COUR D' APPEL DE BORDEAUX
CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 28 mai 2008
(Rédacteur : Monsieur Robert MIORI, Président)
No de rôle : 06 / 02235
CT
L' ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG
c /
Monsieur Philippe X...
La MACSF
La CAISSE PRIMAIRE D' ASSURANCE MALADIE DE CHARENTE MARITIME
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avouésDécision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 février 2006 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d' appel du 27 avril 2006
APPELANTE :
L' ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG, Etablissement Public venant aux droits et obligations de l' ETABLISSEMENT FRANCAIS DU SANG AQUITAINE LIMOUSIN, venant aux droits et obligations de L' ASSOCIATION D' AQUITAINE POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA TRANSFUSION SANGUINE ET DES RECHERCHES HEMATOLOGIQUES- CRTS BORDEAUX, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 100 Avenue de Suffren- 75015 PARIS
représentée par la SCP FOURNIER, avoués à la Cour et assisté de Maître MICHAUD avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur Philippe X..., né le 25 Mai 1966 à ROCHEFORT (69550)
de nationalité Française, demeurant...- 17300 ROCHEFORT
représenté par la SCP CASTEJA- CLERMONTEL et JAUBERT, avoués à la Cour et assisté de Maître LOYCE CONTY loco Maître BLAZY avocat au barreau de BORDEAUX
La MACSF, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, 20 rue Brunel- 75856 PARIS CEDEX 17
représentée par la SCP LABORY- MOUSSIE et ANDOUARD, avoués à la Cour et assisté de Maître CRESP avocat au barreau de PARIS
La CAISSE PRIMAIRE D' ASSURANCE MALADIE DE CHARENTE MARITIME, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, Rue des Tamaris- 17300 ROCHEFORT
représentée par la SCP CASTEJA- CLERMONTEL et JAUBERT, avoués à la Cour et assisté de Maître HARMAND avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L' affaire a été débattue le 26 mars 2008 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Robert MIORI, Président,
Monsieur Patrick GABORIAU, Conseiller,
Madame Edith O' YL, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l' arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l' article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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Vu le jugement du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX en date du 22 février 2006.
Vu l' appel de l' Etablissement Français du Sang (l' EFS).
Vu les conclusions de Monsieur X... déposées le 22 janvier 2008.
Vu les conclusions de la Mutuelle d' Assurances du Corps de Santé Français (MACSF) déposées le 8 juin 2007.
Vu les conclusions de la Caisse Primaire d' Assurance Maladie de la Charente Maritime (la CPAM) déposées le 18 janvier 2007.
Vu l' ordonnance de clôture du 12 mars 2008.
OBJET DU LITIGE :
Par le jugement attaqué en date du 22 février 2006, le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX a :
"- déclaré l' Etablissement Français du Sang Aquitaine Limousin (l' EFS) responsable de la contamination de Monsieur Philippe X... par le virus de l' hépatite C,
- Mis la Compagnie Axa France hors de cause,
- Condamné l' Etablissement Français du Sang Aquitaine Limousin et la Mutuelle d' Assurance du Corps de Santé Français in solidum à payer Monsieur Philippe X... les sommes de :
* la somme de 76 450, 00 € à titre de dommages intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
* la somme de 1 500 € sur le fondement de l' article 700 du nouveau code de procédure civile.
- Condamné l' Etablissement Français du Sang Aquitaine Limousin à payer à la Caisse Primaire d' Assurance Maladie de la Charente Maritime :
* la somme de 1 955, 45 €, montant des prestations par elle servies
- les frais futurs au fur à mesure qu' ils seront exposés pour un montant de 1 095, 22 € sauf décision de l' Etablissement Français du Sang Aquitaine Limousin de régler le capital immédiatement soit 1 095, 22 €,
- la somme de 150 € sur le fondement de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- Dit que les sommes allouées à la Caisse Primaire d' Assurance Maladie sont dues avec intérêts au taux légal à compter de la demande sauf celle allouée sur le fondement de l' article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile due à compter du jugement,
- Dit que l' Etablissement Français du Sang Aquitaine Limousin bénéficie de la garantie de la Mutuelle d' Assurance du Corps de Santé Français. "
L' EFS a relevé appel de cette décision.
Il en poursuit l' infirmation et sollicite :
- que le taux de l' IPP soit fixé à 5 % et que les montants des indemnités allouées à Monsieur X... soient réduits en conséquence,
- qu' il soit constaté qu' il n' existe pas d' incidence professionnelle en relation directe et exclusive avec l' hépatite C compte tenu des antécédents médicaux.
Monsieur X... demande pour sa part :
- que le jugement soit confirmé en ce qu' il a retenu la responsabilité de l' EFS, admis un taux d' IPP de 20 % et l' existence d' une incidence professionnelle en raison de l' hépatite C,
- que la décision entreprise soit infirmée en ce qui concerne l' indemnisation et que l' EFS et la MACSF soient condamnés à lui verser les sommes suivantes :
- incidence professionnelle 76 000 €,
- souffrances endurées 120 000 €,
- déficit fonctionnel permanent 100 000 €,
- préjudice sexuel et familial 75 000 €,
- article 700 du Code de Procédure Civile 3 000 €.
