ARRÊT N°
MW/LZ
COUR D'APPEL DE BESANÇON
- 172 501 116 00013 -
ARRÊT DU 02 MAI 2023
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
Audience publique du 28 février 2023
N° RG 21/01058 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EMKE
S/appel d'une décision du TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BESANCON en date du 09 mars 2021 [RG N° 19/01757]
Code affaire : 56B - Demande en paiement du prix, ou des honoraires formée contre le client et/ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix, ou des honoraires
E.A.R.L. DES MAISONNETTES C/ [C] [L] VEUVE [K], [Z] [K], [M] [K]
PARTIES EN CAUSE :
E.A.R.L. DES MAISONNETTES
RCS n° 839 166 782
[Adresse 5]
Représentée par Me Claude VARET, avocat au barreau de BESANCON
APPELANTE
ET :
Madame [C] [L] VEUVE [K]
née le 31 Octobre 1939 à [Localité 3]
de nationalité française
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Patricia VERNIER, avocat au barreau de BESANCON
Madame [Z] [K]
née le 18 Février 1965 à [Localité 4]
de nationalité française
demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Patricia VERNIER, avocat au barreau de BESANCON
Monsieur [M] [K]
né le 20 Août 1970 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Patricia VERNIER, avocat au barreau de BESANCON
INTIMÉS
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre.
ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX et Monsieur Cédric SAUNIER, Conseillers.
GREFFIER : Madame Leila Zait, Greffier
Lors du délibéré :
PRÉSIDENT : Monsieur Michel WACHTER, Président de chambre
ASSESSEURS : Madame Bénédicte MANTEAUX et Monsieur Cédric SAUNIER, Conseillers.
L'affaire, plaidée à l'audience du 28 février 2023 a été mise en délibéré au 02 mai 2023. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.
**************
Aux termes d'une promesse unilatérale de vente en dates des 6 et 14 décembre 2018, suivie d'un avenant du 3 janvier 2019, Mme [C] [L], veuve [K], ainsi que Mme [Z] [K] et M. [M] [K], ses enfants, ont accepté de céder à la SAFER de Bourgogne Franche-Comté une exploitation agricole composée de bâtiments de ferme et des parcelles y attachées, d'une surface totale de 27 ha 85 a 77 ca.
Par acte authentique du 26 avril 2019, les consorts [K] ont vendu la ferme et les terres à la SCI du Sombeveau, substituée à la SAFER.
Faisant valoir que, par devis accepté du 2 janvier 2019, Mme [C] [K] l'avait chargée de procéder au nettoyage de la ferme et des champs pour un montant de 24 000 euros TTC, prestation en suite de laquelle elle avait établi le 18 juin 2019 une facture restée impayée, l'EARL des Maisonnettes, composée des mêmes associés que la SCI du Sombeveau, a saisi le juge du tribunal judiciaire de Besançon qui, par ordonnance du 25 juillet 2019, a enjoint à Mme [K] de payer la somme de 24 000 euros en principal.
Mme [K] a formé opposition à cette ordonnance, et ses deux enfants sont intervenus volontairement à la procédure.
L'EARL des Maisonnettes a sollicité la condamnation de Mme [K] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre des prestations réalisées, avec intérêts au taux légal à compter du 18 août 2019, outre celle de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive. Elle a fait valoir que les prestations commandées avaient été dûment réalisées.
Les consorts [K] ont conclu au rejet des demandes de l'EARL des Maisonnettes ainsi qu'à sa condamnation reconventionnelle à leur verser 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et comportement déloyal. Ils ont contesté avoir commandé les prestations litigieuses, faisant valoir que le devis avait été établi bien postérieurement à la vente de la ferme, et que sa signature antidatée avait été obtenue de Mme Veuve [K] par abus de faiblesse. Ils ont ajouté qu'aucune prestation de nettoyage n'avait été réellement exécutée.
