COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 18 NOVEMBRE 2009
(Rédacteur : Monsieur Robert MIORI, Président,)
IT
No de rôle : 08 / 07344
Madame Anny, Georgette, Emilienne X... épouse A...
La SCI FAURE
c /
Monsieur Ghislain Y...
Madame Monique Z... épouse Y...
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avouésDécision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 novembre 2008 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (Chambre 1, R. G. 08 / 6520) suivant déclaration d'appel du 16 décembre 2008
APPELANTES :
Madame Anny, Georgette, Emilienne X... épouse A... née le
02 Avril 1946 à PARIS (75015) de nationalité française demeurant ...LES BAINS
Représentée par la SCP ARSENE-HENRY ET LANCON, avoués à la Cour assistée de Maître DUPUY avocat au barreau de BORDEAUX
La SCI FAURE, agissant par son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social ...LES BAINS
Représentée par la SCP GAUTIER & FONROUGE, avoués à la Cour assistée de Maître
CAMBRIEL avocat au barreau de DAX
INTIMÉS :
Monsieur Ghislain Y... né le 06 Mai 1952 à CASTELSARRASIN (82100)
de nationalité française demeurant ...
Madame Monique Z... épouse Y... née le 12 Décembre 1955 à VILLENEUVE SUR LOT (47300) de nationalité française demeurant ...
Représentés par la SCP RIVEL & COMBEAUD, avoués à la Cour assistés de Maître RUAN avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 octobre 2009 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Robert MIORI, Président,
Monsieur Bernard ORS, Conseiller,
Madame Béatrice SALLABERRY, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
OBJET DU LITIGE :
Selon jugement en date du 15 mars 2007, le tribunal de grande instance de Bordeaux statuant dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière diligentée par le Crédit Agricole contre la SCI Faure a déclaré les époux Y... adjudicataires d'un immeuble situé commune d'Andernos ....
Lors de la prise de possession de l'immeuble les époux Y... se sont vu opposer par les occupants de celui-ci l'existence d'un bail non mentionné dans le cahier des charges, consenti à Madame Annie X...- A... par son époux, Monsieur A... en sa qualité de gérant de la SCI Faure.
Par acte d'huissier en date du16 juillet 2008, les époux Y... ont fait assigner Madame A... et la SCI Faure devant le tribunal de grande instance de Bordeaux afin, à titre principal, de voir déclarer valable le jugement d'adjudication et de voir condamner la SCI Faure à réparer leur préjudice et à titre subsidiaire, dans l'hypothèse ou le droit de substitution invoqué par Madame A... serait reconnu valable, de condamner celle-ci à leur rembourser les sommes qu'ils ont avancées outre des dommages intérêts.
Suivant jugement en date du 4 novembre 2008, le tribunal a débouté Madame A... et la SCI Faure de leur demande tendant à voir déclarer nulle la procédure d'adjudication et les a condamnées sous le bénéfice de l'exécution provisoire à payer aux époux Y... :
- la somme de 9 940 euros au titre des loyers dus du mois d'avril 2007 au mois de
juillet 2008, outre les loyers échus postérieurement jusqu'au « présent » jugement.
5 000 euros à titre de dommages intérêts
-2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame A... et SCI Faure ont relevé appel de cette décision.
Dans ses conclusions déposées et signifiées le 16 avril 2009, Madame A... demande que le jugement attaqué soit réformé, que la procédure d'adjudication soit annulée, que l'ensemble des demandes des époux Y... soit rejeté, et que les intéressés soient condamnés à lui verser une indemnité de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCI Faure sollicite pour sa part dans ses conclusions déposées et signifiées le 15 avril 2009, que le jugement soit réformé, que les époux Y... soient déboutés de leurs demandes, qu'ils soient condamnés à restituer les sommes qu'ils se sont indument fait verser en application de la décision entreprise, et qu'ils soient condamnés à lui verser une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par leurs conclusions déposées et signifiées le 19 mai 2009 les époux Y... demandent à titre principal que le jugement entrepris soit confirmé et que leurs adversaires soient déboutés de leurs prétentions.