Il réclame que, les sommes qui lui seront allouées sauf celle fondée sur l' article 700 portent intérêts à compter du 15 août 1986 date des premières transfusions ou à défaut du jour de la découverte de la séropositivité en février 1993.
La CPAM de la Charente Maritime conclut à la confirmation du jugement concernant les condamnations prononcées à son profit.
La Mutuelle d' Assurances du corps de Santé Français (MACSF) demande que le taux d' incapacité permanente soit fixé à 5 % qu' aucun préjudice professionnel ne soit prévu, et qu' il soit décidé qu' elle ne peut être tenue que dans la limite du solde de la garantie disponible au titre de l' exercice 1986, soit 134 940, 29 € sous réserve des règlements ultérieurs.
MOTIFS DE LA DECISION :
Le jugement attaqué n' est critiqué ni en ce qu' il a déclaré l' EFS responsable de la contamination de Monsieur X... par le virus de l' hépatite C, ni en ce qu' il concerne les indemnités allouées à la CPAM.
Il sera donc confirmé au moins de ces deux chefs.
Seul est en réalité en discussion le montant des sommes allouées par le Tribunal à Monsieur X... qui ont été fixées à 46 450 € en ce qui concerne le préjudice soumis à recours après déduction de la créance de la CPAM et à 30 000 € en ce qui concerne le préjudice de contamination.
L' EFS et la MACSF sollicitent une diminution de l' indemnité allouée au titre du déficit fonctionnel permanent et la suppression de l' indemnisation retenue par le Tribunal au titre du préjudice professionnel.
Monsieur X... qui ne fait pas expressément référence au préjudice de contamination demande que les souffrances endurées et le préjudice sexuel et familial soient fixés respectivement à 120 000 € et à 75 000 €.
Il convient d' examiner chacun de ces points.
* Sur le déficit fonctionnel permanent
Dans leur rapport d' expertise les docteurs Y...- Z... et A..., désignés par le Juge des référés du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX pour examiner Monsieur X... ont expliqué que ce dernier était en état d' incapacité permanente partielle depuis le 2 décembre 1992 au taux de 20 % globalement pour sa gène dans les actes de la vie courante par l' asthénie, et que l' IPP ne sera pas inférieure à 5 % pour l' atteinte hépatique.
Le Tribunal a estimé que l' incapacité temporaire partielle devait être considérée comme une incapacité permanente partielle, et que compte tenu de ce que Monsieur X... était âgé de 26 ans en 1992 il convenait de lui allouer une indemnité de 36 400 € au titre du déficit physiologique.
L' EFS et la MACSF maintiennent qu' il convient de limiter le taux de l' IPP indemnisable à 5 % compte tenu de ce que Monsieur X... présente d' autres pathologies intercurrentes qui peuvent favoriser une éventuelle aggravation.
Monsieur X... soutient pour sa part que son état ne pourra que s' aggraver que c' est à juste titre que les premiers juges ont retenu un taux d' IPP de 20 %, et qu' il y a lieu des lors de lui allouer une indemnité de 100 000 € à ce titre.
Au moment ou ils ont déposé leur rapport le 3 septembre 2004, les experts ont précisé que l' incapacité temporaire partielle se poursuivait au taux de 20 % depuis 1992.
S' agissant d' une maladie évolutive l' état de Monsieur X... n' est par ailleurs pas consolidé ainsi que le précisent les experts en page 14 de leur rapport, dans lequel ils notent que le risque d' apparition d' une cirrhose et d' un cancer est réel.
Dans ces conditions c' est de manière exacte que les premiers juges prenant en considération un taux d' incapacité de 20 % résultant directement de la contamination par le virus de l' hépatite C ont fixé à 36 400 € l' indemnité lui revenant à ce titre.
Même si l' état de Monsieur X... n' est pas consolidé aucun élément ne permet de retenir avec certitude que son état s' aggravera. En toute hypothèse aucune constatation médicale ne permet de retenir actuellement un taux d' incapacité supérieur à 20 %.
En l' absence d' un quelconque justificatif l' intéressé est dès lors mal fondé à réclamer à ce titre une somme supérieure à celle qui lui a été allouée par les premiers juges.
* Sur l' incidence professionnelle
Le Tribunal a alloué de ce chef une indemnité de 10 000 € à Monsieur X... en considérant que compte tenu de son état de santé, il avait incontestablement subi une dévalorisation sur le marché de l' emploi.
L' EFS auquel se joint la MACSF fait valoir que Monsieur X... ne rapporte pas la preuve que cette dévalorisation est exclusivement due à l' hépatite C.
Monsieur X... maintient qu' il existe un lieu direct entre la perte de son emploi de cuisinier et la contamination par le virus de l' hépatite C, qu' il n' a jamais pu retrouver de travail depuis son licenciement, et qu' il y a lieu de lui allouer à ce titre une indemnité de 76 000 €.
Les pièces produites révèlent qu' en réalité Monsieur X... n' a pas été licencié en raison de sa maladie mais pour cause économique en même temps que 10 autres personnes en raison des résultats déficitaires de l' entreprise dans laquelle il travaillait.
