COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 5 mars 2008
(Rédacteur : Madame Josiane COLL, Conseiller)
No de rôle : 06 / 05561
IT
Etablissement Public ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG
c /
Monsieur Philippe Marie René Charles Y...
Compagnie AGF ASSURANCES
LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CHARENTE MARITIME
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avouésDécision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 septembre 2006 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 08 novembre 2006
APPELANTE :
Etablissement Public ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, venant
aux droits de L'ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG AQUITAINE LIMOUSIN, lui même venant aux droits du CENTRE REGIONAL DE TRANSFUSION SANGUINE DE BORDEAUX 20, avenue du Stade de France 93218 LA PLAINE SAINT DENIS CEDEX
Représenté par la SCP FOURNIER, avoués à la Cour assisté de Maître RAVAUT avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur Philippe Marie René Charles Y... né le 25 Mai 1955 à CRAON (53400) de nationalité française demeurant ... 17000 LA ROCHELLE
Représenté par la SCP RIVEL et COMBEAUD, avoués à la Cour assisté de Maître DE LATAILLADE avocat au barreau de LA ROCHELLE
Compagnie AGF ASSURANCES, venant aux droits de la Compagnie PFA SERVICE SINISTRE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, Case Postale 8. 10 / 36 5 Esplanade Charles de Gaulle 33081 BORDEAUX CEDEX
Représentée par la SCP Michel PUYBARAUD, avoués à la Cour assistée de Maître DESSANG loco de Maître MAXWELL avocat au barreau de BORDEAUX
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CHARENTE MARITIME, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social,55-57, rue de Suède 17014 LA ROCHELLE CEDEX
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 09 janvier 2008 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Robert MIORI, Président,
Madame Josiane COLL, Conseiller,
Madame Edith O'YL, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
-réputé contradictoire
-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Vu le jugement du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux en date du 6 septembre 2006.
Vu l'acte d'appel de l'Établissement Français du sang en date du 8 novembre 2006.
Vu les conclusions de l'Établissement Français du sang en date du 13 décembre 2007.
Vu les conclusions de la compagnie AGF venant aux droit de la compagnie PFA en date du 21 août 2007.
Vu les conclusions de Monsieur Philippe Y... en date du 21 septembre 2007.
La procédure a été clôturée par ordonnance du Conseiller de la Mise en Etat en date du 26 décembre 2007.
SUR QUOI :
Monsieur Philippe Y... a été victime d'un accident de la circulation le 26 juin 1985. Pris en charge par le SAMU, il a reçu dans l'ambulance 350 ml de plasma.
Au cours de l'année 1992, une hépatite C a été diagnostiquée, Monsieur Philippe Y... a donc assigné l'Établissement Français du sang aux fins d'être indemnisé du préjudice subi du fait de cette contamination, et l'Établissement Français du sang a appelé en la cause l'assureur du conducteur, responsable du préjudice subi par Monsieur Philippe Y..., la compagnie AGF venant aux droits de la compagnie PFA.
L'Établissement Français du sang ne remet pas en cause l'origine de la contamination de Monsieur Philippe Y... par la transfusion pratiquée dans l'ambulance mais conteste la décision du tribunal qui n'a mis à la charge de la compagnie AGF qu'un pourcentage de 25 % des conséquences de la contamination, faisant valoir que la transfusion a été rendue nécessaire par l'accident.
La compagnie AGF soutient que les conséquences de l'accident ne justifiaient pas la transfusion dans la mesure où l'expert ayant examiné Monsieur Philippe Y..., le professeur D... précise que la raison de la transfusion n'est pas " claire " dans la mesure où ce dernier n'avait jamais eu une tension au dessous de 10cmHG et que le pouls n'était pas accéléré, et que dès lors il n'y avait aucune nécessité de faire une transfusion et les conséquences dommageables doivent être supportées par le seul l'Établissement Français du sang.
S'il apparaît en effet à postériori que l'état de Monsieur Philippe Y... ne justifiait pas une transfusion, il n'en reste pas moins que les services du SAMU ont jugé quand même son état suffisamment sérieux pour qu'ils procèdent à la pose d'un plasma qui jouait à la fois le rôle de garde veine pouvant permettre ainsi toute intervention ultérieure et un rôle de prévention de baisse tensionnelle, dont fait état le docteur E.... Dès lors, la transfusion trouve bien en partie son origine dans la faute commise par l'auteur de l'accident. L'assurance de ce dernier devra donc supporter en partie le coût de l'indemnisation de la victime.
Néanmoins, cette faute du conducteur du camion qui a renversé Monsieur Philippe Y... lequel était piéton ne saurait exonérer l'Établissement Français du sang de l'obligation pesant sur lui de délivrer des produits non défectueux, d'autant qu'en l'espèce la transfusion n'était pas une nécessité absolue. Dès lors, le partage de responsabilité fait par le tribunal à savoir 75 % pour l'Établissement Français du sang et 25 % pour la compagnie AGF sera confirmée.
Sur la réparation du préjudice :
Monsieur Philippe Y... a été examiné successivement par le professeur F... et par le professeur D..., ce dernier a fait son examen en 2005.
