelles C [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16] et [Cadastre 17] par le chemin situé sur les parcelles du GFA cadastrées C [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 11] et [Cadastre 12] ;
- dire que ladite astreinte sera définitivement acquise jour par jour aux parties demanderesses
en réparation du préjudice causé ;
- condamner le GFA, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et pour une durée d'un mois à libérer l'assiette du dit chemin des arbres abattus suite aux intempéries ;
- passé ce délai d'un mois, les autoriser à déblayer le dit chemin des arbres abattus en provenance de la propriété du GFA qui en encombrent l'assiette ;
- débouter l'intimé en cause d'appel de l'ensemble de ses chefs de demandes ;
- condamner le GFA à payer à titre d'indemnités judiciaires :
. à M. [J] la somme de 950 euros outre intérêts au taux légal
. à l'EARL La Mura la somme de 950 euros outre intérêts au taux légal ;
- condamner le GFA aux entiers dépens tant de première instance que d'appel ;
Ils font valoir, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, que le juge des référés a le pouvoir d'intervenir, soit à titre préventif pour maintenir une situation acquise et éviter la réalisation d'un dommage imminent, soit, après réalisation d'un trouble, d'y mettre fin, et ce, même en présence d'une contestation sérieuse. Dès lors, le premier juge ne pouvait fonder son rejet des mesures conservatoires ou de remise en état du chemin sur l'absence de preuve d'une servitude conventionnelle de passage ou d'une servitude légale d'enclave.
En outre, l'abus par le GFA de son droit de propriété en refusant à M. [J] et l'EARL La Mura le passage constitue, à lui seul, le trouble manifestement illicite.
Ils rappellent que depuis 1981 leurs parcelles ont toujours été défruitées par le chemin situé sur les parcelles du GFA jusqu'à ce que M. [C] [P], nouvel associé unique du groupement depuis le 25 juin 2021, s'oppose de manière réitérée à leur passage.
Concernant les demandes d'indemnisation formulées par l'intimé, ils contestent avoir créé sur ses parcelles un nouveau chemin et l'avoir dégradé et font valoir que cette demande se heurte à une contestation sérieuse ; ils soulèvent en outre la prescription de ses demandes au regard de la date de création alléguée du chemin et de celle des dégradations que le GFA leur impute (2016), ce qui en fait une autre cause de contestation sérieuse.
Le GFA a répliqué par conclusions transmises le 22 août 2022 pour demander à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en celle l'ayant débouté de ses demandes reconventionnelles et celles relatives aux frais irrépétibles et dépens et, statuant à nouveau sur celles-ci et y ajoutant, de :
- condamner solidairement M. [J] et l'EARL La Mura à lui payer les sommes provisionnelles suivantes :
. 23 136 euros à titre de dommages-intérêts au titre des frais de réparation du chemin
. 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation du droit de propriété ;
- condamner solidairement M. [J] et l'EARL La Mura à leur payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, les sommes de :
. 5 000 euros au titre des frais exposés et dépens de première instance
. 5 000 euros au titre des frais exposés et dépens en cause d'appel.
Il conteste le caractère rendu inaccessible du chemin par la présence d'arbres abattus et invoque donc que M. [J] et l'EARL La Mura ne justifient pas du trouble qu'ils allèguent, le seul fait qu'il leur conteste le droit de l'emprunter ne pouvant caractériser ce trouble.
A titre subsidiaire, si la cour estimait que la preuve d'un trouble était apportée, il fait valoir que le trouble n'est pas manifestement illicite puisque M. [J] et l'EARL La Mura ne rapportent la preuve ni d'un titre leur reconnaissant un droit de passage ni d'un état d'enclave.
A l'appui de ses demandes contenues dans son appel incident, le GFA soutient que ses demandes sont juridiquement fondées par le fait qu'en déforestant la parcelle boisée pour créer le chemin sur sa propriété puis en le dégradant de sorte qu'il ne puisse plus être emprunté par des véhicules autres qu'agricoles et notamment par les véhicules des artisans ou des secours cherchant à accéder à sa maison, M. [J] et l'EARL La Mura sont à l'origine de troubles manifestement illicites.
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
L'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
- Sur la demande principale de M. [J] et l'EARL La Mura :
Du texte précité, il résulte que les demandeurs à la saisine du juge des référés, M. [J] et l'EARL La Mura, doivent administrer la preuve soit d'un dommage imminent soit d'un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent n'étant pas invoqué, la cour s'attachera à analyser les éléments caractérisant, selon les appelants, l'existence d'un trouble manifestement illicite.
Si l'existence d'une contestation sérieuse portant sur le droit de passage de M. [J] et l'EARL La Mura sur le chemin litigieux n'interdit pas au juge des référés de prendre les mesures conservatoires prévues par l'article 835 précité, le juge doit néanmoins vérifier d'une part l'existence d'un trouble et d'autre part le caractère manifestement illicite du trouble invoqué, les deux conditions étant cumulatives.
En l'état des pièces versées par les parties devant la cour, il n'est pas établi que le passage utilisé jusqu'à présent par M. [J] et l'EARL La Mura ne leur soit plus permis du fait de la présence d'obstacles installés par le GFA ou d'arbres abattus, le seul fait pour le GFA d'avoir contesté à M. [J] et l'EARL La Mura le passage sur ce chemin devant être au besoin porté par M. [J] et l'EARL La Mura devant le juge du fond pour que son droit soit éventuellement reconnu.
La cour confirme donc l'ordonnance déférée en ce qu'elle a débouté M. [J] et l'EARL La Mura de toutes leurs demandes.
- Sur les demandes reconventionnelles du GFA :
Du texte précité, il ressort qu'une demande à titre provisionnel de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice ne peut prospérer en référé qu'à la condition qu'elle ne se heurte pas à l'existence d'une contestation sérieuse.
Or, les demandes de dommages-intérêts du GFA en réparation de ses préjudices résultant de la création par M. [J] et l'EARL La Mura d'un chemin, de la coupe de bois lui appartenant, de la dégradation des chemins par le passage d'engins agricoles ou forestiers, et de l'atteinte qu'il subit en son droit de propriété se heurtent à l'existence revendiquée par M. [J] et l'EARL La Mura d'un droit de passage sur un chemin et par l'absence de preuve que ceux-ci l'auraient effectivement créé et dégradé.
La demande, formulée devant le juge des référés, doit donc être rejetée.
La cour confirme l'ordonnance de référé dans toutes ses dispositions.
Dispositif : Par ces motifs,
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique :
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue entre les parties le 29 juin 2022 par le juge des référés de Lons-le-Saunier ;
Condamne M. [C] [J] et l'EARL La Mura aux dépens d'appel ;
Et, vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute M. [C] [J] et l'EARL La Mura et le GFA Groupement Des Mondérans de leurs demandes.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président de chambre,