Ils sollicitent que la SCI Faure soit en conséquence condamnée à leur verser outre les sommes prévues par le tribunal :
- le montant des loyers échus postérieurement au mois d'août 2008 et qui ont été payés entre les mains de la SCI Faure jusqu'au jugement d'adjudication ;
- le montant des loyers et indemnité d'occupation postérieurs
-13 441, 12 euros au titre des loyers qu'ils ont du acquitter depuis le jugement d'adjudication pour pouvoir se loger.
-2 263, 78 euros au titre des intérêts des emprunts versés pour acquérir l'immeuble ;
-15 000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive ;
A titre subsidiaire dans l'hypothèse où Madame A... serait déclarée recevable à se prévaloir des dispositions du décret du 30 juin 1977, et ou son droit de substitution serait reconnu valable ils demandent qu'elle soit condamnée à leur verser :
-160 000 euros de principal
16 695, 17 euros au titre des frais de vente.
8 144 euros pour les frais d'enregistrement ;
646, 27 euros pour les droits proportionnels ;
2 263, 78 euros au titre des intérêts du prêt payés pour acquérir l'immeuble ;
15 000 euros à titre de dommages intérêts pour résistance abusive.
Ils demandent enfin que leur soit attribuée une indemnité de 15 000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour obtenir l'infirmation de la décision attaquée Madame A... et la SCI Faure font valoir :
- que Madame A... bénéficie des dispositions de la loi du 6 juillet 1989, de l'article 10 paragraphe 2 de la loi du 31 décembre 1975 et de l'article 7 de la loi du 30 juin 1977, qu'elle est en droit de solliciter la possibilité de préempter et que le tribunal ne pouvait retenir le défaut de paiement du montant du prix et des frais de l'adjudication pour écarter son droit de substitution, seule la procédure de folle enchère étant applicable ;
- que le défaut de paiement du prix de l'adjudication n'entraine pas ipso facto la déchéance du droit de substitution de Madame A... car le défaut de paiement du prix est sanctionné par la procédure de folle enchère instituée par l'article 733 ancien du code de procédure civile.
- que l'omission de l'existence du bail dans le cahier des charges a privé Madame A... de toute possibilité d'être convoquée à l'audience d'adjudication et d'exercer par la suite régulièrement auprès du greffe un quelconque droit de substitution ce qui lui a causé grief et justifie l'annulation de l'adjudication ;
- que les époux Y... n'ont sollicité que le paiement des loyers, qu'ils n'ont pas signifié le jugement d'adjudication à Madame A... et que dans ces conditions le délai dans lequel elle pouvait exercer son droit de préemption n'a pas couru ;
- que l'action en remboursement des époux Y... ne peut être fondée que sur la répétition de l'indu et qu'elle doit être dirigée contre Le Crédit Agricole dont la mise en cause paraît indispensable ;
- que la demande reconventionnelle formulée par les époux Y... aux termes de laquelle Madame A... ne dispose pas d'un droit de substitution est nouvelle en cause d'appel ;
- que les époux Y... qui n'ont jamais été propriétaires du bien n'ont aucun droit d'en percevoir les fruits.
Les époux Y... maintiennent pour leur part :
- qu'aucune disposition légale n'impose à l'adjudicataire de signifier le jugement d'adjudication au locataire mais qu'il est seulement tenu de l'en informer afin de rendre inopposable le paiement des loyers qui ne serait pas fait entre ses mains ;
- que n'étant pas partie à la procédure de saisie immobilière, ils n'avaient pas qualité pour dénoncer celle-ci à la locataire.