Contrairement à ce qu' il soutient le lien entre son licenciement et sa maladie n' est donc non seulement pas établi, mais il est même démontré qu' il n' en existe aucun.
Ce n' est par ailleurs qu' en 1995 qu' il a été déclaré guéri du lymphome dont il était atteint.
Pour la période antérieure l' EFS fait donc justement valoir que l' hépatite C n' était qu' une des causes ayant une influence professionnelle.
Ce raisonnement n' est par contre plus vrai pour la période postérieure en sorte que le Tribunal a justement considéré qu' après cette date Monsieur X... avait subi une dévalorisation sur le marché du travail.
Monsieur X... n' indique pas quelle est la méthode qu' il emploie pour fixer le préjudice qu' il a subi ce chef à la somme de 76 000 €. Compte tenu de ce qu' il s' agit seulement d' une limitation portée à sa possibilité d' occuper un emploi et de ce qu' aucun décompte de la perte subie n' est fourni, la somme de 10 000 € allouée à ce titre par le Tribunal doit être maintenue.
L' indemnité de 46 450 € allouée par le Tribunal à Monsieur X... au titre du préjudice patrimonial sera donc retenue.
* Sur les indemnités réclamées par Monsieur X... au titre des souffrances endurées et du préjudice sexuel et familial
Le Tribunal a attribué à Monsieur X... une indemnité de 30 000 € au titre du préjudice de contamination en précisant que cette indemnité avait pour but de réparer le préjudice réparant l' ensemble des troubles liés à la contamination, résultant de la réduction de l' espérance de vie, de l' incertitude dans l' avenir, de la crainte des souffrances ainsi que des perturbations de la vie intime, familiale et sociale. Les premiers juges ont précisé qu' il n' y avait donc pas lieu d' allouer une indemnité séparée au titre des souffrances endurées et d' un préjudice sexuel et familial.
Monsieur X... ne sollicite aucune somme précise au titre du préjudice de contamination.
Pour réclamer une indemnité de 120 000 €, sans commune mesure avec les indemnités habituellement allouées, au titre des souffrances endurées, il souligne que ce préjudice est constitué par son inquiétude du fait de la connaissance qu' il a de la gravité de l' hépatite C dont il souffre, de l' état d' angoisse qui en est résulté, du sentiment d' exclusion qu' il a subi, de la crainte de l' aggravation vers une cirrhose et un cancer du foi.
Pour solliciter une indemnité de 76 000 € au titre du préjudice sexuel et familial, il fait valoir que la contamination a eu des répercutions sur la vie sexuelle et sur son engagement dans une vie de couple.
Il résulte des explications ainsi fournies que les demandes formulées entrent exactement dans la définition du préjudice de contamination telle que précisée par le Tribunal.
C' est donc en fonction de celui- ci qu' il convient d' indemniser Monsieur X... auquel ne seraient allouées que des sommes beaucoup plus faibles que celle retenue par le Tribunal si n' étaient indemnisés que les souffrances endurées et le préjudice sexuel et familial hors tout préjudice de contamination.
L' EFS réclame pour sa part que le jugement attaqué qui a alloué 30 000 € au titre du préjudice de contamination soit confirmé.
Compte tenu de la période durant laquelle le préjudice de contamination s' est poursuivi qui était déjà de plus de 13 ans lors du dépôt du rapport, du fait que Monsieur X... n' était pas à cette date consolidé, des incertitudes qui existent quant à l' évaluation de la maladie, des souffrances endurées qualifiée de 3 / 7 par les experts, des répercutions sociales, familiales et sexuelles qui en sont résultées, il convient d' allouer à ce titre à l' intéressé une indemnité globale de 60 000 €.
Le montant total des sommes lui revenant est donc 46 450 + 60 000 = 106 450 €.
Une indemnité de 1 500 € venant s' ajouter à celle du même montant prévue par les premiers juges lui sera attribuée en cause d' appel sur le fondement de l' article 700 du Code de Procédure Civile.
Il sera fait droit à la demande de limitation de garantie présentée par la MACSF.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant des indemnités allouées à Monsieur X... en réparation de son préjudice corporel.
Statuant à nouveau de ce chef condamne l' Etablissement Français du Sang et la Mutuelle d' Assurance du Corps de Santé Français, cette dernière dans la limite de sa garantie, à payer à Monsieur X... une indemnité de 106 450 € outre une indemnité de 1500 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d' appel.
Dit qu' à cette indemnité s' ajoute celle de 1 500 € prévue par la Tribunal en application de l' article 700 du code de Procédure Civile.
Dit que les intérêts sur ces sommes commenceront à courir à compter du présent arrêt.
Y ajoutant,
Dit que la MACSF ne sera tenue que dans la limite du solde de la garantie disponible au titre de l' exercice 1986 soit 134 940, 29 € sous réserve des règlements ultérieurs.
Condamne l' Etablissement Français du Sang et la MACSF aux dépens qui seront distraits conformément aux dispositions de l' article 699 du Code de Procédure Civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Robert MIORI, Président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
Hervé GOUDOT Robert MIORI