Par jugement du 9 mars 2021, le tribunal judiciaire a :
- déclaré recevable l'opposition formée par Mme [C] [L] épouse [K] ;
- débouté l'EARL des Maisonnettes de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné l'EARL des Maisonnettes à payer à Mme [C] [L] épouse [K], à Mme [Z] [K] et à M. [M] [K] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné l'EARL des Maisonnettes à régler les dépens de l'instance ;
- dit n'y avoir lieu a exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :
- que la demanderesse n'apportait pas la preuve des tâches d'entretien prétendûment effectuées pour le compte de Mme [K] ; que le devis du 2 janvier 2019 et la facture du 18 juin 2019 faisaient état d'un prix de 24 000 euros TTC, alors que la demanderesse présentait dans ses écritures un décompte de 213 heures de travail pour un total de 21 925 euros TTC ramené à 20 000 euros ; que la différence entre les sommes réclamées faisait peser le doute sur l'effectivité du travail facturé ;
- que, de plus, l'agenda transmis aux fins de justifier du temps de travail n'était qu'un commencement de preuve ne permettant pas de prouver l'effectivité des activités mentionnées, alors que l'absence de détail des prestations et du coût unitaire dans le devis et la facture ne permettaient pas plus de comprendre le décompte des sommes réclamées.
L'EARL des Maisonnettes a relevé appel de cette décision le 15 juin 2021.
Par conclusions transmises le 14 février 2022, l'appelant demande à la cour :
Vu les articles 1101 et suivants du code civil,
- d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- de condamner Mme [C] [K] à payer à l'EARL des Maisonnettes la somme en principal de 20 000 euros Hors Taxes, soit 24 000 euros TTC outre intérêts au taux légal à compter du 18 août 2019 ;
- de condamner Mme [C] [K] à payer à l'EARL des Maisonnettes une indemnité de 1 000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive ;
- de condamner Mme [C] [K], Mme [Z] [K], M. [M] [K] à payer une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner encore aux entiers dépens qui comprendront les frais liés à la procédure d'injonction de payer ;
- de débouter Mme [C] [K], Mme [Z] [K], M. [M] [K] de l'ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions contraires aux présentes.
Par conclusions notifiées le 23 août 2022, les consorts [K] demandent à la cour :
Vu l'article 564 du code de procédure civile,
- de juger irrecevable la demande nouvelle formée à hauteur de cour de condamnation des consorts [K] au paiement de la somme de 24 000 euros ;
- de débouter par voie de conséquence l'EARL des Maisonnettes de l'intégralité de ses demandes, fins, moyens et conclusions ;
Statuant dans les limites des conclusions de première instance,
- de confirmer le jugement déféré en ce qui concerne le débouté de l'EARL des Maisonnettes, la condamnation au paiement de l'article 700 du code de procédure et aux entiers dépens de première instance ;
- de l'infirmer concernant les dommages et intérêts ;
Et statuant à nouveau,
- de condamner la société EARL des Maisonnettes à payer à Mme [C] [K], née [L], la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée et comportement déloyal ;
- de condamner l'EARL des Maisonnettes à payer à Mme [C] [K], née [L], Mme [Z] [K] et M. [M] [K] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour ainsi qu'à supporter les entiers dont recouvrement au profit de Maître P. Vernier-Dufour application faite de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 7 février 2023.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
Sur la fin de non-recevoir
Les consorts [K] considèrent que l'appelante forme à hauteur d'appel une demande nouvelle, et partant irrecevable, en portant à 24 000 euros TTC le montant de leur demande de condamnation, alors qu'elle ne sollicitait en première instance qu'une somme de 20 000 euros TTC.
Toutefois, l'augmentation à hauteur d'appel du montant d'une demande qui tend aux mêmes fins que la prétention de première instance, ce qui est incontestablement le cas en l'espèce s'agissant du paiement du prix des mêmes travaux, ne s'analyse pas en une demande nouvelle.
La fin de non-recevoir devra donc être rejetée.