- que Madame A... a été informée de l'existence de l'adjudication ;
- que la nullité de l'adjudication ne peut être sollicitée alors que conformément à l'article 460 du code de procédure civile la nullité d'un jugement ne peut être demandée que par les voies ordinaires, et que les appelants n'ont pas exercé celles-ci, et alors qu'ils ne prouvent pas le grief que leur causerait cette irrégularité, Madame A... ayant régulièrement exercé son droit de substitution.
- que Madame A... ne peut invoquer les dispositions de l'article 10 paragraphe 2 du décret du 30 juin 1977 qui ne concernent que la vente à la découpe ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il s'agit de la vente d'un immeuble en entier.
- que Madame A... qui a exercé son droit de substitution mais n'a pas payé le prix dans le délai de 45 jours prévu au cahier des charges est déchue de ce denier.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 septembre 2009.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la validité du jugement d'adjudication :
Dans la mesure ou l'existence du bail consenti par la SCI Faure à Madame A... n'est pas contestée, celle-ci est recevable à se prévaloir des textes qu'elle invoque et en particulier du droit de substitution accordé au locataire prévu par les dispositions de l'article 10- II de la loi du 31 décembre1975.
Le jugement d'adjudication ne fait par ailleurs en lui même que constater un contrat judiciaire. Il ne constitue pas dés lors un acte juridictionnel et n'est en conséquence pas susceptible d'appel à moins qu'il ne tranche une contestation ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
La nullité du jugement d'adjudication ne peut dés lors être poursuivie que dans le cadre d'une procédure distincte et postérieure à la procédure de saisie immobilière.
Contrairement à ce que soutiennent les époux Y..., Madame A... ou la SCI ne pouvaient donc frapper le jugement d'un recours par les voies normales.
L'article 10- II de la loi du 31 décembre1975, qui ne concerne pas la vente à la découpe mais seulement la procédure à suivre en matière d'adjudication lorsqu'il existe un locataire, oblige le créancier poursuivant à informer et à convoquer le locataire de bonne foi à l'adjudication afin qu'il puisse porter des enchères.
En ce qui concerne les conséquences du non respect de cette obligation, l'article sus mentionné ajoute qu'à défaut de convocation, le locataire de bonne foi peut pendant un délai d'un mois à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de l'adjudication déclarer se substituer à l'adjudicataire.
Même si, comme en l'espèce, Madame A... n'a pas été convoquée à l'audience d'adjudication il n'en reste donc pas moins qu'elle ne peut demander que ce manquement soit sanctionné par la nullité de la vente.
Madame A... et la SCI ne peuvent non plus solliciter la nullité du jugement d'adjudication en raison de ce que celui-ci n'aurait pas été notifié au locataire par le greffe.
Le défaut d'envoi de cette notification empêche en effet seulement de faire courir le délai avant l'expiration duquel le locataire de bonne foi peut déclarer se substituer à l'adjudicataire. Il ne peut donc entrainer la nullité du jugement d'adjudication.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 23 juillet 2007 adressée au greffier du tribunal de grande instance de Bordeaux, Madame A... a déclaré se substituer à l'adjudicataire au prix et conditions de l'adjudication.
En raison de l'absence de notification du jugement d'adjudication cette substitution n'est pas intervenue hors délai.
Il doit par contre être considéré que lors de l'envoi de cette lettre Madame A... avait nécessairement connaissance du jugement d'adjudication et du cahier des charges qui lui est attaché.
La substitution ne peut être considérée comme régulière que dans la mesure ou elle a été valablement formée.
Comme en première instance les époux Y... invoquent à l'appui de leurs prétentions le moyen tiré de la déchéance du droit de substitution. C'est dès lors de manière inopérante que Madame A... et la SCI soutiennent que le moyen invoqué par les intéressés tiré de l'absence du droit de substitution serait irrecevable.
Le versement du montant du prix de l'adjudication constitue une des conditions de validité de l'exercice du droit de substitution dont peut bénéficier le locataire. A défaut d'avoir versé la somme correspondante la demande de substitution n'a donc pas été régulièrement formée.
