COUR D'APPEL DE BORDEAUX
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 26 JANVIER 2010
(Rédacteur : Monsieur Jean-François Bougon, Président,)
No de rôle : 08/07283
MC
La SA TRANSBIDASOA
c/
La SAS SOGARA FRANCE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avoués Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 novembre 2008 (R.G. 2008F0590) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 12 décembre 2008
APPELANTE :
La SA TRANSBIDASOA (SA de droit espagnol) agissant par son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, sis POL.IND.ALKALAGA - C/ZIOBI S/N - 31789 LESACA (NAVARRA) ESPAGNE
représentée par la SCP ARSENE-HENRY ET LANCON, avoués à la Cour et assistée de Maître DEFFIEUX de la SCP DEFFIEUX GARRAUD JULES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
La SAS SOGARA FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social, sis Avenue de la Somme - Centre commercial Mérignac Soleil - 33700 MERIGNAC
représentée par la SCP LABORY-MOUSSIE et ANDOUARD, avoués à la Cour et assistée de Maître Lise LE CORRE substituant Maître Stéphanie GRIGNON DUMOULIN, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 01 décembre 2009 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean-François BOUGON, Président,
Monsieur Philippe LEGRAS, Conseiller,
Madame Elisabeth LARSABAL, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Véronique SAIGE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
En 2007, la société espagnole Transbidasoa a effectué des transports de jus de fruits depuis l'Espagne à destination des entrepôts Carrefour à Bassens pour le compte de la société espagnole Dream Fruit.
La société Dream Fruit a été placée en redressement judiciaire le 01er octobre 2007 par le tribunal de commerce de Tolède et la société Transbidasoa n'a pas pu obtenir le règlement de cinq factures de transport pour un montant total de 5.010 €.
La société Transbidasoa assigne la société Sogara, exploitant l'enseigne Carrefour, en paiement de ces factures de transport sur le fondement de l'article L.132-8 du code de commerce qui dispose que le voiturier peut agir directement contre le destinataire pour obtenir le paiement de ses prestations si le débiteur est défaillant.
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Par jugement du 25 novembre 2008, le tribunal de commerce de Bordeaux déboute la société Transbidasoa de toutes ses demandes et la condamne à payer à la société Sogara une somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. La société Transbidasoa est également condamnée aux dépens.
Le tribunal relève que le contrat de transport signé entre le transporteur et l'expéditeur relève du droit espagnol et non du droit français et que l'article L.132-8 du code de commerce s'applique seulement aux transporteurs français et n'est donc pas applicable à la société Transbidasoa.
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La société Transbidasoa relève appel de ce jugement dont elle poursuit la réformation. L'appelante conclut à la recevabilité de son appel et à la condamnation de la société Sogara à lui payer une somme de 5.010 € majorée des intérêts calculés au taux de 1.5 fois le taux légal à compter de l'assignation ainsi qu'une somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle conclut également à la condamnation de l'intimée aux dépens.
L'appelante soutient à titre principal que les dispositions de l'article L.132-8 du code de commerce sont d'ordre public et qu'elles sont incompatibles avec l'article 4§4 de la convention de Rome qui doit de ce fait être écartée en application de l'article 16 de la convention de Rome.
A titre subsidiaire, l'appelante soutient que l'article L.132-8 du code de commerce est une loi de police.
A titre infiniment subsidiaire, l'appelante affirme que l'article 4§4 de la convention de Rome permet de soumettre une partie du contrat à la loi du pays de destination alors que l'ensemble du contrat du contrat est régi par la loi du pays d'expédition.
La société Transbidasoa affirme qu'elle figure bien en qualité de destinataire sur les CMR et que les factures produites aux débats sont compréhensibles sans traduction.
La société Sogara France, intimée conclut à titre principal à l'irrecevabilité de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris. A titre subsidiaire, elle conclut au rejet des prétentions de l'appelante et à sa condamnation à lui payer une somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Elle conclut également à la condamnation de l'appelante aux entiers dépens.
A titre principal, l'intimée fait valoir que la convention de Rome ne comporte aucune disposition sur l'action directe en paiement et qu'en application de l'article 4§4 de cette convention, le contrat de transport en cause relève du droit espagnol et non du droit français car l'expéditeur et le transporteur ont leur siège social en Espagne et la marchandise a été chargée dans ce pays.
Elle affirme également que l'article L.132-8 du code de commerce n'est pas une loi de police et que la situation juridique ne présente pas de lien étroit avec la France de sorte que le transporteur ne peut revendiquer le bénéfice des dispositions de l'article 7 de la convention de Rome prévoyant une dérogation au mécanisme de désignation du droit applicable.
A titre subsidiaire, la société Sogara fait valoir qu'elle ne figure pas sur les lettres de voiture en qualité de destinataire et qu'elle n'a pas accepté les marchandises. L'intimée explique que le destinataire désigné dans les lettres de voiture est la société ND Logistics qui a émargée les lettres de voiture.
L'intimée affirme également que l'appelante ne justifie pas du prix convenu entre elle et l'expéditeur, la société Dream Fruit. Elle demande par ailleurs à la cour d'écarter des débats les documents rédigés en espagnol et non traduits.
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SUR CE :
Le transporteur espagnol qui n'a pu se faire payer de sa prestation par le commissionnaire espagnol, mis en redressement judiciaire, se retourne contre le destinataire français. Pour ce faire, il revendique le bénéfice des dispositions de l'article L132-8 du code de commerce qui prévoit que le voiturier a une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport.
Mais, l'article L132-8 du code de commerce n'est pas une « loi de police » en ce sens que si ses dispositions protègent en France les voituriers, il ne s'agit pas d'une loi dont l'observation est jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation sociale, politique ou économique de l'Etat.
S'agissant d'un transport international, il convient de rechercher la loi applicable au contrat. La CMR ne contenant pas de disposition sur ce point, la loi applicable sera déterminée, en application des articles 4 paragraphe 1 et 4 de la convention de Rome du 19 juin 1980, comme la loi du pays avec lequel le contrat présente le lien le plus étroit. Le transporteur et l'expéditeur étant établis en Espagne qui est également le pays du chargement de la marchandise, c'est la loi espagnole qui est applicable au contrat.
Or, il est constant que la loi espagnole ne connaît pas l'action directe du transporteur contre le destinataire.
Par voie de conséquence, sans qu'il soit besoin d'examiner plus avant les autres moyens développés par les parties, par ces motifs et ceux non contraires déjà développés par les premiers juges, la décision déférée sera confirmée.
Les frais irrépétibles de la société Sogara France seront arbitrés à la somme de 2.000 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR :
Vu l'ordonnance de clôture en date du 18 août 2009,
Confirme la décision déférée,
Y ajoutant,
Condamne la société Transbidasoa à payer à la société Sogara France la somme de 2.000 € pour frais irrépétibles,
Condamne la société Transbidasoa aux entiers dépens et en ordonne la distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Le présent arrêt a été signé par monsieur Jean-François Bougon, président, et par madame Véronique Saige, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.