Sur la demande en paiement
L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L'article 1353 du même code énonce que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et que, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Au soutien de sa demande en paiement, l'EARL des Maisonnettes produit un devis daté du 2 janvier 2019 concernant la réalisation de prestations de 'broyeur, nettoyage de champ, nettoyage de ferme (fumier)...' pour un coût de 20 000 euros HT, soit 24 000 euros TTC.
Ce devis est revêtu de la mention manuscrite 'lu et approuvé bon pour accord' et de la signature de Mme [C] [K], et il n'est pas contesté que ces éléments ont bien été portés de la main de l'intéressée.
Bien qu'il ne soit pas demandé l'annulation de ce document à valeur contractuelle, les consorts [K] argumentent sur l'abus de faiblesse qui aurait été commis par les représentants de l'EARL des Maisonnettes au préjudice de Mme [C] [K] pour lui extorquer la signature de ce document. Ils produisent à cet égard un certificat médical daté du 11 octobre 2019 par lequel le Dr [F], psychiatre, indique avoit constaté que l'intéressée, née le 31 octobre 1939, présentait 'un état d'angoisse ++ avec vraisemblablement une altération de certaines capacités cognitives ayant amené la patiente à signer courant mai 2019 un devis d'un montant de 24 000 euros.' Outre le fait que ce médecin n'a manifestement pas pu constater lui-même la signature du devis courant mai 2019, le caractère particulièrement dubitatif de la formulation, qui considère comme simplement 'vraisemblable' l'altération de 'certaines capacités cognitives', lesquelles ne sont pas précisément identifiées, ne permet en aucune manière de démontrer qu'à la date de la signature du devis Mme [C] [K], qui ne bénéficiait d'aucune mesure de protection juridique, n'aurait pas été en mesure d'appréhender la portée de ses actes. D'ailleurs, le fait que l'intéressée ait été considérée par le notaire comme suffisamment lucide pour signer le 26 avril 2019 l'acte de vente de la propriété permet de retenir l'inverse.
Les intimés soutiennent ensuite que le devis, ostensiblement daté du 2 janvier 2019, aurait été antidaté, et n'aurait en réalité été soumis à la signature de Mme [C] [K] que plusieurs mois plus tard. Ils produisent à l'appui de cette allégation une photocopie du devis litigieux sur lequel a été apposé un post-it portant la mention 'bon pour accord non daté + devis antidaté au 02.01.19", auquel il ne peut cependant être accordé aucune valeur probante particulière, dès lors que strictement rien ne permet de démontrer qu'il émanerait effectivement de l'appelante, ce que celle-ci conteste formellement, et alors qu'il n'est pas fourni la moindre explication sur la manière dont ce document aurait pu entrer en leur possession.
Les consorts [K] font encore valoir que la numérotation portée sur le devis, à savoir 'N°Devis : 100", suffirait à établir son caractère antidaté, dès lors qu'il était inconcevable qu'au 2 janvier 2019 l'EARL des Maisonnettes ait déjà établi cent devis. L'appelante, qui rétorque qu'elle enregistre ses devis annuels à partir du n°100, pour les distinguer des factures, produit à titre d'illustration deux autres devis numérotés 100, datés respectivement du 2 janvier 2020 et du 6 janvier 2021, qui tendent à confirmer ses dires, et verse en outre les factures et les remises de chèques correspondants, dont les époux [K] ne démontrent pas utilement la fausseté. Dès lors, loin d'établir le caractère antidaté du document, sa numérotation est plutôt de nature à en confirmer l'authenticité.
Il ne peut par ailleurs être tiré aucun argument utile du fait que la facturation ne soit intervenue qu'au mois de juin, les consorts [K] étant en outre mal fondés à considérer qu'aucun paiement ne serait dû faute pour la facture de satisfaire aux exigences formelles du code du commerce ou du code général des impôts, lesquelles sont sans emport sur la validité de l'obligation concernée.