Elle ne peut dans ces conditions être considérée comme valable et comme
ayant produit un quelconque effet.
C'est par ailleurs à tort que Madame A... soutient que le défaut de
paiement du prix par le locataire est sanctionné par la procédure de folle enchère.
Il résulte en effet des dispositions de l'article 733 de l'ancien code de procédure civile applicable en la cause (le cahier des charges a été déposé le 29 janvier 2004) que ce n'est qu'en cas de défaillance de l'adjudicataire que la folle enchère de l'immeuble peut être poursuivie. Ce texte qui ne vise que le bénéficiaire de l'adjudication ne peut être étendu à d'autres personnes.
Le locataire défaillant, qui ne s'est pas acquitté du montant du prix de l'immeuble dans le cadre de l'exercice de son droit de substitution, est par conséquent irrecevable à demander la mise en oeuvre de la procédure de folle enchère, alors que l'article 733 du code de procédure civile (ancien) ne s'applique qu'à l'adjudicataire, lequel n'a lui même pas été défaillant, puisqu'il n'est pas discuté que les époux Y... ont payé le prix, et que le créancier poursuivant, qui n'a d'ailleurs pas été appelé dans la cause par Madame A... ou par la SCI, a été désintéressé.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la SCI et Madame A... de leur demande de nullité de l'adjudication.
Sur les autres demandes formulées par les époux Y... :
En raison de la validité du jugement d'adjudication et du dessaisissement de la SCI de la propriété du bien au profit des époux Y..., ces deniers sont en droit de lui réclamer le remboursement des sommes qu'elle a perçues au titre des loyers et indemnité d'occupation sans avoir à mettre en cause le créancier poursuivant.
C'est par ailleurs à juste titre que le tribunal a considéré que les époux Y... ne pouvaient prétendre à la fois au paiement des loyers leur revenant au titre de l'occupation de l'immeuble acquis lors de l'adjudication et le montant des loyers qu'ils ont du acquitter faute de pouvoir occuper les lieux une telle demande correspondant à une double indemnisation de leur préjudice.
Le tribunal a en outre exactement considéré que les intérêts correspondant à l'emprunt réalisé pour acquérir l'immeuble devaient rester à leur charge s'agissant d'une dépense qu'ils doivent en toute hypothèse assumer.
Les justifications produites par les époux Y... (quittances de loyer, demande d'allocation logement, conclusions de Mme A... devant le juge des référés) établissent que le versement d'un loyer avait bien été convenu entre la SCI et Madame A.... Ils sont dés lors fondés a en réclamer le remboursement à la SCI qui en a perçu le montant alors que par suite de l'adjudication elle n'était plus propriétaire de l'immeuble.
La SCI Faure devra verser aux époux Y... le montant des loyers échus postérieurement au jugement rendu le 4 novembre 2008 qui ont été payés entre ses mains.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SCI Faure à payer les loyers échus postérieurement au mois d'août 2008 jusqu'à son prononcé.
Le préjudice subi par les époux Y... au titre de la faute commise par la SCI et de la résistance dont elle a fait preuve y compris en cause d'appel ayant été suffisamment indemnisé par le tribunal à hauteur de 5 000 euros il n'y a pas lieu de leur allouer une somme plus importante.
Madame A... et la SCI Faure seront condamnés à verser aux époux Y... une indemnité de 4 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'ils ont exposés en cause d'appel.
Par ces Motifs :
Confirme le jugement entrepris.
Y ajoutant.
Condamne la SCI Faure à payer aux époux Y... :
- le montant le montant des loyers et indemnité d'occupation postérieurs au jugement rendu le 4 novembre 2008 qui ont été payés entre les mains de la SCI Faure ;
- une indemnité de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Condamne la SCI Faure et Madame A... aux dépens qui seront distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Robert MIORI, Président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,
Hervé GOUDOT Robert MIORI