Il indique que Monsieur Philippe Y... peut être considéré comme consolidée mais non guéri, qu'il ne présente aucun signe d'hypertension portale ou d'insuffisances hépatiques, mais se plaint toujours d'asthénie.
Monsieur Philippe Y... a présenté plusieurs périodes d'arrêt de travail notamment pour subir des biopsie (12 jours en tout).
Il a subi également une période d'ITP à 25 % du 4 décembre 1992 au 30 septembre 2004.
L'IPP qui persiste est de 15 %, les souffrances endurées ont été estimées 3,5 / 7 compte tenu des 3 biopsies hépatiques, des traitements et des souffrances endurées sur le plan psychique.
Monsieur Philippe Y... est né le 25 mai 1955, au moment de la découverte de sa contamination par le VHC, il était agent général d'assurance. Il a démissionné de ce poste en 1993.
Il a ensuite occupé des emplois divers sans grande qualification pendant trois ans, puis a été secrétaire chez un agent général d'assurance jusqu'en 1999, inspecteur dans une société d'assurance jusqu'en 2002. Il a été licencié économique et a ouvert depuis 2004 dans le cadre du plan d'aide de retour à l'emploi un cabinet d'assurance. Auparavant il avait été dans l'armée de l'air, puis collaborateur et agent d'assurances pendant deux ans et demi et garde barrière de nuit pendant 4 ans à la SNCF.
La Cour a, donc les éléments nécessaires pour chiffrer le préjudice de Monsieur Philippe Y... comme suit :
Pertes de revenus pendant la période d'ITT (selon avis d'imposition) un montant de 329,15 €
Gêne dans les actes de la vie courante pendant ces périodes : 240 €.
Préjudice professionnel de Monsieur Philippe Y... pendant sa période d'ITP.
Monsieur Philippe Y... soutient que le tribunal a fait une mauvaise appréciation des documents fournis, notamment, il soutient que la perte de son activité d'agent général d'assurance est due à la découverte de sa maladie et que le tribunal ne devait pas déduire de ses revenus les frais professionnels.
Mais d'une part il ressort notamment du parcours professionnels de Monsieur Philippe Y... que ce dernier dès avant la découverte de sa maladie avait vécu de nombreuses fluctuations et d'autre part il résulte notamment du rapport fait par le sapiteur qu'il a eu des difficultés dès 1985 nécessitant son hospitalisation dans des structures spécialisées, Monsieur Philippe Y... présentant à cette époque une dysphorie anxio-dépressive. Dès lors c'est à bon droit que le tribunal a jugé que sa perte de revenus n'était due à la contamination par le VHC qu'à concurrence de 25 %. Par ailleurs le revenu de référence doit tenir compte en effet des frais professionnels puisque ces frais étant exposés il est certain que le revenu réel de Monsieur Philippe Y... en a été amputé.
Le tribunal a donc retenu un revenu professionnel de 48 226 € pour l'année 1992. Si on prend année par année ce revenu et que l'on déduit les revenus perçus par l'intéressé, il apparaît que sa perte a été de 1993 à 2004, date de la consolidation de 356816 €.
En retenant le taux de 25 % sur ce montant le préjudice professionnel du à l'hépatite C se réduit à 89204 €.
Gêne dans les actes de la vie courante : 600x142 mois x 25 € 21300 €
IPP : 15 % a 49 ans : 15375 €.
Perte d'indemnité de clientèle :
Lors de son départ de ses fonctions d'agent général son portefeuille a été racheté après évaluation contradictoire. Dès lors les calculs de Monsieur Philippe Y... sur la valeur de celui-ci s'il avait continué à exercer ses fonctions sont purement aléatoires, d'autant qu'il a toujours fait preuve dans sa vie professionnelle d'un certain nomadisme qui ne permet pas de soutenir qu'il aurait continué à exercer ses fonctions d'agent général. Le préjudice n'étant donc pas certain, il ne saurait être retenu.
Préjudice spécifique de contamination
Ce préjudice comprend l'ensemble des troubles et perturbations subies du fait de la contamination en l'espèce il apparaît que Monsieur Philippe Y... a été contaminé à l'age de 30 ans, que cette contamination a entraîné une grande inquiétude sur son devenir de 1992 à 2004, qu'en outre, même s'il est consolidé il ne fait pas partie des malades que l'on dit guéris, que les conséquences médicales du virus de l'hépatite C se sont potentialisées avec la fragilité structurelle de Monsieur Philippe Y.... Dès lors, il apparaît que la somme accordée par le tribunal doit être majorée et fixée à la somme de 40 000 €.
L'équité permet de faire droit à la demande de Monsieur Philippe Y... au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à concurrence de la somme de 2 000 €.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance en date du 6 septembre 2006, sauf en ce qu'il a fixé l'indemnisation du préjudice de contamination de Monsieur Philippe Y... à la somme de 25 000 €.
Statuant à nouveau de ce chef.
Condamne in solidum l'Établissement Français du sang et la compagnie AGF à payer à Monsieur Philippe Y... au titre du préjudice de contamination la somme de 40000 €.
Condamne in solidum l'Établis sement Français du sang et la compagnie AGF à payer à Monsieur Philippe Y... la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Condamne l'Établissement Français du sang aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Robert MIORI, Président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Président, Le Greffier,
Robert MIORIHervé GOUDOT