Enfin, s'il peut certes apparaître curieux qu'un propriétaire ayant signé une promesse de vente sur son bien immobilier pour un prix déterminé choisisse de faire réaliser sur ce bien des travaux d'entretien coûteux en l'absence de stipulation contractuelle l'y obligeant, cette considération ne saurait en elle-même permettre la remise en cause nécessaire du contrat portant sur les travaux, ne serait-ce que parce qu'une promesse unilatérale de vente reste toujours soumise à l'aléa tenant à la levée de l'option par le bénéficiaire. Contrairement à ce qu'ils soutiennent, les intimés ne démontrent pas que les fonds étaient en bon état d'entretien et ne nécessitaient pas de travaux, dès lors que l'état des lieux dont ils indiquent se prévaloir à cet égard est en réalité constitué par le dossier de diagnostic technique réalisé en décembre 2018 sur le seul bâtiment d'habitation, alors que les travaux litigieux concernent les extérieurs et les champs.
S'agissant de la réalité des travaux, qui ont fait l'objet d'annotations détaillées de la part de l'appelante, elle est confirmée par la production de plusieurs attestations de témoins, dont aucun élément concret ne permet de mettre en cause l'objectivité.
Surtout, l'appelante verse aux débats la copie écran d'un échange de SMS intervenu le 4 juillet 2019 entre M. [T] [Y], co-gérant de l'EARL des Maisonnettes, et Mme [Z] [K], par lequel celle-ci propose de régler la somme de 15 000 euros en paiement des travaux litigieux, ce à quoi M. [Y] répond par la négative, en sollicitant le règlement du montant de 24 000 euros. L'explication fournie à cet échange par les intimés, à savoir qu'il s'agissait pour Mme [Z] [K] de mettre fin au harcèlement exercé par l'EARL contre sa mère, peine à convaincre, alors qu'il n'est produit strictement aucune pièce venant corroborer l'adoption par l'appelante d'une attitude harceleuse, ou même simplement insistante à l'égard de Mme [C] [K].
Il résulte au contraire de cet échange la reconnaissance par Mme [K] de la réalité tant de la commande des travaux que de leur réalisation, de sorte que la demande en paiement apparaît fondée, tant en son principe qu'en son montant, contractuellement convenu. Il n'y a pas lieu sur ce point de s'arrêter à la divergence apparente entre les montants réclamés en première instance et en appel, alors que l'EARL a à l'évidence opéré une confusion entre montant HT (20 000) et TTC (24 000).
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de l'EARL des Maisonnettes, Mme [C] [K] étant condamnée à lui payer la somme de 24 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 août 2019, date de signification de l'ordonnance portant injonction de payer.
Sur les dommages et intérêts
Le jugement déféré sera confirmé s'agissant du rejet de la demande de dommages et intérêts formée par l'EARL des Maisonnettes, faute de démonstration d'un abus commis par les consorts [K].
Il sera également confirmé s'agissant du rejet de la demande indemnitaire formée par les consorts [K], l'issue du litige suffisant à exclure le caractère abusif de la procédure diligentée par l'EARL.
Sur les autres dispositions
La décision entreprise sera infirmée s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.
Les consorts [K] seront condamnés aux entiers dépens de première instance, comprenant notamment les frais de la procédure d'injonction de payer, et d'appel, ainsi qu'à payer à l'EARL des Maisonnettes la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Confirme le jugement rendu le 9 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Besançon en ce qu'il a reçu l'opposition à injonction de payer, et rejeté les demandes de dommages et intérêts formées respectivement par l'EARL des Maisonnettes et par les consorts [K] ;
Infirme le jugement déféré pour le surplus ;
Statuant à nouveau, et ajoutant :
Condamne Mme [C] [L], veuve [K], à payer à l'EARL des Maisonnettes la somme de 24 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 août 2019 ;
Condamne Mme [C] [L], veuve [K], Mme [Z] [K] et M. [M] [K] aux entiers dépens de première instance, comprenant notamment les frais de la procédure d'injonction de payer, et d'appel ;
Condamne Mme [C] [L], veuve [K], Mme [Z] [K] et M. [M] [K] à payer à l'EARL des Maisonnettes la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par M. Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et par Mme Leila Zait, greffier.
Le greffier, Le président,